Agriculture : s’adapter aux changements climatiques, le refus de la fatalité

Kolosso, commune rurale de Moribila dans le Cercle de San. Nous sommes en plein C’œur de la région CMDT de Koutiala. Ici, la culture intensive du coton pendant des siècles a entrainé un phénomène qui n’est malheureusement pas endogène : la saturation des terres cultivables qui ne donnent plus grand-chose. Conséquence, une exploitation tous azimuts, plus de jachères, plus de bois sacrés et donc plus de chef des forêts. Cette situation Issa Koné la connait. Revenu de Côte d’Ivoire pendant la crise qui a frappé ce pays à  partir de 2002, il décide de s’installer en tant qu’exploitant agricole dans son village d’origine. Crise cotonnière et changements climatiques Il se lance, bien évidemment, comme tout le monde autour de lui, dans la culture du coton. Les champs donnent bien, les affaires sont florissantes. Jusqu’à  la crise cotonnière qui frappe le Mali a la fin des années 2000. Finie la prospérité et la quiétude familiale, bienvenue les problèmes et la peur du lendemain. Non seulement le coton ne se vend pas ou très mal, la nature aussi fait des siennes avec des phénomènes nouveaux comme l’incertitude du démarrage des saisons pluvieuse, la mauvaise répartition des pluies, l’arrêt précoce des pluies etc. Issa découvre les effets néfastes des changements climatiques, une notion dont il n’avait jamais entendu parler auparavant. Que faire ? Il faut faire face aux besoins de la famille, donc, continuer de cultiver la terre pour au moins trouver de quoi manger. Avec la rareté des sols cultivables, notre exploitant se lance dans la quête d’une parcelle qui lui permettra de subvenir aux besoins des siens. Issa quitte son village pour aller s’installer dans un hameau à  une dizaine de Kilomètres de là . Le site qu’on lui attribua selon les clauses traditionnelles n’était pas du tout propice à  la culture car le sol était plein de gravillons, rocailleux et très érodé. Les premières années furent pénibles très difficiles, les récoltes étaient quasi nulles avec à  peine 500 à  700 Kg/Ha pour le sorgho. La période sèche, dans tous les sens du terme, et en vivres et en eau, commençait des le mois de février. « C’’était la galère », témoigne Issa Koné qui avoue alors avoir perdu espoir. Mais, comme on dit, « un homme ne baisse jamais les bras ». La filière Jatropha Avec d’autres producteurs de son village, il a travaillé à  l’amélioration de la fertilité des sols dans les champs et a finit par fonder une association appelée ‘’Union des Sociétés Coopératives des producteurs planteurs de Jatropha de San Sud (USCPPJSS) ». Et grâce au programme:« Jatropha et adaptation des exploitations familiales agricoles aux changements climatiques », cette coopérative a réussi le pari de redonner vie à  des terres abandonner. Financée par l’ASDI(Coopération suédoise) et mise en œuvre par HELVETAS SwissIntercooperation, cette initiative a pour objectif de promouvoir les bonnes pratiques de régénérescence ds sols à  travers l’utilisation du jatropha (bagani en bambara). Grâce à  ce programme Issa Koné et d’autres membres des organisations partenaires ont bénéficié de formations diverses sur les techniques de lutte anti-érosive, sur la restauration des sols, la culture du Jatropha, etc. Paysan « expert » Aujourd’hui, C’’est un « expert » qui témoigne et explique comment fonctionne son système. « Quand J’ai bien compris comment ça marchait, je le suis jeté à  l’eau. J’ai aménagé ma parcelle pour minimiser les dégâts que présente l’érosion. Mon dispositif est constitué d’une ligne de pierres placée sur les versants. Ce cordon a pour fonction de ralentir la vitesse de l’eau et de faciliter le dépôt du sable et de nutriments pour le sol. Ensuite, il y a une haie vive en bagani. Elle sert pour fixer le sol et de l’enrichir en humus. Vient après une ligne de fines branches liées entre elles (fascines) qui ralentissent la vitesse de l’eau et sont ensuite utilisées pour le compostage. Et enfin, J’ai trois grandes fosses pour faire le compostage ». Avec ces différentes techniques qui sont à  chacune une mesure d’adaptation, Issa a minimisé les risques liés aux aléas climatiques qui jouaient négativement sur sa production. Et les résultats sont au rendez-vous. Une parcelle luxuriante, qui fait la jalousie de tous ceux qui l’ont traité de fou quand il a commencé son aventure. De 500kg à  1,5 tonne de rendement La sécheresse, la soif, les maigres récoltes, la faim, tout cela est désormais un lointain souvenir. Plus question de quitter cette terre qui désormais lui donne tout et même plus. « J’exploite aujourd’hui 12 sur les 18 hectares à  ma disposition. Au fil des années, la terre m’a permis de devenir autonome, puis de dégager des revenus qui me permettent d’investir dans l’éducation de mes enfants et de mieux vivre ». En effet, passer de 700 kg maximum/ha à  1,5 t/ha, il y a de quoi se réjouir. Coton, sorgho, maà¯s, arachide, oseille de guinée (bissap), mil, niébé…tout ceci pousse avec des engrais minéraux mais surtout organiques fournis par le petit élevage de ruminants et de volailles et les déchets agricoles et domestiques. En bon fis de son terroir, Issa Koné ne dort pas sur ses lauriers. Il a entrepris de former le maximum de ses pairs aux techniques d’adaptation aux changements climatiques. Il a en tout cas prouvé une chose, la terre nourrit toujours celui qui prend soin d’elle. Les changements climatiques ne sont qu’une contrainte supplémentaire à  prendre en compte pour faire face aux enjeux d’une agriculture durable. Cela, notre paysan modèle l’a bien compris.

Mamadou Kané, et la lumière fut à Garalo

A Garalo (région de Sikasso, cercle de Bougouni, 10 001 habitants), les plus vieux l’appellent « Machini Madou » (Madou, le machiniste). C’’est en effet ainsi qu’il a d’abord été célèbre dans sa bourgade et alentours, pour sa dextérité pour redonner vie aux vieux moteurs de moulins. Sa profession de mécanicien, Mamadou Kané l’a apprise avec les pères protestants dans les années 50 à  60. Il commence à  l’exercer quand un oncle lui demande de venir s’occuper bénévolement de la pompe du village. Un travail à  plein temps, non rémunéré. Sans hésiter, il dit oui ! Ainsi commence une vie entièrement dévouée au bien-être de sa communauté. Mamadou Kané a aujourd’hui 79 ans sonnés. « J’ai en fait 80 ans, nous confie-t-il. Je suis de 42. Mais sur mon jugement (document suppléant l’acte de naissance,ndlr), on a écrit 43 ». Mais C’’est d’un pas alerte qu’il nous accueille dans la cour de « Garalo Bagani Yelen ». Cette unité de production d’électricité, C’’est lui qui en a rêvé. « Tu sais, quand Dieu veut faire quelque chose, il passe forcément par quelqu’un pour le réaliser. La nécessité d’amener l’électricité dans mon village m’est apparue en rêve ». De ce rêve naà®tra une obsession. M. Kané ira de bureau en bureau, de direction en direction, de Bamako à  Bougouni en passant par Yanfolila pour soumettre son projet : de la lumière pour Garalo. Partout, on lui fera la même réponse : Impossible ! « Je leur ai dit que moi, J’aime l’impossible, parce que tout ce qui est possible est déjà  réalisé. J’aime les défis ! » raconte-t-il dans un grand rire. Parce que pour lui, développer sa communauté, lui donner les moyens d’aller de l’avant, d’éduquer ses enfants, de soigner ses femmes et ses vieux, cela passe par quatre piliers : l’eau, l’électricité, l’information et les routes. Le premier est acquis depuis plus d’une dizaine d’années et C’’est d’ailleurs Mamadou Kané qui gére les équipements. Un grand rêveur l’électricité, ça n’a pas été évident. La ville la plus proche raccordée à  l’électricité, Bougouni, se trouve à  une cinquantaine de kilomètres. Pas moyen de faire un branchement depuis là . Le solaire ? pas pérenne, répond Kané. Alors, il se creuse les méninges pour trouver une solution, sans beaucoup d’aide ni de soutien, les gens chez lui le traitent de fou et les autorités de rêveur. Et, un jour, « je tombe sur un monsieur grand de taille dans les locaux de la direction de l’énergie. Il s’appelle Ibrahim Togola et coincidence, J’ai été élève de son père. On me le présente et J’apprends qu’il travaille dans les énergies renouvelables et qu’il étudie en ce moment la possibilité de faire de l’électrification avec de l’huile de pourghère. Je lui dis « C’’est toi qui va amener la lumière chez moi à  Garalo! »» raconte-t-il. On lui demande de cultiver à  grande échelle le pourghère, ou jatropha (Bagani en bambara) pour fournir du biodiesel pour une hypothétique centrale. Qu’à  cela ne tienne, il s’y lance aussitôt et parvient même à  convaincre quelques autres personnes dans le village. Il est vrai que le bagani est un arbuste connu depuis toujours dans la localité comme un peu partout dans le pays. Il sert surtout de clôture pour les champs, ses épines en éloignent les ruminants. l’aventure «Electricité du pourghère à  Garalo » débute en 2006. Les sceptiques convaincus Aujourd’hui, 325 ménages ont accès à  l’électricité grâce à  une génératrice de 300 kW installée par l’ONG Mali Folkecenter en partenariat avec l’AMADER(Agence Malienne pour le Développement de l’Electrification Rurale). Et ce de 16heures à  1 heure du matin tous les jours. Les enfants peuvent étudier la nuit et les habitants se promener sous l’éclairage public sans craindre les morsures de serpents. Mais plus important encore, de nombreuses activités se sont développées, permettant une amélioration substantielle des conditions de vie des populations. Administration, hôpitaux, écoles, commerces, tous bénéficient de l’électricité de la centrale. Les sceptiques ont été convaincus et aujourd’hui, « on reçoit tout les jours des demandes de raccordement ». Mamadou Kané voudrait renforcer les capacités du réseau d’adduction d’eau et fournir plus de familles. Seuls 20% de la population ont accès à  l’eau et il voudrait bien avoir une autre pompe et un château d’eau plus grand pour que tous aient de l’eau potable. «Je vous avais dit que pour la vie, il y a quatre piliers. l’eau, l’électricité, C’’est bon. J’ai aussi obtenu l’installation d’un relais de l’ORTM (radio et télévision publique) et des deux opérateurs de téléphonie mobile. Aujourd’hui, Garalo est au courant de tout ce qui se passe dans le monde. Nous sommes sortis de l’ignorance. Il me reste seulement une chose maintenant, C’’est la route » affirme le vieux monsieur qui dit prier pour que « Le Bon Dieu » lui donne de réaliser cela aussi pour sa localité. « J’ai même reçu une promesse d’un homme politique » ajoute-t-il sur le ton de la confidence. Ibrahim Togola, le Président de l’ONG Mali-Folkecenter, qui est devenu un ami de Mamadou Kané au fil des années, dira « si tous les villages maliens avaient un homme comme lui, C’’en serait fini de la misère depuis bien longtemps »…