Sécurisation des élections : L’ultime défi

Annoncé par le gouvernement, le plan de sécurisation des élections de 2018 comporte un dispositif d’environ 11 000 agents, des aéronefs, plusieurs véhicules, des pinasses et même des motos. Un déploiement important qui ne semble pourtant pas rassurer tous les acteurs. Alors que certains invoquent une nécessaire implication des populations, d’autres pointent du doigt des manquements qui compromettent déjà la distribution des cartes d’électeurs et le déroulement serein de la campagne électorale.

« Même si on envoie des milliers d’hommes pour sécuriser le pays, si ce n’est pas en accord avec la population, ces hommes ne pourront rien faire. C’est quand la population et les forces de sécurité sont ensemble que cela peut marcher », explique l’Honorable Souleymane Ag Al Mahmoud,  député élu à Ansongo, dans la région de Gao. « Certaines localités sont prêtes à organiser les élections, mais ne veulent pas entendre parler de forces étrangères pour les sécuriser », ajoute l’élu. Si les élections n’ont pu se tenir à Talataye en 2013, c’est en raison d’une confusion des rôles entre la MINUSMA et les Famas, chaque entité voulant assurer le transport du matériel et du personnel chargé de gérer les élections, explique encore le député d’Ansongo. Et, lorsque  la situation a été éclaircie, juste quelques heures avant le début des opérations de vote, il était techniquement impossible d’acheminer le matériel dans cette commune située à plus de 200 km du chef-lieu de cercle d’Ansongo. Il faut donc tirer les leçons du passé et éviter de répéter les mêmes erreurs.

Et, pour ce faire, l’implication des acteurs locaux est indispensable. « Nous nous préparons à accompagner le gouvernement dans tout ce qu’il veut entreprendre pour la sécurité. Nous connaissons le terrain et nous avons nos techniques et nos stratégies sur les sites », note l’Honorable Ag Al Mahmoud. Chefs de villages ou de fractions, responsables locaux ou population, tout le monde a une responsabilité et est prêt à l’assumer, affirme t-il. Il faut juste que les gens se sentent impliqués. Ils ne veulent plus être «  marginalisés », car l’une des raisons de la généralisation de l’insécurité, c’est aussi « la frustration », selon le député.

Situation précaire

De retour dans leur localité  de Dinangourou, située à environ 100 km de Koro, dans la région de Mopti, le convoi raccompagnant les élèves de la neuvième année venus passer leurs épreuves du DEF à Koro, a sauté sur une mine, faisant 2 morts, le 7 juin 2018. Un acte qui prouve à suffisance que l’insécurité est bien une réalité dans cette zone du Mali, selon M. Amadou Aya, porte-parole du parti Yelema et originaire de la localité.

Ces actes sont très inquiétants, selon le député d’Ansongo, mais peuvent être évités. S’il n’ignore pas les autres actes mettant en cause la sécurité, notamment « les braquages, qui sont le fait de petits bandits », le député reconnaît que d’importants efforts restent à fournir pour  « mettre l’armée dans les conditions ». Malgré tout, il affirme que c’est le « Centre qui inquiète, plus que le Nord », car certains maires ne peuvent plus se rendre dans leurs localités pour parler avec les populations.

La sécurité, en tout cas, reste l’un des « défis importants de ces élections », selon M. Aya. Et cette sécurisation ne concerne pas seulement le jour des élections. Il faut donc une sécurisation en amont et en aval et, déjà, la distribution des cartes d’électeurs soulève les inquiétudes. « On sait qu’une grande partie du territoire est sous le contrôle des terroristes, avec une absence totale de l’administration et d’écoles. Donc, dans ces conditions, il sera extrêmement difficile de distribuer les cartes d’électeurs à hauteur de souhait », s’inquiète M. Aya.

En outre, dans la région de Mopti et une grande partie de la région de Ségou, des arrêtés pris par les gouverneurs ont interdit la circulation des engins à deux roues et d’autres types de véhicules légers. Ce qui complique davantage les opérations de distribution, rendant difficile les déplacements des populations vers les centres où elles doivent récupérer ces documents. Toutes choses qui compromettent la participation de nombreux électeurs. L’autre impact de ces mesures est la difficulté enregistrée pour battre campagne, selon le responsable de Yelema.

La multiplication des actes terroristes, les affrontements intercommunautaires et les déplacements de population font en effet craindre le pire à M. Aya. Car si cela continue, il sera difficile, voire impossible, de tenir des élections paisibles et crédibles. Quant aux garanties nécessaires pour organiser le scrutin dans les conditions idoines, c’est à l’État de les fournir. « C’est au gouvernement de mettre en œuvre les stratégies pour assurer notre sécurité. Je constate que ces conditions ne sont pas réunies. Nous n’avons pas encore suffisamment de garanties », ajoute le porte-parole de Yelema, qui regrette qu’en tant que responsable politique il ne puisse pas se rendre auprès de ses militants pour les sensibiliser.

Enjeu majeur de ce scrutin, qu’elle « pourrait affecter », « l’insécurité affecte aussi les élections sur le contenu et la confiance des populations en l’État et les politiciens », selon M. Aurélien Tobie, chercheur senior et Coordinateur des activités du programme Sahel / Afrique de l’Ouest  à l’Institut International de Recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Une situation qui se détériore depuis 2012, et les « populations se demandent si les services de l’État peuvent réellement améliorer leur quotidien », ajoute le chercheur.

Implication collective

Et, dans ces conditions, seule une véritable cohésion entre population et forces de sécurité peut contribuer à endiguer l’insécurité et à instaurer un climat apaisé. « Une interaction apaisée entre forces de sécurité et populations est essentielle pour rétablir le lien de confiance et améliorer l’adaptation des forces de sécurité au contexte dans lequel elles opèrent », estime encore le chercheur du SIPRI.

Pour sa part, le gouvernement mise sur l’ensemble des moyens déployés et les acteurs qui seront impliqués. Parmi eux, les groupes signataires de l’Accord pour la paix, qui se sont engagés lors, de la 23ème session du CSA en janvier 2018, dans une feuille de route, pour « l’organisation et la sécurisation des élections ». Et, pour mettre en œuvre cet engagement, « les parties signataires sont à pied d’œuvre pour définir un plan de sécurisation assorti d’une réelle répartition des rôles et des responsabilités de toutes les parties prenantes. Tout cela va être bouclé d’ici le 20 juin 2018 », assure M Ould Mahmoud Mohamed, porte-parole de la CMA.

Si elle se dit prête à « endosser » cette responsabilité, la CMA n’occulte pas cependant la réalité du terrain, où les attaques continuent. Mais ces attaques « ne sont que le résultat de la non mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, ce qui fait que d’autres forces occupent le terrain et imposent leurs lois ». Et le scrutin pourra se tenir dans un climat apaisé « si nous finalisons les plans de sécurisation à temps. Nous pourrions, dans les régions du Nord, assurer la tranquillité pour tous en vue de réaliser des élections paisibles », précise le porte-parole de la CMA, qui note cependant que des défis à relever, à savoir la participation des réfugiés et la mise en place effective des autorités intérimaires, persistent.

Les 11 000 agents, principalement des éléments des forces armées, sont en tout cas, selon le ministère de la Sécurité,  prêts à assurer leur mission de sécurisation.  Puisqu’il ne s’agit pas de leurs fonctions habituelles, ils ont donc subi des formations. Dans les zones où l’administration est absente, ce sont les groupes armés qui prendront le relais. Ils assumeront la sécurisation des élections, conformément à « un cahier des charges » qui doit encore être défini.

An III de l‘Accord pour la paix: Des avancées, mais surtout des chantiers…

« Ce n’est pas l’anniversaire de l’Accord »… Cette réponse d’un membre d’un groupe armé donne une idée de la divergence d’opinions qui entoure encore l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé le 15 mai 2015 et parachevé quelques semaines plus tard, le 20 juin. En trois années de mise en œuvre, des étapes ont été franchies, mais il semble aux Maliens que la tâche reste énorme, tant les enjeux, en particulier sécuritaire mais aussi du côté de la réconciliation, sont encore importants. Accord pour la paix, An III, quel chemin nous reste-t-il à parcourir ?

Si on devait noter sur 20 la mise en œuvre de l’accord, Aboubacrine donnerait « un 10. Tout juste la moyenne. Parce que je suis large », sourit cet enseignant qui, déplacé du nord en 2013, s’est finalement installé à Bamako. « Il y a un sentiment, que je crois partagé, d’immobilisme. C’est aussi comme si on était pris en otages par cet accord. On n’arrive pas à avancer à notre rythme, mais on ne peut pas en sortir non plus », soupire le quadragénaire, pour qui ce qui manque le plus c’est la bonne volonté. Son propos est repris jusque dans les instances internationales, où la question du Mali continue de préoccuper, même si les avancées et autres signaux positifs sont salués et soutenus. Dans ses rapports trimestriels, dont le dernier a été présenté au mois de mars au Conseil de sécurité, le Secrétaire général des Nations Unies souligne les actions entreprises avec succès, mais aussi les chantiers restants, appelant surtout les parties à faire preuve d’engagement pour une mise en  œuvre diligente de l’accord.

Equilibrisme Les contraintes dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord sont nombreuses. Elles ont pour noms sécurité, priorités de développement multiples, immensité du territoire, multiplicité des acteurs et de leurs intérêts. Ce dernier paramètre est d’autant plus important que ce sont ces acteurs qui implémentent sur le terrain le processus. Qu’ils soient des mouvements indépendantistes, qui se réclament désormais de l’accord sans abandonner leurs ambitions autonomistes, voire territorialistes, ou qu’ils soient des groupes dit « pro gouvernement », la difficulté de l’exercice réside dans le fait de mettre tout le monde « d’accord ». Sans compter que le gouvernement lui-même poursuit son agenda et doit faire face à d’autres défis inhérents à la gestion quotidienne de la chose publique. C’est donc à un jeu de funambule que se livrent et la médiation et les parties pour trouver l’équilibre qui permette d’avancer. De la composition des commissions de travail à la clé de répartition des quota de recrutement dans l’armée et le paramilitaire des anciens combattants des groupes armés, tout est pesé pour respecter les forces en présence et n’en frustrer aucune, au risque de voir la machine se gripper, comme ce fut le cas à plusieurs reprises. « C’est frustrant de voir qu’à chaque discussion, chacun s’arque-boute sur ses positions et intérêts. Pour ramener le collectif au centre du débat et avancer, ça prend des jours voire des semaines. Mais on finit par y arriver », explique un diplomate qui décrit des situations parfois très tendues aux réunions mensuelles du Comité de suivi de la mise en œuvre de l’accord (CSA). La dernière, la 23ème, a permis de fixer un cadre d’actions prioritaires, chronogramme à l’appui. « Nous avançons, même s’il y a quelques retards ici et là. La dynamique est la bonne », se réjouit le Commissaire à la réforme du secteur de la sécurité. Pour la paix et la réconciliation au Mali, plusieurs structures ont en effet été mises en place. Il s’agit du Comité de suivi de l’accord (CSA), présidé par l’Algérie, du Conseil National pour la réforme du secteur de la sécurité, présidé par le Premier ministre, dont le bras technique est le Commissariat à la réforme du secteur de la sécurité, de la Commission nationale DDR, en charge du désarmement et de la démobilisation, et de la Commission Vérité justice et réconciliation(CVJR). Elles travaillent ensemble afin de mettre en œuvre, de manière quasi simultanée et en collaboration avec les parties, les actions inscrites dans l’accord. La plupart d’entre elles ont d’ailleurs intégré des représentants de mouvements non signataires de l’accord, pour sceller l’inclusivité, qui est un maître-mot pour réussir.

Sécurité avant tout ? A ce jour, les actions les plus médiatisées relèvent sans conteste du secteur de la sécurité. La mise en place des bataillons du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) dans les régions de Gao, Tombouctou et Kidal cristallise les efforts, car, pour les parties, « c’est la condition pour que tout redémarre. La sécurité pour rassurer les gens, c’est cela le plus urgent. Il faut aussi accélérer le retour des anciens combattants dans les rangs », explique un cadre de la Plateforme. La sécurité, oui, mais pas que. Le développement, et en particulier celui des régions du nord, qui ont vu leur nombre passer à six dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, en est l’autre volet important. L’installation des autorités intérimaires, qui devait, en entérinant le retour de l’administration, permettre le retour à la normale, est loin d’avoir produit les fruits escomptés. Si les partenaires internationaux continuent de montrer leur volonté d’accompagner financièrement la mise en œuvre des actions, les questions sécuritaire, mais aussi de l’ancrage institutionnel, de la gouvernance ou encore des droits de l’homme restent sur la table. Le CSA, dans une présentation faite lors de la rencontre des chefs religieux du 13 au 15 mai, comptabilise comme avancées dans le volet Développement économique et social de l’accord, « la création des Agences de Développement Régional (ADR) dans toutes régions, sauf Taoudénit et Ménaka, la mise en place des Conventions-État / Collectivités (signature et mise en œuvre des CPER/D) au niveau de l’ensemble des régions du Mali, exceptées les régions de Kayes, Koulikoro, Taoudénit, Ménaka et le District de Bamako, ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre de grands projets et programmes de relèvement et de reconstruction ». Ceux-ci, s’ils ont permis une amélioration substantielle des conditions de vie des populations affectées par la crise, sont encore insuffisants pour combler des besoins plus urgents les uns que les autres. Prochaine étape, la création de la Zone de développement des régions du Nord, pour rassembler les synergies et accélérer les efforts d’investissements en faveur desdites régions.

Justice et droits de l’homme DDR, intégration, reconstruction… Quid de la justice ? Elle aussi poursuit son travail, assure-t-on au CSA. L’un des principes pour l’inclusion des mouvements et de leurs combattants et que ceux qui ont du sang sur les mains soient exclus du processus. La justice fera son œuvre en ce qui les concerne. « Si c’est le cas, ça prend du temps », déplore A.B. (pseudonyme), victime d’exactions pendant la crise à Tombouctou et qui attend que ses bourreaux soient arrêtés. « On nous parle de réconciliation, mais il faut impérativement que les gens coupables soient mis en prison et jugés, et non libérés, voire jamais inquiétés. La réconciliation a un prix, ce n’est pas le pardon, c’est la justice », conclut-elle. La CVJR est dans cette logique, assure-t-on du côté des acteurs. Il y a en cours un gros travail d’écoute et de collecte de dépositions sur le terrain. Prochaine étape : la constitution de dossiers qui seront dirigés vers la justice, ou pas. En attendant, les acteurs non gouvernementaux sont de plus en plus nombreux à s’activer sur le terrain, afin que la question de la justice, et plus globalement celle des droits de l’homme, reste au cœur du débat et que les « affaires », qu’elles datent de la crise ou soient plus récentes soient toutes prises en compte.

ll y a du retard mais on avance, assurent les membres du CSA. « Les difficultés rencontrées ne doivent pas occulter les avancées, même si elles se font avec beaucoup de compromis ». C’est un accord « pour la paix ». Il s’agit donc d’un  processus qui, même s’il trébuche et ralentit, doit atteindre son objectif : créer les conditions d’une paix durable et d’un développement équitable au Mali.