Harcelement sexuel: Elles (et ils) prennent la parole…

« L’affaire Weinstein » a permis de libérer la parole de femmes victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle partout dans le monde. En lançant le hashtag « #MeToo », l’actrice Alysse Milano a lancé un mouvement désormais planétaire. Si certains critiquent cette soudaine prise de parole des femmes, ils sont nombreux à saluer le fait que le voile tombe sur un sujet tabou. C’est le cas au Mali, où, même s’il n’a pas l’ampleur atteint ailleurs, le mouvement interpelle les acteurs de la société civile et en particuliers les activistes. Nous en avons interrogé quelques uns sur le sujet. Condensé de leurs réponses…

Djénéba Traoré: « Non, c’est non »

Quand tu dis « non, c’est vraiment non. Tout simplement. Dès lors que le sexe opposé se fait trop pressant alors qu’il n’y a pas de consentement ni réciprocité, devient agressif et intrusif, il s’agit de harcèlement sexuel en mon sens. Et cela quel que soit le sexe de la victime. Le harcèlement sexuel, une réalité au Mali? Oui, quotidiennement. On peut subir un harcèlement moral ici rien qu’en sortant dans la rue. Parce qu’on est habillée de manière « non convenable » selon les pratiques locales, les paroles fusent. Sans gêne ni égard. Et cela existe notamment dans le milieu professionnel. Des témoignages de femmes dont les accusations ont été considérées insignifiantes à la police sont intolérables. Souvent, malheureusement, les policiers sont les premiers à lancer  des remarques condescendantes aux femmes, leur reprochant de ne pas accepter leur condition de femme ou les accusant de l’avoir « cherché».

Aussi, il faudrait penser à  réellement  accompagner les victimes. Le mouvement actuel, s’il se limite aux hashtag et à  internet ne peut pas changer les choses profondément. Je pense que le plus urgent tout d’abord c’est que les autorités doivent arrêter de feindre de s’y intéresser.

Mamadou Ben Coulibaly : « Les femmes préfèrent se taire »

Au Mali, personne n’échappe pas à  ce phénomène. Plusieurs jeunes femmes se plaignent à mots couverts de ce harcèlement même si elles préfèrent pour la plupart se taire. Que ce soit au bureau, à  l’école, au restaurant ou au parc national, le harcèlement sexuel est aujourd’hui assez répandu. D’ailleurs, certains ne s’en cachent même plus. Les hashtags et le mouvement actuel peuvent entraîner un début de prise de conscience mais pas un changement notable. Il faut plus. Le hashtag, peut,  dans le contexte malien, entraîner un déclic, un choc des mentalités, ce qui pourrait susciter une certaine prise de conscience de la part de certains hommes . Mais, dans une société un peu conservatrice, seulement une éducation et une large campagne de sensibilisation (« in média » et hors médias) mais surtout, la mise en place des dispositions pour faciliter la dénonciation et la poursuite des harceleurs.

Sadya Touré: « Il faut briser le silence »

Nous sommes issus d’une société qui demande aux jeunes femmes de se taire et supporter, le « mougnou ni sabali ».  Ce qui réduit au silence les victimes qui ne sont ainsi pas en sécurité, même sous leurs toits. J’ai été harcelée plusieurs fois par des cousins qui venaient sous le toit familial. Ils profitent du tabou qu’est le sexe pour réduire au silence les jeunes filles. En raison du poids de la société qui a très vite tendance à rendre les victimes responsables, une aubaine pour les coupables. Le Mali est un pays vaste et on ne s’en rend compte que lorsqu’on voyage. On pense que le Mali s’arrête notre communautés sur les réseaux sociaux ou à  notre quartier. Les hashtags peuvent avoir un impact positif pour le changement de mentalité mais il faut vraiment en parler de vive voix, briser ce silence, faire des campagnes dans les villages. Sensibiliser.

Je pense que l’heure n’est plus aux apparences, les victimes devraient parler et assumer et les coupables être punis. Tant que ce silence persistera, les coupables seront protégés.  Il faut les dénoncer publiquement. Moralement, cela peut aider les victimes à guérir et les harceleurs, au moins les réveiller.

Fatouma Harber- TunbutuWoye: « Il faut dénoncer »

Le harcèlement sexuel, pour moi, c’est dès qu’on te fait comprendre qu’en ta qualité de femme, tu peux avoir des relations autres que professionnelles. Enseignante depuis onze ans au sein de l’Institut de formation des Maitres de Tombouctou, j’ai été victime à plusieurs reprises de ce type de harcèlement. J’ai très vite compris qu’il fallait que je crée une haie entre mes élèves et moi. Je suis intransigeante.

Je pense qu’il faut dénoncer. Sans aucun doute. Pour que ça choque et entre dans les esprits des uns et des autres. Malheureusement, encore aujourd’hui et surtout au Mali, dès que l’on dénonce, on joue le rôle de méchante. Il y a une volte-face malsaine au Mali qui rend les victimes coupable et responsable des violences qui leur sont faites.

 

Malick Konate « Il faut adapter le combat »

Dans les quartier, à  l’école, au grin, quotidiennement! Je pense que si personne n’en parle, on ne peut pas critiquer. Il faut dénoncer et passer en phase 2, proposer et poser des actes concrets. Il faut déjà rappeler nos valeurs, car, en réalité, le bon comportement et le respect viennent intrinsèquement de nous. Il faut adapter le mouvement à nos réalités. Parce que c’est vrai qu’on a tendance à  refuser tout ce qui vient de l’Occident, notamment les questions des droits de l’Homme.