Occupation illicite du domaine public : Le début de la fin ?

Le 28 novembre 2018, le Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maïga, s’est rendu sur le site des logements sociaux de N’Tabacoro. Plusieurs voies d’accès à certains de ces logements, non encore attribués, sont illicitement occupées par des particuliers. Un constat alarmant, qui illustre malheureusement une situation récurrente : celle de l’occupation illicite de sites souvent déclarés d’utilité publique.  Laxisme de l’État ou ignorance des textes par les acquéreurs, la pratique, qui s’étend bien au-delà de ce site, inquiète et interpelle.

« Si nous ne sommes pas des Maliens, que l’on nous retire nos papiers afin que nous partions ailleurs », se lamente Nouhoum Diakité qui s’affaire à récupérer quelques briques parmi les gravats de sa maison démolie, en cette fin de matinée du 3 décembre 2018, sur le site des logements sociaux de N’Tabacoro. Averti 3 jours auparavant par une notification d’huissier, il croyait encore au sursis, jusqu’à la dernière minute.

Encore sous le choc, il s’attarde avec sa famille sur cet espace qui abritait sa maison, qu’il habitait depuis 2011, date à laquelle il a acquis ce lot auprès d’un géomètre, dit-il. Une démarche d’autant plus illégale que non seulement il ne s’agit pas de la personne habilitée à vendre une parcelle et parce qu’à cette date l’État avait déjà crée des titres fonciers et déclaré d’utilité publique cette zone, explique Aly Waïgalo, géomètre – expert commis pour la circonstance. Le site concerné est d’environ 1 000 hectares, les logements et leurs voies d’accès ainsi que les installations nécessaires à sa viabilisation.

Après les enquêtes foncières, les occupants ont été recensés et les dossiers d’indemnisation instruits. Mais, entre temps, il y a eu la crise de 2012 et certains ont profité de la faillite de l’État soit pour venir morceler des terrains qui ne leur appartenaient plus, soit pour s’installer comme nouveaux occupants, dont la majorité était de mauvaise foi, selon un responsable..

Entre ces « nouveaux venus qui se sont fait avoir » et « ces prédateurs qui espèrent une nouvelle indemnisation », les spéculateurs fonciers ont continué à jouer sur le laxisme de l’État et le « flou » volontairement entretenu dans la pratique, selon Maître Amadou Tiéoulé Diarra, l’un des avocats qui défendaient en 2009 les dossiers des occupants « expropriés par l’État ».

Si l’expropriation pour cause d’utilité publique est admise, il est par contre inadmissible que les premiers occupants soient dépossédés au profit d’autres acquéreurs à titre privé. S’il déclare avoir pris de la distance par rapport au dossier, Maître Diarra affirme cependant que le flou autour du problème foncier  ne vient pas de la loi, « qui est claire ».

Les dispositions de la loi sont donc suffisantes et nul n’est censé l’ignorer, comme le dit l’adage. Pourtan,t les spéculations foncières continuent et s’étendent sur des sites de plus en plus « interdits », comme le domaine aéroportuaire.

Graves conséquences

« C’est du jamais vu.  L’ampleur de l’occupation n’avait jamais atteint ce niveau depuis la création du domaine », s’alarme Mohamed Diallo, le coordonnateur de la commission de surveillance du domaine aéroportuaire. Des parties épargnées jusqu’à là sont actuellement envahies. Pire,  les spéculateurs continuent de morceler dans la zone de trouée que survolent tous les avions au décollage ou à l’atterrissage.

Avec un trafic actuel sur l’aéroport de Bamako d’environ 30 à 40 vols de la MINUSMA par jour, ce sont donc des dizaines d’avion qui survolent quotidiennement, cette zone, en principe dégagée pour parer à toute éventualité, les constructions à usage d’habitation. Il s’agit de la zone vers Sénou, Sirakoro et Guana, à la périphérie de la capitale.

En plus de ce problème  de sécurité, c’est le fonctionnement  même des instruments nécessaires à la navigation aérienne et installés dans cette zone qui sera impacté par la présence de ces logements. Face à l’ampleur du phénomène, les autorités concernées s’activent et des initiatives, dont « le communiqué conjoint » des  ministères des Transports et de l’Urbanisme et de l’habitat, ainsi que les instructions du Premier ministre pour faire le point, sont en cours.

Des initiatives qui ne semblent pas pour le moment entraver la détermination des spéculateurs, qui s’activent aussi, selon M. Diallo. Ce qui fait de cette question d’occupation illicite « un véritable challenge pour l’aviation civile », qui a d’ailleurs décidé d’en débattre lors de la Journée internationale de l’aviation civile, le 7 décembre 2018.

Ces occupations illicites, qui constituent un risque pour le maintien de la certification de l’aéroport international Président Modibo Kéïta, présentent aussi un risque économique important pour les compagnies, dont les coûts d’exploitation pourraient augmenter. Au pire, elles pourraient décider de ne plus desservir le pays. Ce qui constituerait une grande perte, compte tenu de la place du transport aérien et en termes d’image.

Sensibilisation et fermeté

Pour répondre au phénomène, Aéroports du Mali a choisi de faire de la sensibilisation tout en continuant à alerter, sans exclure les mesures fortes, comme les démolitions, conformément aux dispositions des textes en vigueur. Appliquer de façon stricte les lois en la matière, c’est la mesure que semble pour le moment adopter les autorités. En effet, conformément à la loi 077 relative aux règles de la construction, modifiée en 2017, lorsqu’un particulier s’installe sur un domaine déclaré d’utilité publique, le recours à la justice n’est plus nécessaire et il suffit d’un constat fait par les services techniques de l’État. Le représentant de l’État prend alors un ordre de démolition exécuté dans de brefs délais, comme ce fut le cas pour le site des logements de N’Tabacoro après la visite du Premier ministre. Ces mesures permettront, selon les autorités, d’accélérer le processus d’attribution d’environ 10 000 logements sociaux, « bloqués à cause de 175 constructions anarchiques ».

Le suivi de ces mesures nécessite la mobilisation de moyens, dont le renforcement est sollicité par les acteurs. Aussi, pour empêcher les mauvaises interprétations de la loi et dissuader les spéculateurs, la justice doit jouer pleinement son rôle et être plus rapide. Car, si la lenteur peut s’expliquer par la complexité des litiges fonciers et les procédures en la matière, il existe aussi malheureusement des conflits d’intérêt mettant en cause le rôle de cet acteur-clé, selon Maître Aboubacar Diarra, avocat à la Cour.

Mise en valeur

Même s’il faut de la fermeté pour faire respecter les textes, le coordonnateur de la commission de surveillance du domaine aéroportuaire préconise la mise en valeur du domaine. Car cette zone de plusieurs milliers d’hectares déclarée d’utilité publique a des vocations qui ne sont pas pour le moment rendues effectives. « Un vide » qui attire donc des convoitises et Bamako ne fait pas exception en la matière. « Tous les aéroports proches des agglomérations ont ce problème » et la capitale malienne, qui est une ville en pleine expansion, n’échappe pas à cette réalité. Et, il y a quelques années, l’aéroport était situé à Hamdallaye, un quartier actuellement en plein cœur de la capitale, rappelle M. Diallo.

Le site actuel de l’aéroport de Bamako et son domaine constituent une « chance pour le Mali ». En effet, dans certaines capitales voisines, le site de l’aéroport est à environ 45 km du centre ville. Ce qui représente des coûts supplémentaires que nous pouvons éviter en préservant le site actuel. Car protéger le site est nettement moins coûteux qu’envisager son déplacement. En effet, pour construire le nouveau terminal inauguré il y a maintenant 2 ans, il a fallu des investissements d’environ 15 milliards de francs CFA. Alors que construire un nouvel aéroport, avec les autres investissements y afférant, nécessiterait jusqu’à 175 milliards, selon certaines estimations. Il faut donc investir dans des équipements et augmenter sa plus value afin de rentabiliser le site, pour le développement économique du Mali.

L’idéal serait « même de développer un sursaut national, afin que ceux qui achètent les terrains refusent de le faire pour le bien du pays », espère M. Diallo.

Salif Kodio : « Il n’y aura pas de clientélisme»

Qui est éligible ? Qu’est-ce qui pourrait faire annuler un dossier ? Comment éviter les polémiques suite à un favoritisme supposé ? Le Chef du département de l’administration des logements de l’Office malien de l’habitat (OMH), Salif Kodio, répond à nos questions.

La soumission des dossiers pour l’attribution des logements sociaux s’est close le 20 juin. Combien de dossiers avez-vous reçus ?

Il faut rappeler que le dépôt de dossier pour la première opération avait débuté le 10 mai et qu’il courait jusqu’au 11 juin 2018 pour les Maliens de l’intérieur. Pour ceux de l’extérieur, c’était jusqu’au 25 juin. Nous avons constaté que des postulants avaient rencontré certaines difficultés au niveau des banques. La date de dépôt pour les Maliens de l’intérieur a donc été prorogée jusqu’au 20 juin. À la date d’aujourd’hui, nous avons 23 780 postulants, toutes catégories confondues. Parmi eux, 14 453 hommes et 9 227 femmes. Les logements à offrir cette année sont de type F3 et F4. Pour cette opération, nous avons 5 928 logements au total, dont 3 743 pour Bamako et Kati.

Ces difficultés auraient-elles un rapport avec les propos de l’ancien ministre de l’Habitat (NDLR : Mohamed Ali Bathily), qui affirmait que l’OMH n’avait plus aucun crédit auprès des banques ?

Cela n’a rien à voir. Les difficultés auxquelles le ministre Bathily faisait allusion sont essentiellement de financement. Aujourd’hui, nous avons dépassé ça. Le gouvernement a pris ce problème à bras-le-corps, en garantissant le paiement aux banques. Les difficultés sont surtout liées à la collecte de l’information. Cette année, nous avons élargi le panier des banques. Vu l’ampleur, certaines ont été ajoutées au système, ce qui a entraîné des difficultés au départ. Les dépôts devaient commencer le 10 mai, mais ils n’ont débuté que le 16, à cause des difficultés techniques rencontrées.

Y a-t-il des spécificités cette année dans la réception et le traitement des dossiers ?

Comme par le passé, une commission ad hoc a été créée pour la réception des dossiers. Cette année ils sont déposés sous pli fermé. Cette première commission n’a pour mission que de réceptionner les dossiers. Une autre effectuera ensuite le dépouillement pour déterminer les éligibles, dont les dossiers seront ensuite introduits dans le système. Au-delà, il y a désormais une quatrième catégorie de soumissionnaires : les personnes démunies. Un décret fixe leur quota.

Nous avions ouï dire que ceux qui ont avaient postulé par le passé, sans succès, auraient une longueur d’avance…

Il a été indiqué que les postulants qui n’avaient pas retiré leurs apports personnels seraient privilégiés par rapport aux nouveaux. Je le confirme. Ceux qui ont postulé plusieurs fois bénéficient d’une priorité. Dans les pièces à fournir, il est d’ailleurs demandé de nous fournir une copie des anciens récépissés.

Qu’est qui pourrait faire annuler un dossier ?

Les fausses déclarations. Cela est clairement dit. Même en cas d’attribution d’un logement, si l’on se rend compte que le postulant a donné de fausses informations, ce logement lui sera retiré.

Il y a beaucoup d’accusations de favoritisme à votre encontre. Que comptez-vous faire cette année pour éviter d’éventuelles polémiques ?

Tout cela est dû à la très forte demande. Vous avez vu les chiffres, rien que pour Bamako et Kati, nous avons 3 743 logements pour 23 780 postulants. Sans compter les dossiers des Maliens de l’extérieur. Quoi que l’on puisse faire, certains trouveront des choses à redire. Les critères élaborés ont été adoptés en Conseil des ministres, la commission d’attribution est composée de plusieurs cadres issus de secteurs très divers. Il n’y aura pas de clientélisme, d’autant que les critères sont très clairs. Il faut satisfaire aux conditions préétablies. En ce qui nous concerne, je pense que le travail sera bien fait, mais il peut toujours avoir des recours.

Contre les mauvais payeurs, des mesures ont-elles été prises ?

C’est avec les catégories des non-salariés et des Maliens de l’extérieur que nous avons beaucoup de problèmes. Nous avions commencé à expulser, mais nous sommes dans la période hivernale. Des garde-fous ont été posés, certains bénéficiaires se sont engagés. C’est très clair, à défaut du paiement de la mensualité, vous perdez le bénéfice du logement. Après l’hivernage, l’OMH prendra toutes les dispositions, pour d’abord actualiser ses listes, puisque la situation évolue. Nous savons que pour certains, il existe vraiment des problèmes financiers ponctuels. Dès qu’ils auront l’argent, ils vont s’acquitter de leur créance. Nous allons procéder à des vérifications et, si nous détectons des mauvais payeurs, nous appliquerons les textes. Cela ne se fait pas de manière abrupte, il y a des étapes. Nous notifions tout d’abord après un mois d’impayé, ensuite trois, puis six, cette fois-ci par voie d’huissier, avant une mise en demeure où la personne doit libérer le logement, puisqu’il le contrat est déjà résilié. S’il n’y a pas de réaction, nous envoyons une autre correspondance pour dire : partez, sinon nous viendrons vous expulser. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous le faisons, mais il faut aider les autres à pouvoir bénéficier de logements. Ce sont les mensualités des anciens qui financent la construction des nouveaux lotissements.

3 questions à Salif Kodio Chef du département de l’Administration des logements – OMH

 

Comment en arrive-t-on à expulser des bénéficiaires de logements sociaux ?

Les propriétaires de ces logements sont en fait des locataires liés par des dispositions contractuelles. Un article du contrat dit que le non-paiement d’une mensualité entraîne la résiliation du contrat. À l’OMH, nous avons poussé ce délai à trois mois et suivons un processus de notifications qui dure au moins six mois et qui se termine par l’envoi d’un courrier signifiant la résiliation du contrat et l’obligation de vider les lieux. Si malgré cela, il n’y a pas de réaction alors que les gens sont au courant, c’est qu’ils ne veulent tout simplement pas payer.

De quels recours disposent les personnes expulsées ?

Les expulsés peuvent récupérer leurs logements s’ils paient les montants dus. À défaut, le ministère a créé une commission qui siègera pour la redistribution des logements saisis.

Quelle est la prochaine étape de cette opération ?

C’est l’évaluation de l’opération. Le 5 du mois, nous recevons un point établi par l’agent comptable. Je suis heureux de constater que notre sortie a obligé les gens à se manifester. Certains sont venus payer leur dû quand ils ont vu les expulsions. Nous allons donc faire le point et si besoin est, on reprendra les expulsions. Le besoin est là et on ne peut plus accepter que par un manque de volonté patent, certains privent ceux qui sont réellement dans le besoin.

Logements sociaux : vers une sélection plus rigoureuse

Alors que de nombreux demandeurs restent sur le carreau au moment de l’attribution des logements, la vague d’expulsions a démontré que ce ne sont pas forcément les plus nécessiteux qui en bénéficient. Une situation que déplorent, à chaque programme, les collectifs de demandeurs et qui devrait évoluer avec la mise en place de nouveaux critères.

Près de 10 000 logements ont été construits ces dix dernières années au Mali. Si ces maisons ont permis d’offrir un toit décent à des milliers de familles, elles n’en sont pas moins devenues pour certains des objets de spéculation véreuse. Du processus qui permet à des personnes nanties, possédant même parfois déjà des biens immobiliers, de se voir octroyer un, voire plusieurs logements, à la pratique de mettre en location lesdits logements au bénéfice de familles réellement dans le besoin, l’attribution des logements sociaux « n’est pas quelque chose d’équitable », déplore Aminata Sangaré, multi-postulante toujours bredouille. « Au départ, on devait s’engager par contrat pour le versement des traites. Cela a permis à beaucoup de familles pauvres de consacrer ce qu’elles payaient comme loyer au remboursement de leur maison, qui au final doit leur appartenir. Maintenant, on nous demande un apport personnel, qui est très important, pour les « vraies » familles pauvres », poursuit-elle. Cet apport personnel, variant de 234 000 francs CFA pour les maisons de type F3, à 2 400 000 francs CFA pour les F5, est un frein supplémentaire à l’acquisition des logements, selon le Collectif de demandeurs qui s’est fait entendre à plusieurs reprises depuis l’instauration de ces nouvelles mesures en 2015. « C’est pour sécuriser l’investissement », explique-t-on à l’Office malien de l’habitat (OMH), maître d’œuvre de la politique de logement du gouvernement. « Le fait est que bien des gens ont monté des dossiers pour prendre les maisons, alors qu’ils n’ont pas les moyens de payer les traites. Le caractère social, c’est justement de rendre facile l’accès à des logements décents au plus grand nombre. Mais il ne faut pas oublier que ce ne sont pas des dons, et qu’il faut pouvoir rembourser », explique notre interlocuteur.

Rendre la sélection plus rigoureuse permet de satisfaire ceux qui sont réellement dans le besoin, poursuit-il. Selon lui, nombreux sont les propriétaires qui louent les maisons à des tarifs pouvant aller jusqu’à deux fois la traite due à la banque. « Et pourtant, ils ne paient pas. Parmi les gens qui se retrouvent dehors aujourd’hui, il y a des locataires en règle avec leurs propriétaires et qui ne s’attendaient pas à cette situation ». Par souci de justice, le contrat location-vente des logements récupérés par l’OMH devrait pouvoir être repris par les locataires qui le souhaitent.

 

Logements sociaux : haro sur les mauvais payeurs

C’est le jeudi 20 avril dernier qu’a démarré l’opération de l’Office malien de l’habitat (OMH). Accompagnés d’huissiers et de forces de l’ordre, les agents de l’OMH ont procédé à l’expulsion de propriétaires, ou d’habitants, la précision est importante, de logements sociaux. Motif : le non-paiement des remboursements contractuels. Dans les termes du contrat qui les lie à l’OMH, les propriétaires reconnaissent le droit à la structure de mettre fin au bail dès qu’un retard de paiement d’un mois est constaté. Un crédit que les concernés ont largement dépassé et, après une trêve à cause des évènements de 2012, l’OMH entend à présent récupérer les biens en question.

Fousseiny Diallo, membre de l’Association pour le développement des 759 logements, est peiné d’évoquer la situation de ces familles qui se retrouvent à la rue du jour au lendemain. Dans la cité, tout le monde ou presque se connait et ce sont de véritables drames qui se jouent sous le regard impuissant des voisins. « Il y a eu des expulsions ici aussi. Ce sont des situations terribles pour les familles. Surtout pour ceux qui ont payé pendant des années, ils perdent ce montant. Il y a des gens qui sont dans leur dixième année (sur 25, durée moyenne du bail, ndlr), soit à 40% de remboursement, et cet argent est donc perdu, puisque l’OMH ne remboursera pas », explique-t-il. En effet, l’Office malien de l’habitat est le maître d’œuvre et le gestionnaire des programmes de logements sociaux, qu’ils soient menés par le gouvernement ou le fruit d’un partenariat public-privé. Les bénéficiaires de ces programmes signent un contrat avec lui, stipulant les modalités d’acquisition du bien et en particulier les clauses de remboursement. « Il est très clairement dit que les bénéficiaires ne doivent pas excéder un mois d’arriérés de remboursement, mais nous allons à trois mois. Au-delà de ce délai et après notification, l’OMH se réserve le droit de récupérer son bien », nous explique le chef du service comptabilité de la structure. Selon lui, ce n’est pas faute d’avoir patienté que l’OMH se retrouve dans la situation actuelle. « Il y a plusieurs niveaux d’alerte, explique-t-il. On envoie pour commencer une notification d’impayé, suivie d’une relance. Après cette dernière, il y a l’avertissement par voie d’huissier, puis le rappel par message téléphonique et enfin la lettre de résiliation du contrat location-vente avec la demande de quitter le logement. Nous avons épuisé toutes ces étapes ». « Il s’agit de pertes qui dépassent plusieurs milliards », précise notre interlocuteur, qui estime qu’à un moment donné, il faut prendre ses responsabilités.

Expulsions Au total, à la date du 31 décembre 2016, 358 contrats ont été annulés pour cessation de paiement. En avril, un lot de 21 mauvais payeurs a reçu la lettre leur demandant de vider les lieux sous peine d’expulsion. « Nous en avons expulsés 20, soit 1 de la cité de la solidarité de Sotuba, 2 de la cité des 759 logements de Yirimadio et 17 de la cité des 1180 de Tabakoro », précise-t-on à la direction de l’administration des logements, qui assure la gestion des logements sociaux. Sur ces 20 expulsions, « nous avons trouvé sur le terrain seulement 3 bénéficiaires, tous les autres expulsés sont des sous-locataires. Malheureusement, en tant que gestionnaires, nous ne connaissons que les occupants des maisons », poursuit le directeur Salif Kodio. C’est donc ces sous-locataires, par ailleurs à jour vis-à-vis de leurs bailleurs, qui ont reçu les lettres et qui se retrouvent aujourd’hui à la rue. Cette pratique de sous-location est interdite, « mais nous nous montrions tolérants. Mais il est déplorable de constater que les remboursements ne suivent pas ».

Penser social « Je me rappelle que quand ATT remettait les clés aux bénéficiaires, il a dit que ce programme de logements sociaux sera social au lieu d’être commercial. Moi je me pose la question de savoir si l’OMH se renseigne sur les conditions de ceux qui ne sont pas à jour. Si leur situation s’est détériorée ou si de nouvelles contingences les empêchent de payer. On ne doit pas juste regarder les comptes, dire que les gens n’ont pas payé et les jeter dehors. Là, ce ne sont plus des logements sociaux. Il faut aussi voir la situation des gens », rétorque M. Diallo des 759 logements de Yirimadio. Ici comme à Tabakoro, entre autres, les mauvais payeurs sont sommés de quitter les lieux. « Il faut faire la part des choses. Ce n’est facile pour personne de mettre des chefs de famille dehors. Mais il faut reconnaitre que l’OMH a tout mis en œuvre. Entre les relances par SMS et les courriers, il y a eu assez de signaux pour que les personnes concernées prennent leurs dispositions », explique pour sa part Oumou Sakiliba, chef de service administration de crédit à la Banque malienne de solidarité (BMS), qui a fusionné en 2015 avec la Banque de l’habitat du Mali, propriétaire des créances sur les logements sociaux. « Depuis le début du programme des logements sociaux, la banque travaille avec l’Office malien de l’habitat. À des fréquences régulières, les informaticiens de la banque dressent des états des remboursements que nous envoyons à l’OMH. C’est donc à l’OMH, à qui les contractants doivent de l’argent, de mener une action, ce qui est le cas actuellement », poursuit-elle. « Nous avions commencé cette opération en 2012. La crise nous a trouvé sur le terrain et nous avons arrêté. Depuis, il y a des gens qui n’ont rien payé, 60 mois d’arriérés pour certains. Pour nous, c’est un signe de mépris. Les gens sont persuadés d’être intouchables et ce ne sont pas les moins nantis qui se comportent ainsi. Nous avons reçu des menaces, subi le trafic d’influence », explique-t-on à l’OMH. Selon Oumou Sakiliba, « le problème est aussi au niveau de la compréhension même par certains de cette affaire de logements sociaux. Quand vous avez des propriétaires qui n’ont jamais versé un centime parce que « c’est ATT qui m’a donné ma maison », il est difficile de leur expliquer la notion de crédit ».

Sursaut salutaire Certains des 358 mauvais payeurs identifiés sont actuellement poursuivis en justice par l’OMH qui entend bien recouvrer les impayés. L’actualisation des états de paiements au début du mois prochain devrait permettre de savoir si la situation d’impayés chroniques se normalise ou pas. « Tenez-vous bien, ne serait-ce que pour ces 20 bénéficiaires qui ont fait l’objet de la procédure d’expulsion, nous sommes à plus d’1 milliard d’impayés. Certains sont à plus de 40 mois et même à 52 mois », déplore Salif Kodio, chef du département administration des logements sociaux de l’OMH, au lancement de l’opération. « Il y a trois catégories de bénéficiaires : les salariés, les non-salariés et les Maliens de l’extérieur. Pour la première catégorie, il n’y a pas de problème, le remboursement se fait par prélèvement à la source. Les mauvais payeurs se trouvent dans les deux autres, ceux-ci devant verser le montant sur un compte, ce qui est aléatoire. L’autre problème, c’est aussi qu’il y a des gens qui sont des salariés mais qui se font passer pour des commerçants qui prennent les maisons et qui après ne versent pas les traites dans les comptes ouverts à la BHM, puis la BMS », explique Mme Sakiliba. Or, la problématique du financement de ces programmes de logements sociaux se pose actuellement avec acuité. « Nous sommes dans un système de revolving. Ce sont les remboursements qui financent les nouveaux projets », explique M. Kodio, qui assure que ses équipes traqueront jusqu’au dernier mauvais payeur pour permettre « à d’autres de bénéficier de ces logements ».

Et Fousseiny Diallo de revenir sur le cas des propriétaires de logements qui les louent mais ne paient pas leur traite. « Cette situation, il est normal et même urgent d’y faire face, parce qu’il y a des gens qui ne sont pas dans le besoin et qui en bénéficient. Ils n’ont aucun intérêt à rembourser. C’est au niveau de l’attribution qu’il y a aussi un travail à faire pour que les maisons aillent bien à ceux qui en ont besoin et non à des propriétaires immobiliers », assure-t-il. « Dans cette situation, c’est aussi une question de mauvaise foi parce que les bailleurs qui ne paient pas les remboursements, mettent dans des situations difficiles les locataires que nous sommes obligés de mettre à la rue », conclut le responsable de l’OMH, qui espère que cette opération sera un signal fort. Déjà, les remboursements ont commencé, certains bénéficiaires portés disparus réapparaissent. Preuve que l’électrochoc aura eu l’effet escompté.