Hamadoun Dicko : « C’est l’absence de l’État qui est à la base de tout cela »

Président de la jeunesse Tabital Pulaaku, Hamadoun Dicko indexe Dana Ambassagou et les autorités comme responsables de la tuerie. Il estime que la milice doit être mise hors de combat et le gouvernement démissionner.

Quelle analyse faites-vous de l’attaque d’Ogossagou ?

Un carnage. C’est un nettoyage ethnique, un génocide, puisque ce sont les Peuls  les victimes. Des enfants, des femmes enceintes, des vieillards, incendier des greniers pour provoquer la famine. Des corps ont été jetés dans le seul puits du village, ce qui fait qu’il est inutilisable.

Que pensez-vous des réponses apportées par le gouvernement ?

Ce ne sont pas les chefs militaires les responsables, ils ne sont que des exécutants. C’est le pouvoir politique, c’est-à-dire le gouvernement, le Président et le Premier ministre qui sont responsables. C’est eux qui commandent. Ce sont eux qui donnent les ordres. À mon sens donc, ils ne devaient pas être relevés. Je dirais qu’ils ont fait les frais de l’attaque de Dioura, c’est probable. La dissolution de Dana Ambassagou n’est en rien une solution. Ils auraient dû d’abord les arrêter. Avec cette décision, c’est comme si on leur donnait l’autorisation de tuer impunément les Peuls. À ma connaissance, Dana Ambassagou a un récépissé délivré par l’État malien. C’est une milice qui est très proche du gouvernement. Dans chaque village où vous avez un camp militaire, vous trouverez une base de Dana Ambassagou à côté. Et, dans toutes les communes du plateau dogon excepté Douentza, nous avons recensé plusieurs camps. Ces camps sont connus de l’État malien et des militaires. Les éléments de Dana Ambassagou circulent à moto, pourtant cela a été interdit, ils disposent d’armes de guerre, ils ont une bonne formation. En ce qui concerne Ogossagou, nous avions alerté depuis le 28 février que le village risquait de subir une attaque, mais aucune mesure n’a été prise. Donc ils avaient la bénédiction de l’État. C’est le gouvernement qui devait démissionner, le Premier ministre, le ministre de la Défense, celui de la Sécurité, celui de l’Administration Territoriale et même celui de la Justice. Aucun d’eux ne joue son rôle et ils sont directement concernés.

Comment expliquez cet engrenage de la violence ?

C’est très facile. Tout d’abord, l’absence de l’État, qui a conduit à cela. Ensuite l’impunité. Il n’y a aucune poursuite judiciaire. Youssouf Toloba, qui est le chef de la milice Dana Ambassagou, a été invité à Sévaré, à Bamako. Le gouverneur de Mopti et le Premier ministre savent où le trouver. Quand tu sais que tu peux poser un acte en toute impunité, c’est à cela que ça conduit.

Décririez-vous la situation au centre comme un conflit intercommunautaire ?

C’est le gouvernement qui chante cette formule. Ils ont voulu que cela soit un conflit intercommunautaire, parce que c’est une ethnie qui en tue une autre. Il n’existait pas de conflit intercommunautaire avant, mais aujourd’hui oui, c’est palpable.

Avec toutes ces attaques et les rhétoriques incendiaires qui s’ensuivent, craignez-vous un risque de guerre civile ?

Bien sûr. Une connaissance m’a raconté que la mère de l’un de ses amis dogon l’a appelé pour lui enjoindre de quitter la maison qu’il habite. Parce qu’elle appartient à un Peul et qu’il enrichit un Peul. La tension est présente, même à Bamako. Les débats peuvent très vite s’envenimer dès que ça parle de Peul et de Dogon. Et une fois que ça s’embrase à Bamako, c’est fini. Chacun a un parent dans d’autres ethnies, Dogon comme Peul. Nous devons donc faire très attention.

Estimez-vous que le point de non-retour est atteint?

Si les Maliens développent une certaine conscience, nous pourrons trouver des solutions, arriver à une accalmie et arrêter les violences. Mais les séquelles resteront toujours. Imaginez un village où l’on tue plus de 170 personnes. Comment ces villageois vont-ils appréhender la situation ? Ce sera difficile. Nous sommes allés très loin et si rien n’est fait c’est sûr que ça peut s’embraser pour véritablement atteindre un point de non-retour.

Que préconisez-vous ?

Il faut d’abord combattre tous les criminels, dont les terroristes génocidaires de Dana Ambassagou. Un terroriste, qu’il soit Peul, Dogon ou Bambara, doit être combattu. Ceux qui sèment la terreur doivent être arrêtés et conduits devant la justice. Des enquêtes doivent être menées pour situer les responsabilités, qu’importent les coupables. Si c’est l’État qui l’est, il devra être traduit devant la CPI ou les juridictions compétentes. Il faut  combattre toute force de terrorisme, mais aussi faire de la sensibilisation, approcher les ethnies, les associations, sensibiliser les populations afin qu’elles ne se livrent pas à des guerres inutiles. Il n’y a pas plus d’une semaine, le gouverneur de Mopti état à Bankass, où il a réuni tout le monde, mais cela n’a servi à rien. Simplement deux jours après, tout un village était massacré. Nous devons être pragmatiques : le gouvernement doit partir, il a montré ses limites. Il faut de nouvelles personnes, plus aptes à mener un débat. À l’heure où nous parlons, beaucoup ne sont plus disposés à s’entretenir avec les dirigeants actuels.

Vous avez l’année dernière signé une déclaration commune vous engageant à ramener la paix au centre. Qu’en est-il aujourd’hui?

Il n’y a pas eu de suivi. Les autorités ne prennent rien au sérieux. C’était sous la bienveillance de l’État malien. Le gouvernement a certainement été amené à penser à un moment que c’étaient les associations la base même du problème. Il s’est donc mis à la recherche d’autres acteurs pouvant apporter la paix. Mais c’est se tromper. Ils minimisent ces associations alors que la solution pourrait venir d’elles.