Cyril Achcar : « Le tissu industriel au Mali est encore embryonnaire »

Les nombreuses difficultés auxquelles font face nos industries freinent leur développement. Président de l’Organisation Patronale des Industriels (OPI) depuis 2012, Cyril Achcar dresse un bilan peu glorieux du secteur au Mali.

Le Mali dispose de nombreuses potentialités, mais le secteur industriel tarde néanmoins à décoller. Qu’est-ce qui explique ce paradoxe ?

C’est vrai que les richesses du Mali sont immenses, mais notre pays est absent sur le secteur stratégique et très lucratif de la transformation. Pourtant, au lendemain de l’indépendance, l’industrialisation était perçue par nos autorités comme la priorité des priorités au plan économique. On assista alors à la mise en place d’industries publiques de substitution aux importations, qui allaient favoriser un développement inclusif.

Un demi-siècle plus tard,  le développement industriel reste peu perceptible au Mali. Le tissu industriel est encore embryonnaire. Plus grave, il y a eu un recul de l’industrialisation, la part de la manufacture dans le PIB, qui était  de 10% en 2010, a chuté de près de la moitié, s’établissant à 5,9% aujourd’hui.

Avec une telle faiblesse de production, le secteur industriel est incapable d’exploiter les opportunités offertes par les marchés des pays industrialisés, si souvent mis en avant par les pouvoirs publics pour justifier l’injustifiable (notamment les APE, l’AGOA, l’UEMOA, la CEDEAO et ses 300 millions de consommateurs actuels). Les industriels maliens doivent d’abord conquérir leur marché national.

À l’origine de cette faible industrialisation, plusieurs obstacles, aujourd’hui bien identifiés : infrastructures de base déficientes (routes, énergie), main-d’œuvre insuffisamment qualifiée, problèmes de financement (disponibilité et coût), contrebande, concurrence déloyale, fraude, poids de la fiscalité sur le secteur formel, faible protection de la justice.

Malgré ces problèmes réels, le Mali n’a d’autre choix que de poursuivre son industrialisation, car les pays émergents sont justement ceux qui se sont engagés fermement dans cette voie, parce qu’elle demeure la seule qui conduise au développement et à la prospérité partagée.

Vous le répétez souvent : « le développement sans industrialisation est impossible ». Quelle est la situation actuelle au Mali ?

Le taux d’industrialisation du Mali est très bas par rapport à beaucoup de pays de la sous-région UEMOA – CEDEAO et très loin de certains pays comme le Maroc, même si de nombreux efforts sont déployés.

Parmi les problèmes, on peut citer l’insuffisance des capitaux, la concurrence des produits étrangers, le peu de main d’œuvre qualifiée, les problèmes liés au marché intérieur, la vétusté des machines, la disponibilité en matières premières pour certaines de nos usines,  etc…  Notre industrialisation a encore du chemin devant elle !

La problématique énergétique freine de nombreuses unités industrielles. Quelles sont les mesures qui pourraient améliorer cette situation ?

L’électricité pour nos usines est une question à laquelle nous devons répondre, gouvernement comme secteur privé. La société Énergie du Mali (EDM), qui a le monopole de la distribution, est malheureusement en faillite, ce qui fait que la qualité de l’énergie est en deçà des normes pour nos machines. Cette situation engendre énormément de pertes de production.

Les énergies solaire et éolienne sont largement sous exploitées par l’État et le secteur privé. La production d’énergie est pourtant un excellent secteur d’investissement, très peu prisé par le secteur privé. Il va falloir initier des partenariats entre les secteurs public et privé (PPP) et mobiliser des ressources pour investir dans des projets énergétiques et d’infrastructures de transport.

Le Mali accusait un important retard en termes de nombre d’industries. L’écart avec nos voisins s’est-il réduit ?

Les chiffres du dernier recensement industriel (2015), initié par la Direction nationale de l’industrie et financé par le PACEPEP, avance  le chiffre de près de 900 unités industrielles sur l’étendue du territoire national. Une progression qu’il faut saluer, puisque qu’avant on dénombrait moins de 500 unités. Mais ce qu’il est important de signaler, c’est la contribution du secteur industriel au PIB global, notamment celle de la manufacture. Elle est de 5,9%, contre 10% en 2000, date d’entrée en vigueur du TEC / UEMOA, transformé depuis le 1er janvier en TEC / CEDEAO .

Vous plaidez également que des mesures soient adoptées pour une industrialisation efficiente. Cela a-t-il porté fruit ?

La construction d’une économie industrielle s’inspire avant tout de visions et de stratégies, sous la forme d’un document de politique économique et industrielle (Politique de développement industriel avec son plan d’actions détaillé, axé sur la promotion des exportations). Une farouche volonté politique et un leadership éclairé constituent le nœud du problème, surtout au niveau de la mise en œuvre. Nous pensons que la création d’un ministère du Développement industriel est une prise de conscience des enjeux et défis liés à ce secteur vital pour tout pays voulant arpenter le chemin sinueux de l’émergence. Il restera à apprécier les actions sur le terrain.

Le « Made in Mali » est mis en avant dans de nombreux salons. Pour autant, il peine. Doit-il être imposé ?

Absolument. Notre croissance est mathématique, nous, industriels, ne la ressentons pas. Le pays s’est plutôt rétréci, avec l’impossibilité de vendre après la région  de Mopti et les frontières sont de plus en plus poreuses. La contrebande entre facilement surtout vers Nioro et Koutiala.

La croissance est maintenue alors qu’en réalité le PIB stagne grâce à l’appui apporté à l’économie, surtout au secteur agricole. Sans un appui réel à la transformation, cela ne produira pas tous les effets attendus, notamment sur l’emploi et la valeur ajoutée.

La solution est de promouvoir le « Made in MALI » via la commande publique, via le travail de la douane sur les importations, via le travail des impôts pour booster l’investissement. Le Livre blanc de l’OPI est plein de solutions à cet effet.

Relance industrielle : Le Mali sur la bonne voie ?

Tâche essentielle de l’exécutif malien depuis l’adoption d’une politique nationale de développement industriel, la relance du secteur au Mali poursuit son cours. Pour toutes les actions déjà menées et celles à venir, la finalité demeure la même : attirer le maximum d’investissements et aboutir à une plus grande production et une exportation accrue.

  1. C’est le nombre total d’unités industrielles opérationnelles au Mali en 2018, selon les chiffres de la Direction nationale de l’industrie. Même si la progression doit encore s’accentuer, force est de reconnaitre qu’il y a eu des avancées, quand on considère qu’en 2012, on en était à un nombre plus restreint de 525 unités.

Ça se développe À en croire Madame Maïga Mariam Maïga, directrice nationale de l’Industrie, deux plans d’actions ont déjà été établis et évalués dans le suivi de la politique industrielle. « Nous voulons même actualiser cette politique, à la demande des acteurs industriels, pour que nous couvrions d’autres filières comme le coton, l’or ou encore la canne à sucre  qui n’étaient pas pris en compte », explique-t-elle.  D’autres unités industrielles à l’instar de l’usine de thé de Farakoro et le projet sucrier de Markala dont les négociations de partenariat sont en cours, seront aussi de nouveau relancées en termes d’activités productives. « Il y a eu assez d’implantations d’unités industrielles au cours des ces dernières années dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle politique, pour la relance de l’action industrielle. Concrètement, des actions ont été menées et cela se ressent », renchérit Mahamoudou Alassane Touré, directeur général adjoint à la Direction nationale de l’industrie.

Elément clé, non négligeable dans la relance de l’industrie malienne, la création de zones dédiées favorisant l’implantation des unités industrielles, occupe une place de choix dans le plan d’action. La zone industrielle de Koulikoro, dont les travaux sont à un stade avancé, en est un exemple. « Les travaux de voirie sont totalement effectués, l’installation des poteaux d’éclairage est en cours. On enregistre déjà un très grand nombre de réservations des entreprises », se réjouit Abdoulaye Maïga, directeur général de l’Agence pour l’Aménagement et la gestion des zones industrielles.

Cependant, sur le terrain, certaines difficultés persistent au niveau du développement et de la survie même de quelques unités industrielles dans le pays. Malheureusement, comme le confirme une source interne sous couvert d’anonymat à Embalmali, la société spécialisée dans l’emballage serait en liquidation. En revanche, du coté de Koumalim, les rendements sont encourageants et la seule difficulté selon M. Kouma, directeur général adjoint,  « c’est la concurrence déloyale » contre laquelle il appelle l’Etat à prendre des mesures.

Koulikoro : bientôt au cœur de l’industrialisation

Après Bamako, la région de Koulikoro va abriter la prochaine zone industrielle du Mali. Les travaux d’aménagement du site ont été lancés ce matin 

C’est sur un terrain pour l’heure boueux que le ministre des Mines et du Pétrole, le Pr Tiemoko Sangaré a procédé au lancement des travaux d’aménagement de la zone industrielle de Koulikoro. Les plus de 60 hectares de terrain devraient ressembler dans quinze mois (si délai respecté) à un imposant site accueillant plusieurs unités industrielles. « Nous avons dépassé nos espérances, au départ, c’était 60 hectares, mais avec la forte demande, nous en avons demandé plus pour contenter et nous avons eu une réponse positive », s’enthousiasme Abdoulaye Maiga, directeur de l’agence d’aménagement et de gestion des zones industrielles (AZI). Situé à deux kilomètres de la ville de Koulikoro, le site industriel sera viabilisé par des aménagements portant sur l’électrification et le réseau téléphonique, entre autres. Autant de projets qui profiteront à la population de la deuxième région du Mali. Population qui n’a d’ailleurs pas boudée son plaisir lors de la cérémonie de lancement des travaux. « L’avenir appartient à l’industrie, c’est un vecteur indispensable pour l’émergence d’une zone, cette zone industrielle replacera notre région parmi les plus grandes », s’est réjoui Ely Diarra le maire de la commune urbaine de Koulikoro.

Le désolant spectacle de l’usine de l’huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA) autrefois fierté de la région et aujourd’hui à l’abandon ne devrait être qu’un mauvais souvenir pour les habitants de la Cité du Meguetan. 1000 emplois sont déjà assurés d’être créé par l’implantation de la firme pharmaceutique Tobinco. « Le Mali est un pays de possibilité, nous l’avons constaté lors du forum Invest in Mali, c’est ‘’The Place to Be’’et c’est pour cela que nous sommes là », justifie le Ghanéen Samuel Amo Tobbin, PDG de la firme qui va investir plus de 16 milliards de FCFA pour la construction de son usine. Le maire Diarra espère 10.000 à 15.000 emplois directs dès la fin des travaux. De quoi retenir une jeunesse qui déserte la région pour chercher meilleure fortune ailleurs, le plus souvent en Europe, en tentant une périlleuse traversée de la Méditerranée. La région qui dispose d’un important potentiel agricole et minier et d’une proximité avec la capitale, est très peu exploitée selon ministre du Développement Industriel, Mohamed Aly Ag Ibrahim. « Par la mise à disposition de ce site aux normes internationales, Koulikoro va renouer avec sa vocation industrielle », affirme-t-il. 

Pour une industrie de la culture

Marginalisée, la culture est l’un des portefeuilles ministériels les plus pauvres en termes de budget. Pourtant, la renommée du Mali est aussi due à sa grande richesse en la matière.

0,37 %, c’est ce que représente sur le total le budget alloué à la culture au Mali. Un chiffre très mince, compte tenu de la grande richesse culturelle du pays. Au département dédié, dirigé par Mme N’Diaye Ramatoulaye Diallo, on espère que ce chiffre atteindra 1 %. « Ensuite nous verrons avec les acteurs culturels comment  convaincre que ces 1 % sont mérités. Il y a une campagne de plaidoyer actuellement auprès de l’Assemblée nationale et du gouvernement afin de voir comment augmenter ce budget ».

L’une des solutions serait d’industrialiser le secteur, ce qui permettrait aux Maliens et aux étrangers d’en apprendre davantage sur le patrimoine culturel du pays. En plus, « cela peut réduire le taux de chômage », atteste El Hadj Djitteye, activiste culturel et chercheur sur l’héritage culturel du Mali, en particulier sur le patrimoine de Tombouctou. De plus, mettre sur pied une vraie industrie culturelle permettrait aux régions du nord – où le tourisme est en berne depuis 2012 – de « développer la vente en ligne des produits artisanaux. Cela peut développer le secteur et permettre aux artisans de vivre de leur art », déclare-t-il.

L’aspect économique a une grande importance, puisque les retombées peuvent générer des revenus, en plus de la visibilité, pour un secteur souvent qualifié de « parent pauvre ». Parler d’industrialisation de la culture a donc du sens. Au ministère, on soutient « elle est nécessaire. Notre premier effort a été de doter le Fonds du cinéma d’un budget de 6 milliards sur 3 ans, de voir l’impact que cela peut avoir sur l’industrie cinématographique et de l’étendre aux autres secteurs de la culture ».

D’ailleurs, le cinéaste Souleymane Cissé, lors de son intervention au forum Invest in Mali, a évoque ce sujet. « Il n’y aura jamais de développement sans culture. Il est temps que le Mali fasse de l’industrie culturelle sa force. Cela est indispensable à notre survie ». Quant à El Hadj Djitteye, il estime que la « créativité doit être au cœur des débats politiques et le gouvernement doit accompagner les initiatives culturelles pour un Mali meilleur ».

« Les sites classés au Patrimoine mondial ne sont pas assez valorisés », regrette le chercheur, qui pense que les Maliens ne mesurent pas assez l’importance de leur héritage culturel, ce qui explique que le gouvernement « oublie » le secteur. « Il faut que les pouvoirs publics prennent en main la culture. C’est une ressource certaine. Investir dans la culture, c’est investir dans l’avenir », conclut-on au ministère.