Michel Sidibé : « Nous n’excluons pas de tester certaines plantes traditionnelles sur des cellules infectées par le Coronavirus »

Le Covid-organics, « remède » contre le coronavirus à base d’Artemisia développé par Madagascar fait beaucoup parler et pourrait bientôt faire des émules. Notamment au Mali, où le ministre de la Santé et des Affaires sociales Michel Hamala Sidibé affirme ne pas exclure l’option de recourir à des plantes traditionnelles contre le coronavirus dans cet entretien exclusif qu’il nous a accordé.  

 

Le Mali a enregistré ses deux premiers cas positifs au Covid19 le 25 mars, moins d’un mois après, le nombre de cas a explosé, une situation forcément inquiétante.

 

Vous faites bien de le mentionner mais je ne pense pas que l’on puisse parler d’explosion de cas mais plutôt d’une augmentation de cas qui s’explique par le fait que la contamination qui était- au départ- importée, est devenue communautaire.  Comme vous le savez déjà, les premiers cas dans la sous-région sont survenus plus tôt. Il a fallu des semaines après pour que le Mali enregistre ses premiers cas, cela grâce à notre sens d’anticipation et à nos multiples mesures de prévention. Pour rappel, nous avons eu une réunion avec les ministres de la santé de la CEDEAO sur la préparation et la réponse à la maladie à Coronavirus il y a deux mois à Bamako, et cela bien avant d’enregistrer les premiers cas de COVID-19 en Afrique de l’Ouest. Cette rencontre nous a permis de renforcer la coordination, la communication et la collaboration transfrontalière entre les Etats membres et aussi d’améliorer les mesures de surveillance aux points d’entrée par voie aérienne, terrestre et maritime.

 

Notre taux de décès paraît élevé en comparaison avec ceux des voisins, comment l’expliquer ?

 

A voir de près, nous n’avons pas un taux de décès élevé comparativement à d’autres pays voisins comme vous le mentionnez.  Le nombre de décès au Mali comprend les cas survenus dans les centres de prise en charge et ceux constatés à l’arrivée et dont nous avons quand même fait le test post mortem pour édifier les familles et identifier les personnes-contact. Ceci a l’avantage de pouvoir cerner les foyers de contamination et interrompre le cas échéant la chaîne de transmission. Tout cela dénote de notre sens de la transparence concernant la gestion de l’épidémie.

 

Parmi les décès constatés, certains l’ont été à domicile avant leur arrivée dans les centres de santé compétents, à quoi cela peut-il être dû ?

 

Les décès survenus à domicile peuvent s’expliquer par la présence de comorbidités qui constituent généralement les premières causes de décès surtout chez les personnes âgées. Pour ce qui est du Mali, il est difficile d’affirmer que le COVID-19 ait causé le décès chez ces personnes en l’absence d’une autopsie. Mais il peut être un accélérateur de décès chez ces personnes déjà vulnérables. Il y’a aussi un autre aspect dû au fait que les malades ne viennent pas dans les structures de santé à temps : soit pour des considérations socioculturelles, des contraintes financières ou géographiques ou par manque d’information suffisante et saine sur la maladie (ses symptômes, et son mode de traitement). Tous ces facteurs nous interpellent à communiquer davantage sur les différents aspects de la lutte contre le Covid-19 et sur l’importance de la prise en charge précoce pour éviter les complications surtout chez les personnes âgées avec des comorbidités.

 

Comment s’effectue la recherche des personnes contacts ?

 

Au Mali nous disposons d’une expertise tirée de la lutte contre Ebola. Les équipes chargées de la recherche des personnes-contact pendant cette période ont été réactivées. Elles sont appuyées dans leur mission par le Comité de Gestion des Epidémies et Catastrophes au niveau de chaque district sanitaire par la sensibilisation des communautés afin de faciliter la recherche des personnes-contacts. Dès qu’un cas positif de COVID-19 est détecté, tout un dispositif se met en œuvre : le patient est interrogé sur ces derniers contacts qui sont recherchées pour être l’objet d’un suivi quotidien dans un cadre d’auto isolement pour une durée de 2 semaines. Cette période d’observation permet de savoir si elles sont infectées ou pas.

 

Des Maliens rapatriés de la Tunisie sont présentement en quarantaine dans deux hôtels, avec du recul, ne pensez-vous pas que la même méthode aurait dû être appliquée dès le départ, les premiers cas au Mali étant importés ?

Je vous avoue qu’aucun pays au monde n’a pu appliquer cette méthode aux passagers. Imaginez qu’avec 600 passagers en moyenne par jour à destination de Bamako, combien cela fait-il par mois. En deux mois, nous avons pu examiner environ 36 000 passagers en provenance des différents pays avec un accent particulier sur ceux venant des pays en épidémie. En collaboration avec les représentations diplomatiques de ces pays, leurs ressortissants étaient soumis à un auto isolement avec un suivi de l’évolution de leur état de santé.

 

Quel est le protocole de traitement en cours au Mali pour le Covid-19 ?

Les cas testés positifs au COVID-19 sont admis dans certaines structures sanitaires choisies comme centres dédiés pour la prise en charge de la maladie. Ces structures ont bénéficié d’un renforcement de capacités en personnel et équipements. Les cas simples sans signes cliniques font l’objet d’une surveillance, les cas avec des manifestations cliniques de la maladie bénéficient d’un traitement à base d’hydroxy chloroquine et d’antibiotiques comme l’azithromycine, les cas sévères avec détresse respiratoire nécessitant une assistance respiratoire font l’objet de soins intensifs.

Dans les semaines à venir, nous n’excluons pas de tester certaines plantes traditionnelles sur des cellules infectées par le Coronavirus. Des chercheurs de l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako ((USTTB) ont soumis un protocole à concurrence internationale.

 

En nous référant aux communiqués quotidiens du ministère de la Santé et des Affaires sociales, il semble que toutes personnes testées positives soient prises en charge par les services de santé. Ne craignez-vous pas que ces derniers soient très vite saturés et le personnel soignant à bout ?

Nous ne pouvions pas nous permettre de prendre aucun risque car nous ne voulions pas sous-estimer le risque potentiel d’une non prise en charge médicale. Nous avons fait le choix au départ de prendre en charge tous les cas positifs dans les hôpitaux. Compte tenu des conditions de vie dans notre société, la vie en grande famille, il est difficile d’avoir un logement individuel isolé en famille. Cependant, nous allons progressivement faire un triage des patients qui cliniquement peuvent rester à domicile si possible ou dans des lieux aménagés à cet effet avec un suivi médical dans les deux cas. De la même manière, nous nous préparons à renforcer le personnel sanitaire en effectif et en capacités. Nous collaborons aussi avec les cliniques privées dans l’éventualité de les utiliser comme centres de prise en charge en cas de besoin.

 

Avez-vous pu évaluer le coût de la prise en charge des patients atteints du Covid19 ?

La prise en charge du COVID-19 coûte très chère. Elle nécessité des tests qui ne peuvent se faire que dans les laboratoires spécialisés et bien équipés, de la logistique, des respirateurs en quantité, des médicaments, du matériel de protection et de désinfection. L’Etat consent des efforts pour faire face à ces charges car il pense que soigner les personnes atteintes de COVID- 19 pour leur sauver la vie n’a pas de prix.

 

Bamako est l’épicentre de la maladie, mais il s’est depuis étendu à l’intérieur du pays, comment se passent les traitements des personnes contaminées dans les régions. Cela se fait-il sur place ou sont-elles transférées vers Bamako ?

 

C’est vrai que Bamako dispose beaucoup plus d’infrastructures que les autres régions. Cependant, chaque hôpital régional dispose d’un plateau technique capable d’assurer la prise en charge des cas positifs. Seuls les échantillons de prélèvements et les patients nécessitant des soins particuliers sont envoyés sur Bamako.

 

Quel usage a-t-il été fait des dons de la fondation Jack Ma?

Composés de tests pour le COVID-19, de bavettes, de masques et de gants de protection, de gel hydro alcoolique, de combinaisons, et de solutés, les dons de la fondation Jack Ma nous ont été d’un apport précieux. Ils sont arrivés à un moment où les besoins en matériel de dépistage, de protection et de consommables étaient énormes dans les hôpitaux aussi bien que dans les structures à l’intérieur du pays. A preuve, au seul hôpital de Gabriel Touré, le besoin journalier en masques de protection s’élève à 2 000 unités par jour soit 60 000 par mois. Dans le souci de la dotation de l’ensemble des structures, nous avons procédé à une répartition du don de la fondation Jack Ma entre les laboratoires retenus pour le diagnostic, les hôpitaux du pays et les directions régionales de la santé, les services de santé des armées, le département en charge de l’administration territoriale et de la décentralisation, pour ne citer que ceux-ci.

 

Vous arrive-t-il de penser mener un combat perdu d’avance, lorsque vous voyez que beaucoup de Maliens ne respectent pas les mesures édictées par les autorités.

Bien au contraire car nous n’aurions jamais pensé que les gens auraient autant respecté les mesures barrière à savoir le port des masques, le lavage des mains au savon, la distanciation physique surtout lors des dernières élections. Dans la lutte contre la maladie, le changement de comportement est graduel et s’inscrit dans la durée. Progressivement, nous espérons améliorer cette situation avec la communication et la sensibilisation communautaire, avec un accès facile aux masques. Nous allons bientôt lancer le programme « Un Malien, Un Masque » qui est une innovation, une nouvelle forme de confinement à la malienne différent de que les gens vivent dans d’autres pays : rester enfermé dans les domiciles. Nous savons que le confinement à domicile est difficile à tenir dans notre pays où 90% des gens vivent du secteur informel.

 

Pour quand est attendu le pic de l’épidémie au Mali ?

Nous voyons aujourd’hui que l’épicentre de l’épidémie est à Bamako. Si nous arrivons à isoler la capitale des autres régions pour limiter la propagation de l’épidémie, nous verrons le pic de l’épidémie plus tôt que prévu. Sinon, nous enregistrerons de plus en plus de nouveaux cas dans les régions et en ce moment, le pic de l’épidémie surviendra beaucoup plus tard.

Mais en général, le pic est atteint au moment où nous commençons à enregistrer moins de nouveaux cas de façon continue. Nous avons enregistré les premiers cas au Mali le 25 Mars dernier mais beaucoup de cas restent asymptomatiques. Nous savons aussi qu’une personne infectée contamine 2 à 3 personnes en moyenne. Ce taux peut être diminué en respectant le confinement donc en ayant moins de contact entre les personnes. Partant de mon expérience dans la gestion des épidémies et des données démographiques, j’ai le pressentiment que nous ne connaîtrons pas la même trajectoire épidémique que beaucoup de pays développés.