Lady Kane, ange ou démon ?

Déjà en mars dernier, l’ancien gouverneur du District de Bamako Hadi Traoré réunissait les maires et les différents services  techniques de la capitale malienne, afin de trouver une solution aux engorgements des grandes artères de la ville. Une énième tentative, qui a vu lamentablement échouer les précédentes  initiatives en la matière. Forte de sa bonne volonté, l’Ex-patron du gouvernorat voulait tout de même tenter le coup, comme ses prédécesseurs, qui avaient souhaité extraire, Bamako de l’image dite, d’urbanisation chaotique, qui colle à la peau de nos capitales africaines, depuis des décennies.

Dans cette même perspective, l’acte premier du règne de Madame Ami Kane-Sacko se campe dans un décor de gros coups de ménages. Bulldozers à l’appui, Iron Lady of throne,  ne lésine pas sur les moyens, ce qui n’est pas sans heurter une partie du Mali. Autre acte concourant à couper, IBK, davantage d’une partie de sa base. Ainsi l’opinion nationale et sa presse s’en trouvent divisées. Ce qui peut paraître également un bémol de plus dans la situation actuelle du pays, est aussi normal, parce que rares sont les décisions politiques qui créent l’unanimité en démocratie. Tant mieux pour le débat !

La toute nouvelle Gouverneur (e) du District de Bamako est propulsée sous les feux des projecteurs, encore une fois. Que dire ?  Les balles de diatribes « cris-tiques » de tout bord. Sa simple évocation anime actuellement, bien des passions dans les sphères de débat public.

Certains des cris peuvent s’entendre d’un point de vue purement humain, quand il ne s’agit pas d’attiser la sensibilité du peuple pour des fins politiques et démagogiques. Oui les déguerpis nourrissent des milieux de famille avec leur gain journalier. Certes, ils ont investi illégalement le domaine public, pis, ont surtout fini par croire qu’ils étaient dans leur bon droit. Un malentendu encouragé par l’absence d’application des règles normatives, quand elle n’est pas accompagnée de toutes sortes de considérations para-sociétales. Le démon de la démocratie -l’anarchie- jamais loin investit très rapidement les rues. C’est pourquoi chaque action publique doit mobiliser l’adhésion des différentes parties avant lancement.

L’action de déguerpissement souligne un véritable problème de société. Plus d’un malien sait, oh combien le secteur informel, constitue un levier important de l’économie du pays, néanmoins capital à la survie de beaucoup de nos compatriotes. Ce point n’est pas sans accusé un second problème, celui de l’auto-occupation de la jeunesse désœuvrée ; en exode rural ou même sédentaires. Lorsque, plus de la moitié d’une population vit sous le seuil de l’extrême pauvreté, ces cris  ne peuvent être qu’amplifiés, aussi, inévitablement se vêtir du vieil apparat de l’injustice, moteur de toute indignation. Nombre d’actions politiques se révèlent créatrice d’injustice. Comment faire, pour éviter que cette « injustice » ne fracture pas, alors plus, une société déjà fragilisée ? Là doit résider toute la dextérité de l’actant.

Une bonne campagne de sensibilisation n’aurait-elle pas aidé à faire adhérer une grande partie de la couche de la population ? Qui toutefois, se dit avoir été prise de revers par le débarquement des bulldozers de Mme Sacko. Manque de tact ? Ou, la Maîtresse ne s’est pas suffisamment montrée pédagogue ? C’est l’une des reproches que l’on peut formuler à son égard.

Enfin, ces cris peuvent notamment s’entendre, quand ils indexent une action initiée, pour les beaux yeux des invités de Bamako, comme à la veille de chaque sommet en Afrique, on cache les parias de la société, une fois les convives répartis, chacun retrouve sa place. Le jeu du chat et de la souris recommence au prochain événement.

En outre, peut-on désirer indéfiniment une chose et son contraire ? Il n’est point question ici de défendre tel ou tel camp, mais de regarder l’avenir en face et de se poser la question du : que veut le bamakois. Nul doute qu’il veut des artères assainies et une circulation fluide. Mais, mais le malien est profondément humain, l’émotion que crée, le : que deviendront ces hommes et femmes chassés de leurs lieux de gagne-pain, est tout aussi sûre de trouver un échos certain, dans de tels contextes. Et la ville impitoyable s’avère productrice de « déchets humains ». D’où les différentes apostrophes à l’égard de la principale intéressée ? Oui et non, car toutes les remarques ne sont pas objectivement justifiées.

Certains argueront qu’à la regarder, la ville des Bamba saba ne deviendra jamais une grande métropole hyper modernisée, New-York ne s’est pas fait en un siècle et le Paris des buildings avant, était la Lutèce des toits de chaume. On peut donc aisément, se laisser rêver un jour, se balader sur plusieurs kilomètres de pavés, garder nos sotrama, mais pouvoir voyager rapidement en tramway ou en métro hors des tracas des embouteillages, etc. Pour cela il faut que quelqu’un commence quelque part le ménage. Faire le ménage, en revanche, en toute humanité bien sûr. En cela dénicher des alternatives convenables aux commerçants détaillants aux abords de nos artères, leur proposer des lieux adaptés, en plus de leurs fournir des mesures d’accompagnement nécessaires à leur installation. Pas à coup de crédit qui leurs nouera une corde au cou à tout rompre, mais une véritable aide logistique et financière, aide d’état à l’auto-entrepreneuriat. Seule une aide juste permettra l’adhésion unanime à une réorganisation judicieuse des espaces urbains, qui enfin poindra des décisions prises, desquelles s’accompagnent de solutions humaines pour un bon développement. En effet, une action poursuivie dans la durée, qui n’est pas simplement l’expression de caprice d’un jour.

Dans ce cas, passé en revue toutes les voies goudronnées de Bamako, répertorier celles à mettre en circulation aux normes conventionnelles mais également s’assurer de la praticabilité des anciennes. Nous le savons tous, que bien des voies au centre même de Bamako couvent d’énormes surprises, sur lesquelles il faut garder vigilance en toute circonstance : trous bouchés par des ordures, nids de poules qui sont les causes de plusieurs accidents, parfois mortels.

Pour finir, « Nul ne peut régner innocemment », certainement. Mme Kane-Sacko a décidé d’aller au bout de ses actions. Ce ne sera pas sans conséquences. Comment peut-on lui reprocher sa démarche jusqu’au-boutiste ? L’autorité est censée faire respectée la loi, alors il faut que cela ne soit pas une initiative à court terme. D’aucuns soutiennent l’argument que, Bamako doit se montrer sous de meilleurs attraits lors du prochain sommet Afrique-France, avec l’appui du gouvernement malien, la gouverneure persiste, assume et continue. Cependant, le kiosque ou le petit hangar du bout de la rue  fait partie du paysage urbain africain. Il alimente les littératures du continent depuis son aube. Comment faire pour que, par exemple Apolo (parmi tant d’autres) garde sa dibiterie en respectant les nouveaux plans de réaménagement de la ville ? L’exercice est périlleux, sans compter la difficulté de contenter tout le monde. Toutefois, garder une authenticité malienne dans ce nouveau paysage peut se découvrir de bon augure. Une équation bien complexe.

Nous pensons que, tout pays mérite d’avancer avec toutes ses entités, pauvres et riches, le pauvre d’un jour est le riche de demain, encore faut-il l’aider efficacement à y arriver, une fois ce dernier arrivé ne doit aucunement pas oublier qu’il a été pauvre. Dans cette dynamique circulaire, il faut redistribuer dans la légalité, bien entendu.

Ami Kane-Sacko paraît un ange pour certains et est représentée comme un démon à « sept têtes » par d’autre « Mourou daka gôn, sogo ka fassa », dixit les Bamanan.

3 questions à Sacko Aminata Kane, Gouverneur du District de Bamako

Cette opération de déguerpissement est-elle pour vous un défi personnel ?

Oui, c’est un défi personnel. Je sais que faire de Bamako ce que nous voulons, ce n’est pas du tout facile mais c’est un défi que je compte relever pour le bien-être et avec l’appui de toute la communauté.

Vous recevez le soutien des autorités et des acteurs mais sur le terrain, la situation est plutôt tendue, avec des échauffourées entre commerçants et forces de l’ordre.

On ne peut pas dire qu’il y ait des échauffourées. C’est un incident malheureux qui s’est déroulé le samedi (30 juillet, ndlr) au moment de l’évacuation des kiosques situés derrière le jardin de la Cathédrale. Sinon, si vous circulez dans Bamako, vous allez voir que les gens sont en train de démonter d’eux-mêmes leurs kiosques. Cela montre que tout le monde a compris le sens de mon action.

Cette action, d’aucuns pensent qu’elle se limitera à la perspective du sommet Afrique-France. Avez-vous un plan pour en pérenniser les résultats et que ce passera-t-il après les déguerpissements ?

Quand les étrangers vont partir, c’est nous les Maliens qui resterons. Moi je fais ce travail pour mon pays, pas pour le sommet. D’ailleurs, nous comptons aménager les espaces, les trottoirs seront dégagés, nous allons placer des poubelles, former des jeunes qui vont sensibiliser la population par rapport à la gestion des ordures qui sont jetées n’importe comment. Nous n’en sommes qu’au début de notre programme, que vous me permettrez de ne pas dévoiler.

Quelles alternatives pour les déguerpis ?

Après l’orage provoqué par les opérations de déguerpissement qui continuent d’alimenter les conversations, c’est le temps du dialogue. Le gouverneur, conscient de la popularité limitée de son action, ne veut pas baisser pavillon. Pendant ce temps, se pose la question du recasement des déguerpis…

Existe-t-il des options de recasement immédiat ? Non, répond-on du côté des mairies, partenaires de cette opération, où l’on assure que les commerçants détaillants ont connaissance des alternatives existantes : aller rejoindre les marchés officiels existants. En commune 5, le marché de Kalabancoro, dont les travaux de finition ont récemment connu un coup d’accélérateur, se pose comme un point de chute, tout comme les Halles de Bamako, boudées depuis leur construction par ces mêmes commerçants. « Nous avions demandé en 2014 aux maires de nous délimiter des espaces où les commerçants pourront s’installer. Depuis, ce dossier n’a pas encore été traité et ce qui se passe aujourd’hui en est une conséquence », déplorait Youssouf Bathily, président de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali, à l’issue de la rencontre le 1er juillet entre le Gouverneur et les différents acteurs. « Des sommes importantes ont pourtant été débloquées à titre d’incitation au départ. Les gens prennent l’argent, mais ils ne bougent pas », déplore un conseiller  municipal. Faux, rétorque Amadou Bedi Daou, président de l’Association des commerçants détaillants de Bamako, lui-même installé à Dabanani. « Le pire c’est que nous n’avons reçu aucune notification concernant cette opération. Au moins les gens auraient sauvé leurs marchandises », déplore-t-il. Il ajoute qu’avant l’arrivée du gouverneur Kane, leur demande adressée au ministère de l’Administration territoriale de leur céder des places ailleurs, dans d’autres marchés, n’a pas eu de suite favorable.

Un fond d’indemnisation ? Des échanges entre les acteurs, cette piste maintes fois évoquée n’a pas eu de suite. « Il faut que les gens comprennent qu’ils ne doivent pas être là. Dans quel pays va t-on dédommager quelqu’un qui a installé son commerce au beau milieu de la chaussée ? », s’interroge le conseiller municipal. Pour lui, ce sont les commerçants eux-mêmes qui doivent s’organiser et « faire les choses selon la loi ». « Laissez-les parler, nous on attend seulement qu’elle (le Gouverneur, ndlr) retourne dans son bureau à l’ACI 2000. Et nous, on revient s’installer », explique Minta, revendeur de tissus à l’Artisanat. Il urge donc de proposer des alternatives durables aux déguerpis afin d’éviter que cette opération ne soit un énième coup d’épée dans l’eau.

Bamako : Le pari d’Ami Kane

À l’annonce de sa nomination le 1er juin dernier à la tête du District de Bamako, le public avait, dans sa grande majorité, salué le mérite du contrôleur général de police, Ami Kane, qui après plus d’une décennie à la Brigade des mœurs et à la Direction de la police judiciaire, partait vers de nouveaux défis. La gestion de la capitale, avec les nombreux problèmes qu’elle connait, était un défi colossal. À peine deux mois après avoir été saluée, la voici l’objet de toutes les attentions de l’opinion, depuis le début de l’opération de libération des voies publiques. Les marques de soutien comme les critiques se multiplient face à cette action. La « Dame de fer », tel qu’on la surnomme déjà, va-t-elle tenir le cap ?

Rendre à Bamako son allure d’antan et l’amener au niveau des grandes capitales africaines, tel est la mission que s’est assignée le nouveau gouverneur de Bamako. Sacko Aminata Kane, dite Ami Kane, vient de commencer son mandat en s’attaquant à un gros chantier, celui de la libération des voies publiques de la capitale. Depuis des années, les tentatives se sont succédées pour débarrasser les artères et les trottoirs de la multitude de commerçants qui s’y sont installés au fil du temps. « Cela fait 11 ans que je suis à Railda. On se débrouille ici avec nos petites marchandises. Et c’est avec ce qu’on gagne qu’on nourrit nos familles. Comprenez que se lever comme ça du jour au lendemain n’est pas chose facile », explique Bakary, revendeur de friperies. Au centre ville de Bamako mais aussi dans les différentes communes, le spectacle d’une circulation entravée par les kiosques et autres étals était devenu la norme.

La méthode Ami Kane En s’attaquant à ce que tous reconnaissent pourtant comme un problème, le gouverneur a déchaîné le mécontentement des premiers intéressés, les commerçants, mais aussi dans l’opinion qui ne comprend pas « la méthode Ami Kane ». La tension est montée, au point de dégénérer le samedi 30 juillet, et on a assisté à des échauffourées entre commerçants et forces de l’ordre. Pourquoi alors cette hostilité ? « Parce qu’on touche à la survie des gens, c’est normal qu’ils protestent. Personne ne conteste le bien fondé de ce qui est fait. C’est la manière qui est discutable. On aurait pu éviter les tirs de gaz s’il y avait eu une démarche inclusive dès le départ », affirme Modibo, commerçant. « Il faut être un peu social. Je ne comprend que ce soit une femme qui nous fasse ça », se lamente de son côté Maï, vendeuse installée près de l’Assemblée nationale. Madou Traoré, tout juste déguerpi ce lundi 1er août, est amer. Il assure ne pas être contre l’opération, « mais j’aurais souhaité qu’on nous avise d’abord. Ils ont démoli nos places, souligne le jeune commerçant, sans nous en proposer d’autres » … Pourtant, assure le gouverneur, toutes les parties concernées par cette opération ont été largement concertées et ont donné leur accord pour sa mise en œuvre, voire se sont engagées à l’appuyer. Les autorités traditionnelles et religieuses, les notabilités de Bamako, mais aussi les organisations faîtières des commerçants ont été informées à travers une démarche personnelle du gouverneur, avant le début des déguerpissements. Rupture dans la chaîne d’information ? Non, répondent les organisations de commerçants. À la Chambre de commerce et de l’industrie (CCIM), on reconnait que cette opération devait intervenir depuis des années. Mais que la question des « mesures d’accompagnement n’étant toujours pas résolue, on doit procéder par le dialogue ». Un dialogue qui est demandé par tous les acteurs et que le gouvernorat a mis en place en organisant une rencontre d’échanges dont est sortie une seule conclusion : l’opération va continuer.

Opinion divisée Si parmi les commerçants eux-mêmes, dont environ 6 000 sont concernés par cette opération, nombreux sont ceux qui soutiennent cette action, dans la population et la société civile, les avis sont partagés. Sur les réseaux sociaux, de nombreux messages de soutien ont été adressés à Ami Kane mais aussi des critiques. « Vous détruisez des emplois et condamnez des chefs de familles à la délinquance », déplore un internaute. Les critiques portent également sur « les véritables raisons de cette action », qui seraient selon certains, uniquement liées à la préparation du sommet Afrique-France en janvier prochain. « Cela veut dire que nous les citoyens, ne valons pas la peine qu’on nettoie Bamako pour nous, on le fait parce que des étrangers doivent venir », fustige une internaute sur Facebook. Le parti d’opposition l’Union pour la République et la démocratie (URD) a pour sa part publié un communiqué condamnant l’opération et demandant son abandon immédiat. Dans le même temps, le Collectif des associations de Bamako remettait un Ciwara (distinction honorifique traditionnelle en milieu bambara, ndlr) à Ami Kane, pour « saluer son courage et la soutenir dans son action salvatrice ».

Volonté politique Pour beaucoup, le succès de cette opération et surtout la pérennisation de ses résultats dépendront de la persévérance du gouverneur et de sa capacité à résister à la pression sociale. « Elle a les capacités pour mener ce chantier à bout », assure un de ses collaborateurs. « Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle la Dame de fer », ajoute-t-il. Mais la première concernée assure que c’est surtout de l’appui des populations qu’elle a le plus besoin. Et de la volonté politique. Cette dernière est largement affichée et le président de la République n’a pas manqué, le 1er août dernier, de lui exprimer sa satisfaction et son soutien afin que Bamako ne soit plus une « ville-village », selon les propres mots du chef de l’État. Des mesures vigoureuses ont été prises avec l’aval des départements ministériels concernés (sécurité, commerce) pour que les déguerpis ne puissent plus revenir sur place. Car, la plupart en ont bien l’intention, « comme par le passé ». La question du recasement reste posée. Aucune mesure particulière n’a pour l’instant été prise et « les échanges sont en cours », a-t-on déclaré le 1er août à l’issue de la réunion au Gouvernorat. Des partenariats public-privé pour la construction de marchés modernes sont entre autres envisagés. Les commerçants eux dirigent leur colère sur les mairies qui « percevaient des taxes alors qu’aujourd’hui on nous dit qu’on était dans l’illégalité », comme l’affirme Modibo, commerçant en Commune 4. Pour toute réponse, le maire Siriman Bathily tend un document où il est rappelé aux commerçants que les autorisations d’installation sur le domaine public sont provisoires et peuvent être annulées quand l’État le juge nécessaire. « C’est la loi, c’est difficile mais c’est comme ça ». Et la loi, la Dame de fer de Bamako a bien l’intention de désormais la faire respecter.