Djihadistes maliens à la CPI : Un pas important pour les victimes

Après la condamnation du djihadiste malien Ahmad Al Faqi en 2016 pour la destruction des mausolées de Tombouctou, un deuxième Malien vient de comparaître devant la CPI, le 4 avril 2018. Une « bonne chose » pour les défenseurs des Droits de l’Homme, même si pour les victimes le processus ne fait que commencer.

« Nous estimons que c’est positif. C’est un début de soulagement pour les victimes, qui attendent depuis 5 ans. C’est une étape importante dans le cadre de la lutte contre l’impunité et, surtout, dans le cadre de la reconnaissance des victimes elles-mêmes », se réjouit Drissa Traoré, Coordinateur de l’Association malienne des Droits de l’Homme (AMDH).

Même si la procédure devant la CPI peut être longue et complexe, « ce qui peut gêner les victimes, qui ont soif de justice », il est essentiel que des poursuites soient engagées. Une procédure longue dont la prochaine étape, « importante », est l’audience de confirmation des charges, prévue le 24 septembre, pour savoir si Alhassane Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, ex commissaire de la police islamique de Tombouctou, sera jugé ou pas. Chez les victimes, on attend de pouvoir participer à la procédure, en vue de « la manifestation de la vérité », mais surtout pour obtenir réparation. Car si, lors du procès d’Ahmad Al Faqi, les réparations étaient plutôt « symboliques », pour des victimes personnes morales, celles qui ont subi des préjudices dans le cadre des poursuites contre Alhassane pour « crimes sexuels » sont dans des « situations catastrophiques. Certaines ont même été rejetées par la société », selon monsieur Traoré. Il s’agit de femmes victimes de viol et d’autres types d’agressions qui attendent réparation pour se reconstruire.

Plutôt qu’une incapacité de la justice malienne, le recours à la CPI est « l’affirmation des droits inaliénables des victimes à la justice », selon monsieur Traoré, qui voit une « complémentarité positive » qui permet à la CPI d’intervenir lorsque l’État n’en a pas la capacité. Même s’il est vrai que la justice nationale est « plus proche, plus accessible et en mesure d’apporter plus de réparations ». Notre interlocuteur regrette que, malgré le dépôt de plaintes depuis plusieurs années, « la justice malienne n’a pas bougé ».

Si pour certains ces arrestations sont peu « représentatives », elles restent essentielles, car, dans le cadre des poursuites, chaque Procureur a sa politique. L’important « est que des gens soupçonnés soient arrêtés », estime monsieur Traoré, qui ajoute que ce n’est pas la fin du processus. « La situation au Mali est ouverte, tout est possible », même si la procédure de la CPI se limitera à quelques personnes.

Al Hassan à la CPI: Le temps de la Justice?

Mercredi 4 avril 2018, Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud allias « Al Hassan » apparait rasé de près, vêtu d’un costume bleu nuit. Assis à la place du suspect. A la Cour pénale internationale de La Haye. Il y assiste à la toute première étape de la procédure judiciaire devant cette instance internationale en charge de dire le droit. Devant le juge unique de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (« CPI » ou « Cour »), Marc Perrin de Brichambaut, il est représenté par Me Yasser Hassan, égyptien. Poursuivi pour crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, son transfèrement à la CPI a été salué de tous, autorités et acteurs judiciaires en passant par les organisations des droits de l’Homme. Un tel procès soulève cependant également le scepticisme dans l’opinion publique, qui se demande ce qu’il va changer dans la quête de la justice pour les victimes.

« A La Haye, c’est tout sauf une prison pour ces gens-là ». Ces gens-là, ce sont les responsables, commanditaires et auteurs, de crimes commis lors de la crise que le Mali a traversé de 2011 à 2013, « que ce soit les militaires ou les djihadistes », précise d’ailleurs notre interlocuteur, défenseur malien des droits de l’Homme. Un langage pas très « politiquement correct » du point de vue de sa position, « mais le fait est que cette justice internationale, pour l’instant, reste éloignée des préoccupations des victimes. « Les femmes qui ont été violées, les gens qui ont été amputés, persécutés, vivent aujourd’hui au quotidien avec leurs bourreaux. Qu’est-ce que la CPI peut y faire, elle qui s’attaque à des casseurs de mausolées au lieu des briseurs de vie ? », s’interroge pour sa part « Abdou » (pseudonyme), ressortissant de Tombouctou et dont un parent a été victime directe des exactions de la police islamique de Tombouctou. L’homme ignorant la procédure contre « Al Hassan » comme il l’appelle, se réjouit en apprenant que le commissaire de la police islamique qui a régenté la ville pendant les heures sombres de l’occupation va passer devant la justice. Pas encore, tempère le juge de Brichambaut. Il faudra encore tenir l’audience de confirmation des charges dont une nouvelle date a été fixée au 24 septembre prochain. Une audience de confirmation des charges sert à déterminer s’il y a des motifs substantiels de croire que le suspect a commis ces crimes. Mais, si l’on en croit le bureau du Procureur de la CPI, toutes les conditions sont réunies pour que le prévenu, en prison au Mali depuis un an et transféré à La Haye le 31 mars, soit jugé.

Crimes de guerre « Les charges retenues contre Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud sont, tel qu’indiqué dans le mandat d’arrêt émis sous scellé par la Chambre Préliminaire I le 27 mars 2018 : des crimes contre l’humanité de torture, viol et esclavage sexuel, persécution pour des motifs religieux et sexistes et autres actes inhumains. Ainsi que des crimes de guerre d’atteintes à l’intégrité corporelle et atteintes à la dignité de la personne, condamnations prononcées sans un jugement préalable rendu par un tribunal régulièrement constitué et assorti des garanties judicaires généralement reconnues comme indispensables, viol et esclavage sexuel et attaques dirigées contre des bâtiments consacrés à la religion et monuments historiques », explique Richard Nsanzabaganwa, conseiller en coopération internationale auprès du bureau du Procureur. Le djihadiste âgé de 40 ans est originaire d’Hangabera, 10 km au nord de Goundam dans la région de Tombouctou. Il aurait été membre d’Ansar Eddine et commissaire de facto de la Police islamique. Il aurait également été associé au travail du Tribunal islamique à Tombouctou et aurait participé à l’exécution de ses décisions. M. Al Hassan aurait pris part à la destruction des mausolées des saints musulmans à Tombouctou en juin 2012 grâce à l’utilisation des hommes de la Police islamique sur le terrain. Il n’est cependant pas poursuivi pour ce dernier crime pour lequel un autre djihadiste Ahmad Al Faki Al Mahdi a été jugé et condamné pour neuf ans de prison pour sa responsabilité dans ce crime de guerre. Al Mahdi a également été condamné à payer 2,7 millions d’euros en réparation.

Petit poisson « Les chefs de cet homme sont connus et ils sont en liberté », regrette Me Fatoumata Diarra, ancienne juge internationale ayant siégé une quinzaine d’années dans les cours et tribunaux internationaux. « Mais c’est aussi une question de choix. C’est bien l’Etat du Mali qui décide qui il veut envoyer devant la CPI et qui il veut juger lui-même », explique le magistrat. En effet, le Mali qui a ratifié le Statut de Rome le 16 août 2000, a renvoyé à la CPI la situation qui prévaut sur son territoire depuis janvier 2012. Les enquêtes au Mali portent essentiellement sur les crimes de guerre qui auraient été commis depuis janvier 2012, principalement dans les trois régions de Gao, Kidal et Tombouctou dans le nord du pays, et sur des faits survenus à Bamako et Sévaré dans le sud. « La justice internationale est une justice au secours en ce sens qu’elle agit que lorsqu’un État n’a pas soit la volonté ou la capacité de juger des auteurs de crimes, et cela en vertu du principe de la complémentarité positive », explique Drissa Traoré, coordinateur du projet conjoint AMDH-FIDH. « La justice nationale à qui incombe la première responsabilité de juger est dans un état inerte ne permettant pas aux victimes d’être reconnues comme telles et d’offrir des réparations à hauteur des préjudices » déplore-t-il. « Nous venons en effet en appui à la justice nationale, nous ne la remplaçons pas », explique Me Amady Ba, chef de la Section coopération internationale du bureau du Procureur. C’est donc le Mali qui envoie et enverra ceux qu’il désire voir juger à la CPI. Si certains cas ont été jugés au Mali, « c’est qu’ils entrent dans le cadre de la compétence juridique des tribunaux maliens et que la justice de notre pays est apte à les juger. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire que la CPI ne peut pas plus tard les réclamer pour d’autres affaires. C’est d’ailleurs le cas de Al Hassan qui était en prison au Mali depuis un an sous d’autres charges, avant l’émission du mandat d’arrêt ». « Si les gros poissons doivent venir à la CPI, ils viendront », assure un de ses collaborateurs. Plusieurs dossiers concernant le Mali sont en effet en cours d’enquête et dans les couloirs de La Haye on préfère ne pas trop rentrer dans les détails les concernant. Il n’est d’ailleurs pas exclu que Al Faki Al Mahdi revienne devant les juges. « Cette procédure avait laissé un goût d’inachevé et la FIDH, AMDH, WILDAF et d’autres organisations avaient insisté auprès du bureau du Procureur afin que d’autres poursuites soient ouvertes pour d’autres charges, notamment les crimes sexuels », explique M. Traoré.  « Cela pourrait se faire très bientôt », révèle-t-on.

En attendant la confirmation des charges, c’est une soif de justice qui anime les victimes des nombreuses exactions commises au Mali sur la période concernée. « Nous avons commencé à les rechercher et elles vont prendre part, pour celles qui le souhaitent, à ce processus qui n’est pas facile et qui peut durer des années », explique-t-on au Bureau du Procureur. « C’est pour elles qu’existe la CPI, c’est pour les victimes que nous travaillons, afin qu’elles obtiennent justice et réparation », explique pour sa part Fatou Bensouda, Procureur de la CPI. « C’est grâce à leur courage, aux risques qu’elles acceptent de prendre pour venir témoigner, la confiance qu’elles placent en notre juridiction, que la CPI a sa légitimité », se réjouit le juge de Richambaut. En septembre prochain, Al Hassan sera donc face aux juges. D’ici là, d’autres affaires pourraient arriver sur leur table. « Je n’y crois pas. Le calendrier de cette comparution est purement politique. C’est pour montrer aux Maliens qu’on veut juger ces gens », déclare « Abdou ». Il espère, à l’instar des centaines d’autres victimes ou leurs proches, que l’élan va continuer et que de l’intérieur comme à La Haye, le droit soit dit. « Pas de développement sans paix. Pas de paix sans justice », conclut Fatou Bensouda.

 

Kémi SEBA expulsé du sol sénégalais

Jugé pour avoir publiquement brûlé un billet de francs CFA, l’activiste Kémi Séba a fait l’objet d’une mesure d’expulsion du sol sénégalais ce 05 septembre.

Kémi SEBA est arrivé ce jeudi 07 septembre 2017 en France, et a déclaré dès son arrivée : « Jamais noyé, juste en apnée ».

L’activiste franco-béninois Stélio Gilles Robert Capo CHICHI, alias Kémi SEBA a été expulsé, le mercredi 06 septembre 2017 vers la France, « pour des actions préjudiciables à l’ordre public », selon les autorités sénégalaises.

Kémi SEBA, président de l’ONG Urgences Panafricanistes, avait été arrêté le 25 août 2107 et placé sous mandat de dépôt à la prison de Rebeuss, à Dakar pour avoir brûlé un billet de francs CFA, le 19 août, lors d’une manifestation contre la françafrique. Suite à une plainte de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), institut d’émission du franc CFA, Il a été poursuivi par la justice sénégalaise pour des faits de destruction volontaire et publique « de moyens de paiement ».

Il avait été relaxé avec son compagnon de lutte poursuivi pour complicité, à l’issue de son procès.

« Son expulsion a été prononcée pour devenir immédiatement exécutoire le 05 septembre 2017 », selon le communiqué de presse du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique.

 

 

ATT doit-il être traduit en justice ?

à€ la fin 2013, suite à  l’élection du président Ibrahim Boubacar Keà¯ta (IBK), une demande de procédure judiciaire a été transmise au président de l’Assemblée nationale par le procureur général, afin d’établir des faits susceptibles d’être retenus contre ATT. Le gouvernement mettait alors en place la Haute cour de justice, seule capable de juger un ancien chef d’à‰tat, et l’Assemblée nationale créait, le 1er juillet 2014, une « commission ad hoc » composée de 15 députés, dont 7 RPM, 3 APM, 2 ADEMA, 1 SADI (Oumar Mariko) pour la majorité, et 2 pour l’opposition, Chargée de produire un rapport et une proposition de mise en accusation devant la Haute cour de justice, ses travaux ont démarré en juillet 2014 et des auditions de plusieurs personnalités de différents secteurs de la vie publique ont eu lieu entre septembre 2014 et fin février 2015. l’objectif était d’établir les crimes, qualifiés de haute trahison, reprochés à  l’ancien président : déstabilisation du territoire national en ayant facilité la pénétration et l’installation de forces étrangères, destruction ou détérioration volontaire de l’outil de défense nationale, participation à  une entreprise de démoralisation de l’armée par des nominations de complaisance d’officiers incompétents et au patriotisme douteux, opposition à  la circulation du matériel de guerre, etc. Pour Sadou Diallo, maire de la commune de Gao, et président du PDES, parti créé par les proches d’ATT, ces accusations ne tiennent pas debout. « s’il doit être jugé, alors l’à‰tat actuel doit être jugé aussi. On l’accuse pour la rébellion au Nord, mais la rébellion n’est pas finie ! Pour quelle raison devrait-on le juger ? ». Naà¯veté ou erreurs de jugement ? Le bilan sécuritaire des dix années d’ATT semble être l’un des éléments de réponse. « Nous avions un arsenal militaire vieillissant, bon pour la parade du cinquantenaire de l’indépendance. Et au moment de la prise du Nord, nos militaires étaient armés mais n’ont pas combattu par manque d’entraà®nement et de motivation. De plus, la présence de l’armée malienne dans le nord était dispersée », confie cet ancien militaire sous anonymat. Les constats faits par les membres de la commission attestent que l’essentiel des forces était stationnée au sud alors que la réalité de l’insécurité était au nord. Pour ce diplomate, « les accords de paix des années 1990 et 2000, sous médiation étrangère, ont poussé à  une démilitarisation progressive du Nord, la présence de l’armée malienne y étant mal vue, elle s’est globalement repliée vers le Sud ». Et d’ajouter : « Le président ATT a peut-être été un peu naà¯f de croire que la solution n’était pas militaire et qu’en donnant de l’argent ou des postes à  certains, il allait calmer le jeu. Maintenant, est-ce qu’on ne lui a pas caché la réalité des choses ? » La question reste posée. Des sources militaires indiquent qu’elles ont signalé via des rapports au gouvernement, dès 2003, la présence grandissante d’AQMI. Selon elles, ces rapports étaient vidés de leur essence et témoignaient ensuite d’une situation sous contrôle… Dans ces analyses, la Commission retient que le dialogue prôné par ATT n’était pas de nature à  apaiser la situation, déjà  compromise. Le rapport indique aussi que l’arsenal militaire n’avait pas été renforcé et que le manque de matériel et d’équipements était la conséquence de la volonté politique manifeste des plus hautes autorités du pays. Ces constats et remarques confirment l’état de déliquescence des forces armées nationales du début des années 2000 jusqu’aux malheureux évènements qui ont ébranlé le pays en 2012. Pourtant, selon la commission, « les infractions reprochées à  ATT sont juridiquement délicates à  établir, et n’ont pas d’assises juridiques solides ». Un rapport qui manque de preuves matérielles La difficulté pour la commission d’apprécier la culpabilité de l’ancien président a aussi été renforcée par un certain nombre de contraintes, concernant notamment la non-transmission, par le gouvernement, d’actes réglementaires tels les décrets, arrêtés, rapports administratifs et autres, pouvant étayer les crimes reprochés à  l’ancien chef d’à‰tat. En conclusion, le rapport indique que « toutes les infractions dénoncées et reprochées à  ATT sont assimilables au crime de haute trahison », mais « qu’en l’état actuel des travaux, la commission ad hoc n’est pas parvenue à  une réelle appréciation objective des faits infractionnels dénoncés ». à€ la question de savoir quelle est la responsabilité pénale de l’ancien président, il a été difficile, voire impossible, de réunir les éléments d’appréciation. La décision quant à  la poursuite d’ATT appartient donc maintenant à  l’Assemblée nationale, qui devra voter courant avril. Un choix cornélien car, si l’ancien président devait être poursuivi, le gouvernement de consensus qu’il dirigeait dans la concertation et nombre de ses soutiens unanimes, pourraient venir grossir le rang des accusés. « ATT est un homme qui a partagé le pouvoir, pendant dix ans. Donc il ne peut pas comparaà®tre devant la barre seul ! », assène le président du PDES. Pour cet autre, « ceux qui l’ont soutenu politiquement à  l’époque lui ont tourné le dos, ils sont allés là  o๠la tartine est beurrée ». Contexte politique favorable Sur le terrain politique, Soumaà¯la Cissé, président de l’URD, en présence d’autres partis, a demandé au président IBK, lors de la conférence nationale de son parti le 26 mars dernier au CICB, de « favoriser le retour au pays d’Amadou Toumani Touré », qui selon lui pourrait aider à  la réconciliation et à  la paix. Depuis 4 ans, le contexte politique malien a évolué et aujourd’hui, à  l’heure de la réconciliation nationale, il semble difficile d’en écarter le président ATT. Pour maà®tre Konaté, avocat et co-fondateur du cabinet Jurifis, « Pour réconcilier le Mali, il faut prendre en compte tout « les Mali », celui de l’indépendance, le Mali de Moussa Traoré, le Mali de la transition, le Mali d’ATT et le Mali actuel d’IBK. Une des options principales pour les Maliens, s’ils veulent pleinement emprunter le chemin de la réconciliation nationale, serait de faire fi de toutes les poursuites, y compris politico-judiciaires, pour faire en sorte que tous les acteurs essentiels de la République du Mali puissent se retrouver pour la paix et la réconciliation nationale », conclut-il.