Olivier Dubois : 20 mois de captivité

Aujourd’hui, jeudi 8 décembre 2022, cela fait vingt mois que le journaliste français, Olivier Dubois, est retenu par un groupe terroriste après avoir été enlevé à Gao le 8 avril 2021. Depuis son enlèvement il y a 609 jours, Olivier Dubois est apparu dans deux vidéos diffusées par ses ravisseurs, dans lesquelles il explique lui-même être détenu par le Jnim. Les autorités maliennes et françaises ont indiqué à plusieurs reprises être pleinement mobilisées pour sa libération, tout en rappelant la nécessité d’une grande discrétion sur les actions pouvant être entreprises. Pour les 18 mois de son enlèvement, le 8 octobre, quarante rédacteurs en chef des principaux médias français ont signé un appel à ne pas l’oublier, ont demandé aux autorités françaises de poursuivre et surtout d’intensifier leurs efforts pour le libérer. D’autres journalistes sont également retenus en otage depuis plusieurs mois, notamment Moussa Dicko et Hamadoun Nialibouly dont les familles n’ont plus de nouvelles.

 

 

MINUSMA-El-Ghassim Wane : « Notre mandat est suffisant »

Six semaines depuis son arrivée au Mali. Le nouveau Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, Chef de la MINUSMA, qui a remplacé Mahamet Saleh Annadif, n’a pas chômé. El-Ghassim Wane s’est déjà rendu dans le nord du pays et trois fois dans le centre, a assisté à un nouveau coup d’État, géré des attaques terroristes contre des positions de la mission onusienne et rencontré de nombreux acteurs. Ce qui n’est pas de trop vu la profondeur de la crise et les défis immenses qui l’attendent à la tête d’une MINUSMA incomprise par de nombreux Maliens. Dans ce long entretien, le diplomate mauritanien évoque la transition, la fin de Barkhane, le mandat de la MINUSMA et la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation.

Moins d’un mois après votre arrivée au Mali, le 5 mai dernier, vous avez assisté à un coup dÉtat, le deuxième en un an, et vu les troupes de la MINUSMA subir des attaques. Cela vous a mis directement dans le vif de la réalité malienne.

La réalité malienne ne m’échappait pas, parce que jai eu loccasion de travailler sur les questions liées à la situation au Mali depuis 2012, aussi bien dans le cadre de mes fonctions précédentes à lUnion africaine que dans celui des Nations unies. Je suis venu ici en 2016 et en 2017 pour faire la revue de la MINUSMA et en assurer le suivi. Javais donc une idée des réalités et des difficultés. La situation est loin d’être facile. Elle l’était déjà avant que je narrive et elle est restée difficile après mon arrivée. Je ne mattendais pas à ce que les choses changent immédiatement. Le Mali est au milieu dune crise multiforme dont le règlement va prendre du temps. Il est évident que cette complexité ne mavait pas échappé. Malheureusement, nous avons connu des développements subséquents pendant les mois de mai et de juin, y compris lattaque contre les forces de la MINUSMA. Ce n’était pas la première. Javais une claire conscience des difficultés auxquelles le Mali est confronté et auxquelles la MINUSMA est confrontée dans lexercice de son mandat. Plus que la prise de conscience de ces difficultés, ce qui compte le plus cest la volonté de la mission, la volonté des Maliens, de redoubler defforts pour que cette page soit  tournée. Cest dans cette dynamique que je minscris : faire en sorte que nous renforcions ce que nous faisons déjà et que nous ajustions nos modes daction là où cela est nécessaire, de manière à être le plus utile possible aux Maliens et aux Maliennes et les aider à clore le chapitre douloureux que le pays connait actuellement.

Vous avez pris fonction dans une période dexception pour le Mali, avec une transition en cours. La MINUSMA affirmant accompagner cette transition, comment cela se traduit-il ?

Le processus de transition dans lequel le Mali est engagé est extrêmement important. Important pour permettre au Mali de retourner dans une situation de normalité constitutionnelle, mais important également pour permettre au pays de sattaquer aux défis complexes auxquels il est confronté. La MINUSMA et les Nations unies, dune façon plus générale, sont engagées dans ce processus. Comme vous le savez, lappui à la transition est lune des priorités stratégiques de la MINUSMA et nous assistons les acteurs maliens de plusieurs manières. Nous le faisons sur le plan politique, à travers nos bons offices, à travers la participation de la MINUSMA aux activités du Comité local de suivi de la transition, à travers le dialogue régulier que nous avons avec le médiateur de la CEDEAO, ainsi qu’avec d’autres acteurs internationaux, dont l’UA. Nous le faisons aussi sur le plan technique, en appuyant un certain nombre dinstitutions maliennes, notamment celles impliquées dans la préparation des élections qui doivent couronner la transition et dont la tenue est prévue au mois de février prochain. Cest une tâche complexe, qui doit être menée dans des délais qui sont courts. Cela signifie que notre appui technique est extrêmement important pour que les institutions maliennes soient prêtes et à même d’organiser les élections dans des conditions qui en assureront la crédibilité et qui permettront au pays de surmonter la crise institutionnelle. Nous appuierons  également le processus de transition à travers le soutien que nous allons apporter pour la sécurisation des élections aux départements ministériels compétents. Notre appui ira au-delà de cela pour s’étendre aux aspects logistiques, notamment le transport du matériel électoral, et à dautres domaines. Cest un appui multiforme, de concert avec dautres partenaires du Mali, y compris les partenaires politiques que sont la CEDEAO et lUA.

La transition semble engagée sur une nouvelle trajectoire, avec de nombreux chantiers annoncés, lesquels pourraient potentiellement ouvrir la voie à un prolongement du délai imparti. La MINUSMA accompagnera-t-elle la transition si ce scénario se réalisait ?

Il a été convenu avec la CEDEAO que la transition devait se conclure au mois de février 2022. Cela a été affirmé lors du sommet dAccra, auquel jai pris part, et les nouvelles autorités de la transition, aussi bien le Président que le Premier ministre, ont également dit leur intention de conduire la transition dans le délai qui a été convenu. Je pense quil est important que ce délai soient respectés, parce quil faut sortir au plus vite dune situation comme vous le dites exceptionnelle et permettre aux autorités nouvellement élues dengager les réformes de fond. Cela ne signifie pas que la transition ne peut pas entamer un certain nombre de réformes, mais, comme cela a été souligné lors de la visite du médiateur, ainsi que par le Comité local de suivi de la transition, il faudra articuler un certain nombre de priorités pour voir ce quil est possible de faire pendant cette période, à charge pour les autorités nouvellement élues d’amplifier ce qui aura été entrepris et d’ouvrir de nouveaux chantiers. Il est important que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir, de concert avec les autres partenaires, pour que l’objectif dune transition conclue au mois de février 2022 soit atteint.

La communauté internationale presse pour que les élections se tiennent à date. Nestimez-vous pas que cela est une erreur, car de scrutins à la va-vite pourraient découler de nouvelles crises ?

Le meilleur antidote à une possible crise postélectorale est dorganiser les élections dans les meilleures conditions de transparence et de régularité. Un travail a été engagé à cet effet, travail que nous soutenons à travers lappui technique que nous apportons aux institutions compétentes. Le deuxième élément qu’il convient de garder à l’esprit est le parachèvement de la transition en février 2022. Cest un objectif convenu avec les Maliens, sachant que, dans un contexte de transition, il nest pas évident de sattaquer à certains problèmes structurels. Je pense que le retour à une légalité constitutionnelle donnera au Mali tous les moyens nécessaires pour sattaquer à ces problèmes de fond. Je ne crois pas que le délai en lui-même soit un problème, bien au contraire. Plus vite on retournera à la légalité constitutionnelle, mieux le Mali sera équipé pour sattaquer à ses problèmes. Les acteurs maliens se sont engagés, la CEDEAO aussi, et la communauté internationale soutient cet objectif. Il sagit maintenant de mobiliser toutes les énergies, maliennes et internationales, pour que cet objectif soit atteint et que les élections de février 2022 soient transparentes et crédibles.

Vous avez récemment déclaré au Conseil de sécurité de lONU que le temps était venu pour les « dirigeants maliens de s’élever au-dessus de la politique partisane et des intérêts personnels pour faire face à la crise ». Un message destiné aux militaires et aux acteurs politiques ?

Tout dabord, le point de départ de ma déclaration est la profondeur de la crise dans laquelle le Mali est plongé. Quand un pays connait une crise dune telle ampleur, la meilleure réponse, et la première, est celle e l’unité nationale. Nous sommes dans un contexte où le Mali a besoin du concours de tous ses fils et de toutes ses filles pour surmonter les défis auxquels il est confronté. Il est important que tout soit fait pour permettre à lÉtat malien de retrouver toutes ses forces, dexercer son autorité sur lensemble du territoire national, dassurer la sécurisation des Maliens, de mettre fin aux violences commises sur les populations civiles. Il est impératif que tous les acteurs engagés dans ce processus se mettent à la hauteur des défis. Je pense que lespoir des Maliens est que cette page douloureuse soit tournée le plus rapidement possible et quune autre, plus heureuse, soit ouverte, et cela exige un effort particulier, un effort d’élévation au-dessus des intérêts partisans dans un contexte qui est exceptionnel. Il ya des urgences qui exigent le concours de tous. Mon appel sadresse à toutes les Maliennes et à tous les Maliens. Il sagit aujourdhui de sortir de cette crise structurelle, profonde, qui affecte le pays de manière multiforme. Mettre lintérêt du Mali au-dessus de toute autre considération, tel est le sens de lappel que jai lancé.

Le Président français Emmanuel Macron a annoncé la fin de Barkhane sous sa forme actuelle. Comment accueillez-vous cette nouvelle et quelles peuvent en être les conséquences ?

Nous avons suivi lannonce de la décision de faire évoluer lopération Barkhane. Comme vous le savez, la mission et ses activités sont déterminées en fonction du mandat qui nous a été donné. Nous coopérons évidemment avec la force Barkhane et, dans un tel contexte, toute évolution de son format induira évidemment des conséquences que nous devons prendre en compte. Un travail d’évaluation est en cours. Nous nous réjouissons de lappui que la France apporte à la MINUSMA sur plusieurs plans, non seulement en mettant à disposition des personnels qui travaillent en son sein, mais aussi à travers Barkhane. Nous nous félicitons aussi de lappui de la France au Conseil de sécurité et je pense que cet appui multiforme ne va pas changer. Ses modalités pourraient évoluer, mais je suis persuadé que le soutien de la France se poursuivra et quil restera aussi efficace quil la été jusquici.

Cette annonce peut-elle changer la dynamique de la MINUSMA à quelques jours de la fin du mandat, qui en principe doit être renouvelé et que beaucoup espèrent plus robuste ?

Les discussions sur le mandat se poursuivent au Conseil de sécurité et la nouvelle résolution devrait être adoptée à la fin du mois. Nous verrons alors quel sera son contenu. Mais je pense que le mandat de la MINUSMA, et cest un aspect sur lequel  jai beaucoup insisté lors de mes visites sur le terrain et mes interactions avec les acteurs, est  robuste. Il nous donne les moyens de mener à bien les tâches pour lesquelles la mission est déployée au Mali. Jentends certains de nos interlocuteurs dire souvent qu’ils veulent un mandat plus robuste, mais une lecture de la résolution qui nous mandate convaincra chacun que le mandat est robuste et la mission s’emploie à agir en fonction de ce mandat. Cette perception vient très certainement du fait quil y a une attente, que je comprends parfaitement, pour que la mission réponde à tous les problèmes sécuritaires qui se posent, quelle apporte une protection, partout où elle est déployée, à chaque Malienne et à chaque Malien qui est en danger. Il y a des limites évidentes. La Mission ne peut pas apporter une telle protection. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que notre action soit la plus efficace possible. Nous pensons que le mandat qui nous a été donné est suffisant et que notre action ne doit pas simplement être appréciée à la lumière du recours à la force, ce que nous faisons quand il sagit de protéger les populations civiles. Elle doit être aussi appréciée à la lumière dun certain nombre dautres activités qui concourent à la protection des civils, qu’il s’agisse du travail fait en faveur de la réconciliation intercommunautaire ou de l’appui que nous apportons à larmée malienne, très significatif, pour laider à remplir la mission qui est la sienne et aider le gouvernement à remplir ses responsabilités, dont la principale est de protéger sa population.

Une mission de paix dans un pays encore en guerre, nest-ce pas antinomique ?

Noubliez pas que nous avons été déployés pour aider à appliquer un Accord de paix. Nous opérons dans un contexte extrêmement difficile, qui a conduit au renforcement de notre mandat en 2017, précisément pour faire face à un certain nombre de menaces. Noubliez pas non plus que nous opérons aux côtés dautres forces : les FAMa évidemment, mais aussi les opérations Barkhane, Takuba et G5, qui ont un mandat plus orienté vers la lutte anti-terroriste. Dans le cadre de notre mandat, nous faisons ce qui est en notre pouvoir. Il y a certainement des choses à améliorer. Jentends, j’écoute, jinteragis de manière fréquente avec différents segments de la population malienne et je comprends les préoccupations qui sont les leurs. Croyez-moi, nous faisons ce tout pour renforcer lefficacité de nos actions. Cela dit, nous faisons déjà beaucoup, et cela nest pas suffisamment souligné.

À Aguelhok, la MINUSMA a été récemment accusée de faire fuir les populations locales. Certains l’indexent en faisant une corrélation entre sa présence et les attaques dans la zone. Comment faites-vous face à cela ?

À Aguelhok, il y a deux éléments à prendre en compte. Le premier est que notre présence apporte la sécurité. Nous devons protéger les populations locales, ce que nous faisons. Le deuxième élément est que nous subissons des attaques et que malheureusement, dans ce contexte, des populations se sont déplacées hors de la localité. Nous faisons un travail soutenu pour renforcer la confiance avec la population locale et tout un effort de dialogue est en cours. Nous avons dépêché une délégation il ny a pas longtemps. Notre bureau à Kidal et notre représentation à Aguelhok sont en contact avec la population pour encourager ceux qui ont quitté la localité à revenir. Dans l’intervalle, les humanitaires apportent une assistance aux déplacés. Je voudrais souligner que notre présence à Aguelhok vise à renforcer la sécurité des populations et que l’insécurité qui a été notée est à imputer à ceux-là mêmes qui ont attaqué notre camp au début du mois davril.

Vous avez lancé le 15 juin le projet « 50 jours pour le Centre ». En quoi consiste-t-il et quels en sont les objectifs ?

Ce projet, appelé « An ka barokè » (Dialoguons), vise à renforcer lefficacité de notre appui aux autorités maliennes, tant nationales que régionales, pour hâter la stabilisation du centre du Mali, l’une des priorités stratégiques de la MINUSMA. Nous poursuivons trois objectifs : renforcer la cohésion sociale au regard des tensions intercommunautaires que connait la région; renforcer la confiance entre lÉtat malien et les populations locales et, en troisième lieu, fournir des perspectives socio-économiques, faire en sorte que la paix se traduise par des dividendes qui profitent à la population. Nous navons pas la prétention en 50 jours de stabiliser le Centre, il faudra, pour ce faire une action s’inscrivant dans une durée beaucoup plus longue. Ce que nous voulons, c’est impulser une nouvelle dynamique qui donne une efficacité accrue à l’appui que nous apportons aux autorités maliennes. Nous tirerons  les leçons de ce qui aura été fait pendant ces 50 jours pour élaborer une action à plus long terme, beaucoup plus ambitieuse, afin de créer les conditions de la stabilisation du Centre. Je me suis rendu à Mopti à trois reprises. Jai aussi été à Bandiagara et à Douentza. Jai échangé avec de multiples acteurs et ma conviction, forte à la suite de ces réunions, est que la stabilisation du Centre est à notre portée. Nous devons pour cela œuvrer en faveur d’une appropriation malienne, d’une mobilisation des savoirs locaux, notamment en termes de médiation, ainsi que d’un appui international mieux coordonné et renforcé. Cest ce triple objectif que nous allons poursuivre, mais d’ores et déjà nous espérons pouvoir impulser une dynamique qui sera amplifiée dans la période qui suivra.

Dans le centre du Mali, notamment le pays dogon, la défiance à l’égard de la MINUSMA est très prégnante. Comment atteindre votre but dans ce contexte ?

Il est clair que le combat pour stabiliser le Centre ne peut être gagné quavec lappui des populations. Cest pour cela que jai décidé de my rendre aussi fréquemment que possible pour nouer un dialogue régulier avec les acteurs locaux, l’objectif étant de créer le climat de confiance nécessaire à la réussite de nos efforts. Évidemment, notre bureau régional et les forces de police et militaires déployées sur place font un effort soutenu dappui à la sécurisation des populations à travers un certain nombre dopérations. Je dois vous dire que lors de ma visite à Bandiagara, la semaine dernière, jai pu discuter avec différents segments de la population et je crois avoir décelé une confiance accrue en laction de la MINUSMA. La population veut une présence plus forte de la MINUSMA, pas moins. Et si elle le souhaite, cela veut dire que l’action que nous menons est perçue favorablement. Nous sommes déterminés à améliorer notre présence et nos actions autant que faire se peut.

La mise en œuvre de lAccord pour la paix est plus que jamais aujourdhui confrontée des difficultés. Le nouveau Premier ministre a parlé dune « relecture intelligente ». Comment la MINUSMA perçoit-elle cela ?

LAccord a été signé il y a six ans. Sa mise en œuvre a connu un retard considérable, cest une réalité. Dans mes interactions avec les autorités maliennes, avec les parties signataires, jai évidemment souligné limportance daccélérer la cadence. Chaque jour de retard dans la mise en œuvre se traduit par des souffrances accrues pour les populations sur le terrain et un retard supplémentaire dans la restauration de lautorité de lÉtat. Il est donc important et de lintérêt de tous daccélérer. Je me félicite de ce que les nouvelles autorités de la transition aient exprimé leur rattachement à lAccord et leur volonté den accélérer la mise en œuvre. Jai entendu les autres signataires marquer la même volonté. Dans la période qui vient, notre intention, de concert avec le chef de file de la médiation internationale, lAlgérie, est de faire ce qui est en notre pouvoir pour aider à mettre en œuvre les dispositions encore pendantes, en réalité les dispositions essentielles de lAccord, le DDR, les réformes institutionnelles et le développement du nord. Jespère que nous pourrons faire de nouvelles avancées.

Quid de la relecture ?

LAccord comporte des dispositions pour sa révision. Si les parties sentendent pour ajuster certaines de ses dispositions sur la base du mécanisme prévu à cet effet, la MINUSMA leur apportera son appui. Mais tout doit être fait dans une démarche consensuelle, parce quil sagit dun accord qui lie différentes parties.

La MINUSMA publie périodiquement des rapports sur les violations et abus en matière de droits de lHomme au Mali. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ?

C’est une situation difficile et cela est parfaitement compréhensible dans le contexte sécuritaire que nous connaissons. Depuis le début de cette année, nous avons eu près de 850 cas de cas de violations et dabus, dont de nombreux enlèvements. Nous travaillons dans le cadre de notre mandat à travers les enquêtes que nous menons et tout un travail de dialogue politique avec les autorités, ainsi qu’avec dautres parties prenantes, pour nous assurer que la dimension droits de lHomme est pleinement intégrée dans ce qui se fait. Lorsque des enquêtes sont diligentées, le suivi requis est fait. Les problèmes sont connus, il ny a pas de déni de la réalité. Une action plus soutenue est requise pour queffectivement les violations soient punies. Cest un travail que nous savons complexe et pour lequel nous comptons sur la coopération des autorités maliennes.

Le Mali a-t-il besoin de la MINUSMA ?

Vous devez concevoir la MINUSMA comme une expression de la solidarité internationale envers le Mali. Elle a été déployée dans le contexte de la mise en œuvre de lAccord pour la paix. Son mandat a été ajusté pour prendre en compte dautres problématiques. Le Mali, comme dautres pays qui sont en situation de crise, a besoin de cette mobilisation internationale multiforme. La MINUSMA est un élément important de cette mobilisation, mais pas le seul. Elle se manifeste de plusieurs autres manières. Aux Nations unies, toutes les agences font un travail soutenu dans le contexte de la crise. Nous avons dautres partenaires sur le terrain. La complexité de la situation et ses implications régionales sont telles quun accompagnement international est nécessaire pour que la crise soit réglée au plus vite. LA MINUSMA a été déployée avec lassentiment du gouvernement malien et sa présence repose sur cet assentiment, car cest à sa demande du Mali que la MINUSMA est là.

Propos recueillis par Boubacar Sidiki Haidara

Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°324 du 24 au 30 juin 2021

 

Mali – Olivier Dubois : Le symbole d’une presse privée de liberté

La liberté de la presse est une quête permanente, soumise au Mali à de nombreuses menaces. Insécurité, accès difficile à l’information ou encore intimidations, les défis sont nombreux et l’exercice de la profession de plus en plus compliqué. Une liberté de la presse menacée également par les enlèvements et les détentions arbitraires. Nous avons choisi, au travers d’exemples concrets et récents, de mettre en exergue tous les écueils voire dangers auxquels font face les journalistes dans leur mission d’informer.
Une nouvelle stupéfiante pour ses confrères et le grand public, qui n’étaient pas encore dans le secret. Mais l’inquiétude était bien réelle dès les 48 heures qui ont suivi sa disparition le 8 avril. Cependant, pour ne pas compromettre une «éventuelle issue positive rapide », Reporter sans frontières, « en concertation avec les rédactions qui l’emploient habituellement », avait pris la décision de ne pas la rendre publique, a expliqué le 5 mai Christophe Deloire, directeur général de l’organisation.
Reporters sans Frontières a aussi demandé aux « autorités maliennes et françaises de tout mettre en œuvre pour obtenir sa libération ». L’enlèvement du journaliste rappelle douloureusement combien il est devenu difficile de travailler dans un contexte caractérisé depuis des années par une situation d’insécurité générale qui sévit également en dehors des frontières du Mali, dans toute la zone du Sahel. Le 26 avril 2021, la mort de deux journalistes espagnols, tués alors qu’ils étaient en reportage au Burkina Faso, avait également choqué l’opinion.
Ce terrain favorable à toutes sortes d’entraves à l’exercice de la liberté de la presse inquiète les professionnels des médias. Olivier Dubois, enlevé alors qu’il était en reportage, connait bien le Mali pour y vivre et y exercer son métier depuis plus de cinq ans. Il a d’ailleurs travaillé au Journal du Mali de 2015 à 2017. Il s’intéresse principalement aux questions sécuritaires et politiques. C’est avant tout un homme de terrain qui en rencontre directement les acteurs, une « tête chercheuse en mouvement » comme il se définit lui-même sur son compte Twitter. Mais le terrain est depuis quelques temps semé de nombreuses embûches et les journalistes, qui peuvent mobiliser derrière eux toute une corporation, sont devenus une denrée convoitée. Mais, au-delà, c’est partout au Mali que la quête de l’information est un risque que prennent chaque jour ceux dont la mission est d’informer.
« À longueur de journée nous recensons des cas de violations, de menaces, d’intimidations et d’enlèvements de journalistes »,
qui s’entendent dire par leurs ravisseurs qu’ils peuvent être enlevés sans témoins et qu’ils ont donc intérêt à « faire attention à ce qu’ils disent », explique M. Bandiougou Danté, le Président de la Maison de la Presse du Mali. Il n’est pas rare dans un tel contexte d’assister à des actes d’autocensure de la part de journalistes qui n’osent plus aborder certains sujets, ou de façon anonyme, ajoute M. Danté. À cette situation s’ajoute « la difficulté d’accéder à une simple information basique », relève Alexis Kalambry, Directeur de publication du bihebdomadaire Mali Tribune.
Lorsqu’elle a été rendue publique à la faveur de la vidéo publiée le 5 mai, la nouvelle de l’enlèvement du journaliste français a vite fait le tour des médias occidentaux, suscitant une vague de réactions et d’émotion. C’est une mobilisation similaire que le Président de la Maison de la Presse souhaiterait voir se manifester pour les confrères maliens. Il se dit même choqué par cette absence de réaction de la part de ces médias pour les cas de disparitions et d’enlèvements pourtant signalés lors de la célébration de la Journée du 3 mai, avant la publication de la vidéo du journaliste français. Un comportement qui « n’encourage pas la confraternité », déplore-t-il.
Fatoumata Maguiraga
Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°318 du 13 au 19 mai 2021 

Les joies de la circulation dans Bamako

Giffard Road, Nehru Ave, Kojo Thompson Road, Liberation Road, Independence Ave, Kwame Nkrumah Ave sont quelques-unes des routes d’Accra. Des routes à deux ou trois voies, véritables paradis pour les usagers de la circulation.

Qu’importe la taille, une voie, ou deux, ou trois, c’est le même topo : une discipline qui laisse le visiteur malien pantois et émerveillé. Si d’aventure il venait à l’idée de quiconque de s’amuser à créer une voie supplémentaire, les autres automobilistes lui feraient passer l’envie de jouer les pressés. Devant la bronca que sa fantaisie aura créée, la brebis galeuse s’évanouira dans la nature illico presto, sans demander son reste.

À Bamako, sur la route qui mène à Koulikoro en traversant Missira, Korofina, Djélibugu, Bulkasumbugu et autres quartiers, l’interpellation du malotru vous vaudra une réplique cinglante, à vous glacer le sang : « est-ce la route de ton père ou de ta mère ? ».

Les autres gaietés innombrables de la circulation chez nous ? Le premier qui pourra les citer toutes aura droit à un gueuleton au « Gigot d’or », en compagnie de la mousmé de son choix ! Les crevasses assassines, les panneaux de signalisation dégradés, des bords de routes aussi tranchants qu’un couteau de Tabaski… Le soir, les phares éblouissants, en symphonie blanc majeur ou jaune mineur, découragent tous ceux qui n’ont pas un instinct suicidaire et suffisent à eux seuls comme raison de confinement avant la lettre.

Et puis, il y a le cas des autres ! Vous avez bien deviné de qui il s’agit ? Une « petite » moitié est faite d’humains et l’autre « grande » moitié de fauves. La question qui devrait turlupiner toute personne raisonnable est comment l’Administration n’impose-t-elle pas aux importateurs de motos d’inclure obligatoirement le casque et de limiter la vitesse à 40 ou 50 km à l’heure ?

Au Rwanda, pays qui, manifestement, force l’admiration de bien des Maliens, et d’autres d’ailleurs, tous les motocyclistes ont l’obligation impérative de posséder, même quand ils sont seuls sur leur engin, deux casques, le second pour un passager éventuel. On pourrait aussi imposer le permis moto prévu par la loi. À ce propos, pourquoi ne pas adopter le système canadien du permis renouvelable tous les trois ans, qui offre un double avantage : renforcer la sécurité et accessoirement renflouer les caisses de l’État ?

Les dos d’âne ou « gendarmes couchés » (comment nos braves pandores peuvent-ils s’accommoder d’une image aussi peu glorieuse ?) sont l’illustration éloquente de l’impuissance des responsables de la circulation, coûtant des milliards à l’État, car si certains particuliers sont soucieux de ne pas abîmer leurs véhicules, beaucoup de chauffeurs des services publics n’ont cure de telles préoccupations. Véritable aubaine, puisque les frais de réparation, gonflés à souhait, constituent une source supplémentaire de revenus.

Il serait trop long d’évoquer les griefs contre les SOTRAMA, pourtant si utiles à la population, puisqu’ils suppléent les carences de l’Administration, insouciante devant la nécessité impérieuse de créer une société de transport public. Il serait tout aussi urgent d’importer au Mali la pratique de l’alcootest pour les chauffeurs grands amateurs de la dive bouteille aux véhicules sinistres aux décorations souvent douteuses !

Combien de véhicules et d’engins possèdent des feux rouges arrière en bon état et des plaques minéralogiques lisibles, à cause de la mauvaise qualité de leur éclairage ou d’une typographie calamiteuse ?

Les solutions pour normaliser à Bamako et à dans tout le pays la circulation, redoutable foire d’empoigne, ne manquent pas, pour peu que l’État veuille bien s’en donner les moyens : veiller aux normes routières, contrôler plus strictement les règles de la circulation et livrer une guerre impitoyable à l’indiscipline, conséquence d’un incivisme pathétique. Toutes conditions qui impliquent des agents de la circulation mieux formés et plus vertueux. Et, naturellement, une politique d’urbanisation plus rationnelle est plus que jamais indispensable!

Boubacar Bocoum : « Élire un homme est une chose, s’opposer à une politique en est une autre »

L’Honorable Moussa Timbiné a été porté au perchoir de l’Assemblée nationale le 11 mai 2020, lors de a session d’ouverture de la 6ème législature. Une  consécration pour cet ancien leader de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM). Boubacar Bocoum, politologue, livre à Journal du Mali son analyse de cette élection.

Comment analysez-vous l’élection de Moussa Timbiné ?

Le symbole le plus important est que pour la première fois un jeune de cette envergure arrive à la tête de l’Hémicycle. C’est un signal fort. Au niveau de l’Assemblée nationale,  aujourd’hui il y a également un quota de femmes élevé. Cela montre que la législature sera placée sous le signe de la jeunesse et des femmes.

Il revenait quand même de loin…

Il faut faire le distinguo. Ce sont deux problèmes différents. Celui de l’élection locale et celui au niveau de l’Hémicycle. Ce qu’il est important de retenir est que la Cour constitutionnelle, dans sa composition actuelle, peut prêter à suspicion. Mais le format n’a pas changé et il a profité à cette même classe politique en d’autres lieux et en d’autres temps. Il est convenu par tout le monde que le ministère de  l’Administration territoriale ne donne que des résultats provisoires et que les réclamations sont redressées par la Cour constitutionnelle. Maintenant, si cette loi n’est pas bonne, il faut la changer, mais c’est un autre débat.

Comment expliquer les votes des députés de l’opposition en sa faveur ?

Quand on est élu député, on l’est d’abord au plan national. On n’est pas élu contre tel ou tel parti politique ou individu. Pour l’instant nous n’avons pas de Déclaration de politique générale du Premier ministre. Nous ne savons pas non plus dans quelle direction est en train d’aller le Président de la République. Élire un homme parce qu’on a confiance en ses capacités est une chose, s’opposer à une politique en est une autre. Une fois que le Président de la République va donner ses orientations, les partis politiques et groupes parlementaires se positionneront pour ou contre. Mais il ne faudra pas qu’on entre dans des oppositions systémiques.

Peut-il être à la hauteur des attentes ?

Je ne vois pas pourquoi il ne le serait pas. Il est jeune et la gouvernance de l’Assemblée, c’est juste du management. Il s’agit de diriger les débats, d’avoir des orientations par rapport à une vision nationale. C’est un poste électif, pas technique. Moussa Timbiné a les capacités de tenir le rôle. Il ne faut pas oublier qu’il a été longtemps 1er Vice-président de l’Hémicycle lors de la législature écoulée.

Germain KENOUVI