Nouveau naufrage en Méditerranée: 146 disparus, selon l’unique survivant

Quelque 146 migrants sont portés disparus après un nouveau naufrage au large de la Libye, selon le récit livré mercredi à l’ONU par le seul survivant, un jeune Gambien secouru apparemment par hasard en mer.

Ils venaient du Nigeria, de Gambie ou encore du Mali, il y avait parmi eux cinq enfants et plusieurs femmes enceintes, a raconté cet adolescent de 16 ans à un représentant du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) à l’hôpital de Lampedusa, l’île italienne la plus proche des côtes libyennes.

Le canot est parti dimanche ou lundi de Sabrata, dans le nord-ouest de la Libye, mais a commencé à prendre l’eau au bout de quelques heures. Le jeune Gambien a raconté avoir survécu en s’agrippant à un bidon d’essence.

C’est un navire militaire espagnol de l’opération européenne anti-passeurs Sophia qui l’a tiré de l’eau, avant qu’une vedette des gardes-côtes italiens vienne le conduire dans la nuit à Lampedusa.

Selon les premiers éléments recueillis par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), il a été repéré presque par hasard par le navire espagnol.

« Cela démontre qu’il y a peut-être des naufrages dont nous ne saurons jamais rien, parce que les embarcations coulent sans laisser de trace », a déclaré à l’AFP Flavio di Giacomo, porte-parole en Italie de l’OIM.

Depuis le début de l’année, au moins 590 migrants sont morts ou disparus au large de la Libye, selon un bilan de l’OIM établi avant ce naufrage.

– 1.100 migrants secourus –

La semaine dernière, l’ONG espagnole Pro-Activa Open Arms avait découvert deux canots vides et en partie coulés, laissant redouter des dizaines de disparus puisque les passeurs entassent en général entre 120 et 140, parfois beaucoup plus, sur ces embarcations de fortune.

Un bateau de l'ONG espagnole Pro-Activa Open Arms, le 12 octobre 2016 au large de la Libye / AFP

Un bateau de l’ONG espagnole Pro-Activa Open Arms, le 12 octobre 2016 au large de la Libye / AFP

Le bilan de l’OIM ne prend cependant pas en compte ces disparus, estimant qu’au moins l’un des canots pourrait avoir été celui d’un naufrage la veille dans les eaux libyennes, dans lequel il y avait eu 54 survivants et 66 disparus.

Le danger ne freine cependant pas les départs: les gardes-côtes italiens ont annoncé avoir coordonné le secours de plus de 1.100 migrants entre mardi et mercredi matin au large de la Libye.

Ces derniers font actuellement route vers la Sicile, où ils porteront le total des arrivées cette année en Italie à plus de 24.000, soit une forte augmentation par rapport aux années précédentes.

Selon les ONG, cette accélération des départs serait due à la dégradation des conditions de vie des migrants en Libye et à la crainte, attisée par les passeurs, d’une prochaine fermeture de cette route maritime vers l’Europe.

Rome chercher en effet à renforcer sa coopération avec Tripoli pour tenter de s’assurant que les migrants soient intercepté avant d’atteindre les eaux internationales et conduits dans des camps avant d’être raccompagnés dans leur pays.

Cette stratégie suscite l’inquiétude des organisations de défense des droits de l’Homme, qui dénoncent les conditions effroyables en Libye pour les migrants d’Afrique sub-saharienne et rappellent que 40% de ceux qui arrivent en Italie et demandent à y rester pour raisons humanitaires obtiennent actuellement gain de cause.

Témoignages de rescapés de Lampedusa

Lorsque l’appel de détresse a été reçu dimanche 8 février, le principal navire utilisé dans le cadre de l’opération Triton, pour la surveillance des frontières de l’UE, était à  quai pour entretien à  des centaines de kilomètres, à  Malte. Les grands navires militaires employés par Mare Nostrum, l’ancienne opération italienne de recherche et de sauvetage, n’étaient pas non plus utilisables et étaient en outre amarrés encore plus loin, en Sicile. « Les garde-côtes italiens ont réagi de manière admirable et avec un courage exceptionnel à  l’appel de détresse, consacrant de longues heures au sauvetage alors que les conditions en mer étaient incroyablement dangereuses. Il est impossible de savoir combien de vies ils auraient pu sauver avec des ressources plus étendues, mais le nombre de victimes serait certainement moins élevé », a déclaré Matteo de Bellis, chargé d’action sur l’Italie à  Amnesty International, qui vient de rentrer de Lampedusa. « De très nombreux réfugiés et migrants continueront à  mourir en mer si le vide laissé par l’opération italienne de recherche et de sauvetage Mare Nostrum n’est pas comblé. » Les départs de réfugiés et de migrants ont brusquement augmenté au cours du weekend et cela continuera à  mesure que la Libye s’enfoncera dans la violence. Les garde-côtes italiens ont confirmé que des navires des autorités italiennes et de la marine marchande ont porté secours à  plus de 2 800 personnes en tout, dans au moins 18 bateaux entre vendredi 13 et dimanche 15 février. Pour le seul dimanche 15 février, 2 225 passagers d’une douzaine de bateaux ont été secourus. Cela survient à  peine une semaine après la mort d’au moins 300 personnes en mer alors que quatre bateaux tentaient d’effectuer la traversée entre la Libye et l’Italie par temps orageux. Des délégués d’Amnesty International se sont entretenus avec certains des rescapés de cette tragédie. Départ de Libye Selon les témoignages des rescapés, 400 migrants en tout, pour la plupart des hommes jeunes originaires d’Afrique de l’Ouest, tentaient de traverser la Méditerranée depuis la Libye à  bord de quatre bateaux, lorsqu’ils ont rencontré des difficultés dimanche 8 février. Des passeurs les avaient gardés près de Tripoli en attendant le jour de la traversée, après leur avoir fait payer l’équivalent de 650 euros. Dans la soirée de samedi 7 février, les passeurs, armés, ont conduit les migrants dans la ville portuaire libyenne de Garabouli, à  40 km à  l’ouest de Tripoli, et les ont fait monter à  bord de quatre grands canots gonflables. Tôt le lendemain, lorsque les bateaux sont partis à  la dérive dans la Méditerranée au nord de la Libye, il était clair qu’ils étaient en grave danger. Appel de détresse Des garde-côtes italiens ont dit à  Amnesty International qu’ils avaient reçu un appel à  l’aide par téléphone satellitaire en début d’après-midi le 8 février, depuis une zone située à  120 miles nautiques (222 km) au sud de Lampedusa et 40 miles nautiques (74 km) au nord de la Libye. L’appel était en grande partie inintelligible mais les fonctionnaires sont arrivés à  distinguer les mots « dangereux, dangereux » en anglais. Les gardes-côtes ont souligné que, compte tenu des circonstances, les migrants se dirigeaient vers une mort quasi certaine. Les prévisions météorologiques dans ce secteur de la Méditerranée étaient mauvaises pour la semaine toute entière. Les bateaux étaient propulsés par des petits moteurs hors-bord, et les passeurs n’avaient semble-t-il pas fourni suffisamment de carburant pour le trajet. Selon les témoignages de certains rescapés, plus de 300 personnes ont péri. Les migrants, dont beaucoup étaient légèrement vêtus, ont été exposés à  des conditions météorologiques extrêmes pendant près de deux jours, et notamment à  des températures proches de zéro, à  la pluie et même à  de la grêle tandis que les bateaux étaient parfois ballotés sur des vagues faisant jusqu’à  huit mètres de haut. Les garde-côtes italiens intervenus en premier sont parvenus à  secourir 105 passagers d’un des bateaux, le 8 février à  21 heures, mais 29 de ces personnes sont mortes d’hypothermie et d’autres causes après le sauvetage. Deux navires marchands se trouvant à  proximité ont secouru neuf autres survivants sur deux autres bateaux. Les rescapés ont confirmé qu’il y avait quatre canots en tout, numérotés de 1 à  4. L’un des quatre n’a toujours pas reparu. Amnesty International a parlé à  Ibrahim, un jeune homme de 24 ans originaire du Mali qui était l’un des deux seuls rescapés de son canot : « Dimanche [vers 19 heures], le bateau a commencé à  se dégonfler et à  se remplir d’eau. Des gens sont tombés dans la mer. à€ chaque vague, deux ou trois passagers étaient emportés. L’avant du bateau se soulevait, alors des gens se trouvant à  l’arrière tombaient à  l’eau. à€ ce stade-là , à  peine une trentaine de passagers se trouvaient encore dans le bateau. Un côté du bateau […] flottait encore […] et [nous nous agrippions à  une corde car nous avions] de l’eau jusqu’au ventre. [Au bout d’un moment] nous n’étions plus que quatre. Nous avons continué à  nous accrocher, ensemble, toute la nuit. Il pleuvait. Au lever du soleil, deux ont disparu. Pendant la matinée, nous avons vu un hélicoptère. Il y avait une chemise rouge dans l’eau ; je l’ai agitée pour qu’ils me voient. Ils ont lancé un petit bateau gonflable, mais je n’avais pas l’énergie nécessaire pour l’atteindre. Alors nous sommes restés, en nous cramponnant. Un demi-heure plus tard, un cargo est arrivé. Ils ont jeté une corde pour que nous montions à  bord. Il était environ 15 heures [lundi 9 février]. » Lamin, lui aussi originaire du Mali, était à  bord de l’autre canot approché par un navire marchand : « Nous étions 107 [à  bord]. En haute mer, les vagues jetaient le bateau vers le haut et vers le bas. Tout le monde avait peur. J’ai vu trois passagers tomber à  l’eau. Personne ne pouvait aider. Ils essayaient de s’accrocher au bateau mais n’y arrivaient pas. Et puis beaucoup d’autres personnes sont mortes, peut-être en raison du manque d’eau et de nourriture. C’est impossible pour moi de dire combien sont mortes. Quand un gros navire marchand est venu nous secourir, nous n’étions plus que sept. Nos sauveteurs ont lancé une corde et nous ont fait monter à  bord. Pendant le sauvetage, [notre] bateau s’est plié en deux et a coulé, emportant tous les corps. » Opération de secours Les garde-côtes italiens ont répondu à  un appel de détresse le 8 février en envoyant un aéronef de recherche et quatre bateaux de patrouille – dont deux ont été dépêchés immédiatement, suivis par deux autres après que l’un des deux premiers bateaux a eu des problèmes de moteur. Le responsable du centre des opérations de sauvetage des garde-côtes italiens a reconnu avec franchise que les ressources à  leur disposition étaient limitées : « Pouvez-vous imaginer ce que cela signifie de couvrir cette distance avec un bateau de 18 mètres au milieu de vagues hautes de huit ou neuf mètres ? Nous craignions pour la vie des membres de notre équipage […] Lorsque les traversées reprendront après l’hiver, nous ne serons pas en mesure de les récupérer tous, si nous restons les seuls à  y aller. » Il est urgent d’agir Les résidents et responsables de Lampedusa sont sous le choc après la dernière d’une longue série de tragédies survenues en mer près de leur à®le. Le maire Giusi Nicolinini a déclaré à  Amnesty International : « Lorsque les morts arrivent, on se sent vaincu. On se demande pourquoi rien ne change jamais. L’Europe est complètement absente – on n’a pas besoin d’être un expert de la politique pour le comprendre. » Amnesty International engage les pays de l’UE à  procéder à  des opérations de recherche et de sauvetage qui soient collectives et concertées le long des itinéraires empruntés par les migrants, au moins au même niveau que ce qu’accomplissait Mare Nostrum. En attendant, l’organisation exhorte l’Italie à  doter les services concernés de ressources d’urgence supplémentaires jusqu’à  ce que cela se concrétise. Complément d’information Un grand nombre des personnes sauvées après la tragédie de la semaine dernière sont originaires de Côte d’Ivoire (41, dont deux mineurs), et les autres du Mali (23, dont un mineur), du Sénégal (neuf), de Guinée (sept), de Gambie (deux) et du Niger (deux). Les Ivoiriens représenteraient par ailleurs plus de la moitié des personnes ayant succombé après le sauvetage – 15 sur 29, les autres étant sept Maliens, cinq Sénégalais, un Guinéen et un Mauritanien. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a déclaré qu’il s’attendait à  ce que des migrants continuent à  traverser la Méditerranée en 2015. Quelque 218 000 personnes ont effectué cette traversée en 2014, et les chiffres de janvier 2015 montrent une augmentation de 60 % du nombre d’arrivées de migrants enregistrées en Italie par rapport à  janvier 2014. Près de 3 500 décès ont été enregistrés l’an dernier, ce qui fait de cette traversée l’itinéraire le plus mortel au monde.

Lampedusa: la mort au bout du voyage

Lampedusa. Une mer de têtes…Des enfants, des femmes,des jeunes, des moins vieux, dans l’eau…C’est bien la enième fois que ces images passent en boucle sur les télévisions. Des africains qui « fuient la faim et la guerre » et qui partent à  l’assaut de leur eldorado. Traversent le désert, la mer, bravent la faim qu’ils sont censés fuir, la violence qui les chassent de chez eux, pour mourir, affamés, assoifés ou noyés… Ce n’est pas la première fois que tout le monde crie: « ce n’est plus possible! », « ça ne peut plus continuer », « l’Europe doit prendre des mesures », « l’Afrique doit pouvoir gérer »… Et puis quoi encore???? Si nous arrêtions de faire semblant? C’est normal d’être choqué devant tant de vies perdues. Mais n’est-il pas temps de se poser les bonnes questions? Aux autorités, oui d’accord. Elles doivent évidemment prendre la mesure des choses et tout faire pour améliorer la vie de leurs peuples au lieu de construire des chateaux en Espagne (ou ailleurs..). Mais à  nous mêmes aussi!!! A toi qui veut partir en exil en France, en Suisse ou en Espagne, ou ailleurs, alors que le ressortissant de ces pays ne rêvent que de venir vivre en Afrique… T’es tu jamais demandé pourquoi ils ne veulent pas te laisser entrer chez eux? Mais au delà  de ça, pourquoi choisir de partir? Ce voyage incertain qui te coûtera dix voire vingt mille euros, pour au final aller servir dans une station essence ou laver des sols de bureaux, vaut-il vraiment la peine? Tes frères et sœurs resteront au pays, à  rouler les carrosseries, pendant que, si tu parviens au bout du voyage, tu devras te priver d’au moins un repas par jour pour envoyer le western union mensuel? Cela vaut-il vraiment la peine de mettre ta vie en danger pour aller vivre comme une bête, à  ne pas pouvoir revenir au pays enterrer ta vieille mère parce qu’une fois sorti tu ne pourras plus entrer de nouveau? A sursauter quand tu croises un policier? A vivre dans une pièce sans fenêtre avec tes enfants, alors que pour le même prix, si tu avais des papiers, tu serais dans un appartement agréable? Pourquoi es-tu prêt à  tout sacrifier au nom de « pas d’avenir en Afrique »? Regardes autour de toi! Les lignes bougent. Ton eldorado est en crise, il se cherche, il jette ses fils à  la rue, comment veux tu qu’il t’accepte toi? Ouvre les yeux, enfant d’Afrique. Que tu survives au voyage, les privations et les frustrations finiront bien par avoir raison de toi.Arrêtes de voir l’herbe verte ailleurs. Ce n’est pas l’herbe, c’est de l’eau, des flots qui vont t’engloutir. A mon humble avis, pour ce que tu vas y trouver, c’est trop cher payé…