Réfugiés : un retour poussif 

Des familles de réfugiés ont quitté le camp de Mbéra, dans l’extrême sud-est mauritanien, à moins d’une centaine de kilomètres de la frontière malienne, pour revenir dans le pays qu’elles avaient fui à cause des affrontements entre groupes armés, du banditisme, des exactions… De retour depuis quelques semaines dans la région de Tombouctou, elles espèrent pouvoir reprendre le cours de leur vie.

Loin d’être une tendance qui s’amorce, le retour de ces 76 familles (298 individus environ) à la fin avril, fait figure d’exception au camp de Mbéra qui n’avait plus enregistré depuis longtemps de demande de facilitation de retour pour les Maliens, au vu de l’afflux de réfugiés qui viennent sans discontinuer trouver asile dans le camp du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). « De fin septembre 2016 jusqu’à présent, on a enregistré à peu près 5 800 nouveaux arrivants », indique Héléna Pes, chargée de l’information publique au HCR. « L’afflux qui avait connu des pics entre octobre et novembre 2016 continue jusqu’à présent, mais avec une intensité moins élevée », poursuit-elle.

Difficile retour Le HCR n’encourage pas les réfugiés à revenir au nord du Mali dans le contexte sécuritaire actuel. Les retours volontaires sont néanmoins possibles dans le cas d’une requête spécifique venant des réfugiés. C’est le cas pour ces 76 familles, les premières dont le retour ait été facilité pour l’année 2017. Elles souhaitaient revenir au pays, même si les conditions de sécurité n’étaient pas réunies. « Presque la totalité des réfugiés souhaitent retourner dans leur pays d’origine, mais très peu le font. Ceux qui veulent tout de même rentrer sont bien informés en amont par le HCR avant de présenter leur demande de facilitation », ajoute Héléna Pes.

Munis d’une petite somme d’argent fournie par le HCR pour couvrir les coûts de déplacement, ils ont pris la route. Une fois la frontière passée, le bureau malien du HCR a pris le relais et assurera un suivi des réfugiés sur place. Pour la majorité, malgré les incertitudes quant à l’avenir, le retour chez eux signe aussi la fin de la vie en exil dans la promiscuité et le rationnement du camp. Le gouvernement malien leur a fait parvenir des fournitures de première nécessité et de la nourriture. Les débuts seront difficiles, mais comme le souligne Aziz, rapatrié depuis peu, « je préfère vivre chez moi et souffrir chez moi s’il le faut, plutôt que vivre là-bas dans le camp de réfugiés ».

3 questions à Héléna Pes, chargée de l’information publique au HCR

Quelle est la situation pour les réfugiés maliens au camp de Mbéra ?

C’est un moment un peu particulier, parce qu’on observe une augmentation de l’afflux de réfugiés maliens, qui n’était pas observée en Mauritanie depuis 2013. Le nombre actuel de nouveaux arrivants dans ce pays dépasse largement les chiffres des dernières années. Entre fin septembre et aujourd’hui, on a reçu plus de 3 000 réfugiés maliens à Mbéra.

 Comment expliquez-vous cet afflux ?

La situation au Nord Mali demeure fragile. La plupart des réfugiés fuient les régions de Tombouctou, Goundam, Mopti et Ségou. Beaucoup s’attendaient à ce que les accords de paix améliorent la situation, et finalement ils se trouvent harcelés par les groupes armés. À partir du 28 septembre, on a commencé à observer cet afflux massif vers la Mauritanie. Au 15 novembre, nous avions 42 867 réfugiés, mais la totalité des nouveaux arrivants n’est pas totalement prise en compte dans ces chiffres.

 Y a-t-il des demandes de retour de la part des réfugiés maliens ?

De janvier 2016 à juillet 2016, le HCR a beaucoup travaillé sur la facilitation des retours volontaires. Dans cette période, 1 800 réfugiés volontaires sont retournés au Mali. Avec l’afflux des nouveaux réfugiés fin septembre, nous avons cessé de faciliter les retours. En fait parmi ceux qui sont retournés au Mali, une partie est revenue en Mauritanie avec les nouveaux arrivants. Tant qu’il n’y aura pas de sécurité au Mali, il n’y aura pas de retour possible.

L’État malien et le casse-tête du retour

Au plus fort de la crise qu’a connu le Mali de 2012 à 2013, plusieurs centaines de Maliens ont quitté leur localité pour se réfugier hors du pays, dans les pays limitrophes. Malgré tout, l’État tente de leur venir en aide, et de favoriser leur retour. Une politique qui n’est pour le moment pas un succès.

En octobre 2016, la Direction nationale du développement social (DNDS) dénombrait 135 954 réfugiés maliens répartis essentiellement en Mauritanie (42 867), au Niger (60 792) et au Burkina Faso (32 295), ainsi que 36 690 déplacés internes, concentrés surtout à Bamako Mopti et Gao. Les réfugiés étant par définition généralement des personnes qui ont fui leur pays, l’État a un champ d’actions limité, à cause des conventions internationales, explique-t-on à la DNDS. Cependant, « exceptionnellement, nous appuyons les réfugiés maliens au Niger et au Burkina Faso. Ils nous ont accordé ces faveurs car leurs partenaires avaient des difficultés, empêchant les aides. Pour garder contact avec nos réfugiés, nous avons signé des accords tripartiTEs avec le Niger, la Mauritanie et leurs différents services de l’UNHCR (Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés) », explique Abdramane N. Togora, gestionnaire de base de données à la DNDS. Selon lui, il est en fait difficile de savoir exactement la position des réfugiés. Certains déplacés font des allers-retours entre leur lieu de déplacement et leur lieu d’origine, et de nouveaux déplacements continuent d’être signalés, causés par les conflits intercommunautaires, l’insécurité et les affrontements entre groupes armés.

Retour volontaire « Le voyage de retour est volontaire et complètement pris en charge à hauteur de 35 000 francs CFA par réfugié. Nous mettons en place des programmes pour leur réinsertion sociale, à travers un formulaire de rapatriement volontaire et des appuis alimentaires », poursuit M. Togora. Actuellement, 55 539 réfugiés sont déjà revenus au pays. L’État et des ONG aménagent des sites allant de Douentza à Kidal (infrastructures, châteaux d’eau, écoles, centres de santé, etc.) pour leur nouvelle installation. Le ministère de la Solidarité prévoit également la réalisation de 31 sites d’accueils, sur lesquels 7 sont terminés et 9 en cours d’exécution. Sur l’ensemble du territoire, 28 points d’enregistrements au total sont en place pour l’identification et l’intégration des rapatriés, ainsi que des centres de formation à un métier.

À la Croix-Rouge malienne, des actions sont également menées en faveur des réfugiés. « Le service de rétablissement des liens familiaux est ce que nous faisons le plus. Les biens matériaux ne suffisent pas, ils ont besoin de retrouver leurs proches », explique Mme Touré Nènè Traoré, chargée de communication à la Croix-Rouge.

 

 Réfugiés : Tranches de vie à Mbéra

Un an et demi après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation, plus de 100 000 Maliens qui ont fui les conflits dans leur pays, vivent encore en exil. Dans l’extrême sud-est de la Mauritanie, à moins d’une centaine de kilomètres de la frontière malienne, ils sont environ 43 000 réfugiés maliens parqués dans le camp de Mbéra, immense enclos à ciel ouvert où les conditions de vie sont loin d’être optimales. Originaires pour la plupart des localités du nord et du centre du pays, ils ont fui l’instabilité, les affrontements entre groupes armés, le banditisme et les exactions. Ils ont tout laissé derrière eux et attendent, parfois depuis des années, des temps meilleurs.

Au Burkina Faso, au Niger, et en Mauritanie, les réfugiés vivent sous l’interdit. Ils ont fui le Mali et ont trouvé refuge chez les autres. Ils ont à boire, à manger, une tente pour s’abriter, mais ils restent déracinés, exilés, des apatrides dans ces villes immenses à ciel ouvert, hors du monde, où le temps passe sans qu’ils ne sachent vraiment s’ils retrouveront un jour leur chez eux. « Ce qui me manque le plus de mon pays c’est la liberté que j’avais », confie Ahmed, un Malien qui habitait un village près de Léré et qui avoue sans peine qu’en tant qu’habitant du désert, où les frontières n’ont pas cours, ce confinement s’apparente pour lui à une prison. « Nous sommes là, dépendant de l’assistance humanitaire pour boire, manger, s’éduquer, ou trouver un peu de travail », dit-il. Pour ces Maliens, la fierté en a pris un coup et la dignité est tout ce qui leur reste.

Vie de réfugiés Ils sont environ 43 000 réfugiés maliens concentrés dans le petit périmètre international du camp de Mbéra, vivant sous perfusion et selon les règles des ONG. « Je suis ici depuis le 25 janvier 2012, cela fait plus de 4 ans maintenant. La vie est très difficile au camp. Ce que nous recevons du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) n’est pas du tout suffisant, mais nous ne pouvons vivre ailleurs. Ce sont les conditions qui veulent ça », explique Zeine, résigné sur son sort. En 2012, au tout début de la crise, tout son village est parti de l’autre côté de la frontière en Mauritanie, pour fuir les exactions. « Nous avons eu peur car nous avons vu ce qui s’était passé dans les années 90. L’armée est venue et ils ont tué des gens. Nos parents l’ont vécu, nous aussi. C’est un problème qui est toujours là », lâche-t-il fataliste.

Le camp de Mbera qui s’étend sur 8 km carré est maintenant sa nouvelle réalité, son nouveau village. Ahmed se souvient du jour où il est arrivé : le monde, la poussière, la promiscuité, les files d’attentes interminables, qui sont devenues son lot quotidien, pour s’enregistrer, se nourrir, se loger, se soigner. « Quand tu arrives, tu fais la queue pour t’enregistrer auprès de l’administration mauritanienne, ensuite au centre d’accueil, où tu attends des heures ton enregistrement pour avoir un ticket te permettant d’accéder au camp. Tant que tu n’as pas l’attestation de réfugié, tu n’as pas droit à grand-chose », explique-t-il. Ahmed et sa famille ont attendu 3 mois pour avoir la leur. « Quand tu as une attestation, le HCR va te donner une tente, voire un hangar, et tu as droit à la distribution : du nécessaire d’hygiène, des biscuits, des couvertures, un bidon, des rations de nourriture mensuelles, le strict nécessaire », décrit Ahmed. Le HCR assiste, protège et organise la vie des réfugiés, il fournit l’aide provisoire d’urgence… qui va souvent durer. Un épineux et coûteux problème toujours pas résolu.

Khalid, 25 ans, a quitté le Mali en février 2012 pour fuir les représailles. Le camp de Mbéra, il connaît bien. Il y vit de petits travaux et d’expédients et, pour lui, en dehors de la chaleur implacable sous la tente qui frise souvent les 48 degrés et qu’il partage avec 5 autres personnes, la principale difficulté est la nourriture, les rations qui depuis quelques mois ont diminué. « Il y a des distributions mensuelles pour la nourriture, souvent irrégulière. Nous étions à 12 kg de riz par personne. Ce dernier mois nous avons eu 2 kg de riz plus 1 kg de haricot et 2 000 ouguiyas (équivalant de 3 440 francs CFA en monnaie mauritanienne). Comment voulez-vous arrivez à vous nourrir tout un mois dans ces conditions ? », maugrée-t-il. Pour améliorer le quotidien, il y a bien les boutiques des villages avoisinants, mais les prix sont deux fois plus cher qu’au Mali et la plupart des réfugiés ont tout abandonné au pays et ne disposent plus d’aucune ressource.

Un possible retour ? « Je suis au camp de Mbéra depuis 2013. Je suis venu par peur des représailles, des arrestations qui avaient lieu chez moi. Je suis de la commune de Karéri dans le cercle de Tenenkou », se présente Lamine, un Peulh. Pour lui, la motivation première des réfugiés pour quitter le Mali, c’est la sécurité. « Au Mali, on s’en prend à nous, à de simples personnes qui sont en transhumance. On les emmène, on place des armes à leur côté et on dit qu’on a récupéré des terroristes. Ce sont les autorités maliennes qui nous prennent pour des terroristes, qui nous accusent », décrit-il le ton las. Leur retour, les réfugiés le conditionnent à deux priorités, l’application de l’Accord et la sécurité. Khalid, Zeine et Ahmed semblent partager le même constat. « Si l’Accord et les point prévus pour les réfugiés sont appliqués, et s’il y a une armée reconstituée c’est à dire mélangée, incluant les groupes armés et non composée d’étrangers qui ne nous comprennent pas, alors nous retournerons », affirme Zeine. « La sécurité n’est toujours pas là. On a trop souffert, on en a assez. Il y a des barrages routiers et des hommes en armes qui viennent vous voler, nos biens, notre bétail, notre subsistance, c’est humiliant ! », affirment-ils. Selon eux, la majorité des réfugiés maliens du camp ne souhaitent pas retourner au Mali pour le moment. Certains ont essayé mais beaucoup sont revenus. Depuis septembre 2016, le camp de Mbéra a vu l’afflux de 3 000 réfugiés maliens, des retours ainsi que de nouveaux arrivants.

Même si pour la majorité de ces réfugiés maliens, les conditions ne sont pas réunies pour revenir au Mali, tous rêvent d’un retour au pays, sur leur terre. Alors, malgré les inquiétudes, certains décident de rentrer à la maison. Pour la période de décembre 2015 à juin 2016, le HCR en a aidé pas moins de 2 000 à rentrer. « Malgré tout la vie continue. On a l’espoir qu’il y aura la paix chez nous, que l’on puisse rentrer et vivre paisiblement et en sécurité. On attend et on s’en remet à Allah », conclut Zeine.

 

 

 

 

Mauritanie : l’équation des réfugiés maliens de Mbera

Un accord tripartite a été signé le 16 juin dernier, entre la Mauritanie, le Mali et le Haut Commissariat aux réfugiés pour permettre le retour volontaire des réfugiés maliens basés à Mbera .

De Nouakchott à Bamako, c’est une nouvelle qui focalise l’attention. Le jeudi 16 juin, un accord a été signé entre le Mali, la Mauritanie et le Haut-commissariat aux réfugiés pour le rapatriement volontaire des réfugiés maliens. En 2012, au fort des violences dans le nord du Mali, ils ont trouvé refuge dans le camp de Mbera en Mauritanie. Pour mémoire, les réfugiés maliens sont partagés entre la Mauritanie, le Niger, et le Burkina où ils étaient 2182 à partager 600 tentes dans le camp de Saagnigniogo, dans des conditions de vie qui vont souvent au-delà de ce qu’on peut supporter. Les chiffres disponibles auprès du HCR, en 2015, faisaient état de 136 000 réfugiés, cependant le gouvernement avait annoncé le retour de 30 000 d’entre eux. La décision de rapatrier ceux du camp de Mbera a été prise après que neuf sites d’accueil eurent été aménagés, alors que vingt-cinq étaient prévus. En septembre 2015, la question de leur retour avait été abordée avant d’être mise au placard, certains réfugiés s’étant montrés réticents à rentrer à cause de l’insécurité dans le nord du Mali.

Pour autant, cela n’a pas empêché le gouvernement d’entreprendre des démarches pour leur retour au pays. Selon le ministre de la Solidarité et de la Reconstruction du Nord, Hamadoun Konaté, « des commissions tripartites vont travailler sur les conditions pratiques du retour et un plan de rapatriement sera mis en œuvre le plus rapidement possible ». Faut-il s’attendre à un retour massif des réfugiés ? À en croire le HCR, en mars 2016, ils étaient 60.300 réfugiés au Niger, 50.600 réfugiés en Mauritanie et 33.800 réfugiés au Burkina Faso.

Réticences

Parmi les raisons déclinées pour le report des élections régionales qui étaient prévues le 25 octobre 2015, figure la question du retour des réfugiés qui avaient jugé nécessaire d’attendre que la situation se stabilise. Malgré la signature de l’accord de paix dont la mise en œuvre permettra au Mali de remonter la pente de la crise, le nord du pays reste encore en proie au désordre. Ce qui a longtemps servi d’argument au Haut Commissariat aux réfugiés pour ne pas organiser d’opérations de rapatriement. Alors que l’accord de paix comporte un chapitre sur la mise en place de conditions favorables au rapatriement des réfugiés. Si nombre d’entre eux sont retournés volontairement, d’autres sont encore gagnés par la réticence. Comme c’est le cas à Mbera où le gros des réfugiés, qui ne sont pas favorables à ce retour, estiment que les conditions ne sont pas encore réunies. Beaucoup reste à faire, comme la construction des « puits d’eau, la réhabilitation d’écoles, la reconstruction et la réhabilitation d’abris. »

L’insécurité grandissante au mali est une autre raison invoquée. Le plus inquiétant est qu’elle n’est pas seulement le fait des groupes armés. Après la signature de l’accord, nombreux sont ceux qui ont été surpris de découvrir que les vrais ennemis de la paix sont en réalité les groupes terroristes qui occupaient les trois régions du nord avant d’être mis en déroute par l’intervention militaire française. Aujourd’hui, ils donnent du fil à retordre aussi bien au gouvernement malien qu’à la communauté internationale, avec les tirs d’obus, les embuscades et les attentats tant au nord qu’au centre ainsi que dans la capitale, Bamako.

La plupart des points d’accueil sont dans les régions du nord du pays et le reste à Bamako. Même si le ministre Hamadoun Konaté estime que « nous ne pouvons pas attendre la fin de la lutte anti-terroriste pour recevoir nos compatriotes », il reste évident que les réfugiés préfèrent demeurer dans des camps de où ils se sentent un tant soit peu en sécurité, à un pays où règne un climat instable entre guerre et paix.