Kenya: des islamistes font au moins 30 morts dans l’attaque d’un centre commercial

Un commando d’islamistes somaliens shebab a pris d’assaut samedi un centre commercial de luxe à  Nairobi, tuant au moins 30 personnes parmi la foule des riches clients kényans et expatriés. Une dizaine d’assaillants masqués, selon des sources policières, ont fait irruption à  la mi-journée dans le centre commercial bondé à  cette heure du « Westgate Mall », semant la mort et le chaos parmi les familles en train de faire leurs courses et les badauds attablés aux terrasses de cafés. Ils ont ouvert le feu à  l’arme automatique et à  la grenade sur la foule cosmopolite -Africains, Indiens et Occidentaux- des clients et les employés du centre, un imposant bâtiment rectangulaire de quatre étages, l’un des lieux de promenade préféré des classes aisées de Nairobi. Les shebab somaliens, liés à  Al-Qaà¯da, ont revendiqué l’attaque en fin de journée, alors que les affrontements se poursuivaient encore au Westgate entre forces de sécurité et assaillants retranchés dans l’un des étages. « Les moujahidines ont pénétré aujourd’hui vers midi dans Westgate. Ils ont tué plus de 100 infidèles kényans et la bataille se poursuit », ont affirmé les islamistes sur leur compte twitter, une revendication ensuite confirmée dans un communiqué. « Nous vous avions prévenu » Ils ont justifié l’attentat comme des représailles à  l’intervention de l’armée kényane depuis deux ans dans le sud de la Somalie contre le groupe islamiste, rappelant avoir « prévenu le Kenya à  de l’attentat le plus meurtrier nombreuses reprises ». « Ce que les Kényans voient à  Westgate, c’est de la justice punitive pour les crimes commis par leurs soldats » en Somalie « contre les musulmans », ont-ils écrit. « Le message que nous envoyons au gouvernement et à  la population kényane est et sera toujours le même: retirez toutes vos forces de notre pays », ajoutent les shebab. L’armée kényane était entrée en Somalie en 2011 et se maintient depuis dans le sud du pays, dans le cadre d’une force africaine soutenant le gouvernement somalien qui a infligé de nombreuses défaites aux islamistes. L’attaque de ce samedi pourrait être l’attentat le plus meurtrier dans la capitale kényane depuis une attaque-suicide d’al-Qaà¯da en août 1998 contre l’ambassade américaine de Nairobi, qui avait fait plus de 200 morts. Selon un témoin, les assaillants, parlant l’arabe ou le somali, ont « exécuté » des clients.

Après l’offensive jihadiste, Dioncounda Traoré demande une aide militaire à la France

Le président malien par intérim, Dioncounda Traoré, après avoir officiellement sollicité une aide militaire de la France pour contrer l’offensive jihadiste, doit s’adresser à  la nation, dans la soirée du vendredi 11 janvier, à  la télévision nationale. Sur le terrain, des renforts sont venus grossir les rangs de l’armée malienne à  Sévaré. Le geste en dit long sur l’urgence de la situation au Mali. Quelques heures à  peine après la chute de Konna aux mains des islamistes radicaux, le président malien par intérim Dioncounda Traoré a demandé, jeudi 10 janvier, une aide militaire rapide de la France pour repousser la progressions des groupes jihadistes. Jeudi soir, des consultations sur le Mali ont eu lieu au Conseil de sécurité. « Les décisions françaises seront annoncées à  Paris demain (vendredi, NDLR) », a déclaré l’ambassadeur français auprès de l’ONU Gérard Araud. La demande d’aide malienne est contenue dans deux lettres. L’une est adressée au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, et l’autre au président français François Hollande. Selon des diplomates du Conseil de sécurité, la lettre adressée aux autorités françaises est une « demande d’aide militaire ». « La France est l’amie du Mali et se tient aux côtés de son peuple et de ses autorités, en particulier dans les circonstances actuelles », s’est contenté de souligner Gérard Araud. De son côté, le gouvernement malien a annoncé que le président Traoré s’adressera vendredi à  la Nation. Selon une source au palais de Koulouba, cette intervention, diffusée à  la télévision publique ORTM, est prévue à  20h00 GMT. Dans une déclaration adoptée jeudi par ses 15 pays membres, le Conseil de sécurité a demandé un « déploiement rapide » de la force internationale au Mali devant « la grave détérioration de la situation sur le terrain ». Il a en outre appelé les à‰tats membres à  « aider les forces de défense et de sécurité maliennes à  réduire la menace représentée par les organisations terroristes et les groupes affiliés » qui contrôlent le nord du pays. Urgence « Pour le moment, le Conseil a envoyé un message pour dissuader les terroristes d’avancer vers le sud du Mali, en direction de la capitale Bamako », a déclaré M. Araud, qualifiant cette offensive des groupes islamistes d’attaque terroriste. « Si ce message n’est pas entendu, a-t-il ajouté, le Conseil pourrait se réunir de nouveau ce week-end pour réagir plus fermement. La survie du gouvernement malien et la protection des civils sont désormais en jeu, il est donc urgent d’agir contre cette menace ». Pour l’ambassadeur français, la percée des islamistes, qui ont pris jeudi la localité de Konna (centre), peut être interprétée comme « soit une démonstration de force dans le cadre de la négociation politique, soit une décision d’avancer vers le Sud avant l’arrivée de la force africaine ». Le déploiement de cette force de quelque 3 000 hommes a été autorisée par le Conseil de sécurité le 20 décembre prendra dans les faits plusieurs semaines, voire plusieurs mois. L’ambassadrice américaine Susan Rice a également indiqué que Bamako avait demandé un soutien extérieur, en particulier de la part de la France. Décrivant la lettre du président Traoré à  François Hollande, elle a expliqué : « Elle disait en résumé : « au secours la France » ! ». « Il y a eu au sein du Conseil un consensus clair sur la gravité de la situation et le droit des autorités maliennes de rechercher toute l’assistance possible », a-t-elle ajouté. Renforts Par ailleurs, l’armée malienne organise la résistance dans la région de Mopti. Jeudi, des avions militaires transportant des armes et des soldats étrangers sont arrivés à  Sévaré, o๠l’armée dispose d’un aéroport gros porteur et d’un poste de commandement opérationnel. Aucune indication précise n’a toutefois pu être obtenue sur le nombre et la provenance de ces avions, armes et soldats étrangers. Un des témoins travaillant à  l’aéroport a évoqué la présence de Blancs parmi les soldats. « J’ai vu atterrir des cargos C-160 (avions de transport militaire, NDLR). Ils ont débarqué des armes et des hommes. Certains hommes avaient la peau blanche », a affirmé ce travailleur de l’aéroport de Sévaré (plus de 650 km au nord de Bamako). « Les avions ont fait plusieurs rotations à  l’aéroport de Sévaré o๠ils ont déposé du matériel et des hommes », a expliqué un autre travailleur de l’aéroport. Un troisième témoin a signalé la présence, parmi les avions arrivés jeudi, d’un appareil de l’armée malienne, sans en préciser le type. Sollicité par l’AFP au sujet de ces informations, le ministère malien de la Défense a répondu qu’il apporterait les éclaircissements nécessaires lors d’une conférence de presse prévue vendredi. L’arrivée d’hommes et d’avions à  Sévaré a été confirmée par un responsable malien. Selon lui, en plus de l’avion de l’armée malienne, évoqué par un des témoins, des avions d’un pays européen non précisé se sont également posés avec des hommes et du matériel à  Sévaré. D’après un expert international, il s’agit d’une mission d’assistance qui était prévue avant les récents affrontements entre militaires et islamistes. (Avec AFP)

Au Mali, des islamistes largement soutenus

Un processus de légalité internationale est désormais enclenché et l’on attend que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) donne corps à  celle-ci pour enfin « chasser les bandits armés ». Cette expression fait l’unanimité à  Bamako. Tout le monde semble déterminé à  chasser les « bandits armés », sans pourtant qu’aucun acte n’ait accompagné ces déclarations, jusqu’à  ce que le chef de l’Etat demande, le 1er septembre, le secours de la Cédéao. Décision importante car elle internationalise le conflit. Pourtant, cette décision est malencontreuse, comme toutes les interventions extérieures jusqu’à  présent. La Cedeao a été maladroite vis-à -vis du capitaine Sanogo ; elle l’a installé durablement dans sa caserne de Kati, qui domine Bamako. La Cédéao a été mal inspirée en imposant un premier ministre inexpérimenté, dont le seul atout était d’appartenir à  la famille de l’ancien dictateur Moussa Traoré et de pouvoir compter sur l’équipe de ce dernier. La Cédéao a mal choisi le médiateur, le président Compaoré, dont la situation politique est fragile dans son propre pays, le Burkina Faso. Ce médiateur lui-même a commis de lourdes erreurs, en imposant l’un de ses conseillers comme ministre des affaires étrangères du Mali, ou en lançant des discussions avec des groupes rebelles sans y associer les autorités maliennes. Le fait que l’Union africaine apporte son soutien, que les Nations unies se disent prêtes à  donner prochainement leur feu vert à  une intervention, que la France et les Etats-Unis promettent un appui logistique, tout cela ne fait que rendre plus probable une intervention vouée à  l’échec, et accroà®tre la mise sous tutelle du Mali. Cette décision est malencontreuse également parce qu’une intervention armée classique n’obtiendra aucun résultat contre des djihadistes, salafistes et indépendantistes financés par des trafics en tout genre et se défendant sur leur propre terrain. Il faudrait tenir compte de la détermination des « bandits armés » : qu’ils soient bien payés ou pas, qu’ils soient endoctrinés ou pas, ils sont animés par une envie de domination territoriale et d’élimination de toute influence occidentale, prêts à  mourir pour la cause qu’ils servent. Il est clair qu’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ne s’est pas fixé au nord du Mali pour négocier l’application de la charia : les djihadistes se sont offert un sanctuaire d’o๠il sera possible d’entreprendre des actions de plus en plus loin. Les maux qui ont conduit le Mali à  la ruine sont présents dans les pays voisins. Il faudrait également envisager la complexité des alliances qui ont permis aux « bandits armés » d’occuper tout le nord du Mali. Il est sûr qu’AQMI a su tirer les marrons du feu, mais il n’est pas sûr que ceux qui ont bénéficié de son appui lui soient dévoués. Il se pourrait aussi que le soutien populaire aux islamistes soit plus profond qu’on ne l’imagine. On crie « chassons les bandits armés » au Sud, mais on est de moins en moins prêt à  vivre dans le même pays que les populations du Nord, contre lesquelles des violences ont été organisées en février. On crie « chassons les bandits armés » sans voir qu’au Nord, en dépit de ses excès destinés à  terroriser la population, l’application de la charia est ressentie comme la réintroduction d’une forme de justice que l’Etat n’assurait plus. Et au Sud, on crie « chassons les bandits armés », mais on discute à  Bamako même, au sein du Haut Conseil islamique, o๠s’est constitué un puissant parti wahhabite, des conditions raisonnables de l’application de la charia. Ce n’est donc pas au Nord seulement que la religion a un bras politique. Au Sud, l’ismalisme peut mobiliser 50 000 personnes contre un code de la famille qu’il juge trop éloigné de la charia et prendre la tête de la commission électorale indépendante dans la foulée. Si on en est là , c’est que l’Etat s’est montré si obstinément prédateur que la population ne le supportait plus, et ceci aussi bien au Sud qu’au Nord. Si on en est là , c’est que les dirigeants politiques, tous partis confondus, depuis quarante ans, se sont réparti les prébendes au lieu de faire face aux besoins de leurs concitoyens. L’irruption sur la scène politique d’un capitaine inconnu, auréolé du mérite d’avoir chassé un chef d’Etat dont toute la carrière avait été fondée sur le mépris des partis et des débats politiques, a paralysé la classe politique et intellectuelle malienne. A part quelques vedettes médiatiques capables de croire qu’un jeune officier serait mieux à  même d’établir un régime favorable au peuple, le personnel politique a été muet pendant de longs mois. Les militaires ont d’ailleurs fait ce qu’il fallait, en allant cueillir à  leur domicile certains dirigeants bien connus, pour les tabasser et les garder quelque temps dans les geôles de la caserne de Kati. Voilà  pourquoi, dans ce pays, personne ne dispose plus de la moindre autorité légitime. Au-delà  des aigreurs qu’expriment la presse et certaines organisations pro-putchistes sur le fait que la Cédéao, la France, les Etats-Unis bafouent la souveraineté du Mali, il faut admettre que personne ne dispose dans ce pays d’une autorité légitime capable de prendre les décisions de stratégie militaire et politique qui s’imposent et qui se présenteront pendant toute la période de guerre. Personne, sauf peut-être les religieux. L’urgence n’est pas dans une intervention mal préparée dans la zone conquise par les islamistes. L’urgence est dans la reconstitution au Sud d’un Etat reposant sur une légitimité populaire. Sera-t-il laà¯que ? Sera-t-il islamique ? Nous n’en saurons rien tant qu’un peu d’ordre n’aura pas été rétabli depuis Bamako. Ceci suppose que les Maliens s’interrogent sur l’effondrement brutal d’un Etat que, depuis des années, savaient très faible, et qui n’est que l’ultime manifestation de la disparition d’une nation ruinée par une distribution des revenus au profit de la bourgeoisie politico-administrative et de quelques grands spéculateurs. Rares sont les personnes disposant encore de l’autorité morale qui leur permettrait de jouer un rôle dans une conférence nationale en jetant les bases de nouvelles institutions et de règles de désignation des dirigeants. Il y en a pourtant quelques-unes, bien silencieuses. Elles devraient prendre une initiative. Boubou Cissé, économiste à  la Banque mondiale ; Joseph Brunet-Jailly, économiste ; Gilles Holder, anthropologue (CNRS)