Mali – IBK : du Premier ministre à poigne au président de la République contesté

En retrait de la vie politique depuis sa chute du pouvoir en août 2020, le « Kankeletigui » qui était souffrant depuis plusieurs années, s’en est allé définitivement le 16 janvier 2022, laissant derrière lui un parcours politique contrasté. L’homme politique à poigne, rigoureux et ferme, à la réputation forgée en tant que Premier ministre du Mali de 1994 à 2000, a laissé la place à un président de la République contesté, de 2013 à 2020. Retour sur le parcours de celui qui aura consacré sa vie à servir le Mali.

Né le 29 janvier 1945 à Koutiala, Il aurait eu 77 ans le 29 janvier 2022. Mais Ibrahim Boubacar Keita a passé l’arme à gauche 13 jours avant cet anniversaire qui se serait déroulé, s’il avait eu lieu, sobre dans l’intimité familiale de sa résidence privée sise à Sebenikoro. Une résidence héritée de son père, Boubacar Keïta, ancien fondé de pouvoir du Trésor, à laquelle l’ancien président de la République était particulièrement attachée.

Le parcours politique de celui qui a gravi tous les échelons de l’État depuis son retour au pays dans les années 1980, après 26 années passées en France, est assurément le plus abouti et le plus dense de toutes les grandes figures politiques contemporaines du Mali. Il peut se résumer en trois grandes étapes, ponctuées de fortunes diverses. La première, débute lors de sa nomination comme Conseiller diplomatique du président Alpha Oumar Konaré en 1992 et dure jusqu’à l’année 2000, période où il fut successivement ambassadeur en poste à Abidjan, chef de la diplomatie malienne, puis Premier ministre. La seconde démarre en 2002 après sa 1ère défaite à la présidentielle qui le conduit malgré tout à la tête de l’Assemblée nationale (2002-2007), suivie d’une période de traversée du désert. La troisième et dernière grande étape, commence avec son élection à la présidence de la République, en août 2013, pour s’achever au moment du putsch militaire en 2020.

Premier ministre à poigne

En février 1994, quand le président Alpha Oumar Konaré le nomme à la primature, Ibrahim Boubacar Keita, en déplacement à Addis Abeba, n’est à l’époque à la tête de la diplomatie malienne que depuis quelques mois. IBK Premier ministre doit alors faire face à des grèves et une crise scolaire et estudiantine sans précédent, dans un contexte d’ajustement structurel imposé par le FMI et de dévaluation du franc CFA. C’est aussi l’époque où la rébellion touareg sévit. Sur ces différents fronts le chef du gouvernement réussit à trouver des alternatives rigoureuses, procède à de nombreuses arrestations, y compris de leaders estudiantins et religieux, déclare l’année scolaire blanche, et parvient finalement à renouer le dialogue et à restaurer l’autorité de l’Etat. second mandat en 1997.

« Un Premier ministre d’autorité, très convivial, qui avait le sens de l’équipe, qui déléguait et qui assumait et pour le président de la République et pour les ministres ». C’est en ces termes que Moustaph Dicko, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique décrit IBK. « Il a permis de redresser notre pays et de jeter les bases d’une étape démocratique forte (…) Ibrahim Boubacar Keita a été un excellent Premier ministre, qui a rendu à notre pays sa stabilité et a permis de restaurer l’autorité de l’Etat, », ajoute-t-il.

Du perchoir à la traversée du désert

Démissionnaire de la primature en février 2000, IBK pense devoir se préparer pour être le porte-étendard de l’ADEMA à l’élection de 2002. Or, il est mis en minorité au sein de son parti lors d’un congrès qui voit le club des rénovateurs, incarné par le clan CMDT et mené par Soumaïla Cissé, prendre le dessus. IBK démissionne alors avec fracas en octobre 2000 et prend du champ au Gabon, où il compte parmi ses soutiens l’ancien président Omar Bongo Ondimba.

Pour partir à l’assaut de Koulouba, IBK créée le 30 juin 2001 le Rassemblement pour le Mali (RPM) avec de nombreux transfuges de l’ADEMA qui lui sont restés fidèles. Son aura et son bilan à la primature font de lui l’un des favoris à l’élection présidentielle d’avril 2002. A l’issue du 1er tour, arrivé 3ème avec 21,03% des suffrages et seulement 3 500 voix d’écart avec le second, Soumaïla Cissé, ses partisans crient à la fraude électorale suite à l’annulation de plus de 541 000 voix, essentiellement à Bamako, fief d’IBK. Ce dernier appel au calme et apporte son soutien à ATT qui sera éluau 2nd tour.

Dans la foulée, les élections législatives consacrent en juillet 2002 la victoire du RPM qui arrive en tête avec 46 députés sur 147, ce qui permet à son leader d’être consensuellement élu à la tête de l’institution, où il fait office d’allié exigeant du pouvoir exécutif, jusqu’à 2006 et la signature de l’Accord d’Alger, un désaccord profond synonyme d’opposition pour le RPM. Vaincu à la présidentielle de 2007, IBK entame alors sa traversée du désert, malgré sa réélection en tant que député RPM, qui n’en compte plus que 11.

Présidence contestée

Après le coup d’Etat du capitaine Sanogo contre ATT en mars 2012, IBK revient sous les radars. Victimisé, son aura d’homme à poigne intacte, il surfe sur le sentiment d’honneur perdu des Maliens après la débâcle de son armée. « Il apparaissait objectivement comme celui qui, du fait de son parcours, ses réseaux et son expérience, pouvait remettre de l’ordre dans la maison Mali, redresser l’appareil militaire, et mettre fin à la grande corruption », souligne un diplomate en poste à l’époque. Résultat des courses,  « Kankelentigui » est triomphalement élu en aout 2013 avec 77% des voix.

« L’excellent Premier ministre a rappelé au souvenir des maliens le candidat IBK, ils en ont fait le président de la République. Je pense que l’homme est un tout, il a des forces et des faiblesses, IBK n’y échappe pas », résume Moustaph Dicko, tout en nuançant le rôle des militaires et des religieux dans l’accession au pouvoir du Président Keïta.

La rébellion touarègue, la perte de contrôle de pans entiers du territoire, la débâcle de l’armée et la faiblesse de l’appareil de défense, l’apparition du djihadisme, l’affaissement de l’autorité de l’Etat, la corruption endémique, la faillite de l’éducation nationale, et le contexte économique global, sont autant de difficultés dont le président élu a hérité. « Quand il revient en 2013 après une longue traversée du désert, notre pays avait évolué. Notre système institutionnel s’était plus ou moins dévoyé. Il y avait plus l’image de l’individu que l’image du groupe. L’individu ayant pris le pas sur le collectif, de même que les projets personnels sur les projets pour le pays, il n’y avait plus de cohésion au niveau de la gouvernance d’IBK », explique Moustaph Dicko, qui a longtemps cheminé avec lui, un « frère et ami » depuis le congrès constitutif de l’Adema en 1991. « Sa seule personnalité ne suffisait pas, il fallait en plus un projet commun, un engagement commun, une vision commune, ce qui n’a plus existé quand il est revenu au pouvoir ».

Selon l’analyste politique Salia Samaké, il y a « également le facteur âge qui a fait son effet, et dont il faut tenir compte », mais également le choix des hommes, pour lequel le président admettait volontiers qu’il n’avait pas eu « la main heureuse », et une gestion relativement lointaine des affaires de l’Etat. Les scandales provoqués par l’acquisition de l’avion présidentiel et d’équipements militaires, dont les dossiers sont en cours d’instruction par la justice, ont provoqué l’émoi auprès de l’opinion dès la première année de sa présidence, tout comme la perception d’une gestion clanique du pouvoir. Ajoutés aux difficultés à juguler l’insécurité et aux fréquents changements de gouvernement, le président IBK est devenu impopulaire auprès d’un peuple qui l’avait plébiscité, et envers lequel il vouait selon ses propos un « amour fou ». L’émergence du mouvement Antè A bana, qui bloqua le projet de réforme institutionnelle en 2017, en fut l’illustration, tout comme la contestation de sa réélection en 2018.

Un bilan qui reste à écrire

Au chapitre des avancées, la signature d’un accord de paix avec la rébellion armée, le développement de certaines infrastructures économiques (routes, échangeurs, centrales énergétiques, logements sociaux), l’extension de la couverture maladie universelle, tout comme la montée en puissance de l’armée et la relance de la production agricole, sont à l’actif de la gouvernance IBK.

Il est sans doute trop tôt pour dresser un bilan exhaustif des années IBK. Mais jusqu’au bout, le Président, qui sera conduit à sa dernière demeure ce vendredi 21 janvier après des obsèques nationales dus à son rang, aura servi le Mali « de toutes ses forces, pas toujours avec le même bonheur en retour  mais, j’en suis sûr, avec la même volonté », conclut Moustaph Dicko qui regrette la perte d’un homme qui aimait profondément le Mali.

Mohamed Kenouvi

IBK : les derniers mois d’un homme éteint

Son humour et ses locutions latines nous manqueront à jamais. Ibrahim Boubacar Kéïta, Boua, le vieux, est décédé ce dimanche 16 janvier en sa résidence de Sébénikoro des suites d’une longue maladie. Depuis sa chute le 18 août 2020 à la suite d’un coup d’Etat militaire, l’homme gardait le silence. Retour sur ces derniers mois.

« Qu’Allah aide et bénisse le Mali. Je n’éprouve aucune haine vis-à-vis de personne. Mon amour pour mon pays ne me le permet pas. Que Dieu nous sauve.» Voilà la phrase qui a ponctué la dernière sortie médiatique d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), au soir du 18 août 2020, jour du coup d’État qui l’a renversé.

Depuis cette date, l’ancien président avait gardé le silence et avait disparu de la scène publique. Malade, il partageait sa vie entre un hôpital américain àAbou Dhabiet sa résidence de Sébénikoro, entouré de ses proches. Mais il prenait surtout du temps pour lui. Beaucoup de ses anciens compagnons, alliés politiques, ou simples amis, ne le voyaient plus.

« Un homme éteint »

Plusieurs témoignages concourent à dire qu’IBK avait perdu de sa superbe ces derniers temps. « Ce qui est frappant, c’est qu’il apparaissait comme éteint, avait perdu sa flamboyance et qui ne lisait plus. Et un IBK qui ne lit plus, cela était quelque chose de terrible ! Il avait également perdu son humour et s’était recroquevillé sur lui-même», rapporte notre source. « Il ne prenait plus convenablement ses médicaments, et ne s’alimentait plus comme il le fallait. Je crois qu’il était dépité, démoralisé et profondément affecté. Un ressort s’est cassé, ressort physiologique, moral et intellectuel », renchérit une autre source.

Quant à ses activités politiques, IBK les avait abandonnées. « Il ne s’intéressait plus à la vie du parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), qu’il avait créé en 2001 et qui l’avait porté au pouvoir en 2013. « Depuis le coup d’Etat il n’a pas donné un seul mot allant dans le sens d’un conseil, d’une instruction particulière ou d’une demande de rencontre avec le parti », explique Me Baber Gano, secrétaire général du RPM.Il poursuit qu’IBK étant en résidence surveillée dans la foulée du coup d’État et jusqu’en janvier 2021, les contacts politiques étaient difficiles.

Crise et déclic

Après une détention de plus de deux semaines par l’ex-CNSP (Comité national pour le Salut du peuple), Ibrahim Boubacar Kéïta avait été autorisé à quitter le Mali le 5 septembre 2020 pour recevoir des soins aux Émirats arabes unis après un court accident vasculaire cérébral (AVC). De retour à Bamako quelques semaines plus tard, la junte au pouvoir l’avait remis dans ses droits en lui octroyant les prérogatives d’ancien chef d’État. Cependant, l’état de santé d’IBK ne s’améliorait pas, nécessitant un suivi régulier dans la capitale émiratie. Il était rentré à Bamako de son dernier séjour en novembre 2021, sans que le mal qui le rongeait n’ait pu être circonscrit.

Selon ses proches, il avait réellement été peiné par les multiples contestations et trahisons qui se sont soldées par le coup d’Etat militaire. Les ennuis judiciaires de son fils Karim Keïta, exilé à Abidjan, et l’éloignement de ses petits enfants le rongeaient, tout comme la situation d’un Mali isolé et mis au banc des nations

Lors de sa « démission » au Camp Soundiata Kéïta de Kati, c’est d’une voix grave et solennelle qu’il avait reconnu avoir « essayé de redresser le pays du mieux de ses efforts pendant sept ans », insistant pour « qu’aucun sang ne soit versé pour son maintien aux affaires». « Il avait de vraies intentions pour le pays. Certaines ont été traduites en actions. Mais souvent les personnes envoyées ou commises pour ce faire ont trébuché avec le panier », justifie une source qui l’a côtoyé depuis les débuts du RPM jusqu’au décès de l’ancien chef de l’État.

Notre source poursuit avoir discuté il y’a encore peu avec IBK durant plus de 45 minutes et affirme avoir découvert un homme « mal à l’aise ». « C’était un homme qui a toujours porté le Mali dans son cœur. Et ses derniers jours ayant coïncidé avec les jours actuels du pays, cela ne pouvait pas le laisser indifférent. Lors de mon dernier entretien avec lui, durant près d’une heure, j’évitais moi-même certains sujets pour ne pas le mettre mal à l’aise. C’était vraiment difficile. »

Boubacar Diallo

Mali – Boubou Cissé : libre de sauter dans l’arène politique

Soupçonné de « nourrir des ambitions présidentielles » et d’être le cerveau d’un présumé coup d’État, l’ancien Premier ministre Boubou Cissé était poursuivi, aux côtés d’autres personnalités, depuis décembre 2020 pour « atteinte à la sureté de l’État ». La Cour suprême a rejeté, le lundi 19 avril, le pourvoi en cassation du Procureur général pour le maintien des charges et confirmé l’abandon des poursuites. Cette séquence refermée, les rumeurs sur une possible candidature de l’intéressé à la prochaine présidentielle vont de plus belle. L’ancien Premier ministre n’a pour l’heure rien laissé filtré de ses intentions, va-t-il maintenant se dévoiler, étant désormais libre de le faire ? 

 « Il semblerait que je sois devenu malgré moi une menace politique », déclarait Boubou Cissé à un média français début janvier. L’ancien Premier ministre voyait en l’affaire « d’atteinte à la sûreté de l’État » le visant « une cabale contre sa personne ». Son avocat, Me Kassoum Tapo, est allé plus loin le 8 janvier dernier, lors d’une conférence de presse, en disant « ce qui se passe est un complot contre Boubou Cissé, pour l’empêcher d’être candidat à la présidentielle prochaine ». Depuis, l’espace médiatique malien ne cesse de se demander ce qu’il en sera. « Un homme politique reste un homme politique. Il a occupé l’un des postes les plus élevés au Mali, celui de Premier ministre, avec le portefeuille de l’Économie et des Finances. Cela lui a permis d’engranger une grande expérience en termes de connaissance de l’administration publique et de la gestion du gouvernement. À ce niveau, il ne serait pas étonnant qu’un tel homme puisse prétendre à la présidence. Donc, en regardant son parcours, on peut évidemment soupçonner des intentions politiques », explique Ballan Diakité, politologue.

 Soutien de l’URD ? L’avocat de Boubou Cissé, Me Kassoum Tapo, a lancé le 4 avril le « Mouvement pour la Refondation du Mali » (MOREMA), composé de partis politiques et d’associations. Plusieurs soupçonnent derrière ce regroupement l’ombre de l’ancien Premier ministre. En outre, une éventuelle candidature soutenue par l’Union pour la République et la Démocratie (URD), où Boubou Cissé possède des soutiens, est souvent évoquée. Vraiment imaginable ? « En politique, tout est imaginable. C’est ce qui fait en même temps sa beauté et son caractère froid. On ne peut prendre cette information que d’une seule main pour le moment. Quoi qu’il en soit, l’URD reste un grand parti. Et aujourd’hui on sait que le décès de Soumaïla Cissé laisse ce parti un peu orphelin. Donc, aujourd’hui, ils sont à la recherche d’une personnalité charismatique. Et je pense que Boubou Cissé peut effectivement répondre à ce critère-là au niveau de l’URD », ajoute Ballan Diakité. Selon d’autres observateurs du landerneau politique malien, certains cadres de l’ADEMA et du RPM pourraient rejoindre une grande plateforme de soutien à l’ancien Premier ministre, qui serait déjà en gestation.

 Des atouts Boubou Cissé est un économiste formé en France, ancien de la Banque mondiale où il a officié au Nigeria et au Niger. Son parcours dans les hautes sphères de l’État malien entre 2013 et 2020 lui a notamment permis de développer un réseau de relations au sein de la communauté des bailleurs de fonds, qui « apprécie sa rigueur », selon un ambassadeur de la place, mais aussi de cultiver des amitiés haut placées dans plusieurs pays de la sous région. Un atout non négligeable pour qui veut financer une campagne électorale. S’il est vrai que le dernier chef du gouvernement d’IBK nourrit une ambition présidentielle, l’épisode de la « déstabilisation des institutions » peut le servir, « le faisant apparaitre auprès des Maliens comme une victime des militaires au pouvoir ».

 Toujours est-il que si Boubou Cissé se déclare, il devra affronter, outre d’autres anciens Premiers ministres, les accusations de ses adversaires sur son rôle présumé lors de la répression des 10 et 11 juillet 2020,

Projet de nouvelle Constitution : le mythe de Sisyphe

Le Mali est régi par la Constitution du 25 février 1992. De son adoption à nos jours, le pays a changé mais la Loi fondamentale n’a pas bougé d’un iota. Afin de réduire ce fossé, plusieurs présidents ont essayé de procéder à une révision de la Constitution, sans succès. Dans sa volonté de refondation, le gouvernement de transition entend se lancer dans cet exercice périlleux. Il compte élaborer et faire adopter un nouveau texte. L’avant-projet de nouvelle Constitution devrait être présenté au mois de juin, selon le calendrier prévisionnel du ministère de la Refondation de l’État.

Près de 30 ans de pratique institutionnelle et démocratique ont révélé que le logiciel Mali est obsolète. La Constitution du 25 février 1992 qui le régit n’est plus en phase avec l’évolution sociopolitique du pays. Deux coups d’État, des crises postélectorales et une crise multidimensionnelle depuis 2012 donnent certaines indications sur l’ampleur des dysfonctionnements. Dans son optique de marche vers la « refondation de l’État », le gouvernement de transition entend procéder à une réforme constitutionnelle. Il ne se contentera pas juste d’une révision constitutionnelle, d’une mise à jour du logiciel, mais bien de l’élaboration et l’adoption d’une nouvelle Constitution.

Énième tentative

Sous la Troisième République, la Constitution du 25 février 1992 a fait l’objet de trois tentatives de révision, toutes abandonnées en cours de chemin. La première tentative émane du Président Alpha Oumar Konaré, en octobre 1999. Après le vote du projet de Constitution, le texte publié au Journal officiel était différent de celui voté par l’Assemblée nationale en plusieurs de ses articles, ce qui l’a rendu anticonstitutionnel. Ce projet de révision a ensuite été abandonné. Puis ce fut le tour du Président Amadou Toumani Touré de s’y atteler, avec la mise en place de la Commission Daba Diawara dont le processus a été stoppé par le coup d’État de mars 2012, avant que son successeur élu, Ibrahim Boubacar Kéïta, ne cède face à l’opposition du mouvement Antè A Bana cinq ans plus tard. Une idée de réforme reprise en 2019 mais qui n’a pas abouti non plus. « Alors, si le gouvernement de transition engage un nouvel effort de réforme, ce sera une énième tentative et j’espère que cette fois nous irons jusqu’au bout. Tout est dans la méthode, j’espère que ceux qui sont à la tête du pays aujourd’hui ont tiré les leçons d’un passé qui n’est pas si lointain », explique Sidi Diawara, membre de la Commission Daba Diawara.

Des difficultés juridiques, politiques et pédagogiques ont empêché d’aller vers les différentes révisions constitutionnelles. « Il faut nuancer le concept d’échec en la matière. Si le projet n’est pas rejeté lors d’un referendum, on ne devrait pas forcement parler d’échec. Ceci dit, il y a plusieurs raisons pour lesquelles les différentes tentatives n’ont pas abouti et parmi ces raisons on peut citer le timing. Je me suis toujours demandé pourquoi le Président ATT avait attendu ses derniers jours pour la tenue d’un referendum constitutionnel. Il aurait pu le faire bien plus tôt, car son approche de consensus lui réussissait bien. Le Président IBK, lors de son élection en 2013, aurait pu remettre sur la table le projet de 2012. L’ensemble de la classe politique était d’accord avec ce que la Commission Daba avait proposé ; aucune opposition au texte de 2012 n’avait été enregistrée. Mais la classe politique est tombée comme dans une sorte d’amnésie et la rébellion conduite par le MNLA et alliés, et ce qui s’en est suivi, a créé un nouveau contexte politique, plus complexe, de sorte que même ce qui était accepté un an plus tôt est devenu soudain opprobre, parce que mentionné dans l’Accord pour la paix et la réconciliation », explique Sidi Diawara.

Les leçons du passé

Afin que le projet d’élaboration d’une nouvelle Constitution soit une réussite, la méthode devrait être pensée et repensée pour éviter les obstacles. Plusieurs estiment que tout est dans l’inclusivité du processus, ainsi que dans la qualité des textes qui en seront issus. « La Commission Daba Diawara et le Comité d’Experts de 2019 avaient une démarche inclusive de débats et même de contestations, ce qui permettait d’élaborer des textes bien équilibrés. La suite a simplement été mal gérée. La démarche de 2017 était quelque peu cavalière, voire aventureuse, avec un texte pas toujours digne d’experts constitutionalistes, en tout cas dans sa version amenée à l’Assemblée Nationale. Le projet de révision doit être expliqué dans une démarche pédagogique, en utilisant nos langues nationales aussi bien que le français. Sinon, toute force politique animée d’une autre intention peut tromper les populations et les amener à des actions contreproductives », poursuit Sidi Diawara.

Pour Mohamed Touré, enseignant-chercheur à la Faculté de droit public de Bamako, le processus enclenché en vue de l’élaboration de la future Constitution n’est pas pour l’heure inclusif. « Les choses sont en train d’être faites en catimini pour un processus qui doit débuter en juin. Nous sommes en avril et jusqu’à présent nous ne sommes au courant de rien, alors que la Constitution c’est le lieu d’expression du contrat social, de la stabilité politique. Il faut amener tout le monde à être d’accord sur un certain nombre de principes. Il faudra aussi prendre garde à cette nouvelle Constitution », explique-t-il.

L’article 118 de la Constitution, qui interdit toute révision si l’intégrité territoriale est menacée, ainsi que la prise en compte de certaines exigences de l’Accord de paix issu du processus d’Alger ont été agités par le mouvement An tè A bana pour contraindre le Président Ibrahim Boubacar Kéïta à surseoir au projet de révision constitutionnelle de 2017. Qu’en sera-t-il cette fois ? « Ceux qui sont opposés à l’Accord pour la paix et la réconciliation et d’autres politiques ont opportunément utilisé les dispositions de l’Accord pour mobiliser une opposition à la réforme, se focalisant par exemple sur la question du Sénat, qui serait créé pour une plus grande représentation des populations du Nord. Je ne discute pas de leurs raisons politiques, mais il s’agit d’un argument fallacieux. Le Sénat figurait déjà dans les propositions de la Commission Daba Diawara et à l’époque il n’y avait ni MNLA, ni CMA, encore moins un Accord », soutient Sidi Diawara.

Quant à l’article 118 de la Constitution,  Mohamed Touré pense qu’il ne tient pas lieu d’argument ici. « Les interdictions qui se trouvent dans l’article 118 de la Constitution ne s’imposent pas quand il s’agit de l’élaboration d’un nouveau texte ».

La carte politique

Conscient que les politiques sont un passage obligé pour l’adoption du futur projet de Constitution, le Premier ministre Moctar Ouane a impliqué ces derniers dans la conduite des réformes politiques et institutionnelles, avec la mise en place d’un Comité d’orientation stratégique. Cependant, d’ores et déjà, certains membres ne sont pas dans l’optique des réformes constitutionnelles, mais plutôt pour l’organisation des élections générales. « La révision constitutionnelle ne peut être engagée sans un referendum. Cela ne peut se faire sans la participation des partis politiques, dirigés par des politiques. Donc le gouvernement de transition a nécessairement besoin de travailler main dans la main avec eux, malgré les tensions existantes », pense le Dr. Mady Ibrahim Kanté, chercheur associé au Timbuktu Institute.

Au niveau de la société civile, on s’implique pour la réussite des prochaines réformes constitutionnelles. L’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie (AJCAD) a proposé de réviser une dizaine d’articles de la Constitution en vigueur et la Fondation Tiwundi a déjà fait une proposition citoyenne de Constitution au ministère de la Refondation de l’État. Il reste à espérer que le gouvernement tirera les leçons du passé pour aller jusqu’au bout de la réforme, cette fois-ci avec la bonne formule.

Mali – RPM : entre clans et départ de son fondateur, quel avenir ?

Un peu plus de quatre mois après la chute d’Ibrahim Boubacar Keita, le Rassemblement pour le Mali (RPM) cherche sa voie. Si la dynamique de remobilisation de la base enclenchée par le Bureau politique national se poursuit, des divergences entre les premiers responsables persistent encore aujourd’hui, augurant de lendemains incertains.

L’entrée récente au Conseil national de la transition (CNT) de Mamadou Diarrassouba, 1er Secrétaire à l’organisation du RPM, en rupture avec la ligne du parti, qui était de ne pas participer à cet organe, a accentué les fractures au sein du parti des Tisserands.

« Je ne suis pas là au nom du RPM. Mon apport sera d’aider à ce que toutes les réformes se fassent dans de bonnes conditions et en les adaptant aux réalités du moment. En tant que Malien et patriote, je ne peux pas me mettre en dehors de cela », se défend l’ancien 1er Questeur de l’Assemblée nationale.

Même si l’ex-député se réclame toujours, et plus que jamais, du RPM, malgré ce choix individuel « pour le Mali », sa décision divise au sein du parti. Selon un observateur proche du RPM, certains responsables et militants la partagent, estimant que même en n’étant  pas d’accord avec les procédures, il ne faut  pas jouer la politique de la chaise vide et qu’il faut avoir des éléments dans le dispositif pour savoir ce qui se passe, en prévision des élections à venir en 2022. Mais, pour d’autres, cela procède tout simplement d’une trahison.

Comme par le passé, lors de l’élection du Président de l’Assemblée nationale, les divergences de position entre les clans, certains favorables à l’élection de Moussa Timbiné, d’autres à Mamadou  Diarrassouba, et d’autres ne soutenant ni l’un ni l’autre, continuent au sein du RPM.

« Aujourd’hui, le parti est loin d’être uniforme et loin d’être en cohésion. Le départ de celui qui en est le fondateur fait qu’il se trouve un peu orphelin. Déjà sous IBK il y avait des tensions et des divergences mais maintenant qu’il n’est plus là, c’est pire », confie notre source.

Lendemains incertains

Même si, en termes d’implantation, le RPM est encore le premier parti sur l’échiquier politique national, sa survie au delà l’ex Président IBK suscite bien des interrogations. Réussir à s’accorder sur l’essentiel pour maintenir le parti soudé, de sorte à ce que même s’il ne gagne pas, il figure en bonne position lors des prochaines échéances, c’est cela, à en croire un proche d’IBK,  le vrai challenge du RPM aujourd’hui.

Mais, constate-t-il, « il n’y a personne qui émerge au point d’être présidentiable, derrière qui le RPM va se dresser comme un seul homme et qui pourrait même drainer d’autres forces périphériques, qui ont accompagné le parti depuis 2012 ».

Dans cette configuration, les mésententes persistantes au sein du parti peuvent aboutir  aux départs de certaines figures, pour des ambitions personnelles, si au moment de choisir un candidat pour le parti ou de soutenir un candidat d’une autre force politique les violons ne s’accordent pas.

Mais dans l’immédiat, pour notre interlocuteur, cela ne risque pas d’arriver, parce qu’ « il vaut mieux rester soudé à un parti qui a un nom et une implantation que d’aller tenter une aventure dans un moment aussi incertain ».

À court ou long terme, pour Boubacar Bocoum, analyste politique, la disparition du RPM de l’échiquier politique national est une certitude. « Les conflits internes vont avoir raison du parti », prédit celui qui pense qu’il n’est pas évident qu’avec le pouvoir qui s’installera après la transition le RPM ait les mêmes connexions. « Ils sont en train de mourir. Ne pas l’accepter et vouloir se débattre pour sortir la tête de l’eau est tout à fait légitime, mais réussir est une autre paire de manches », ironise l’analyste politique.

IBK : le séjour émirati, un mois après

Le 6 septembre 2020, Ibrahim Boubacar Keita s’envolait pour les Émirats arabes unis pour suivre des soins médicaux, suite à un AVC léger pour lequel il avait été hospitalisé du 1er au 3 septembre à la polyclinique Pasteur de Bamako. Plus d’un mois après, l’ex Président de la République du Mali, qui avait été gardé pendant plusieurs jours au camp militaire de Kati après sa chute, le 18 août dernier, se remet doucement. Depuis Abou Dhabi, il suit les dernières évolutions de la situation politique et est attaché à la réussite de la transition qui va conduire le pays aux prochaines élections.

L’ex locataire du palais de Koulouba a passé les quinze premiers jours de son séjour en terre émiratie à subir une batterie d’examens avant de quitter le 18 septembre la Cleverland clinic. Keita poursuit ses rendez-vous médicaux et, à en croire une source bien renseignée de son entourage, il devrait subir un nouveau contrôle médical aux alentours du 15 octobre. C’est principalement ce rendez-vous qui le retient à Abou Dabi. Selon notre source, l’ex Président devrait être libéré par les médecins si le contrôle atteste que le traitement fonctionne comme prévu.

Depuis sa sortie de l’hôpital, IBK est logé dans un hôtel à Abou Dhabi et totalement pris en charge par les autorités émiraties. Il avait déjà reçu des soins dans ce pays du Moyen-Orient. « Ce sont les mêmes infrastructures qui sont mises à disposition, le même médecin, le même hôtel, le même hôpital », confie son proche.

Parti avec son épouse, deux médecins et l’un de ses proches collaborateurs, IBK est entouré de ces trois personnes au quotidien. L’ancien Directeur de la Sécurité d’État et un autre officier, présents dans le cadre de la coopération avec Abou Dhabi, en ont profité pour aller lui rendre visite. Mais, depuis la désignation de Bah N’Daw, il n’y a pas eu d’autres missions auprès de l’ancien Chef d’État.

Pour IBK, le choix de Bah N’Daw comme Président de la transition « n’est pas mauvais » car « c’est un homme sérieux » et il lui souhaite une pleine réussite, assure son proche.

Celui qui a dirigé le Mali pendant les sept dernières années n’a d’ailleurs pas de regard rancunier sur les hommes qui ont participé à sa chute, parce que, comme l’affirme notre source, ce départ, même s’il ne l’a pas souhaité, a été un soulagement pour le septuagénaire.

 

Mali – Transition : La Charte de toutes les questions

Près d’un mois après son adoption, la Charte de la transition n’a toujours pas été officiellement publiée. Elle reste « mystérieuse » pour les Maliens et la CEDEAO, voire les experts qui ont participé à son élaboration.

« La présente Charte entre en vigueur dès son adoption par les forces vives de la Nation », dispose l’article 21 de la Charte de transition adoptée lors des concertations nationalesPrès d’un mois après son adoption, sa publication dans le Journal officiel de la République tarde à venir et des interrogations se posent quant à la nature des actes de droit se fondant sur elle. « Je suis surpris de constater que jusque-là la Charte n’a pas été publiée mais que son application a commencé. Il y a le président qui a été intronisé sur la base de la Charte. Il est en train de prendre des actes sur cette base alors qu’elle n’a pas fait l’objet de publication. Est-ce que l’absence de publication empêche l’application de la Charte ? Je dirais oui », explique le Dr. Fousseyni Doumbia, juriste et coauteur du projet de Charte.

L’acte fondamental du CNSP a continué à s’appliquer. Les séries de nominations à des postes stratégiques en témoignentSi la Charte s’était imposée immédiatement, ces nominations n’auraient pas eu lieu. « Il était important que la Charte soit publiée au Journal officiel. Elle ne l’est pas. Le CNSP prend des actes sur la base de son Acte fondamental, le président a été investi sur la base de la Charte et souvent on est dans la Constitution. Nous sommes dans une incertitude juridique difficile à expliquer », explique un constitutionnaliste.

Discorde

Les prérogatives du vice-président de la transition posent problème à la CEDEAO. Elle refuse que le vice-président Assimi Goïta remplace le président, temporairement ou de façon définitive, en cas d’empêchement. La CEDEAO exige de connaître la version finale de la Charte avant de procéder à la levée des sanctions. Cela pourrait être la cause du retard dans la publication de la Charte. Selon Dr. Fousseyni Doumbia, car « cette disposition n’a pas fait l’objet de modifications ». Alors que la vice-présidence est accepté ailleurs, ce niet s’explique par le profil du tenant du poste. « C’est parce qu’il est militaire. Le protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance s’oppose à tout exercicdu pouvoir par un militaire. La CEDEAO a des principes auxquels elle ne souhaite pas déroger, parce qud’autres États sont potentiellement exposés à une irruption des militaires sur la scène politique. Le problème ne se poserait pas s’il y avait une vice-présidence civile ».

Boubacar Diallo

Mali : Assimi Goïta, nouveau chef de l’Etat selon l’acte fondamental du CNSP

Le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) a désormais une base juridique. Son acte fondamental a été publié, jeudi 27 août, dans le numéro spécial du journal officiel du Mali. Il en ressort que pour l’heure le Colonel Assimi Goïta, président du CNSP, assure les fonctions de chef de l’Etat.

« Le Comité national pour le Salut du Peuple désigne en son sein un Président qui assure les fonctions de Chef de l’Etat », dispose l’article 32 de l’acte fondamental du CNSP. Ainsi, c’est le Colonel Assimi Goïta qui devient le nouveau chef de l’Etat du Mali avec toutes ses prérogatives. Il nomme aux emplois civils et militaires, signe les ordonnances et les décrets adoptés, accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès d’autres pays et ceux de l’étranger sont accrédités auprès de lui.

L’acte fondamental ne se contente pas uniquement d’avoir une base juridique au CNSP, mais fait aussi montre de sa légitimité. Dans le préambule, les nouvelles autorités militaires se fondent sur la Constitution du Mali et qualifie de populaires « les événements du 18 août 2020 ayant conduit à la démission du président de la République Monsieur Ibrahim Boubacar KEITA ». Elles indiquent que c’est « conscient de l’urgence de doter le Mali d’organes de transition pour la conduite des affaires publiques » que l’acte fondamental a été adopté.

L’acte fondamental préserve également les droits et devoirs de la personne humaine, la souveraineté de l’Etat et de l’unité africaine. Et ce sont ses dispositions « qui s’appliquent comme dispositions constitutionnelles, complètent, modifient ou suppléent celles de la Constitution du 25 février 1992 » avant l’adoption d’une Charte pour la transition

Le Mali, de bon élève de la démocratie à recordman des coups d’État

Comme en 2012 avec ATT, le régime d’IBK a pris fin par un coup d’État militaire le 18 août 2020, suivi de la démission contrainte du désormais ex Président de la République. Le Mali, en l’espace de huit ans, aura connu deux renversements de pouvoirs démocratiquement établis avant l’échéance constitutionnelle. Deux coups de force militaires qui font régresser la démocratie malienne, jadis citée en Afrique de l’ouest en exemple. Pour certains, ce mal récurrent est la grave conséquence d’une gouvernance largement en deçà des aspirations profondes du peuple malien.

« Je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement le long de ces longues années, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a déclaré Ibrahim Boubacar Keita le 19 août 2020, après avoir été arrêté quelques heures plutôt par des militaires à la suite d’une mutinerie.

Ainsi se terminaient des mois de turbulences et de manifestations enclenchées par le M5-RFP pour réclamer la démission du Président de la République. Mais, contre les aspirations des leaders de ce mouvement, et comme en 2012, ce sont les militaires qui ont pris les devants par un coup d’État contre le régime d’IBK, même si, dans la forme, ils ont pu obtenir que le Président de la République sortant annonce lui-même qu’il rendait son tablier.

« Regrettables » mais « compréhensibles »

L’histoire semble se répéter au Mali et, pour certains observateurs, les causes de cette répétition sont légitimes, même si aucun n’applaudit l’interruption anticonstitutionnelle du processus démocratique dans le pays.

Khalid Dembélé, analyste politique au CRAPES, pense que le contexte dans lequel  ATT avait  été déposé en 2012 et celui dans lequel IBK a été contraint à la démission le 19 août ont un point commun : l’incapacité des deux hommes à diriger le pays et à instaurer un système de gouvernance vertueuse.

« En 2020, c’est à la suite de manifestations populaires de citoyens qui semblaient ne pas être d’accord avec le cap fixé par les gouvernants que les militaires ont saisi  l’opportunité de renverser le régime d’IBK », pointe-t-il, avant de souligner que la démocratie est un concept local qui doit d’abord s’adapter aux réalités locales.

« Tant que les gouvernants ne parviendront pas à mettre en place ce genre de système, il va toujours falloir s’attendre à ce que le processus démocratique soit interrompu par des insurrections populaires et bouclé par des coups d’État », regrette M. Dembélé.

Si, pour Bréhima Sidibé, Secrétaire général adjoint des Fare An Ka Wuli, il est fort regrettable que le Mali, qui était « apprécié à travers le monde entier pour sa démocratie », en soit arrivé là aujourd’hui, cela peut toutefois se comprendre.

« Le coup d’État est  désigné comme un crime imprescriptible dans la Constitution de 1992. Mais cela devrait être accompagné de mesures. Il aurait fallu que les hommes politiques, ceux qui ont la lourde responsabilité de conduire les affaires de l’État, le fassent conformément à cette même Constitution et de la façon la plus irréprochable possible. À partir du moment où ce n’est pas le cas, c’est la porte ouverte à toutes les aventures », se désole-t-il.

À l’en croire, dès que ceux qui doivent garantir le respect de la loi sont les premiers à la fouler aux pieds, il est difficile d’échapper à certaines situations. « Nous pouvons avoir les meilleurs textes du monde, s’ils ne sont pas appliqués, ils deviendront pires que de mauvais textes ».

Mauvaise habitude

Le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) mis en place par les militaires pour assurer la continuité de l’État a pris un certain nombre de mesures et assure vouloir asseoir une transition civile, qui aboutira à des élections générales dans des « délais convenables ».

Mais certains analystes craignent toujours que le Mali ne soit pas totalement débarrassé du spectre des coups d’État militaires dans les prochaines années, notamment après l’installation d’un nouveau pouvoir démocratiquement élu.

« Je pense qu’après les prochaines élections, il faut que le Président élu soit à la disposition des Maliens et non d’un clan. Le clientélisme et le clanisme sont aujourd’hui à la base de ce que nous vivons », affirme le politologue Bréhima Mamadou Koné.

« Il faut que l’on s’inscrive désormais dans un système où les gouvernants rendent compte au peuple de ce qui est fait en son nom. Tant que nous n’arriverons pas à asseoir un État de droit respectueux des valeurs démocratiques, nous ne serons pas sortis de l’auberge », prévient-il.

Coup d’État du 18 août : Le film de la journée

Alors qu’un climat de panique s’est installé sur Bamako, réveillé tôt par une mutinerie de militaires au camp Soundiata Kéïta de Kati, le mardi 18 août, au Monument de l’Indépendance se tient un regroupement, semble-t-il spontané, d’une centaine de jeunes, impatients de voir le Président Ibrahim Boubacar Kéïta démissionner. Ibrahim Traoré, mécanicien, habits tâchés d’huile, est convaincu du départ d’IBK cet après-midi. « L’armée républicaine malienne a décidé de prendre les choses en main. Nous sommes derrière elle, parce qu’elle veut nous libérer d’un régime corrompu et dictatorial. Que le peuple malien nous rejoigne massivement pour fêter le départ de ce régime. Un nouveau Mali va naître ce soir à minuit », prédit-il. Dans la nuit du mardi au mercredi, la prophétie d’Ibrahim s’est réalisée. Arrêté à sa résidence privée de Sébénikoro avec son Premier ministre, Boubou Cissé, vers 16h 30, et conduit à la garnison militaire de Kati, le désormais ex Président de la République a, contraint, déclaré sa démission vers minuit. « Je voudrais en ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement le long de ces longues années, la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a-t-il déclaré. L’histoire ne cesse de se répéter. Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta venait d’être chassé du pouvoir un mardi, comme ses prédécesseurs Modibo Kéïta et Moussa Traoré.

Kati a encore fait peur à Bamako. Tout est parti de cette ville-garnison, à 15 km de la capitale, tristement célèbre pour son putsch de 2012 contre le Président Amadou Toumani Touré. Le même scénario s’est répété ce mardi 18 août 2020. Très tôt le matin, vers 8 heures, le commandant Abdoulaye Gakou, chef de bataillon adjoint du camp, regroupe les militaires. Même si le coup semble bien préparé en amont, certains militaires présents affirment ne pas savoir ce qui va se passer. Le colonel Malick Diaw, ancien du CNDRE, qui a dirigé un groupement tactique interarmées en 2016, vient s’adresser aux troupes. « Je vous retourne votre vérité aujourd’hui », dit-il aux militaires. Un instant, les mots sortent difficilement de sa bouche, à cause de l’émotion. Rapidement, il se dirige vers sa voiture, une Toyota Corolla de couleur grise, prend son arme, tire en l’air et demande aux militaires d’aller prendre des armes. Les soldats s’exécutent. Le magasin d’armes a été ouvert et les mutins s’arment lourdement. Certains ont été dépêchés à la Poudrière, à moins d’une vingtaine de kilomètres de la ville de Kati. Là, blindés, munitions et autres armes lourdes sont en train d’être acheminés. Pendant ce temps, à Bamako, d’autres éléments procèdent à des arrestations. « Le gros du travail a été effectué par des éléments de la police nationale. Alors qu’on se préparait à Kati, ils arrêtaient des ministres, des députés et autres personnalités. Leur choix pour cette mission n’est pas fortuit. Ils sont toujours avec eux et savent là où ils peuvent être », explique un militaire.  

C’est ainsi que, de la matinée jusqu’à tard dans l’après-midi, plusieurs personnalités politiques et militaires ont été arrêtées. Ce sont, entre autres, le Président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, le ministre de l’Économie et des finances, Abdoulaye Daffé, les généraux Ibrahima Dahirou Dembélé, ministre de la Défense et M’Bemba Moussa Keïta, ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile, et plusieurs autres hauts gradés.

La Cité administrative a été interdite d’accès et des forces de sécurité se postent en sentinelle devant les bâtiments.

Colère

À côté des mouvements de militaires, plusieurs jeunes se rassemblent vers 13h au Monument de l’Indépendance pour exprimer leur soutien aux mutins. Ils scandent des slogans et propos hostiles au Président Ibrahim Boubacar Kéïta et à la France. Un vieux tacot supporte péniblement deux enceintes, qui crachent les paroles d’une chanson de Tiken Jah Fakoly « quitte le pouvoir, quitte le pouvoir, je te dis quitte le pouvoir ». « Nous sommes ici pour montrer à l’armée malienne que nous sommes derrière elle. Que tous ceux qui hésitent se joignent au combat. On attend que les militaires viennent nous dire qu’IBK a démissionné, sinon on ne rentrera pas à la maison », prévient Elimane Niang, membre de la jeunesse M5-RFP de la Commune III.

Alors que des rumeurs faisant étant de la démission d’IBK se faisaient entendre, certains sont révoltés. Ils ont peur que les militaires aillent signer un compromis avec lui pour le faire sortir du pays. Ils souhaitent qu’il soit jugé et condamné. « En cet instant, on entend qu’IBK a déposé sa démission. Celle-là, on n’en veut plus. Il doit être arrêté, ainsi que les membres de son régime, et jugé. Ceux qui sont morts ne le seront pas pour rien. Les derniers mots d’un de nos camarades de lutte ont été de ne pas arrêter le combat. Si jamais IBK s’en tire facilement, c’est comme si on l’avait trahi »,  prévient un manifestant, très excité. 

La nature des colères est diverse mais elles se rejoignent toutes au niveau des problèmes de gouvernance, que beaucoup voudraient voir changer dans le futur. Kadiatou Traoré est diplômée sans emploi. Habillée d’un complet wax, foulard rose sur la tête, elle a perdu son père, militaire, sur le théâtre des opérations au nord du Mali. Et elle ne cache pas sa colère contre IBK et son régime. « Qu’IBK s’en aille. Aujourd’hui, je suis contente pour deux choses : Moussa Timbiné est aux mains des militaires ainsi que Karim Kéïta. Et, d’ici à 16 heures, le Président de la République sera arrêté. Ce sont nos pères qui sont morts au front. Même le Pharaon n’a pas gouverné de la façon dont IBK l’a fait. Avec le nouveau pouvoir à venir, j’espère que nous pourrions étudier. Que Dieu nous donne un président qui saura bien diriger le pays et que la France ne se mêle pas des affaires maliennes ».

Oumou N’diaye est habillée aux couleurs du Mali. Membre du M5-RFP, elle tient un balai, une branche de neem avec des feuilles, une tapette et une spatule. « Nous, les femmes, sommes là depuis le 5 juin. Nous exigeons qu’IBK démissionne, avec son régime. S’il ne s’en va pas de gré, il s’en ira de force. Ce sont nos maris et nos enfants qui sont tués au Nord. IBK a fait tuer des innocents jusque dans une mosquée. Il a été maudit par le bon Dieu, c’est pourquoi les militaires se sont levés.  Un Musulman ne fait pas cela. Avec ce balai, on va le balayer avec son régime maléfique, qui tombera à l’image de chacune des feuilles de cette branche qui tombe », déclare-t-elle.

Cris de joie

Jusqu’à 15 heures, tout le monde est dans le flou total. « Assistons-nous à un coup d’État ou juste à une mutinerie de militaires en colère ? ». C’était la grande question. Mais les choses ont bientôt commencé à paraitre plus claires. Plusieurs centaines d’éléments des forces de défense et de sécurité, lourdement armés d’armes de guerre, ont pris la direction de Sébénikoro, résidence du Président Ibrahim Boubacar Kéïta. Arrivés au niveau du Monument de l’Indépendance, ils ont tiré des coups de feu en l’air, sous les hourras des manifestants, qui leur tendent la main. Une pluie a arrosé les manifestants, qui y ont vu un signe divin. « Dieu ne dort pas. Le pouvoir maléfique est parti. Enfin ! », s’exclame un manifestant.

Les putschistes sont arrivés à la résidence d’IBK, à Sébénikoro en même temps que plusieurs manifestants, qui les ont suivis. Embouteillage monstre. Un blindé est posté devant l’accès menant directement à la résidence. Joyeux, les soldats tirent en l’air.  Le Président Ibrahim Boubacar Kéïta est avec son Premier ministre, Boubou Cissé. Des militaires se présentent à eux et leur demandent de les suivre. IBK est mis dans un Toyota V8 noir et Boubou Cissé dans un blanc. Ils sont escortés par les militaires jusqu’au camp de Kati.

Vandales aux aguets

Les rangs des manifestants ne cessent de grossir. Certains affirment attendre d’investir la maison d’IBK. « Il y a de l’or là-dedans », jurent-ils. Cependant, d’autres ont déjà trouvé une mine, qu’ils exploitent : la maison du fils du président, Karim Kéïta, située seulement à quelques mètres de celle du chef de l’État. La maison est pillée. Tout est emporté. Des tonnes de ciment, déposées dans un magasin, sont enlevées par les habitants du quartier. La piscine, dans l’enceinte de la cour, sert de cadre à une « after party » pour des adolescents. Aux environs de 21 heures, la station Total, près du pont « Woyowayanko », à l’entrée de Sébénikoro, est vandalisée. Les pompes à carburant sont détruites et les marchandises de l’alimentation emportées. Une boutique de mode, dans l’enceinte de la cour de la station Shell, près de la maison d’IBK, est cassée et tous les effets dérobés. Les éléments de la Garde nationale qui assuraient la sécurité de la maison du président, pour mettre fin aux pillages, font des tirs de sommation et lancent des gaz lacrymogènes afin de faire fuir les pilleurs.

Des actes de vandalisme se sont également déroulés en d’autres endroits. Pendant que les uns et les autres étaient impatients, au Monument de l’Indépendance, du départ du Président de la République, certains manifestants en colère se sont attaqués au cabinet du ministre de la Justice du gouvernement restreint, Me Kassoum Tapo, à Bamako-coura. Du monument on pouvait voir une épaisse fumée noire se dégageant du bâtiment. Du mobilier de bureau, des portes, des climatiseurs et bien d’autres objet sont emportés. Des vandales ont été pris au piège au niveau du quatrième étage. Les accès aux escaliers de secours et à ceux menant à la sortie étant condamnés par le feu, certains décident de sauter du balcon.

En bas, le reste des manifestants se donne pour mission de les rattraper à l’aide d’un matelas dérobé. Quatre jeunes sautent du quatrième étage, mais l’un d’entre eux est blessé au bras. Il est rapidement conduit au centre de santé pour des soins. Des manifestants ont aussi essayé de s’attaquer à l’annexe du ministère des Finances, non loin du monument, mais en ont été empêchés par d’autres manifestants.

Dans la nuit du 18 au 19 août, Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé sa démission et celle du gouvernement. Il a également dissout l’Assemblée nationale. L’épilogue d’une longue journée qui a mis fin à sa présidence.

 

Repères : 18 août 2020

8h : Début de la mutinerie au camp Soundiata de Kati

8h : Arrestation du ministre de l’Économie et des finances

Vers 9h : Arrestation du Président de l’Assemblée nationale

13h : Des manifestants investissent le Boulevard de l’Indépendance

Vers 13h : Arrestation des ministres de la Défense et de la Sécurité et de plusieurs haut gradés

16h : Alors que les putchistes sont à Bamako, un communiqué du Premier ministre demande aux militaires de faire taire les armes

16h30 : Le Président de la République et son Premier ministre sont arrêtés à Sébénicoro, puis conduits au camp Soundiata de Kati

00h : Dans un message télévisé, le Président de la République annonce sa démission

Mali : Le président IBK démissionne

Dans une courte déclaration faite à minuit à la télévision nationale, le chef de l’Etat Ibrahim Boubacar Keita a annoncé sa démission de sa fonction de président de la République, ainsi que la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement. « Si aujourd’hui, après des semaines de turbulences, de manifestations diverses conclues hélas par des victimes devant lesquelles je m’incline et que je n’ai jamais souhaité (…) si aujourd’hui, il a plu à certains éléments de nos forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix? M’y soumettre » a déclaré IBK. Il a ajouté ne souhaité « qu’aucun sang ne soit versé » pour le maintenir aux affaires. Le chef de l’Etat sortant et son Premier ministre Dr Boubou Cissé ont été arretés vers 16h30 à la résidence d’IBK à Sébénicoro puis conduits à Kati. Ville garnison où depuis ce matin s’est déclenché une mutinerie, devenue un coup d’état aboutissant à la démission du président.

Crise politique : La désobéissance civile dégénère

A l’appel du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), vendredi 10 juillet à la Place de l’Indépendance, des milliers de manifestants sont entrés en désobéissance civile face au refus du président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta et de son régime de  démissionner. Ils ont vandalisé plusieurs services publics et occupé  les ponts et principaux axes routiers de Bamako.

« Le peuple a parlé à IBK, mais il fait la sourde oreille. On a trop parlé, maintenant place à l’action. On va chasser IBK et Boubou Cissé et non casser le pays. Commencez par occuper la Primature, l’ORTM et l’Assemblée Nationale », a ordonné aux manifestants, d’un ton martial, Issa Kaou N’djim, Coordinateur général de la CMAS (Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko).

L’Assemblée nationale saccagée

C’est de là que tout est parti. Les manifestants se sont dirigés vers les services publics indiqués par Issa Kaou N’djim. Selon les responsables du M5-RFP, la désobéissance civile devait s’exercer sans violence, en occupant pacifiquement les services publics de l’Etat, hormis ceux de la santé, et les principaux axes routiers. Ils n’avaient pas le droit de pénétrer dans les bureaux desdits services. Cependant rapidement la situation dégénère. Très excités, les manifestants ont vandalisé des portes d’entrée de l’ORTM et saccagé les locaux de l’Assemblée Nationale. Les accès aux ponts Fahd et des martyrs ont été bloqués ainsi que ceux de la primature et plusieurs ronds-points de la capitale. Les manifestants se sont également attaqués au domicile de Manassa Danioko, présidente de la Cour Constitutionnelle, très contestée pour son présumé rôle de tripatouillage électoral au profit du pouvoir lors des législatives passées. Les forces de l’ordre ont dispersé les contestataires à coup de gaz lacrymogènes. Au soir du 10 juillet, le bilan provisoire est d’un mort et de plusieurs blessés selon des sources sanitaires.  Le M5 dit dans l’attente de faire le point « tenir pour responsable le pouvoir IBK de toutes les violences ». Le mouvement a également annoncé l’arrestation de trois de ses membres.

Le mémorandum désormais « caduc »

Le M 5- RFP a adopté une résolution dans laquelle il déclare que le mémorandum de sortie de crise du 30 juin dernier est désormais « caduc ». Dans ce document, il demandait entre autres la dissolution de l’assemblée nationale, le renouvellement des membres de la cour constitutionnelle ou la mise en place d’un gouvernement de transition dont le premier ministre, doté du plein pouvoir, serait de son choix.  Le président IBK, dans son adresse à la nation du 9 juillet, n’a donné de suites aux revendications du mémorandum. Et le mouvement contestataire demande désormais « la démission pure et simple d’IBK, de son régime et l’ouverture d’une transition sans lui ».

Les contestations se sont également déroulées à l’intérieur du pays à Sikasso, Ségou ainsi qu’à Kayes.

Fatoumata Sacko: « Nous prônons un dialogue franc et sincère »

Lancée le 16 juin dernier, La Convention des Forces Patriotiques (CFR) multiplie ses soutiens aux institutions de la République et au président Ibrahim Boubacar Kéïta, contesté et appelé à la démission par des milliers de Maliens sous l’impulsion du Mouvement du 5 juin. Dans cette marrée politique, la CFR se positionne aux côtés de la majorité présidentielle comme un chantre de l’offre de dialogue du Président de la République. Dans cette interview, Fatoumata Sacko, vice-coordinatrice de la CFR, nous expose les propositions de sortie de crise de la coordination et ses perspectives.  

 

Le Mali traverse une crise politique depuis un peu plus de deux mois.  En vue d’une décrispation de la situation, le Président de la République a rencontré le M5 le 5 juillet dernier. IBK a demandé au M5-RFP  de discuter de leur mémorandum avec la majorité présidentielle, chose que le M5 n’a guère acceptée.  Et l’on se demande aujourd’hui si discutions il doit y avoir avec le M5 à propos des demandes du mémorandum est-ce que ce sera avec la CFR ou l’EPM ?

Nous avons été dépités de voir le M5-FRP refuser la main tendue du Président de la République et son offre de dialogue qui est la seule option de sortie de crise. Cette offre de dialogue est assortie d’une mise en œuvre rapide des résolutions du DNI et de la nomination d’un gouvernement de résultats. Face à ces propositions guidées par le bon sens et l’amour de la patrie et au vu de la situation difficile du Mali largement rappelée lors du sommet du G5 Sahel du 30 juin, le M5 décide de se radicaliser et d’appeler au chaos! Ceci est inadmissible et nous n’allons pas l’accepter. Pour répondre à votre question, la CFR dont je suis la Vice-coordinatrice sera aux côtés de la Majorité plurielle. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois et la mise en place d’un cadre d’étroite collaboration est imminente.

 

Le pays est secoué par une contestation sociale. Est-ce qu’au niveau de la CFR on reconnait qu’il y a eu des défaillances au niveau de la gouvernance ou pas ?

 

Quel pays ne connaît pas des défaillances de gouvernance? La France qui est notre modèle vient de connaître l’une des crises les plus graves de son histoire avec le mouvement des gilets jaunes qui a multiplié les actions, émaillées parfois de violences et de dégradations et des pertes en vies humaines. Cette crise qui a mis la France sens dessus dessous était une révolte en lien avec des questions de gouvernance mais pour autant ils n’ont pas appelé à la rupture de l’ordre constitutionnel. Notre pays le Mali comme certains de la sous-région est en guerre et lutte contre le terrorisme au Sahel. Alors des problèmes il y’en a comme un peu partout dans le monde et nous le reconnaissons et le Président de la République n’est pas insensible à ces problèmes; il l’a dit et l’a martelé. Oui, le Président El Hadj Ibrahim Boubacar Keita a affirmé avoir suivi avec attention les récents événements qui se sont déroulés dans notre pays. Il a entendu les colères et les cris. Il a entendu les revendications et les interpellations. Et il a pris des mesures fortes dans le sens de l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens. Il a mis fin à la crise de l’école entre autres. On n’en attend moins du Père de la nation qui a fait du Mali la dédicace de sa vie.

 

 

Au niveau de la CFR, quelle solution de sortie de crise préconisez-vous ?

 

Nous avons fait des propositions de sortie de crise et pour nous le dialogue qui est une de nos valeurs cardinales reste une opportunité à saisir. Nous prônons un dialogue franc et sincère et nous rappelons qu’il faut du courage, de la souplesse et du respect pour dialoguer. Courage pour soutenir, sans hargne ni passion, une idée; souplesse pour ne pas rejeter, d’un revers de main, un point de vue juste, et respect, en se disant qu’on tire toujours bénéfice de l’autre.

 

Vous dites que vous êtes une majorité silencieuse. On n’a jusque-là pas d’idée de votre étendue et on est en droit de se demander si vous aussi êtes légitimes de parler au nom du peuple malien.

 

Que cela soit clair pour tout le monde! Nous n’avons jamais prétendus être le peuple et ce serait jurer avec nos principes. Nous sommes la Convergence des Forces Républicaines qui s’est assignée pour seule mission la défense des Institutions de la République dans le strict respect de notre Loi Fondamentale qui stipule dans son article 26: « La souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » Nous disons que nous sommes la majorité silencieuse car nous avons porté au pouvoir en 2018 le candidat El Hadj Ibrahim Boubacar KEITA et la démocratie c’est le fait majoritaire. Ceux d’en face ont eu l’occasion de gagner les élections mais les Maliens ont renouvelé leur confiance à l’actuel Chef de l’Etat comme ils l’avaient fait en 2013. Et cela malgré les problèmes de gouvernance auxquels vous faites allusion. Cela veut dire que le peuple a décidé qu’il était le meilleur.

 

Vous avez avorté à deux reprises des meetings de soutiens aux institutions. Pourquoi cela ?

 

Nous avons certes reporté deux manifestations, la première fois à la demande du Président de la République que nous soutenons pour raison de COVID19 et la seconde fois à la demande de la MINUSMA, de l’UA qui sont au chevet du Mali depuis 2012 et qui ont payé un lourd tribut dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Qu’ils sachent que nous en avons conscience et nous leur serons éternellement reconnaissants. Des leaders religieux aussi nous ont conseillé de donner la chance aux négociations qu’ils pensaient prospérer dans le sens de la paix et la cohésion sociale. Mais ce n’est point une reculade et ne vous en faites pas. Nous allons bientôt montrer aux maliens et au monde entier que le Président a une majorité qui sait donner de la voix. Je tiens à rappeler et à préciser que nous n’avons jamais été dans l’organisation de marche ou de contremarche mais plutôt un grand rassemblement républicain.

 

Après la fin de cette crise sociopolitique, qu’envisagez-vous ? Est-ce que vous allez toujours rester un mouvement de soutien à IBK ou vous allez explorez d’autres perspectives, par exemple vous organiser en vue des prochaines échéances électorales ?

 

La Convergence des Forces Républicaines CFR est une organisation patriotique résolument engagée à défendre les Institutions de la République et elle est composée par des Faîtières, des Mouvements politiques et des Mouvements religieux. Nous ne sommes pas un Club de soutien et ne nous réduisez pas à cela.

Nous avons été profondément choqués des agissements anti-républicains de certains pseudo-démocrates qui n’ayant aucun moyen de conquérir le pouvoir par les urnes, ont décidé de prendre des raccourcis et la rue pour déstabiliser le pays et avec lui notre démocratie chèrement acquise. Ils ont décidé de semer le désordre social en manipulant nos concitoyens et leurs problèmes. Nous disons non à cela et nous resterons debout sur les remparts In Sha Allah jusqu’à ce que la paix et la quiétude reviennent dans notre pays. Alors, oui la CFR restera mobilisée et défendra l’intérêt général à travers les institutions issues du processus démocratique. La CFR se dressera contre la voie de l’incertitude prônée par le M5.

 

Pr. Clément Dembélé : « IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple »

Le mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP) continue de mettre la pression sur le président Ibrahim Boubacar Keita et son régime. Après avoir changé de stratégie en élaborant un mémorandum, le comité stratégique du M5-RFP appelle de nouveau les Maliens à manifester ce vendredi 10 juillet 2020 pour exiger le départ d’IBK. Professeur Clément Dembélé, l’un des porte-parole du M5 répond aux questions du Journal du Mali.

                                                

Après l’échec de la rencontre avec le Président de la République, quel sera le mot d’ordre de la manifestation que vous organisez ce vendredi 10 juillet 2020 ?

Nous revenons à la case de départ qui est la démission d’Ibrahim Boubacar Keita. Mais il faut d’abord rappeler la sagesse de l’imam Mahmoud Dicko que nous avons entendu. Nous avons écouté cette sagesse avec beaucoup d’attention. Nous avons accepté, sur sa demande et son conseil, de renoncer momentanément à la démission d’IBK et de poser d’autres revendications tout,  en respectant les médiations des grandes personnalités qui sont tous intervenus pour dire qu’ils comprennent notre revendication qui est légitime mais nous ont convié à enlever juste la démission du président IBK et de trouver une autre formule. Celle que nous avons trouvé c’est cela que nous avons proposé à l’imam sur sa demande et que nous lui avons remis pour qu’il le dépose auprès d’IBK. Ce n’est pas trop demander quand on sait qu’au préalable nous exigions la démission d’IBK et de l’ensemble de son régime. Maintenant qu’IBK n’a pas accédé à ces demandes, nous n’avons pas le choix. IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple que de sortir ce vendredi pour la désobéissance civile, dire non à l’atteinte de la forme de la République parce que cette forme c’est la stabilité, la sécurité, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance. Nous savons très bien que ces éléments ne sont pas réunis aujourd’hui et cela nous oblige à sortir le peuple malien pour demander simplement la démission d’IBK parce qu’il n’est pas celui qui écoute le peuple malien, qui entend la voix du peuple malien. C’est ce qui explique la sortie de ce vendredi 10 juillet. Nous allons demander à IBK de rendre aux Maliens ce qui leur appartient, c’est-à-dire le pouvoir du peuple malien.

Vous appellez désormais le peuple à la désobéissance civile. Croyez-vous en une adhésion massive à cet appel sur la durée ?

La désobéissance civile sera suivie parce qu’elle sera graduelle. Elle évoluera au fur et à mesure. Nous commençons le vendredi et la chose la plus importante pour nous c’est de mener cette désobéissance civile dans un cadre pacifique, légal et républicain. Nous ne voulons pas une désobéissance civile qui s’inscrit dans la violence. La violence est contraire à l’éthique du peuple malien. Le Mali n’a pas aujourd’hui besoin de violence. Mais cette désobéissance civile, nous allons laisser le peuple l’exprimer et la mener dans la paix et dans la sérénité mais montrer au pouvoir que désormais IBK n’a plus la main sur ce peuple et sur le Mali. La désobéissance civile sera suivie parce que le peuple malien est trop fatigué. Il est trop abandonné par ce pouvoir. Ce peuple a besoin de dignité,  d’honneur et de se retrouver. Il va donc exprimer sa solidarité, son enthousiasme, sa vigueur et sa détermination à se débarrasser d’un régime de corrompus, qui n’a  cessé de mentir et de piétiner la dignité du peuple malien. Elle sera suivie parce que la survie même du peuple malien en dépend. Aujourd’hui pour redresser le Mali, il faut le faire avec la vérité et la franchise qui ne sont pas du tout dans le camp de ce régime.

Jusqu’où ira le mouvement ?

Le mouvement est prêt à aller jusqu’au bout. Nous nous inscrivons dans la logique du peuple malien. C’est le mouvement du peuple qui aspire aujourd’hui à une bonne gouvernance, à la redevabilité et à la transparence. Vous savez, en 1991 la promesse sur la démocratie était basée sur la bonne gouvernance, la transparence, la lutte contre la corruption. Cela n’a pas été le cas. Le peuple a été dupé, trébuché dans la boue de la déchéance, de la honte, de l’indignité et de l’indignation pendant 30 ans. Aujourd’hui ce peuple se lève comme un seul homme. Il se dresse contre tous les maux de ce pays que constituent la corruption, l’injustice, l’insécurité, la magouille, la gabegie et autres. Le peuple malien va se débarrasser de ces maux pour que l’an zéro du Mali démarre avec une nouvelle génération. Certes, certains d’entre nous ont travaillé avec le régime mais quand ils ont compris que ce régime n’avait pas la solution du Mali, ils sont partis pour revenir dans la case de la vérité et de l’honneur. Cela est à saluer. Ils ne sont pas venus pour reprendre le pouvoir et moi je suis sûr et persuadé qu’ils ne sont pas venus pour prendre la place des jeunes. Ils vont les accompagner, les protéger, leur permettre d’avoir leurs places et de diriger ce pays. C’est cet ensemble qui se lève aujourd’hui pour mettre fin au régime et permettre aux Maliens d’avancer ensemble.

L’imam Mahmoud Dicko soutient-il le retour à l’exigence de la démission d’IBK quand on sait qu’il a essentiellement œuvré pour que vous l’abandonniez ?

L’imam Mahmoud Dicko est l’autorité morale. Nous l’avons choisi pour nous accompagner, pour recadrer les choses en cas de dérapage. L’Imam Dicko est très inquiet aujourd’hui. Il est inquiet pour le M5, il est inquiet pour le Mali. Il reste toujours celui qui prône la paix et la stabilité. Il nous a toujours dit de revendiquer nos droits mais de façon pacifique, démocratique et légitime. Il y a  seulement quelques jours nous l’avons rencontré et il nous a exprimé cette inquiétude, de faire tout pour ne pas répondre aux provocations, de rester Républicains, pour sauvegarder la laïcité, rester dans le principe légal et de ne pas tomber dans la violence. Aujourd’hui plus que jamais Mahmoud Dicko est solidaire au M5-RFP, à la paix et la stabilité du Mali. Il n’a jamais appelé à la violence. Cette autorité morale nous permet de gagner du terrain, de nous faire comprendre par les Maliens, et d’avoir une grande dimension. Pour cela, je tiens personnellement à le remercier, ainsi qu’au nom du M5 et du peuple malien, pour sa souplesse, sa disponibilité, la profondeur de sa sagesse. Nous restons avec Mahmoud Dicko jusqu’au bout, et ce bout c’est de donner cette  libération au peuple malien dont il a vraiment droit. Nous disons qu’entre Mahmoud Dicko et le M5, c’est une famille qui va durer toute la vie parce qu’il n’a fait que prôner ce que nous voulons, c’est à dire un Mali libre, uni, intègre et souverain.

Mali: IBK propose des solutions pour une sortie de crise

Le Président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, a égrené mardi 16 juin au CICB, des solutions de sortie de la crise multidimensionnelle que traverse le pays. Fin de la crise scolaire, gouvernement d’union nationale, résolution de la crise parlementaire, la réforme de la cour constitutionnelle et le retour prochain de Soumaïla Cissé en sont les grands points. C’était en présence de plusieurs chefs religieux, des organisations de la société civile et des hommes politiques.

 L’intervention aura été brève, une quinzaine de minutes en tout, mais plus longue que l’adresse à la nation du 14 juin qui a laissé les Maliens sur leur faim. La gravité de la situation exigeait que le Président de la République face aux Maliens des propositions de sortie des crises socio-politique, économique, sécuritaire et sanitaire que le pays traverse et dont la gestion interpelle. La manifestation monstre des Maliens le 5 juin dernier peut en témoigner.

 « Afin de résoudre de manière définitive la crise postélectorale qui menaçait de s’ajouter aux crises sécuritaires, sanitaire et économiques que nous vivons déjà, j’ai décidé de mettre fin à la crise scolaire en instruisant l’application immédiate, pleine et complète de l’article 39 », a déclaré le Président de la République, applaudi par l’assistance.

 En janvier 2019 le gouvernement a octroyé 20% d’avantage salarial aux autres fonctionnaires du statut général et a refusé, prétextant des difficultés budgétaires,  d’en faire de même pour les enseignants alors que l’article 39 de leur statut le prévoit. Il stipule que  «Toute majoration des rémunérations des fonctionnaires relevant du statut général des fonctionnaires s’applique de plein droit au personnel enseignant de l’enseignement fondamental, secondaire, de l’éducation préscolaire et spéciale». En clair, si un fonctionnaire du statut général a 5 FCFA, les enseignants en bénéficieront « de plein droit ».  « L’équilibre du pays est en jeux. Pour autant, nous n’avons pas hésité à franchir la barrière parce que cela avait été promis. Si cela a été fait par légèreté, à nous de corriger », reconnait le Président IBK qui a annoncé une conférence sociale pour bientôt afin de mettre dans leurs droits tous les travailleurs qui se sentent lésés.

Crise postélectorale

L’une des grandes attentes des Maliens dans cette crise est la dissolution de l’Assemblée Nationale et de la Cour constitutionnelle. En réponse, le Président de la République a promis de voir comment apporter de l’apaisement au niveau parlementaire les jours à venir en annonçant déjà la composition prochaine d’un gouvernement d’union nationale.

En ce qui concerne la cour constitutionnelle, IBK reconnaît qu’ « aujourd’hui l’interrogation est permise ». Il a exhorté l’Assemblée Nationale à « voir son parcours, ce qu’il y a lieu de retenir ou de reformer».

La crise politique, c’est aussi la disparition du chef de file de l’opposition Soumaïla Cissé depuis bientôt trois mois. Le Président IBK a assuré qu’il est en vie et annoncé sa libération prochaine. « Nous savons qui sont ses ravisseurs. Des contacts sont établis.  Inchallah il sera de retour parmi nous dans les meilleurs délais ».

Covid-19

Quant à la crise sanitaire, elle progresse. A la date du 16 juin, le Mali compte 1885 cas positifs de covid-19 dont 1145 guéris et 106 décès. Le Président de la République explique ce faible nombre de décès par la « faiblesse de nos moyens de testing ». Il a demandé au premier ministre Boubou Cissé à corriger cette faille «pour que nous puissions tester à grande échelle de manière à avoir une situation réelle de la prévalence de la pandémie au Mali. »

Afin de sortir de cette crise multidimensionnelle, le Président de la République a appelé à l’union tous les fils autour du Mali. « Nous avons de grands défis. Ceci ne devrait pas laisser place à la division. Le Mali doit demeurer. Aucun problème n’est hors de portée du Mali dès l’instant que le mali se donne la main ».

 Boubacar Diallo

                                                                                                                           

 

 

Crise sociopolitique: IBK invite les forces vives de la nation ce mardi

Le Président de la République Ibrahim Boubacar Keita invite tous les membres du cadre d’actions, de médiation et de veille des confessions religieuses et des organisations de la société civile au CICB ce mardi 16 juin 2020 à 14h30. La présence des forces vives citées est souhaitée. Le contenu de la rencontre n’a pas été communiqué. Nous reviendrons sur les détails de cette rencontre dans nos prochaines publications.

Mali – Adresse à la nation: IBK se prononce sur cinq points clés

Dans son adresse à la nation ce dimanche 14 juin 2020, le président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) a mis l’accent sur cinq points clés essentiels. Des points consignés dans des revendications des différentes marches sociales dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la sécurité.
En réponse à la crise scolaire, le Président de la République conscient que cette situation a trop duré, promet de résoudre de trouver une réponse « dans les meilleurs délais » à travers « un accord avec le syndicat des enseignants ».
Côté santé, l’accélération de la mise en oeuvre  de la modernisation du plateau technique des hôpitaux de Bamako et des régions par le Chef de l’Etat est à l’ordre du jour. Pour ce faire des échanges avec l’Ordre des médecins du Mali et les usagers sont envisagés. Au sortir de ces rencontres, le corps médical sera situé.
En ce qui concerne les contestations relatives aux dernières élections législatives, IBK précise que le gouvernement cherche « une solution idoine et urgente afin de répondre aux frustrations exprimées ».
Pour les déplacés du Centre à Faladiè, il promet de travailler sur le plan de logement, de réinsertion et de réhabilitation.
Le cinquième point qui est la sécurité, où « l’Etat consacre le tiers de son budget annuel », le président s’engage à toujours accompagner les Forces armées maliennes pour la défense et la sécurité de notre pays.
Idelette BISSUU

Mali – IBK: Le mal aimé 

Près de deux ans après sa réélection à la magistrature suprême du Mali, le Président Ibrahim Boubacar Keita (IBK) fait face à un grand mouvement populaire, orchestré par une coalition hétéroclite de partis politiques, d’associations religieuses et d’organisations de la société civile, exigeant sa démission du sommet de l’État et la fin de son régime. Jamais depuis l’avènement du mouvement démocratique au Mali, en 1991, un Président de la République amorçant un second quinquennat n’avait autant été contesté. Si les prémices de cette situation inédite remontent très loin en arrière, un important signal fort avait été la grande mobilisation, il y a un an, qui avait poussé l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga vers la sortie. Aujourd’hui, c’est autour du Chef de l’État lui-même que l’étau se resserre, comme pour signifier que la situation peu envieuse dans laquelle se retrouve le Mali lui incomberait. À lui et à lui seul.

« IBK dégage ! », « À bas IBK », « IBK ne pleut plus, qu’il démissionne », « On a perdu Kidal », « Armée divisée », « IBK nous étouffe depuis plus de 7 ans, maintenant ça suffit ! ». Autant de slogans hostiles au Président de la République qui ont été affichés et scandés le 5 juin dernier, Place de l’indépendance à Bamako, jour du grand rassemblement « Pour le sursaut national » auquel avaient appelé la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS), le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) et le mouvement Espoir Mali Koura (EMK). Une manifestation qui a mobilisé des milliers de personnes, traduisant le malaise de plus en plus généralisé qu’une importante partie de la population malienne ressent vis-à-vis de la gouvernance du pays ces dernières années. Une partie des manifestants a même voulu se rendre à Sébénicoro, quartier où réside le chef de l’État, afin de le contraindre à la démission. Ils en ont été empêchés par les forces de défense et de sécurité.

Plus tôt, dans sa déclaration finale, le regroupement des trois organisations avait énuméré une série de maux qui ébranlent la prospérité du Mali, allant d’une « gestion catastrophique de la crise multidimensionnelle du Mali » à « l’impasse d’une voie électorale désormais hypothéquée », mais aussi également, entre autres, « l’insécurité généralisée », « les atteintes récurrentes aux valeurs et principes de la République et les droits et libertés individuels et collectifs en péril », le tout « à cause d’une gouvernance chaotique ».

Forte de l’importante mobilisation qu’a suscité cet appel de la désormais ancienne Troïka (CMAS – FSD – EMK) et n’ayant surtout pas obtenu la démission du président Ibrahim Boubacar Keita, comme elle l’exigeait au soir même de la manifestation, la coalition a affirmé lors d’un point de presse tenu le 8 juin 2020, la « poursuite de la lutte jusqu’à l’objectif final, la démission d’IBK et de son régime ».

Elle a en outre été rejointe par plusieurs autres associations et partis politiques, occasionnant de facto une plus large dynamique, qui a été rebaptisée « Mouvement du 5 juin 2020 : Rassemblement des forces patriotiques du Mali » (M5-RFP), dont une Assemblée générale se tiendra ce jeudi 11 juin pour décider des prochaines orientations à suivre. Issa Kaou Djim, le porte-parole de l’Imam Dicko et Coordinateur général de la CMAS, le martèle : « IBK va démissionner lors de notre prochaine manifestation ».

Une remise en cause profonde

Si la démission du Président IBK semble aujourd’hui non négociable pour les leaders du M5-RFP, qui pointent du doigt sa gouvernance, l’intransigeance dont font montre ces derniers laisse entrevoir également une sorte de lassitude, traduite par un acharnement à peine voilé sur la personnalité même d’Ibrahim Boubacar Keita. Beaucoup de ceux qui mènent ce mouvement étaient hier encore des proches collaborateurs du régime, y compris l’Imam Mahmoud Dicko, considéré comme le plus influent du regroupement, qui avait d’ailleurs appelé ses partisans à voter IBK en 2013.

Une « erreur » qu’il veut manifestement corriger à travers ces dernières manifestations, et les appels à la démission du président IBK, dont il est  à l’origine, avec le Chérif de Nioro.

« La gestion catastrophique de l’État, du point de vue de Mahmoud Dicko, serait à l’origine de son divorce avec IBK », affirme Boubacar Haidara, Docteur en géographie politique et sciences politiques et chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM) de Sciences Po Bordeaux.

Sur un autre angle, c’est aussi, à en croire Bréhima Mamadou Koné, chercheur – doctorant en Sciences politiques, l’institution même de la présidence de la République qui est aujourd’hui remise en cause par le peuple malien.

« Quand on s’en tient à la Constitution malienne, la personne du Président incarne l’institution présidentielle et il se trouve aujourd’hui que c’est cette institution qui est remise en cause par ceux qui manifestent. IBK a eu assez de Premiers ministres et cela veut dire que ce n’est pas une question de chef du gouvernement et que le problème se situe au niveau de l’institution qu’il incarne », affirme-t-il.

Pour ce politologue, demander en conséquence la démission du Président de la République n’est pas illégal ni anticonstitutionnel. Mais ce qui serait à la fois illégal et anticonstitutionnel serait le fait de procéder à un coup d’État à son encontre.

« Si les revendications arrivent à pousser le président IBK à démissionner dans le cadre constitutionnel, sans qu’il y ait un coup d’État, ce serait alors totalement légal et légitime », explique le chercheur. Ce que conteste Badra Ali Sidibé, chef de cabinet du président du Conseil économique, pour qui demander la démission du président serait « un coup d’Etat civil ». C’est d’ailleurs en soutien aux institutions de la République au premier rang desquelles le président que la Convergence des Forces Républicaines prévoit de se rassembler le samedi 13 juin explique-t-il.

L’ensemble des revendications qui se sont accumulées depuis des années et qui sont restées presque intactes, sans que le Président IBK ne s’attèle à y trouver des réponses concrètes et durables, explique, selon plusieurs observateurs, l’expression de ce ras-le-bol généralisé de la majorité des Maliens, qui s’exprime aujourd’hui dans cet appel à la démission.

Son élection assez confortable en 2013 et sa réélection en 2018 semblent être, pour le chercheur Boubacar Haidara, des éléments qui l’ont certainement induit en erreur, et aussi son entourage, le rendant sourd aux différentes protestations jusque-là formulées à son égard.

« On peut supposer que, dans son entendement, si les Maliens l’ont réélu, cela voulait dire que tout allait bien, d’où une presque totale « inconsidération » vis-à-vis des revendications formulées lors des différentes manifestations. Mais c’est oublier qu’il n’a été élu que par 1 700 000 Maliens, d’où l’importance de la nuance entre sa légalité en tant que Président et la légitimité que cela lui accorde », relève Dr. Haidara.

IBK déconnecté des réalités ?

Beaucoup de Maliens expriment le sentiment d’une non imprégnation du président Ibrahim Boubacar Keita des réalités du pays. Il lui est souvent reproché de n’être pas aussi proche du « bas peuple » qu’il le devrait.

Quelques éléments tendent à justifier ce sentiment, comme le relève Boubacar Haidara. « Aucune suite judiciaire, ou très peu, n’est donnée aux différents scandales de corruption, qui en sont aujourd’hui à des proportions jamais atteintes au Mali. Les Maliens n’ont pas d’eau, ni d’électricité. Leurs conditions de vie sont très clairement loin d’être satisfaisantes et le pouvoir ne donne pas l’impression de s’en soucier », pointe-t-il.

Pour lui, l’une des situations les plus alarmantes est celle de l’école malienne, à laquelle le président IBK n’arrive pas à faire face une fois pour toutes et qui donne vraiment l’impression que le pouvoir est déconnecté des réalités. « Comment peut-on échouer à régler une crise qui dure depuis bientôt deux ans et qui concerne le secteur le plus important de l’État ? », interroge t-il.

Cette situation de l’école malienne et celle qui prévaut en général dans plusieurs secteurs du pays, s’expliquent, selon Bréhima Mamadou Koné, par le manque de modélisation politique de l’État malien. « Cette modélisation est une sorte de diagnostic participatif, où l’on fait remonter l’ensemble des problèmes rencontrés par les populations à la base pour atteindre le niveau institutionnel et politique. Si nous étions dans ce schéma, la grogne sociale qui a commencé depuis le 5 avril 2019 aurait été désamorcée », explique le politologue.

Entourage hypothétique ?

Les différents scandales financiers ou administratifs qui collent à l’image du Président IBK, et qui attisent le rejet de sa gouvernance par bon nombre de Maliens, impliquent le plus souvent ses plus proches collaborateurs. Jamais le Président lui-même n’a été personnellement pointé du doigt dans des affaires encombrantes. « Vous ne trouverez aucun Malien qui vous dira qu’IBK a détourné 1 seul franc du Mali. Même si l’on reconnait qu’il est aujourd’hui en incapacité de gouverner le pays, il est quand même de bonne foi. Mais on a l’impression qu’il est pris en otage au sommet de l’État par un clan machiavélique. Son entourage ne lui dit pas la vérité », tranche Bréhima Mamadou Koné.

Mais, fait remarquer pour sa part Dr. Boubacar Haidara, les Maliens n’ont pas élu l’entourage d’IBK mais lui-même et il est à la fois responsable des actions de cet entourage et responsable du Mali tout entier.

Changement radical?

Pour le sociologue Mahamadou Diouara, la Constitution du Mali crée elle-même en quelque sorte les conditions pour la création d’une « mafia politique » autour du président de la République et du parti au pouvoir et tant que cette situation demeurera, peu importe celui qui siégera au palais de Koulouba, les mêmes problèmes persisteront.

« C’est pourquoi, ce qui serait intéressant c’est que ce mouvement demande l’instauration d’une conférence nationale souveraine, qui discuterait de tout, et qu’au sortir de cela le Mali ait un État réformé pour le reste du mandat du président IBK, pour poser les fondements qui nous permettront d’avoir aux prochaines élections une révolution démocratique par la voie des urnes, et non par celle de la rue et par effusion de sang », suggère-t-il.

C’est ce que préconise également le chercheur Bréhima Mamadou Koné, qui estime en plus que dans l’immédiat le président Ibrahim Boubacar Keita devrait faire une adresse à la Nation, pour calmer les esprits avant d’appeler les leaders des contestataires à discuter.

Mais, par-dessus tout, « un changement radical dans la conduite de la politique malienne, visible par tous, doit être opéré », si le président Keita parvient à faire baisser la contestation. Le rassemblement du samedi 13 juin pourrait en être un test grandeur nature.

Germain Kenouvi

Mali – Marche du 5 juin : l’Imam Mahmoud Dicko appelle à la mobilisation

Au Mali, l’imam Mahmoud Dicko, a dans une vidéo rendue publique ce 1er juin 2020 sur Facebook appelé à la mobilisation pour la marche du 5 juin. L’ancien Président du Haut Conseil Islamique s’est indigné de la gouvernance du pays par le Président Ibrahim Boubacar Kéïta. 

L’imam Mahmoud Dicko promet de diriger la prière de ce vendredi 5 juin à la place de l’Indépendance. Dans la vidéo réalisée par la cellule de communication de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants qui le soutiennent, Mahmoud Dicko a appelé toutes les régions du Mali à rejoindre la place de l’Indépendance pour une marche pacifique. « C’est une marche pacifique, sans bâton, ni haches, ni couteaux, ni insultes », a-t-il expliqué.

Il a pointé du doigt la gouvernance du Président Ibrahim Boubacar Kéïta qu’il qualifie d’échec. L’absence de l’Etat à Kidal, l’insécurité au centre du pays, la corruption sont entre autres problèmes qu’il a mis en exergue. 

L’imam Mahmoud Dicko a invité les manifestants à porter des masques en ce temps de covid-19.  Il a mis en garde l’Etat contre toute répression et a promis de ne pas « annuler la marche à la dernière minute pour une quelconque intimidation ». 

Rappelons que la Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), le Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FSD) et le Mouvement Espoir Mali Koura (EMK) avaient appelé le Président Ibrahim Boubacar kéïta à la démission le 30 mai dernier. Le 26 mai dernier, les trois mouvements avaient tenu une rencontre tripartite et ont convenu de l’unité d’action.

Boubacar Diallo

 

Adama Kané : « Les députés sont dans une posture qui les met mal à l’aise »

Candidat malheureux à la présidentielle de 2018, où il avait récolté 0,8% des suffrages, terminant 16ème sur 24 candidats, Adama Kané est discret sur le terrain, mais pas sur les réseaux sociaux. Député à l’Assemblée nationale, l’élu y affiche ses convictions et ses prises de position, le plus à souvent à l’encontre du gouvernement.

Vous avez récemment demandé la démission du chef de l’État. Quelle alternative proposez-vous ?

Je suis profondément attaché aux institutions de la République. Si j’ai eu à faire cette demande, c’est suite à tout ce qui a concouru à nous mener à cette situation. L’élection du Président pour un second mandat n’y est pas étrangère. Depuis bientôt un an et demi qu’il a été investi, la situation a empiré. Il n’arrive pas à mener le pays dans une bonne direction. Mais, franchement, je dois le dire, n’ayant pas beaucoup de solutions alternatives, s’il venait à partir, je demanderai à réfléchir.

L’un des partis soutenant votre candidature en 2018 demandait le départ des forces étrangères. De nombreux Maliens adhèrent à ce discours. Les comprenez-vous ?

Je les comprends. Ils sont exacerbés par l’échec de leur présence. Mais je ne suis pas davantage convaincu que leur départ nous apportera plus de stabilité. Nous n’avons pas de force alternative solide et aguerrie pour leur succéder, même si elles ne nous donnent pas satisfaction pour contenir une menace qui s’est aggravée. Dire que ceux qui sont venus nous aider connaissent nos ennemis ou sont au courant de leurs faits et gestes? Je pense que les forces alliées doivent l’être au même titre que nous. Je suis d’avis que puisqu’elles sont déjà là les forces vives de la Nation doivent plutôt essayer de tirer le meilleur d’elles plutôt que de réclamer leur départ, qui laisserait un vide que notre armée actuelle ne saurait combler. Ceux qui peuvent le faire, ce sont des personnes dont les voix portent, notamment le Président de la République, ou encore comme vu récemment le chanteur Salif Keita. Ils peuvent contribuer à équilibrer le rapport de forces qui existe entre l’État Malien et ses partenaires.

Beaucoup de Maliens sont sceptiques quant au travail des députés…

Je le comprends. Quand l’Assemblée était dans son mandat normal, nul ne pouvait ignorer le nombre d’interpellations, de questions posées au gouvernement. Les députés sont actuellement dans une posture qui les met mal à l’aise. Notre pays a organisé une élection présidentielle et n’a pas pu organiser de législatives. Ce n’est pas un bon signal démocratique. Les ministres interpellés ne fourniront plus d’efforts parce qu’ils peuvent remettre en cause la légitimité de ceux qui le font.

Biennale de Luanda: Ibrahim Boubacar Keita à la cérémonie d’ouverture

Le président de la République du Mali à la Cérémonie d’ouverture de la première édition de la Biennale de Luanda en Angola.

C’est sous une pluie d’ovations que le Champion de l’Afrique pour la Culture, les Arts et le Patrimoine,  Ibrahim Boubacar KEITA, Président de la République du Mali a fait son entrée au Centre de convention Talatoma de Luanda.

Placée sous la Présidence de son Excellence monsieur Joao Manuel Gonçalves, la Biennale de Luanda à démarré ce matin (18/09/19) autour de la culture de la paix. La cérémonie d’ouverture à mobilisé; des hommes de culture, des artistes, des historiens, des cinéastes, des photographes, des réalisateurs venus de partout, célébrer l’Afrique, s’enrichir de la diversité culturelle à l’effet de converger vers la culture de la paix, au-delà, la non violence.

Au nom de l’Afrique, c’est à l’unisson que l’hymne de l’Union Africaine à été entonné après celle de l’Angola .
La cérémonie a été marqué par cinq interventions notamment celle d’Audrey Azoulay Directrice de l’UNESCO, du président de la commission de l’Union Africaine, Moussa Faki, le Président de la Namibie, M. Hage G Geingob, le président Ibrahim Boubacar KEITA Coordinateur de l’Union Africaine pour la Culture, les Arts et le Patrimoine, et  celle de Joao Manuel Gonçalves, président de l’Angola.


En sa qualité de Champion de la Culture, Ibrahim Boubacar KEITA a exprimé sa gratitude à l’endroit de ses pairs, en particulier le Président Joao Manuel Gonçalves. Il a terminé son allocution en exprimant le vœu que  » la Biennale de Luanda soit le lieu de l’affirmation que le destin de l’Afrique est entre nos mains et qu’à cette occasion nous réaffirmons notre détermination à faire de nos ressources naturelles, culturelles et humaines les piliers de notre édification de l’Afrique que nous voulons, telle que nous l’avons écrite dans l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. »

En marge de la cérémonie, la présidence indique qu’un panel a réuni les différents intervenants autour de la Culture, des mécanismes et approches pratiques conduisant à la reconstruction de la paix. Pour le président Ibrahim Boubacar KEITA, l’Éducation est la clé de tout.

La remise symbolique d’une gerbe fleur, « fleurs de la paix « , aux officiels à mis fin au programme.

Source: Présidence

Centre : Dioncounda Traoré, un choix judicieux ?

L’ancien Président de la Transition de 2012, le Pr Dioncounda Traoré, a été nommé le 20 juin Haut représentant du Président de la République pour le Centre. Dans la quête pour la résolution de la crise dans cette partie du pays, le choix de l’ancien Président de l’Assemblée nationale apparait judicieux, tant le personnage a des atouts. Mais certains ressortissants de la région de Mopti voient plutôt ATT comme « Solution one ».

Il y a deux semaines, le Président de la République désignait le Professeur Dionconda Traoré comme son Haut représentant pour le Centre du Mali. Les violences exercées dans cette partie du pays et les massacres répétitifs de populations civiles depuis le début de l’année 2019 nécessitent des approches nouvelles et un engagement accru des autorités. La nomination de l’ancien Président de la République sous la Transition s’inscrit dans cette volonté de résolution de la crise. Le personnage a, selon plusieurs analystes, de nombreux atouts. « C’est quelqu’un qui a assez de chance dans la vie. Il sait souvent transformer les défis en réalités. Il a beaucoup d’atouts et connait le paysage politique malien. Mieux, c’est un ancien Président sous la Transition, également ancien Président de l’Assemblée nationale, et c’est à sa demande que les forces étrangères sont arrivées en terre malienne », explique l’analyste politique Salia Samaké.

Réputé patient et pragmatique, ce scientifique pourrait faire bouger les lignes et apaiser les tensions. « Il ressort des différentes analyses que son profil est à la limite consensuel, mais pas à 100%. Beaucoup d’acteurs, tant sur l’échiquier politique que social, trouvent que le Président Dioncounda pourrait combler les attentes,  mais le personnage est marginal au centre du Mali », note le sociologue Dr Aly Tounkara.

Dans la région de Mopti, certaines personnalités, à l’annonce de cette désignation, se disaient déçus, misant avant tout sur l’ancien Président Amadou Toumani Touré, originaire de cette région. Au sein de la Coordination des associations des ressortissants des cercles de la région de Mopti résidant à Bamako (CAREMB), on relativise. « C’est un choix souverain du Président de la République qui ne souffre d’aucune contestation. On peut être frustré ou ne pas être totalement d’accord, mais le choix est fait. La position du CAREMB est de dire aujourd’hui qu’il faut partir de ce choix pour concevoir une dynamique qui permettra à tous les Maliens de contribuer à la résolution du problème du Centre et de la région de Mopti en particulier », estime Adama Samassekou, ancien ministre et Président du regroupement.

Au-delà du personnage

Il s’avère que les deux personnages évoqués ont servi au sommet de l’État à des moments très particuliers. Et que chacun d’eux à ses forces et ses faiblesses. Face aux urgences, le choix apparait plus comme un détail que comme un obstacle. « Au regard de la gravité de la situation dans la région et au Centre en général, nous ne souhaiterions pas ajouter une crise à la crise. Il ne doit pas y avoir de débats insolubles entre personnalités par rapport à la prise en charge de la question gravissime de la région », insiste le Président du CAREMB.

Dans un pays au tissu social atteint, sortir des sentiers battus serait une bonne piste à suivre. « L’enjeu au Centre n’est aucunement lié au choix du personnage. Il faut plutôt interroger les causes profondes de l’insécurité. Est-ce que le Pr Dioncounda Traoré sera capable de questionner les raisons profondes de cette insécurité, la question de la justice sociale et du traitement partial et parcellaire entre les communautés ? », s’interroge le sociologue. Selon lui, il ne peut y avoir de choix unanime.  « J’ai la ferme conviction que si c’était ATT qu’on avait choisi, beaucoup allaient lui renvoyer la responsabilité du début de la crise de 2012. Ce qui aurait compromis ses chances de réussir. Les gens auront souvent des arguments fallacieux sans s’intéresser  à la quintessence de la mission ».

Dans cette zone, où interviennent de nombreux acteurs, la tâche parait ardue, mais pas impossible. Un diagnostic minutieux des causes, pour trouver des solutions durables, s’impose au missionnaire. « Si dans sa démarche il parvient à mettre la main sur les vrais acteurs, il pourra faire décanter la situation. Il faut que tout le monde s’engage à ses côtés, car le problème est complexe », recommande Salia Samaké.

La CAREMB se dit disponible à accompagner le Haut représentant du Président. « Le moment venu, quand nous serons sollicités par lui, nous lui réserverons la primeur de nos propositions », assure Adama Samassekou.

Cardinal Jean Zerbo : « La meilleure des révolutions est celle qui construit, non celle qui brûle »

En 2017, l’Église malienne était accusée d’évasion fiscale et de détenir des comptes bien remplis en Suisse et ailleurs. Depuis ces révélations, Monseigneur Jean Zerbo évitait religieusement la presse. Quelques semaines plus tard, il devenait le premier Malien de l’histoire créé Cardinal, le dixième Africain. L’occasion était belle pour s’exprimer. Il n’en fit rien, des déclarations circonstanciées mises à part. Pour Journal du Mali, il a accepté de sortir de son mutisme. C’est dans ses appartements privés, au milieu des portraits du jour de sa consécration, qu’il nous reçoit, en prenant le soin de s’asseoir juste en dessous du portrait de Monseigneur Luc Auguste Sangaré, son mentor, un homme pour lequel il a le plus grand respect. À 75 ans, le cardinal se dit en mission pour un Mali retrouvé, un « Mali qui retombe sur ses jambes et non sur son cou ».

Le 28 juin 2017, vous êtes devenu le premier Malien créé Cardinal. Comment l’avez-vécu ?

Ca a été une grande surprise pour moi. Ce jour-là je me trouvais à Faladiè pour une cérémonie qu’on appelle la confirmation. Moi mis à part, tout le monde semblait être au courant de la nouvelle. Ils me regardaient donc d’une certaine façon et j’en cherchais la raison. Une sœur est venue me voir avec un téléphone, me disant que le Secrétaire de la Conférence épiscopale voulait me parler. J’ai pensé que c’était pour la nomination de l’évêque de Mopti. Celui qui occupait cette fonction était décédé en 2016, je m’attendais donc à ce que l’on parle de cela. Il m’a vite fait savoir que ce n’était pas pour cela, avant de m’apprendre que j’avais été retenu pour être créé Cardinal. Je l’ai pris avec beaucoup d’humilité. Qu’ai-je fait pour mériter cet honneur ? Je n’en sais rien.

Le Mali est dans une période difficile. Qu’un ressortissant de ce pays ait été choisi comme une ressource pouvant aider l’humanité… Pour servir à relever la réputation du Mali, de ma famille, de la communauté chrétienne, j’ai accepté cette fonction avec humilité.

Votre mission a-t-elle évolué ?

Les problèmes qui concernent la communauté chrétienne du Mali, et même la communauté humaine en général, nous les portons. Nous le faisons à deux niveaux. Nous devons tout d’abord nous poser en sentinelles, en veilleurs. La sentinelle doit scruter, relever, tous les signes. Faire le tri entre ceux qui pourront causer préjudice par la suite et ceux qui ne sont que des bruits. Le leader religieux doit d’abord être une sentinelle. Ensuite, il faut être un intercesseur. À deux niveaux également, entre les humains tout d’abord. Cultiver le vivre ensemble entre les parents et les enfants, entre les époux, au sein du service, sur le plan politique. Partout où se trouvent les humains naissent des conflits, mais le plus important est de les aider à faire le dépassement et à se comprendre.

En second lieu, il faut prier. C’est pourquoi il est demandé aux religieux d’être des personnes recueillies, afin qu’ils puissent présenter les besoins des humains devant Dieu. Être recueilli d’abord pour soi-même. Quand on est leader religieux, les gens peuvent vous rendre orgueilleux. Chacun de nous se connait. Plus tu t’approches de Dieu et plus tu te rends compte que tu es un pêcheur. Nous avons des religieux qui, parce qu’ils ont adulés, deviennent de petits dieux. Cela ne se devrait pas. À ce moment, tu sors de ton rôle et tu deviens une idole. Une fois, une personne m’a dit que j’étais son idole. Je lui ai répondu que non, car une personne qui croit en une idole n’est pas un croyant. Il a par la suite précisé le sens dans lequel il avait employé le mot, mais je souhaitais lui montrer que je n’étais qu’un homme simple. Je peux poser un acte qui lui plaira aujourd’hui et demain en poser un autre avec lequel il sera en total désaccord.

Avez-vous des responsabilités au sein du Vatican ?

Être créé Cardinal signifie que vous êtes un collaborateur direct du Pape. Une de nos tâches est de participer à l’élection du nouveau Pape. Dès ma nomination a été créé un ministère spécial chargé de la Famille. Je suis dans ce dicastère.

Quels sont les problèmes de la communauté chrétienne du Mali ?

Toute communauté doit miser sur sa jeunesse. Au point que le Pape a tenu une grande réunion en 2018, où étaient rassemblés les délégués des jeunes à travers le monde. Une des préoccupations de notre pays est sa jeunesse. C’est une chance, mais également un défi. Faute de pouvoir être absorbée par le gouvernement, cette jeunesse se résout à emprunter la route du désert, à tenter l’aventure, et ce avec toutes les conséquences que nous connaissons. C’est un grand défi que toute Église doit gérer avec la société. Nous faisons face également à l’équation de la famille. Nous entendons des histoires qui convergent vers la fragilité actuelle des foyers. Et quand la famille n’est plus solide dans une société, cette dernière va à sa perte.

Chacun de nous, à un moment de notre vie, connait des crises. Mais ces crises passagères ne nous définissent pas. Il n’est pas rare de voir une personne que l’on croyait irrécupérable changer pour le mieux quelques années plus tard. Donc cette crise de la jeunesse ne doit pas nous effrayer, elle devrait nous appeler à davantage de responsabilité. Et cela commence au sein de la famille. C’est pourquoi, tous les samedis, je dis une messe pour les familles. Je me suis pour cela inspiré du chant d’Amadou et Mariam « Les dimanches à Bamako, c’est le jour des mariages ». Que d’accidents ces jours-là! Les jeunes qui font les fous sur des motos ou avec des voitures, des gens excédés qui les maudissent. A contrario, nous faisons des bénédictions. Que Dieu bénisse le foyer de ceux qui se marient. Que, dans les familles où les choses vont bien, cela puisse continuer, que dans les familles dans lesquelles il y a des crises, il y en a partout, les membres arrivent à s’entendre. Les jeunes qui n’arrivent pas à se décider, que le Seigneur les conduise vers le partenaire adéquat. Et les autres, ceux qui ne veulent pas se marier, qu’ils sachent que dans l’Église, il y a les prêtres et les religieuses, qui restent célibataires, se consacrent à Dieu et prient pour les familles.

Le rôle d’un leader religieux est très important, notamment en période de crise. Quelle approche prônez-vous afin d’aider le pays à se relever ?

C’est au moment des crises que nous devons, particulièrement la jeunesse, montrer notre capacité de résilience. Nous ne pouvons baisser les bras et tenir des discours abattus. Moi, je m’engage afin que l’on puisse sauver la situation et j’accepte ma nomination comme une mission à mener dans ce sens. Comment y arriver ? Je l’ai évoqué plus haut, en étant une sentinelle.

Mais je ne puis le faire seul. C’est pourquoi que les leaders religieux doivent travailler de concert. Cette mission, nous l’avons hérité de nos ainés, Mgr Luc Sangaré, Balla Kallé et Oumar Ly. C’étaient les trois, quand j’étais jeune évêque, que j’admirais. Ce sont eux qui, quand ça n’allait pas au Mali, allaient voir le Président de la République. Ils ne sont plus là. Nous sommes donc investis de cette mission et je compte bien la mener je suis. Je ne veux pas égaler personne, je veux simplement faire avec ce que je suis. Sans compter que les temps ont changé. À l’époque, tout le monde ne pouvait pas parler, mais aujourd’hui nous sommes en démocratie, l’expression est plus libre. J’ai suivi la tournée d’Ousmane Chérif Haidara (en janvier et février), je l’ai écouté. Son discours est un discours de tailleur. Pas celui qui coupe et jette. Mais le tailleur avec l’aiguille et les fils. Ça fait mal, mais quand il a fini de raccommoder, ça guérit. Il tient un discours fédérateur. Les religions ne sont pas là pour mettre les gens dos à dos. Fédérer, c’est ce qui sauvera ce pays, et non tirer à boulets rouges sur les autres. Aimer son prochain comme Dieu le demande, car le seul jugement est celui de Dieu. Nous n’avons pas de leçons à lui donner, nous devons plutôt avec humilité recevoir les siennes. Et les médias doivent nous aider en faisant des analyses non partisanes des situations. Ce n’est pas le cas pour l’heure. Beaucoup nous disent de nous méfier des journalistes. Je me méfie, mais j’ai confiance.

Après la présidentielle de 2018, vous avez entrepris, avec d’autres chefs religieux, de concilier les positions des leaders politiques. Alors que d’habitude vous vous faites discret…

J’étais ici au moment du coup d’État de 1991. Le jour de l’arrestation de Moussa Traoré la ville était au bord de l’implosion. J’étais chez mon frère quand j’ai reçu un coup de téléphone disant que Moussa avait été arrêté. Aussitôt nous avons entendu des coups de feu. Il y a eu des tueries qui m’ont laissé sans voix. Ça m’a fait mal. Notre démocratie a été acquise sur de nombreux péchés, puissions-nous les expier. Ce jour-là, ce sont nos enfants qui ont été les martyrs et c’est terrible. Quand j’y repense, j’ai mal. Qui était responsable ? Moussa Traoré ou les acteurs du mouvement démocratique ? Qui a utilisé les enfants comme boucliers ? En général, quand ça chauffe, c’est au chef de famille d’aller s’enquérir de la situation. C’est ma réflexion personnelle. J’ai 75 ans passé, mais je me dois de pousser cette réflexion, afin que ce qui s’est passé en 1991 ne se répète plus jamais dans notre pays. Jamais !

Si nous sommes obligés de sacrifier nos enfants pour la démocratie ou je ne sais quelle dénomination politique, c’est comme si nous nous crevions un œil afin que notre voisin devienne aveugle (Banyengo). Je parle avec mon cœur.

L’URD m’a envoyé les conclusions de son congrès. Elles disaient : « nous ne partirons plus en guerre, nous pensons que ce serait irresponsable de tenter un coup de force. Nous déplorons la manière dont les élections se sont passées, mais nous assumons ». J’ai relevé cette partie et j’ai dit au Président de l’URD que je partageais ce point de vue. Ça nous évitera une crise postélectorale qui ne nous mènera nulle part. Nous devons changer les ressentiments en amour et en sacrifice pour ce pays. Nous serons jugés sur la manière dont nous gérons cette crise. Il nous faut nous atteler à ce que l’histoire qui en sera contée ne soit pas une tragédie.

Vous avez vécu plusieurs évolutions du Mali. Quel est votre regard sur le pays aujourd’hui ?

En dépit de tout ce qui se dit, je reste optimiste. L’unité nationale doit être préservée. C’est d’ailleurs au nom de cette unité que nous devons mettre de côté nos différends. Des personnels de certaines ambassades sont venus me voir afin que nous explorions l’idée d’imiter la Suisse. Je leur ai opposé un non ferme. « Vous avez votre modèle, ne venez pas nous l’imposer. Respectez notre choix. C’est ce qui avait été décidé au moment de l’indépendance. Nous sommes des partisans de Modibo Keita. C’était un grand homme. Chaque année, le 22 septembre était consacré jour de la rentrée scolaire pour tous les établissements. Il rassemblait tout le monde ce jour-là et tenait des discours marquants. Il disait : « nous avons pris un risque, un grand. Ce risque c’est l’indépendance. Nous n’avons rien, mais nous avons tout ».  Nous nous demandions tous ce qu’il voulait dire. Après, il précisait : « ce tout, c’est vous, en regardant chacun de nous et en nous montrant du doigt. « Retournez dans vos établissements, étudiez et revenez construire ce pays. Nous avons pris le risque de l’indépendance pour vous ». Tu sortais de là en ayant l’impression que ta vie avait un sens. Mais aujourd’hui nous avons oublié toutes ces valeurs. À notre époque, quand nous finissions, nous étions aussitôt pris dans la fonction publique. Mais sachez que l’année de mon baccalauréat nous étions 13 à le passer, toutes séries confondues. Les chiffres ont explosé depuis. Il fallait préparer les gens à l’auto-emploi car le gouvernement ne pourra jamais absorber tous ceux qui passent par l’école malienne. Et, tant que la jeunesse ne sera pas convaincue de s’engager sur cette voie, aucune révolution ne nous fera sortir de l’ornière. Le Mali doit s’assumer et nous devons accepter cette montée de la jeunesse et la préparer à faire face.

Vous vous dites confiant. Pourtant ce sont les acteurs du mouvement démocratique qui sont aujourd’hui les leaders du pays ?

La meilleure des révolutions est celle qui construit, non celle qui brûle. À chaque rencontre que j’ai avec eux, je leur dis sans ambages qu’ils se sont battus ensemble contre Moussa Traoré et pour l’avènement de la démocratie. « Et, aujourd’hui, vous ne pouvez plus vous sentir. C’est inconcevable. Moussa est toujours en vie, il sera le plus heureux de voir que ceux qui l’ont combattu se font face. C’est malheureux ». En les écoutant, ils affirment tous faire pour le Mali, pour le peuple. Mais ce qui intéresse le peuple, c’est de pouvoir se nourrir, se loger, en soi de pouvoir vivre. Les querelles politiques ne sont pas ce qui les intéresse. Mais, je le répète, j’ai confiance, en notre jeunesse notamment. Faites mieux que nous, construisez, je les exhorte. J’en suis persuadé, ce pays retombera sur ses jambes et non sur son cou.

Mali : Le FSD dresse un tableau sombre du pays

Le Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) a tenu ce jeudi à la maison de la presse une conférence de presse sur l’Accord politique de gouvernance, la prorogation du mandat des députés, la révision de la constitution du 25 février 1992 et le dialogue national inclusif. Devant les médias, l’honorable Soumaila Cissé et ses camarades ont fait le tour des sujets brûlants du moment. Le début d’un retour à la charge.

« L’heure est grave !», interpelle dès le début de son discours le président du FSD et chef de file de l’opposition, l’honorable Soumaila Cissé. Dans une salle pleine de militants et journalistes, l’élu de Niafunké peint un sombre tableau de la situation sécuritaire du pays. Selon lui, « l’actualité s’est accélérée  avec les recompositions politiques qui ont abouti à la formation du gouvernement actuel et surtout, avec une accélération incroyable, des actes des violences qui endeuillent les populations semant le désespoir », dresse-t-il. Le principal conférencier a aussi évoqué le nombre de tués depuis le premier trimestre 2019 établi par le rapport de la MINUSMA.  « Aujourd’hui, l’insécurité a atteint un seuil intolérable  qui menace la survie voire l’existence même de notre pays », s’inquiète le président de l’URD.

Désaccords avec le gouvernement                              

Lors de cette rencontre avec la presse, Soumaila Cissé a tenu à clarifier la position de son regroupement politique sur l’Accord politique de gouvernance signée le 2 mai par certains partis de l’opposition, la Plateforme Ensemble pour le Mali et le gouvernement.  Même s’ils ont participé à son élaboration le document final ne prenait pas en compte les préalables soulignés par le FSD. « Le document a été remplacé par un texte où était purement et simplement  biffé toute la partie relative au « partage de responsabilité », révèle le principal challenger du président IBK en 2013 et 2018. Et de lever toute confusion : « le FSD n’est pas signataire de l’Accord politique de gouvernance ! ».  Il souligne toutefois « que c’est à la  suite du constat de graves périls planant sur la Nation et la nécessité subséquente d’une union sacrée autour du Mali que le FSD a demandé avec insistance, l’instauration d’un « dialogue national inclusif avec toutes les forces politiques et sociales  significatives du Mali … »

Le deuxième sujet qui mobilise les membres du FSD est la prorogation du mandat des députés qu’ils  perçoivent comme « une violation flagrante de la constitution ».  Le conseil des ministres extraordinaire du vendredi 7 juin 2019 a prorogé d’un an le mandat des députés qui prend fin le 30 juin. Pour le FSD, il s’agit là « d’une violation grave de l’Accord politique de gouvernance mais aussi et  surtout  une négation des prérogatives du dialogue politique inclusif », car le dit Accord indiquait que le programme d’action du gouvernement devait être axé autour de « l’organisation de consultations référendaires, des élections législatives, locales et régionales dans les délais convenus lors du dialogue politique inclusif ».  Aussi, pour l’honorable Soumaila Cissé, le constat d’absence de l’avis de la Cour Constitutionnelle est cette fois ci « symptomatique ».

Sur l’autre sujet sensible qu’est la révision de la Constitution, les membres du FSD parlent de la même voix et se réfère à l’article 118 alinéa 3 de la Constitution en vigueur stipulant que « aucune procédure de la révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. »  Leur demande est formelle. « Il faut d’abord assurer l’intégrité du territoire en libérant Kidal et en le faisant revenir  dans le giron national. »

Mais la discorde entre le pouvoir en place et ces partis et associations de l’opposition tient sur le dialogue national inclusif. La désignation  « unilatérale » par le président de la République des personnalités chargées de conduire le processus du dialogue inclusif ne trouve pas non plus l’adhésion du FSD qui estime que cette décision est contraire à « toutes les mesures d’inclusivité, et de l’esprit des discussions avec le Chef de file de l’opposition politique ».

Pour le président du Mouvement patriotique pour le Renouveau MPR, Choguel Kokala Maiga,  « c’est au vu des graves périls qui pèsent sur notre pays, autrement dit si cette spirale continuait après ce qui s’est passé dans le courant du mois de janvier, février, mars, nous allons nous retrouver avec un Etat totalement effondré et on ne parlera plus ni de l’opposition ni de la majorité. C’est à cause de tout cela que nous avons décidé de laisser tomber tous les éléments de contestation précédente pour nous donner la main avec le chef de l’Etat et faire l’union sacrée des Maliens pour sauver le Mali », explique-t-il.

Enfin, le FSD assure que « la plus urgente mesure de sortie de crise était la tenue indispensable d’un dialogue politique national inclusif, pour permettre à tous les Maliens de se parler afin de sauvegarder l’essentiel, aujourd’hui, dangereusement menacé par une crise multidimensionnelle sans précèdent ».

Boubou Cissé : Un choix, des messages

Le Président  de la République a nommé par décret, le 22 avril, Dr Boubou Cissé Premier ministre, suite à la démission forcée de Soumeylou Boubeye Maiga. Ex-ministre de l’Économie et des finances, le nouveau chef du gouvernement  devra fédérer autour de lui pour imprimer sa marque et faire  face aux défis urgents.

« Je ne suis pas un Messie, mais je suis et serai un serviteur de l’État au service du gouvernement, un serviteur de l’État au service du peuple », déclarait le tout nouveau premier ministre malien, Dr Boubou Cissé. C’était le 23 avril, lors de la passation de service à la Primature avec son prédécesseur Soumeylou Boubeye Maiga. À 45 ans, ce jeune  économiste de formation se voit confier la responsabilité de former « un gouvernement de large ouverture ».

Natif de Bamako, Dr Boubou Cissé est entré dès 2005 à la Banque mondiale. Il venait d’obtenir quelques mois seulement auparavant son doctorat à l’Université d’Aix-Marseille, en France. C’est au sein de cette institution que le jeune diplômé révélera ses talents dans le domaine économique. Après l’élection du Président Ibrahim Boubacar Keita, en 2013, il est nommé ministre de l’Industrie et des mines. Depuis, il a été maintenu à chaque remaniement de gouvernement, jusqu’à sa nomination à sa tête.

Un choix gagnant ?

Dans le milieu jeune, sa nomination n’est pas beaucoup contestée. Elle en séduit d’ailleurs même certains, qui commencent à croire que ce second mandat est celui de la jeunesse, comme l’avait promis le Président IBK. Alors que les défis ne cessent de croitre, il devient primordial de s’allier avec cette force motrice.

En poste au Niger en 2012, Boubou Cissé accompagne déjà le futur président IBK, en participant à l’élaboration du programme économique du candidat. « Il a travaillé à la Banque mondiale et on sait que c’est lui qui est au cœur des négociations de plusieurs dons que l’institution a effectués au profit du Mali », dit de lui Khalid Dembelé, doctorant, économiste et chercheur au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Selon lui, le nouveau locataire de la Primature était au cœur des négociations dans les grèves des magistrats et plus récemment des enseignants, mais il serait « un novice dans le domaine sécuritaire ».

Alors que le Premier ministre sortant multipliait les déplacements à l’intérieur du pays pour rassurer les populations, la défiance à son égard grandissait dans la capitale. En tête de liste, Dr Boubou Cissé. « Il était le premier choix. Il était même dans les tuyaux depuis un certain temps, déjà juste après Modibo Keita, il était pressenti, mais je pense que ce n’était pas le bon moment pour lui. Le poste était très convoité, en dépit de toutes les difficultés inhérentes, des anciens ministres, des ambassadeurs, des fonctionnaires internationaux, mais Boubou était le premier choix, même si, jusqu’à la dernière minute, ce n’était pas gagné, car certains poussaient la carte Tiéna Coulibaly, ministre de la Justice sortant », confie une source proche de la présidence.

Pour le politologue Boubacar Bocoum, « le problème aujourd’hui ne se pose pas en terme de Premier ministre mais de vision du Président la République lui-même, parce que c’est lui qui instruit au Premier ministre », note-t-il. « Un homme est parti, un autre est arrivé. Je ne vois pas ce qui va changer. C’est la famille », se désespère le politologue.

Malgré tout, bien des éléments ont concouru à le placer au-devant de tous les prétendants. Selon le sociologue Mahamadou Diouara, le Président IBK, par cette nomination envoie plusieurs messages. « La décision du Président est en conformité avec l’orientation qu’il a choisi de donner à son mandat, qu’il place sous le signe de la jeunesse. C’est aussi un message d’équidistance entre la majorité, l’opposition et la société civile. C’est également un message à l’endroit de son parti, qui a combattu tous ses Premiers ministres », analyse le directeur du cabinet Gaaya. « Par cet acte,  IBK refuse d’être le Président du RPM mais plutôt celui du  peuple malien. Le fait aussi qu’il choisisse un économiste à un moment où il y a des revendications d’ordre économique pourrait être une réponse aux problèmes. Et le dernier élément est que le tissu social est dangereusement effrité, surtout dans le centre du pays, et qu’au cœur de ce problème se trouve la communauté peule. Le nommer comme tel est aussi un message pour dire que l’État n’a aucunement l’intention d’encourager ou d’entretenir une action négative à l’endroit  de cette communauté», examine aussi le sociologue, ajoutant « le reste, l’avenir nous le dira ».

Désillusion au RPM

Pourtant, et ce depuis toujours, des caciques du parti présidentiel chérissaient l’idée de s’emparer de ce poste alléchant. Plusieurs d’entre eux espéraient en bout de course y arriver. À la fin du suspense, le RPM se retrouve de nouveau mis sur la touche. « Nous avons certes fait des propositions de noms et certains étaient mitigés sur le choix de Boubou. Il y avait de la frustration et de la déception, mais le président du parti a obtenu qu’un communiqué saluant sa nomination soit publié », notifie un cadre du parti au pouvoir, ajoutant que le nouveau Premier ministre « peut être un bon capitaine, pour peu qu’on lui laisse la latitude de former son équipe et de travailler ».

Ce choix souverain du Président de la République n’a donc pas fait que des heureux au sein de sa famille politique. Toutefois, cette dernière espère obtenir des postes stratégiques au sein du prochain gouvernement. « On sait que le RPM avait jusqu’à cinq propositions, mais aucune n’a été retenue par le Président. Boubou n’est pas du RPM, certes, mais cela fait six ans qu’il est avec la majorité présidentielle. Cela veut dire aussi qu’il fait l’affaire du Président, membre fondateur du RPM », estime Khalid Dembelé. «Ils ont osé rêver, mais la relation qu’ils ont avec IBK aujourd’hui ne permet pas à Dr Treta d’être Premier ministre. IBK n’est plus avec le RPM, en réalité », martèle Boubacar Bocoum.

Quoi qu’il en soit, c’est la fin  dans l’immédiat de certaines illusions. Les divergences de vision ont affecté depuis le début le climat entre le Président et ses compagnons d’antan. Mal compris ou mal aimé ?

« IBK est malheureusement le Président le plus seul du Mali, isolé par son propre parti dès le début son régime. Et tout cela parce qu’il a voulu exprimer, peut-être de façon maladroite, qu’il était le Président du peuple malien et non celui de son parti. Il leur a pourtant donné des chances, mais nous en avons vu les limites avec Abdoulaye Idrissa Maiga et Dr Bocary Treta », diagnostique Mahamadou Diouara. Le sociologue est convaincu « qu’il faut à un moment donné comprendre que la démocratie n’est pas la victoire d’un clan ».

Que de défis !

Dans un pays confronté à l’insécurité au nord et au centre, aux grèves répétitives, à la grogne sociale et économique, les défis ne sont pas des moindres. Être flexible tout en sachant rester ferme sera le pari à gagner pour le nouveau chef du gouvernement. « Il doit d’abord résister à la famille présidentielle, travailler avec l’opposition, dialoguer avec tout le monde et enfin être ferme quand il le faudra », préconise Khalid Dembelé. En attendant la formation de son gouvernement, des voix  avancent que le jeune Premier ministre pourrait marquer l’histoire s’il répond à la grogne sociale. « Il peut faire les choses autrement et rassembler derrière lui toutes les sensibilités. Il peut aussi mettre le parti du Président de la République à l’aise, parce que c’est le parti qui a supporté IBK pendant des années, à des moments durs et qui l’a amené au pouvoir », estime Mahamadou Diouara.

En attendant son gouvernement de large ouverture, le Premier ministre est attendu pour trouver urgemment une issue à la grève des enseignants. Un aspect de l’ensemble qui pourrait acter son envol du bon pied.

Démission du Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga

À quelques heures de l’examen d’une motion de censure du gouvernement déposée par la majorité et l’opposition , le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a démissionné, jeudi.

Le Premier ministre malien Soumeylou Boubèye Maïga a présenté jeudi sa démission au chef de l’État Ibrahim Boubacar Keïta, qui l’a acceptée, selon un communiqué de la présidence.

La démission du  »Tigre », en poste depuis près de 16 mois, intervient à quelques heures de l’examen par l’Assemblée nationale d’une motion de censure du gouvernement déposée mercredi par des députés de l’opposition mais aussi de la majorité.

Il a présenté sa démission ainsi que celle de ses ministres, selon le texte. Le président IBK « a accepté la démission du Premier ministre et celle du gouvernement, et l’a remercié pour sa loyauté et son sens élevé du devoir », a précisé la présidence.

« Un Premier ministre sera nommé très prochainement et un nouveau gouvernement sera mis en place, après consultation de toutes les forces politiques de la majorité et de l’opposition », selon le communiqué.

La personnalité du Premier ministre cristallisait les critiques depuis plusieurs semaines, opposition, leaders religieux (Mahmoud Dicko, Mbouillé Haidara) réclamaient notamment son départ.

Grogne sociale : Le gouvernement cèdera-t-il ?

Le 5 avril, des milliers de personnes ont répondu à l’appel de l’iman Mahmoud Dicko et du Cherif de Nioro à la  place de l’indépendance de Bamako. La démission du gouvernement et la mauvaise gouvernance étaient les catalyseurs de cette manifestation pacifique inédite. Mais cette énième défiance du Président du Haut conseil islamique aura-t-elle raison du gouvernement de Soumeylou Boubeye Maiga ?

« C’est une manifestation qui s’inscrit dans la logique de protestation de la gouvernance actuelle dans notre pays. C’est également une manière d’exprimer la colère que les populations ont longtemps gardé dans leur cœur vis-à-vis de ce qui se passe au nord, au centre, de la cherté de la vie. C’est tout un ensemble de problèmes sociaux, économiques, conjugués à des problèmes politiques, qu’ils ont essayé d’exprimer à travers le grand rassemblement de vendredi », explique Ballan Diakité, analyste politique au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES).

Le 5 avril, à l’initiative du Président du Haut Conseil islamique du Mali, l’imam Mahmoud Dicko, soutenu par le richissime Cherif de Nioro, des milliers des personnes avaient convergé depuis 14 heures, sous un soleil peu clément, vers la place de l’indépendance à Bamako. De tous les mots d’ordre et de revendication, la démission du gouvernement Soumeylou Boubeye Maiga était le noyau autour duquel gravitaient tous les autres. Certains manifestants réclamaient le départ de la MINUSMA et de la France  du Mali, estimant que « leur présence ne sert absolument rien si chaque jour le pays compte ses morts ». Arrivé sur place dans cette ambiance électrique, l’imam Mahmoud Dicko a fait la revue de la situation que vit le Mali, arguant que « ceux qui sont venus aider le pays doivent le faire en toute franchise ou quitter le Mali ». Il avertissait à cette occasion le Président de la République que les marches continueraient tous les vendredis si son message n’était pas entendu.

Revendications légitimes 

La manifestation de vendredi, au-delà de l’imam Mahmoud Dicko, était un cocktail explosif d’hommes et de femmes mécontents de la situation que travers le pays. Des religieux, des politiques, des commerçants, des  enseignants, chacun avait un message. « Les gens ont répondu à l’appel et la masse présente témoigne d’un haut degré de mécontentement au sein de la population. Derrière cette marche, il faut voir le niveau de frustration des Maliens par rapport à la manière dont les choses sont gérées », souligne Woyo Konaté, Docteur en philosophie politique et enseignant à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako. Selon lui, un réaménagement gouvernemental est nécessaire pour calmer les tensions. « On ne peut pas dire aujourd’hui que l’équipe qui est là est une équipe qui gagne. Ce sont des demandes légitimes. En démocratie, on est face à des gouvernements d’opinion et le nombre de gens qui ont marché constitue une tranche très importante de l’opinion publique, donc à prendre au sérieux », explique le philosophe.

Par contre, pour le  politologue Boubacar Bocoum, le terrain politique n’est pas celui du religieux. « Je ne pense pas qu’il soit du ressort de l’iman Dicko de réclamer la démission du Premier ministre,  encore moins de manifester pour dénoncer les tares politiques. Manifester fait partie de la liberté d’expression, mais en termes d’analyse  politique, je ne vois pas comment un imam peut demander à un ministre de démissionner dès lors qu’il y a une opposition, un Parlement et toutes les procédures administratives et juridiques », se démarque-t-il. « C’est anachronique et cela veut dire qu’il prend la place de l’opposition », ajoute-t-il. Que les messages mis en avant soient légitimes ou pas, il y a une évidence à prendre en compte : les frustrations. « La question de la légitimité de la marche ne pose plus aujourd’hui, mais plutôt celle du symbole qu’elle donne du point de vue démocratique. Dans cette marche il y avait toutes les sensibilités, les partis politiques, les syndicats, des citoyens lambda, des opérateurs économiques. C’est une frange importante de la société qui a répondu pour exprimer son mécontentement quant à la manière dont les choses publiques sont gérées et quant à la manière dont les acteurs qui sont censés répondre aux besoins des populations sont perçus », juge Dr Aly Tounkara, sociologue et  professeur à la faculté des Sciences humaines et des sciences de l’éducation de Bamako.

Messages entendus

Vingt-quatre heures après cet imposant rassemblement, le Président de la République reçoit en audience la Ligue des Imans du Mali(LIMAMA). Après cette rencontre dont il s’est réjoui de la tenue « au lendemain d’une journée d’effervescence », IBK a dénoncé « certains slogans et surtout des déclarations désobligeantes pour nos amis en souci du Mali, aujourd’hui à nos côtés pour combattre le terrorisme », a-t-il réagi. Des « amis » pourtant qui ne cessent d’être critiqués, au regard d’une situation sécuritaire toujours alarmante. « On dit que Barkhane est là pour lutter contre le terrorisme, la Minusma pour stabiliser le pays,  mais, malgré leur présence, l’insécurité n’a jamais été aussi grande dans notre pays. Les attentats continuent, des villages comme Ogossagou continuent d’être brûlés », expose l’analyse politique Ballan Diakité, pour lequel « à un moment donné il faudra revoir le mandat de la MINUSMA ». Dans un contexte de terrorisme international, l’enjeu lié au retrait des  forces étrangères dépasse le Mali. « Ce n’est pas facile d’obtenir dans l’immédiat le départ de ces forces. Parce que la menace va au-delà, pour porter atteinte à la sécurité internationale et cette question va aussi au-delà d’une seule souveraineté », décortique le Dr Woyo Konaté.

Pourtant, cette sortie avec les imans aurait été selon certains analystes une occasion pour le Chef de l’Etat de mettre « balle à terre ». Que nenni ! Alors que les organisateurs du meeting attendaient des réponses sur la démission du Premier ministre, le Président a éludé ce sujet qui fâche et s’est engagé dans un discours offensif. « Nul n’arrivera à subvertir le Mali, à le prendre de l’intérieur, nul ! Prétendre qu’Ogossagou nous aurait laissés indifférents est une infamie, une ignominie de la pire espèce », répliquait IBK. Un discours qui a reçu un froid accueil de ceux qui espéraient une détente après une journée à risques. « La réponse n’est pas adéquate. On n’a pas besoin d’une rhétorique pareille. Il aurait été plus élégant en les recevant, les écoutant », analyse Boubacar Bocoum. Une position que partage également le docteur en philosophie politique Woyo Konaté. « Il peut ne pas avoir compris. Le fait de ne pas considérer cette doléance, c’est se mettre dans une logique de va-t’en guerre. En démocrate, qu’il engage des pourparlers pour voir ce qu’il peut faire », suggère-t-il.

Pour le sociologue Aly Tounkara, « en invitant une partie de l’Imamat qui n’a pas pris part à la manifestation, notamment ceux de l’approche malékite, hormis le Cherif de Nioro, la Présidence a voulu jouer sur les dissidences ». Une pratique qui serait devenue récurrente. « La politique de ce gouvernement a toujours été de diviser pour mieux régner. C’est Mahmoud Dicko qui a dit aux gens de sortir. C’est un imam, Président du HCI, et pour casser la dynamique le Président  appelle certains autres imams pour parler avec eux comme s’il avait leur accord et que Mahmoud Dicko serait un réfractaire, ce qui n’est pas le cas », clarifie de son côté Ballan Diakité, qui se demande si IBK a compris la démonstration. Le chercheur du CRAPES alerte sur le danger que peut engendrer « la politique de la sourde oreille ». « Si jamais la foule sortie vendredi ressort encore sur la base des mêmes revendications, cela ne sera pas bon pour ce régime. Personne ne veut que ce pays éclate, mais à un moment donné, s’il faut une refondation, il faut la faire », estime Ballan Diakité, ajoutant que « la révolution est nécessaire dans ce pays, parce que nous sommes avec une  classe politique qui depuis 25 ans continue à gouverner sur la base d’oligarchies et de politiques de copinage ».

Depuis, le lundi 8 avril, IBK a reçu toutes les confessions religieuses et les familles fondatrices de Bamako à Koulouba, avec la présence très remarquée de l’imam Mahmoud Dicko. Les démarches entreprises ont permis de surseoir à la marche annoncée pour vendredi prochain. À l’issue de cette rencontre nocturne, une dynamique de dialogue constructif semble se dégager. Mais le porte-parole de l’Imam, Issa Kaou Djim manifestera sa déception après cette audience. « Les chefs traditionnels n’ont pas pu faire entendre raison au Président afin qu’il comprenne que c’est une question de Nation et non une question de Boubeye. Une grande partie de la population demande à ce que Boubeye parte, mais le Président refuse de le lâcher. On verra ce qui va se passer », s’insurgera le porte-parole, selon qui, toutefois, « l’imam Dicko demande à tout le monde de la retenue pour le moment ».

Un  dilemme cornélien

La manifestation de vendredi dernier n’était pas la première injonction faite au Président de se débarrasser de son Premier ministre. Sa résistance face aux requêtes insistantes aussi bien des religieux et de l’opposition que du  Rassemblement pour le Mali (RPM) témoigne d’une certaine reconnaissance envers celui qui a contribué à sa réélection en 2018. « Le Président serait dans une sorte de considération de fidélité vis-à-vis de son Premier ministre, qui est peut-être pour beaucoup des choses dans sa réélection. Ce qui n’est pas facile », révèle Dr Woyo Konaté.  Or, selon lui, il faut souvent évoluer en fonction des réalités et « les hommes se doivent de comprendre que la politique a sa morale, différente de la morale ordinaire. Il doit lui dire je te suis reconnaissant, mais le Mali est au-dessus de nos amitiés », souffle-t-il.  Une autre hypothèse concernant ce refus du Président serait qu’il ne veut pas se montrer fébrile face aux exigences des ces groupes religieux. « Toute décision qui sera prise au lendemain de cette marche sera vue comme une victoire d’une frange importante des leaders religieux. C’est cela le dilemme aujourd’hui. Cela veut dire que l’État aussi se bat pour ne pas être étiqueté comme étant à la merci des religieux. Mais en même temps il sait pertinemment qu’il y a un poids qui le gène dans son fonctionnement », relève Dr Aly Tounkara.

Dans cette bataille, dont l’issue est encore incertaine, toute résolution sera décisive pour l’avenir du Mali. « Je ne  pense pas qu’il va les écouter, parce que s’il accepte leurs revendications ce sont eux qui vont piloter le pouvoir et son autorité sera mise à mal. Cela lui coûtera ce que ça va lui coûter, mais il ne va pas céder », conclut Boubacar Bocoum. Alors que le sociologue Aly Tounkara privilégie l’hypothèse d’une ouverture, car « ces leaders religieux sont des pourvoyeurs de paix sociale et cela est essentiel dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme religieux. Ce sont des acteurs légitimes et peu coûteux, et qui ont des accointances avec certains  leaders religieux violents ».

Incertitudes ?

Pourtant, l’absence d’un consensus sur les questions soulevées par les manifestants  pourrait cristalliser les tensions dans les jours à venir. « Il est important de rester ouvert. Quelqu’un qui a une foule derrière lui, en démocratie, est à craindre. Le Président doit regarder les choses en face et savoir que ce ne sont pas deux individus qui le combattent. Derrière eux, combien d’hommes et de femmes sont mécontents aujourd’hui? », fait remarquer Dr Aly Tounkara. Pour le Dr Woyo Konaté, le péril à chaque mobilisation deviendra plus grand. « Le risque est que, si les marches continuent, le discours pour mobiliser les gens va monter en grade en termes de menaces. Pour remobiliser les gens il faut changer de discours et en changeant de discours il ne faut pas être surpris de voir de voir des propos qui ne vont pas dans le sens pacifiste », avertit-il. Les difficultés sociales, exacerbées par la crise sécuritaire et politique, ont réduit l’horizon d’une large frange de la société malienne. Un changement dans la gouvernance serait la seule issue, selon le politologue Ballan Diakité. « Il faudra à un moment donné qu’il change de gouvernement et qu’il fasse appel à d’autres personnes, avec une nouvelle feuille de route, une nouvelle vision, qui puissent donner l’impression au peuple qu’il y a du travail qui est fait. Pendant que nous autres végétons sous le soleil ardent dans la pauvreté, il y en a certains qui fêtent leur anniversaire à hauteur de 50 millions, ce qui crée des blessures profondes dans les cœurs des gens », prévient-il.

Véritable marée humaine à l’appel de l’imam Mahmoud Dicko, la démission du Premier ministre exigée

Plusieurs milliers de personnes, répondant à l’appel de l’imam Mahmoud Dicko ont investi le boulevard de l’indépendance ce 5 avril.  Après la prière du vendredi, une véritable marée humaine a déferlé de tous côtés pour rejoindre le point de rencontre. Aux cris des ‘’IBK dégage’’ et ‘’Boubeye démission’’, les manifestants ont exprimé leur mécontentement et leur ras-le-bol à l’encontre du pouvoir. « Nous en avons marre, la situation empire, le pays est dans le gouffre, absolument rien ne va dans le bon sens, nous ne voulons plus de ces personnes qui mettent notre Mali à terre » s’écrie un manifestant qui confie avoir fermé sa boutique pour répondre à l’appel.  Plusieurs autres ayant défié soleil et déshydratation brandissaient des pancartes hostiles au chef de l’État, au Premier ministre mais également aux forces étrangères présentes dans le pays.

Le porte-parole de l’imam Dicko, Issa Kaou Djim a assuré que « ce gouvernement doit partir, et il partira ». « IBK est décrié par le peuple.  Ce peuple sort, si c’est un démocrate, il doit se poser des questions sur sa légitimité » ajoute-t-il. Dans son adresse difficilement audible, notamment à cause d’une mauvaise sonorisation et d’une coupure d’électricité par la suite, le président du Haut conseil islamique a une nouvelle fois pointé du doigt la gouvernance du président IBK, jugée « très mauvaise ». Il a lancé un ultimatum au Premier ministre, à qui il enjoint de démissionner, faute de quoi, la manifestation deviendra hebdomadaire jusqu’à satisfaction.  Injonction accueillie avec une large clameur par les milliers de personnes présentes, obligées de capter différentes stations de radio pour entendre le message de Dicko.

A la fin de l’évènement qui s’est déroulé sans heurts, un groupuscule s’est dirigé vers la propriété du chef du gouvernement. Ce qui a conduit à un affrontement entre le groupe et les forces de défense et de sécurité qui ont fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser le mouvement.

Ballan Diakité : « Ce n’est pas un simple dialogue qu’il faut, mais un débat national »

La semaine dernière, le Président de la République a reçu le chef de file de l’opposition, l’Honorable Soumaila Cissé, son challenger lors des deux dernières présidentielles. Un geste pour décrisper le climat politique. Mais que vaut cette rencontre ? Ballan Diakité, analyste politique au CRAPES, la décode.

Quel sens peut-on donner à cette rencontre ?

Donner un sens à cette rencontre c’est voir si elle peut nous fournir des éléments de réponse à la crise sociopolitique. On a assisté à un simple jeu de langage entre un ainé et son cadet. La rencontre devait réunir un Président de la République et le chef de file de l’opposition. Elle ne répond pas au problème de légitimité du Président IBK, longtemps contesté par Soumaila Cissé. Dire j’ai été reçu par mon ainé, n’est-ce pas une manière de refuser de dire j’ai été reçu par le Président ?  Ce fut un coup de communication politique, car, depuis la dernière élection présidentielle, Ibrahim Boubacar Keita et Soumaila Cissé semblent être en perte de vitesse en termes de la visibilité. L’omniprésence de Soumeylou Boubeye Maiga « efface » IBK. Et Soumaila aussi l’est depuis quelque temps. C’est une manière d’affirmer leur existence aux yeux d’autres acteurs, notamment le Premier ministre et les religieux, qui ne cessent d’influencer le jeu politique.

Que va-t-elle changer ?

Elle ne changera rien. Les enjeux sont ailleurs. Ce n’est pas d’un salon présidentiel qu’on va résoudre les problèmes cruciaux de ce pays, d’un tour de magie. Il faut aller sur le terrain. Il y a une crise de démocratie, les opinions des populations ne sont jamais prises en compte. Il faut leur donner la possibilité de parler, de dire ce qu’elles pensent. Ce qu’il faut, ce n’est pas un simple dialogue, mais un débat national. Que la parole soit donnée à un vendeur de couscous, à un chauffeur de Sotrama, à un chef de village dans un coin reculé. En France, le Président Macron fait un débat national. Pourquoi notre Président ne ferait-il pas de même ? 

IBK prévoit aussi de rencontrer « ses autres frères ». Pourquoi maintenant ?

Parce qu’actuellement ce qui fait débat c’est la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. IBK en est à son deuxième mandat et n’a pas l’ambition d’en briguer  un  autre. Ce qui lui donne  quelque audace pour aller à la rencontre d’autres personnalités.

Est-ce que l’opposition pourrait être intéressée à entrer au gouvernement ?

Je ne saurais répondre. Mais au regard des propos de Soumaila Cissé ou Tiebilé Dramé, ils demandent un dialogue national, une politique de consensus. Cela peut sous-entendre un gouvernement de consensus.

Mody N’Diaye : « Le dialogue doit se faire entre IBK et Soumaila Cissé »

Alors qu’ils devaient s’accorder une relâche jusqu’au mois d’avril, les parlementaires maliens rappelés à l’Hémicycle en session extraordinaire. Le Président du groupe VRD, Mody N’Diaye, se prononce sur cette convocation et sur la possibilité d’un dialogue entre l’opposition et la majorité.

Par un décret, le Président de la République a convoqué l’Assemblée nationale en session extraordinaire jusqu’au 29 décembre. Comment cela est-il perçu ?

Cela fait partie des prérogatives du Président. Nous n’avons donc pas d’observations particulières à faire, c’est constitutionnel.

Certains y voient un passage en force du gouvernement pour la loi d’entente nationale…

Il ne saurait y avoir de passage en force. Dans les affaires qui sont inscrites à l’ordre du jour de cette session extraordinaire, elle figure bien. Dans nos délibérations, nous n’hésiterons pas, en tant que groupe politique responsable, à faire connaitre nos opinions.

Lors de la 9ème conférence nationale de l’URD, le 15 décembre, Soumaila Cissé s’est dit ouvert au dialogue. Pourquoi donc avoir refusé de recevoir le Premier ministre en novembre ?

Après la présidentielle, il y a eu une contestation politique. Aujourd’hui, s’il y a un dialogue à faire, ce doit être entre les deux finalistes de cette présidentielle. Il faut un dialogue franc entre ces protagonistes, un dialogue politique de haut niveau. Si l’idée est de trouver une solution, et c’est dans cette logique qu’IBK a tendu la main, ce ne doit pas être le Premier ministre qui va vers l’opposition. Il ne servira à rien de dialoguer avec quelqu’un qui n’a pas de mandat, qui n’est pas l’acteur principal. Politiquement, cela doit se passer entre Soumaila Cissé et Ibrahim Boubacar Keita.

La contestation de  l’opposition n’est-elle pas un frein au dialogue ?

Quelle que soit la nature de la contestation, et on le dit souvent, même pour régler définitivement une guerre, il faut s’asseoir et dialoguer. C’est de bon ton pour Soumaila Cissé et sa coalition, démocratiquement, de mener ces actions. Lorsque le Président de la République a tendu la main, si cela s’était concrétisé nous ne serions pas dans cette situation. Tant que nous allons rester dans cette posture, les seuls moyens légaux de contester, les marches et les meetings, ne devraient pas poser de problèmes. Au fort de la contestation contre la révision constitutionnelle, des milliers de personnes ont manifesté sans le moindre dégât. Certains nous appellent même des politiciens « trop polis ». Les problèmes ne se créent que lorsque le gouvernement veut interdire les rassemblements. Soumaila Cissé et ses partisans ont toujours dit être ouverts au dialogue, mais il faut que les insuffisances relevées trouvent leur solution. Ceux qui pensent que la situation devrait perdurer ainsi se trompent.