Ilad Ag Mohamed : « Les forces présentes dans l’Azawad se protègent elles-mêmes alors que ce n’est pas l’objectif »

À partir du 20 juillet prochain le MOC sera installé à Kidal et 10 jours plus tard les autorités intérimaires et le gouverneur lui emboîteront le pas. À Bamako, les différentes parties se concertent pour parvenir à concrétiser cet ambitieux chronogramme. Ilad Ag Mohamed, porte-parole de la CMA a répondu aux questions du Journal du Mali sur les négociations et obstacles concernant l’application de ces mesures du processus de paix dans la région.

Où en est-on concernant le retour de l’administration et de l’armée Kidal ?

Dans ces prochains jours, cette semaine, il va y avoir à Bamako une rencontre à laquelle doivent participer les responsables militaires et politiques de la CMA. Cette réunion va permettre de caler le calendrier et déterminer les modalités pratiques de l’opérationnalisation du MOC à Kidal à partir du 20 juillet prochain, car c’est une date butoir. Il y a des travaux techniques à faire avec les ministères, les politiciens, pour pouvoir établir un chronogramme bien détaillé, aussi clair que possible et travailler au retour de l’administration à Kidal à partir du 30 juillet, autre date butoir. J’ajouterai que pour le moment, il n’y a aucun signe pouvant être un facteur bloquant ou de ralentissement sur ces sujets-là, je crois que nous sommes dans une bonne dynamique

Sur le terrain à Kidal est-ce que les travaux du camp 1 et ceux du gouvernorat seront achevés à temps pour accueillir l’administration et le MOC ?

Sur ce plan, les choses sont extrêmement lentes et je sais que ce n’est pas pour demain que l’on va réhabiliter tout ça. Je crois qu’une fois que les parties ont la volonté de faire quelque chose, on pourra trouver les moyens de faire avec ce que l’on a. Si toutes les questions sont réglées et débloquées en dehors des questions logistiques, on aura le moyen d’abriter le MOC en attendant que le camp soit opérationnel. Pour le gouvernorat, ce ne sera pas pour demain parce qu’il est en très mauvais état, mais il n’y aura pas de problèmes a abrité une administration de ce genre. Ce n’est pas ça qui va nous empêcher d’avancer.

Bilal Ag Chérif est actuellement à Bamako, il a rencontré Mohamed Ag Najim, chef d’État-major du MNLA, de la communauté Idnane. Tous deux sont là pour tenter de faire cesser les affrontements récurrents entre le GATIA et la CMA, se dirige-t-on vers une paix entre ces deux mouvements ?

Ce sont des questions qui seront aussi abordées lors de la rencontre dont je vous ai parlé. Le problème c’est qu’il y a des antécédents, je pense qu’on est arrivé à un point ou l’État lui-même ne les contrôle pas suffisamment, la situation est compliquée. Mais je crois qu’une fois que l’État, ses milices et la CMA arriveront à s’asseoir pour élaborer un programme commun, on pourra faire quelque chose. Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra trouver un début de solution pour un retour effectif de l’administration et même pour la mise en œuvre de l’Accord. C’est une question qu’il nous faut régler.

Ce retour de l’administration et de l’armée risque de poser des problèmes sécuritaires à Kidal, comme on a pu le voir avec l’attaque du MOC à Gao, comme comptez-vous gérer cela au niveau sécuritaire ?

Oui en effet, si il y a beaucoup de problème autour de l’installation de ce MOC, c’est parce que nous voulons un maximum de garanti pour éviter tout problèmes. Vous savez l’attentat de Gao a été un choc énorme et l’est encore aujourd’hui. On éprouve des difficultés, à cause de cela, à réunir des soldats, parce que ça a été traumatisant. Dans tous les cas, je crois qu’il faut y faire face, on n’a pas le choix, mais il faut avoir une stratégie, mettre en place le MOC à Kidal mais aussi envisager des ceintures de sécurité pour l’appuyer. En attendant de voir où on va et si l’armée peut faire son retour dans sa dimension générale. Ce sujet fera aussi parti des discussions de la réunion qui aura lieu cette semaine.

Donc le MOC, censé sécuriser devra lui-même être protégé par d’autres forces ?

C’est un problème. Les forces qui sont présentes actuellement dans l’Azawad œuvrent à se protéger elles-mêmes alors que ce n’est pas l’objectif, c’est valable pour tout le monde en réalité, la Minusma comme bientôt pour le MOC. Si une force reste enfermé dans son camp, elle n’a plus de raison d’être en réalité, donc, autant ne pas en former.

Accord de paix : Anniversaire en demi-teinte

L’accord pour la paix et la réconciliation a eu deux ans ce lundi 15 mai. Cet « anniversaire » permet de dresser un bilan du chemin parcouru. Si du côté du gouvernement on reste discret, le bilan est jugé « bon », alors que pour la CMA et la Plateforme, le manque de volonté reste une solide barrière dans sa mise en œuvre.

Ilad Ag Mohamed, porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA)

« Le bilan que nous faisons, c’est d’abord qu’un accord pour la paix a été signé, c’est le point positif. Maintenant dans sa mise en œuvre, il s’illustre par sa lenteur. Malgré cela, on a réussi à mettre en place certaines dispositions importantes, comme les autorités intérimaires et les patrouilles mixtes, même si elles ne connaissent pas une opérationnalisation effective. Il y aussi des dispositions de l’accord dont on ne parle pas encore, comme la question du partage du pouvoir, la représentation des ressortissants de l’Azawad dans les institutions et services de l’État et la question d’une commission d’enquête internationale autre que la CVJR, qui n’est pas indépendante. Il faut aussi une armée nationale reconstituée pour garantir la défense des personnes et de leurs biens. Le Conseil national de réforme de la sécurité, une des commissions les plus importantes mais à laquelle on accorde très peu de valeur, n’a été lancé qu’il y a quelques jours. On fait malheureusement du surplace comme si on n’arrivait pas à faire la différence entre les priorités. Pour résumer, nous pensons qu’il y a une absence de volonté politique et c’est ce qu’il faut pour faire avancer les choses ».
Fahad Al Mahmoud, secrétaire général du Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA)

« Je suis loin de faire un bilan élogieux de la mise en œuvre de l’accord. Cet accord devait être applicable en 3 mois. Après deux ans, les autorités intérimaires ne sont toujours pas tout à fait opérationnelles. Le retard pris est d’abord une question de volonté. Les problèmes qui existent entre la CMA et la Plateforme n’ont pas contribué à l’avancement de l’accord. Il faut tout de même signaler que depuis la signature de l’accord, il n’y a plus d’affrontement entre l’armée malienne et les mouvements signataires. Les gens sont dans la logique de la paix. Par contre, l’accord n’a pas mis fin à la violence et encore moins établi une ligne frontière entre les mouvements signataires et les mouvements terroristes. Certains groupes signataires sont en mission pour les groupes terroristes. Ils considèrent que le temps est leur allié et que tout tombera un jour. On est quand même dans un accord que personne ne voulait à l’origine, ça leur a été imposé. Je ne sais pas si on avancera car, quand les groupes armés parlent de désarmement à la commission DDR, vous avez l’impression qu’ils parlent d’un programme décennal. Les uns et les autres ne sont pas prêts à disparaître ».