Victimes de disparition forcée : au moins une centaine de personnes au Mali

Du 1er janvier jusqu’à la date du 30 août 2022, au moins une centaine de personnes au Mali sont arrachées à l’affection de leurs proches qui attendent des nouvelles d’eux. Une journée internationale est consacrée aux victimes de disparition forcée et célébrée dans le monde chaque 30 août.

Proclamée par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre 2010, le monde célèbre le 30 août de chaque année la Journée internationale des victimes de disparition forcée. Un phénomène qui ne cesse de se multiplier à travers la planète. Au Mali, difficile aujourd’hui d’avoir des chiffres exacts. Selon, Ornella Moderan, Spécialiste des questions sécuritaires et Directrice de programmes de recherche pour le Sahel de l’Institut d’études de sécurité qui ont mené une étude sur la question, il y aurait une centaine de personnes victimes de disparition forcée au Mali. Les profils sont variés, ils incluent des administrateurs civils, des journalistes ou encore des leaders d’opinion locaux. Les humanitaires sont aussi des cibles dans des zones où ils ont généralement des contacts privilégiés avec les populations. Ces enlèvements sont très souvent du fait de groupes armés, terroristes pour la plupart qui les utilisent comme moyen de pression pour obtenir une rançon ou la libération de certains des leurs en échange. Selon la spécialiste Ornealla Moderan, en dépit des actions entreprises, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. Plusieurs personnes restent encore détenues aussi bien des professionnels de médias tels nos confrères Olivier Dubois, Hamadoun Nialibouly et Moussa Dicko que des personnalités locales et des représentants de l’administration.

Le coût des mesures de lutte contre le terrorisme pour les populations civiles dans la région du Liptako Gourma

Les populations se perçoivent doublement victimes, prises en tenailles entre les groupes extrémistes violents et les mesures restrictives des États.

 

Les États du Liptako-Gourma, espace regroupant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, ont instauré dans plusieurs parties de leurs territoires des mesures restrictives de mobilité pour endiguer la menace terroriste.

Depuis le 31 décembre 2018, le gouvernement du Burkina Faso a instauré l’état d’urgence dans sept de ses 13 régionsface à l’augmentation des attaques attribuées à des groupes extrémistes violents. Dans tous les pays du Liptako-Gourma, l’état d’urgence a permis aux autorités d’adopter des mesures spéciales notamment sur le plan sécuritaire telles que les restrictions de déplacement, l’interdiction de circulation des motos ou pick-up ou encore la fermeture de certains lieux comme les marchés ou les foires hebdomadaires dans les zones touchées.

Les autorités soutiennent que les groupes extrémistes violents utilisent les motos pour commettre des attaques, ainsi que les marchés, notamment les marchés hebdomadaires, pour s’approvisionner en nourriture. Elles soupçonnent également que les groupes dégagent des bénéfices des trafics illicites, tels que la contrebande de carburant, pour financer leurs activités.

Dans le Centre du Mali, la décision prise par le chef d’état-major de l’armée, le 1er février 2018, d’interdire l’utilisation des motos et pick-up dans de nombreuses localités, a suscité des réactions mitigées. Alors que les autorités sont convaincues qu’elles ont permis de réduire significativement le nombre des attaques, particulièrement celles perpétrées par des individus armés à moto, les populations se plaignent des conséquences de ces mesures.

Malgré les restrictions, la menace terroriste persiste et s’est étendue à d’autres parties du Liptako-Gourma

Si celles-ci visent à mettre un terme aux attaques terroristes, elles privent les communautés d’une grande partie de leurs moyens de subsistance et augmentent ainsi leur vulnérabilité.

Entre juin et septembre 2018, l’Institut d’études de sécurité (ISS) a mené des entretiens dans plusieurs localités du Liptako-Gourma pour comprendre les implications des mesures de lutte contre le terrorisme. Les résultats montrent que l’interdiction des motos et pick-up ont une incidence négative sur la circulation des personnes et des marchandises dans les zones périphériques dépendantes de ces moyens de transport.

Dans certaines localités, les restrictions à l’utilisation des véhicules ont entraîné une augmentation des coûts du transport et  des marchandises. Dans le cercle de Ténenkou, dans la région de Mopti, au Mali, le prix d’un kilogramme de poisson fumé est passé de 1 250 francs CFA (2,15 dollars US) à 2 250 francs CFA (3,87 dollars US).

L’approvisionnement des marchés est affecté par les difficultés de transport des producteurs de villages voisins tels que Nouh Bozo et Sènè Bambara. Cette situation accroît le risque d’insécurité alimentaire dans la région. La perturbation des chaînes d’approvisionnement réduit également les moyens de subsistance des agriculteurs qui ne parviennent pas à écouler leurs produits sur les marchés des centres urbains.

Dans la région de Diffa, au sud-est du Niger, où Boko Haram est actif, il est interdit de circuler et les marchés sont fermés depuis 2015. Ces mesures ont, ensuite, été étendues à la région de Tillabéri après de nombreuses attaques terroristes imputées à des personnes armées se déplaçant à motos.

Les restrictions imposées à l’utilisation de certains véhicules ont entraîné une hausse des prix du transport et des marchandises

À Tillabéri, les motos sont utilisées pour les évacuations sanitaires et l’approvisionnement en médicaments. Les mesures de sécurité restrictives ont dissuadé certains agents de santé de se rendre dans les zones où l’état d’urgence avait été décrété. Cette situation a entravé le fonctionnement des centres de santé intégrés ou des cases de santé, qui constituent les structures de base pour la prise en charge sanitaire dans la région.

Pour la plupart des personnes interrogées, les mesures prises n’ont pas permis de mettre fin aux attaques terroristes et ont eu un impact notamment sur le plan socioéconomique. Elles dénoncent également le fait que les actions ont été menées sans consulter les populations locales pour s’assurer de leur efficacité et de leur applicabilité dans des contextes spécifiques.

Dans plusieurs localités de la province du Soum (Burkina Faso), limitrophe de la région de Mopti (Mali) où des mesures d’interdiction de circulation sont en vigueur depuis mars 2017, les tendances ne permettent pas d’affirmer que les mesures ont été efficaces.

Immédiatement après la mise en œuvre des restrictions, le nombre d’attaques a diminué puis de nouveau augmenté. Ainsi, malgré les restrictions et l’interdiction de circulation, l’insécurité liée à la menace terroriste persiste et s’est même étendue à d’autres zones de la région du Liptako-Gourma.

La figure ci-dessous illustre l’évolution des attaques avant et après l’instauration des mesures restrictives dans la province du Soum.

L’impact économique de la fermeture des marchés hebdomadaires est sans équivoque. Outre la perte de revenus pour les commerçants, les marchés occupent une place centrale dans la vie des populations et représentent d’importants espaces d’échanges sociaux, politiques et culturels. Ils contribuent ainsi à renforcer la cohésion sociale dans les zones secouées par des tensions intercommunautaires.

Les restrictions n’ont pas seulement privé les personnes de leurs moyens de subsistance et de l’accès aux services sociaux de base. Elles ont pu aussi accroître leur vulnérabilité à l’extrémisme violent, les groupes exploitant notamment cette situation pour attirer les jeunes.

Les mesures restrictives de lutte contre le terrorisme rendent difficile l’instauration d’un climat de confiance entre le gouvernement et les citoyens

Bien que les autorités considèrent les mesures restrictives comme efficaces et décisives dans la lutte contre l’extrémisme violent dans le Liptako-Gourma, les populations locales manifestent leur frustration et leur désapprobation. Elles se considèrent comme des victimes prises en tenailles, entre les groupes extrémistes violents et les réponses du gouvernement. Les États de la région doivent remédier aux lacunes associées à ces actions de lutte contre le terrorisme et améliorer la communication avec les communautés locales lors de leur mise en œuvre.

Les restrictions devraient être progressivement assouplies lorsque la situation sécuritaire le permet. Elles pourraient aussi être accompagnées d’autres efforts en matière de fourniture des services sociaux de base, notamment l’accès à l’alimentation et aux soins de santé. En offrant ces services, les forces de sécurité et de défense pourraient jouer un rôle social et compenser le manque de personnel de l’État et d’organisations humanitaires dans ces zones.

Les mesures restrictives de lutte contre le terrorisme peuvent être contre-productives si elles rendent difficile l’établissement d’une relation de confiance entre le gouvernement et les citoyens. Pour prévenir et combattre l’extrémisme violent, les États du Liptako-Gourma doivent élaborer des stratégies fondées sur la communication et l’implication des communautés. Cela renforcera les relations entre l’État et les citoyens ainsi que la résilience des communautés face à l’extrémisme violent.

                          

Cet article a d’abord été publié sur le site de l’Institut d’études de sécurité (ISS)

 

La paix dans le centre du Mali passera par le règlement des conflits locaux

Rétablir l’autorité de l’État seul ne suffit pas pour stabiliser les régions du centre du Mali – les griefs et les droits des populations locales doivent aussi être pris en compte.

 

Le 15 octobre, 11 civils ont été tués par des assaillants venus à moto à Telly, dans le cercle de Tenenkou dans la région de Mopti. Cette attaque est intervenue deux jours après la visite du Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, venu y “affirmer le retour de l’État” dans la région.

La hausse des violences depuis 2012 a entraîné le retrait de certains agents de l’État (tels que les administrateurs locaux et les juges) de la région. L’instabilité s’est accrue et les milices communautaires  d’autodéfense- notamment les chasseurs traditionnels dogons et bambaras – ont gagné de l’ampleur.

Depuis 2016, plus de 12 000 personnes ont été déplacées287 civils tués, 67 kidnappés et 685 écoles fermées dans le centre du Mali, en particulier la région de Mopti. La recrudescence des conflits intercommunautaires entre les éleveurs peuls et les agriculteurs dogon et bambara, les conflits communautaires internes à la communauté peule et les attaques de groupes extrémistes violents ont tous contribué à l’instabilité croissante.

Les dynamiques conflictuelles dans le centre plongent leurs racines dans les sécheresses successives et les politiques développementalistes promues par l’État

 

Les dynamiques conflictuelles dans cette région sont multidimensionnelles, plongeant leurs racines dans les sécheresses successives et les politiques développementalistes promues par l’État. Les facteurs structurels, liés au bouleversement de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche à la suite de la sécheresse des années 1970 et 1980, ont déstabilisé les systèmes de production, socles sur lesquels reposent les rapports socio-économiques entre les différentes communautés.

La plupart des conflits se situent dans le delta central du fleuve Niger, dans les localités telles que Djenné, Mopti, Tenenkou et Youwarou et dans le plateau Dogon, où les ressources agro-pastorales sont au cœur de l’économie. La pression sur les terres agricoles, due à la combinaison de facteurs climatiques et à l’accent mis sur l’agriculture soutenue par l’État et les partenaires internationaux du Mali, a affecté les éleveurs, souvent issus de la communauté peule, faisant de l’accès à la terre une source de tension.

Les conflits entre les éleveurs du Delta et les agriculteurs du plateau Dogon portent notamment sur l’occupation des couloirs de passage des animaux par des agriculteurs et sur des désaccords au sujet des calendriers agricoles et de transhumance, c’est-à-dire le mouvement saisonnier du bétail pour le pâturage. En 2012, des chasseurs prétendant appartenir à la communauté Dogon ont tué plus de 20 personnes de la communauté peul, incendié 350 hameaux et emmené du bétail à la suite d’un conflit autour d’un corridor réservé aux animaux entre Koro et la frontière avec le Burkina Faso.

Auparavant, ces conflits étaient pour la plupart réglés par le biais de mécanismes communautaires, y compris les autorités traditionnelles. Ces mécanismes sont maintenant dysfonctionnels à la suite des compromissions des autorités traditionnelles— tels que les Dioros (gestionnaires de pâturages) — avec l’administration. Ces conflits deviennent également de plus en plus complexes et sont exploités à la fois par les milices et les groupes extrémistes violents.

Les groupes extrémistes violents exploitent le mécontentement des communautés vis-à-vis des acteurs étatiques

Lorsque des groupes extrémistes ont occupé la partie nord de la région de Mopti en 2012, les armes sont devenues plus accessibles aux communautés belligérantes et la violence dans la région a augmenté. Ces groupes exploitent le mécontentement des communautés vis-à-vis des acteurs étatiques tels que les juges, les gendarmes et les agents des eaux et forêts, accusés de corruption.

Les tentatives visant à apaiser les tensions entre les communautés au centre du Mali remontent à 2016. La Mission gouvernementale d’appui à la réconciliation nationale, installée en avril 2017, s’est rendue dans les localités du plateau Dogon et du Delta central pour rencontrer les communautés.

La médiation par des organisations non gouvernementales, dont certaines mandatées par le gouvernement, a abouti à un accord de cessez-le-feu unilatéral début juillet 2018. Mais il n’a pas fait l’unanimité au sein de la milice Dogon, Dana Amassagou, qui est également traversée par des clivages. En conséquence, le conflit entre les milices dogon et les Peuls dans la région s’est poursuivi.

Le 28 août 2018, 34 chefs traditionnels des villages peul et dogon ont signé un accord de paix intercommunautaire à Sévaré pour mettre fin au conflit qui les opposait. Mais, l’enthousiasme du gouvernement et des ONG engagés dans la médiation trouve difficilement des relais sur le terrain où la violence continue.

Les mécanismes traditionnels de résolution des conflits sont dysfonctionnels à cause des compromissions des autorités traditionnelles avec l’administration

L’accord met en évidence les nombreux écueils des différents processus de paix au Mali au cours des dernières années. Premièrement, il met en scène le problème de l’incapacité des signataires, en l’occurrence les chefs de village, à influencer le processus de paix sur le terrain.

Deuxièmement, bien que le processus ait bénéficié du soutien de l’association culturelle dogon, Ginna Dogon, et de Dana Amassagou après la reddition de son chef d’état-major, Youssouf Toloba, il n’inclut pas les milices à prédominance peule. Troisièmement, l’association culturelle peule, Tabital Pulaaku, a dénoncé l’accord. Elle estime que Toloba et ses complices devraient être jugés par la Cour pénale internationale.

Le gouvernement cherche à intégrer certaines milices dans le cadre d’un processus de désarmement, démobilisation et réintégration, qui ne laisse pas beaucoup de marge aux victimes en quête de justice et réconciliation. Cette situation entrave le processus de paix.

La paix au Mali nécessite de passer de l’approche étroite actuelle des dialogues entre État et groupes armés à un dialogue national plus large et plus inclusif. Cela permettrait de jeter les bases d’un accord sur des principes communs pour un nouveau contrat social entre l’État et la société.

Les débats actuels sur le retour de l’État doivent inclure le type d’État auquel les populations maliennes peuvent s’identifier et accepter, et qui accorderait davantage de respect à leurs droits.

Boubacar Sangaré, Chercheur boursier, ISS Bamako

 

Cet article a d’abord été publié sur le site de l’Institut d’études de sécurité (ISS)