Joséphine Keita :  » Au Mali, l’excision n’est plus un tabou ! »

Après 10 ans de lutte, la directrice du Programme national de lutte contre l’excision (PNLE), Joséphine Keita, fait le bilan sur cette pratique néfaste à  l’occasion d’un atelier à  l’initiative de l’ONG Plan Mali. Journaldumali.com : Quelle est la perception de la pratique de l’excision? Joséphine Keita : Beaucoup a été fait. Aujourd’hui, on peut affirmer que la question n’est plus taboue au Mali, ce qui constitue une avancée dans les mentalités. Environ 400 villages ont abandonné la pratique. Cela veut dire que leurs chefs et autorités coutumières arrivent à  convaincre les populations et vont rencontrer les autres communautés et faire des déclarations publiques d’abandon. Ils signent également des conventions avec les autorités locales, religieuses et administratives. Au-delà  des déclarations comment être sûr que ces villages abandonnent l’excision ? L’abandon total n’existe pas. Mais à  partir du moment o๠une déclaration publique est faite, la parole d’un leader communautaire a force de loi. Cela n’empêche pas d’aller exciser hors du village, mais ces personnes encourent le risque d’être excommuniées de leur village et d’être mises au ban de la société. Nous avons trois classifications : les villages totalement réticents à  l’abandon de la pratique, les villages à  moitié réticents et les villages qui ont signé la convention publique d’abandon. On considère avoir atteint l’objectif lorsque un village ne pratique pas l’excision pendant un cycle de deux ans. Espérez-vous le vote d’une loi contre l’excision ? O๠se situent les blocages actuels ? Le PNLE, des ONG et d’autres structures ont proposé depuis longtemps un « Pacte pour l’adoption d’une loi ». Mais il faut d’abord préparer les esprits, organiser des concertations avec les communautés, les élus et les leaders religieux pour sensibiliser sur la question. Il faut également définir les modalités de cette loi. Interdire la pratique peut entraà®ner la pratique dans la clandestinité. Tout le monde doit être impliqué dans le processus pour parvenir à  une proposition de loi en 2014. Revenons aux origines. D’o๠vient l’excision ? Pourquoi excise t-on ? Cette pratique serait d’origine égyptienne, pharaonique précisément. L’excision n’a rien à  voir avec la religion. En Arabie Saoudite vous n’en entendrez jamais parler. Ceux qui excisent pensent qu’il faut maà®triser la sexualité féminine. On avance aussi des raisons de pureté ou d’hygiène. Les représentations traditionnelles du clitoris maléfique entrent aussi en compte, tout comme la pression de la norme sociale, pour éviter la marginalisation et la stigmatisation. Au Mali, on excise au Sud et pas au Nord ? A Tombouctou même, on n’excise pas. Mais dans des cercles du Nord, comme Goudam ou Niafunké, il peut y avoir des cas d’excision du fait des déplacements de populations. A Bamako, contrairement aux idées reçues, l’excision demeure, malgré un accès plus facile aux informations. Le niveau d’instruction n’a aucune influence sur l’excision, qui n’est pas seulement une pratique rurale. Les pesanteurs socio-culturelles, la peur d’etre stigmatisé, peuvent pousser des personnes dites intellectuelles à  jutifier l’excision. Quel est le profil de l’exciseuse type ? Les exciseuses traditionnelles viennent de la caste des forgerons. Mais aujourd’hui, il y a de tout. Les gardiennes de filles dans les villages, les grands-mères dans les milieux urbains. Les devins en milieu traditionnel bambara encouragent cela, et désormais, pour des raisons pécunières, le personnel médical, hospitalier, les matrones, les infirmières aussi. Pourtant une circulaire du ministère de la Santé l’interdit, mais certains agents se déplacent parfois dans les familles pour le faire. Quelles sont les conséquences de l’excision ? Elles dépendent du type d’excision. Ablation partielle ou totale du clitoris, des petites lèvres, des grandes lèvres de l’appareil génital féminin, voire cautérisation, suture ou introduction de subtances corrosives dans le vagin. Au cours de l’excision les douleurs, les infections ou l’hémorragie peuvent entraà®ner la mort. Par la suite cela peut entrainer des difficultés d’accouchement, la stérilité, des douleurs de règles. Il ne faut pas oublier les conséquences psychologiques qui limitent la femme, l’exclusion consécutive aux souffrances liées à  l’incontinence ou aux fistules obstétricales, et l’impossiblité de s’épanouir sexuellement avec son mari. Comment vous êtes vous engagez dans cette lutte ? En 1973, pendant mes études, j’ai vu une femme mourir sous mes yeux en accouchant. Après cela, j’ai décidé de m’engager pour qu’il y n’ait plus d’excision au Mali. C’est un devoir de santé et un combat pour la vie humaine. J’ai ensuite été conseiller technique au ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille de 1997 à  2002, date de création du PNLE. Vous dirigez le PNLE depuis dix ans. Comment rendre les messages et les campagnes plus efficaces ? Ceux que nous avons déjà  émis ont porté leurs fruits, grâce à  des informations mises à  la disposition du grand public. Aujourd’hui, nous renforçons les capacités des acteurs de terrain par la formation. Nous recueillons des témoignages et utilisons des supports de communication, audiovisuels ou oraux, des kits techniques. « Il vaut mieux voir une fois qu’entendre plusieurs fois », a t-on l’habitude de dire. Si nous sommes à  cet atelier à  Sélingué, c’est aussi pour améliorer ces messages et les rendre plus pertinents. Et au niveau de la prise en charge des femmes excisées ? Elle est globale. On assure la prise en charge financière, médicale, et aussi psychologique. Il y a aussi la prise en charge intégrée et médico-chirugicale. Parce que ces femmes doivent reprendre confiance en elles. J’aimerais vous parler du projet de Médecins du Monde avec l’hôpital de Mopti, qui s’adresse aux femmes victimes de fistules obstétricales. C’est un partenariat dynamique. Il y a bien sûr de nombreuses possibilités dans ce combat, y compris pour toutes celles qui peuvent être réparées par la chirurgie. C’est pourquoi, on travaille avec d’autres structures comme le Comité National d’Action pour l’abandon des pratiques néfastes, CNAPN et ses branches régionales, locales ou villages. L’excision, c’est un long combat, mais tant qu’on aura pas atteint notre but, on ne s’arrêtera jamais de sensibiliser !