Lutte contre la délinquance financière : L’OCLEI, le nouveau bras armé

 

 

 

 

Le Président Ibrahim Boubacar Keita avait fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. 2014 avait était même été décrétée année de lutte. Réel désir d’endiguer le fléau ou simple effet d’annonce ? Au vu des résultats peu probants (ou peu visibles), la seconde option semble être la plus vraisemblable. Mais, depuis le 1er juin 2017, le gouvernement s’est doté d’un nouveau bras armé : l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI).

A compter de cette date, tous les fonctionnaires « assujettis », plus d’un millier selon le Président de l’Office, Moumouni Guindo, avaient trois mois pour faire leurs déclarations de biens, délai par la suite prolongé au 30 novembre 2017. A défaut, le fonctionnaire se verra révoqué de son poste. Quant à la fausse déclaration, elle est punie d’une amende égale à une année de salaire. Pour se mettre en conformité, il faut remplir un document de 12 pages, avec des informations sur les revenus et les avoirs. L’agent s’engage sur l’honneur à faire preuve de bonne foi, comme dans le meilleur des mondes. Mais dans le nôtre, comment attester de la véracité des informations ? « Nous exploitons les déclarations. Il s’agit de mener des investigations sur la base des signes extérieurs de richesse pour aboutir à des constatations susceptibles de mener à des investigations », explique Guindo. Avec ses douze collaborateurs, il scrute donc tous les documents. « Déclarer des biens est une bonne chose, les traiter, les exploiter est une autre dimension de la mission de l’office. Pour cela, nous avons besoin de ressources humaines. Un travail de cette envergure ne peut être accompli par 12 membres seulement, quels que soient leur engagement, leur volonté et leur compétence ».

Sanctions Elles devraient donner des sueurs froides aux fonctionnaires qui mènent une vie en déphasage avec leurs revenus. C’est le Procureur du Pôle économique et financier qui diligentera les actions en justice contre les présumés coupables d’enrichissement illicite. Si la valeur des biens jugés illicites est inférieure ou égale à 50 000 000 FCFA, la peine encourue sera d’un à trois ans d’emprisonnement et d’une amende égale à cette valeur. Si elle est supérieure à 50 millions, la peine de prison sera comprise entre 3 et 5 ans, plus une amende égale au double de la valeur des biens. « Les personnes travaillant dans le privé qui se seront rendues coupables de complicité encourront les mêmes peines », précise le magistrat Guindo.

 

 

Loi contre l’enrichissement illicite : Le SYNTADE appelle à une grève de 72 heures

 

 

Le Syndicat National des Travailleurs des Administrations d’Etat (SYNTADE), après une série de concertations de ses structures de base, a organisé une session extraordinaire tenue le 10 octobre 2017.  Le mouvement syndical a décidé de mener une grève de 72 heures à partir du 25 octobre. Une grève qui pourra être suivie d’une autre de 5 jours du 6 au 10 novembre.

Le SYNTADE explique cette position par le fait qu’il existe déjà plusieurs structures qui luttent contre la corruption, comme le Vérificateur Général, la CASCA (Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’Administration), ou encore le contrôle général d’État et le pôle économique.

« Des harcèlements que ne cesse d’exercer un certain Office Central de Lutte contre l’Enrichissement Illicite, dont des lacunes des textes fondateurs ont été dénoncées par des citoyens, oblitérant l’esprit de sérénité dans le service public pour de nombreux travailleurs », s’indigne le secrétaire général du SYNTADE.

Au cours de sa session extraordinaire tenue le 10 octobre 2017, le Syndicat National des Travailleurs des Administrations de l’Etat a détaillé l’origine de cette loi contre l’enrichissement illicite des travailleurs de l’Etat. Cette loi a été initiée par le Ministère de la Justice, Garde des sceaux et adoptée en conseil des Ministres du 1er août 2013 avant de passer en avril de 2014 à l’Assemblée nationale. Ladite loi est structurée en 6 titres repartis en 4 chapitres et 45 articles.

Le SYNTADE envisage d’observer une grève de 72 heures s’il n’obtient pas l’abrogation pure et simple de la loi contre l’enrichissement illicite. « Nous pensons que la souveraineté n’est pas un vain mot.  Nous restons déterminés.  Nous utiliserons tous les moyens légaux pour atteindre notre objectif » a conclu, le secrétaire général du SYTANDE.

 

Yacouba Katilé : « Ce texte contre l’enrichissement illicite est une imposition des bailleurs internationaux »

Promulguée en mai dernier, la loi sur l’enrichissement illicite fait bondir les fonctionnaires. Alors que sa mise en œuvre doit commencer, le syndicat national des travailleurs des administrations d’Etat (SYNTAD) par la voix de son secrétaire général, Yacouba Katilé non moins secrétaire général de l’Union Nationale des Travailleurs du Mali ( UNTM) dénonce cette loi jugée « anti constitutionnelle » et qui « stigmatise » notamment les fonctionnaires.

Que pensez-vous de la loi sur l’enrichissement illicite ?

Effectivement cette loi a été votée en 2014 et promulguée en mai 2017. Sa mise en œuvre a commencé il y a environ deux mois lorsque les membres de l’Office Central de Lutte contre l’Enrichissement illicite ont été sollicités pour prêter serment, j’ai été invité en tant que représentant des travailleurs, cela n’est pas gratuit. Nous avons suivi mais lorsque le président de l’Office s’est exprimé nous avons compris, dans ses propos, que certaines corporations sont stigmatisées. Nous voulions savoir si cette stigmatisation venait de la loi ou de son interprétation. Nous avons lu la loi et cherché à comprendre. Et je vous dis clairement, cette loi est anti constitutionnelle dans certaines de ses dispositions. Cette loi est rétroactive, or la loi n’est rétroactive que dans des cas d’exception comme celle d’une loi pénale plus douce. Cette loi est une loi sélective, il y a des coupables déjà désignés, ce qui viole le principe de la présomption d’innocence. Mieux que ça, cette loi écrase certaines de nos valeurs sociétales. Lorsque nous allons dans le cadre de la délation, dans les familles, dans les couples, où est-ce que cela peut nous mener ? Cette loi cible les fonctionnaires, comme si l’enrichissement illicite est seulement le fait des fonctionnaires. Si on doit prendre une loi contre l’enrichissement illicite, je pense qu’on ne doit pas viser seulement les fonctionnaires.

Mais pourtant cette loi permettra de faire le ménage, de freiner l’enrichissement illicite et la corruption dans le fonctionnariat.

Je pense qu’il y a suffisamment d’instruments pour sanctionner les fonctionnaires fautifs, quelle que soit leur structure d’appartenance. Que ce soit le statut des fonctionnaires ou le code du travail. Il y a des sanctions qui vont jusqu’à la révocation. Je pense qu’il n’y a pas pire pour un fonctionnaire. Nous pensons que ce texte contre l’enrichissement illicite est une imposition des bailleurs internationaux. Nous sommes encore en train de gérer des situations créées par ces mêmes bailleurs depuis 10 ou 15 ans. Ce sont des effets des programmes d’ajustement structurels, parce qu’ils nous ont apporté un soutien de 120 milliards en 2017, contre plus de mille milliards apportés par les travailleurs qui se sacrifient pour soutenir l’État, mais cela n’est pas reconnu. Toutes loi qui crée le désordre, l’insécurité il faut s’en méfier. C’est pourquoi nous disons la vérité aux bailleurs, nous disons non à cette loi.

N’est-ce pas trop tard ?

Nullement ! Si nous avions été associés, nous allions donner notre avis pour éviter vraiment certaines erreurs. Nous savons dans quelle condition cette loi a été votée. Certains ont tout fait pour ne pas être parmi les assujettis. Il n’est jamais trop tard puisque cette loi viole un principe universel celui du respect de la vie privée. Nous comptons nous défendre par tous les moyens légaux.

Donc vous êtes contre le principe de cette loi ?

Il y a eu tellement de loi contre le phénomène, personne n’a jamais entendu un syndicaliste broncher. Il y a le vérificateur général, avant cela il y a la CASCA ( Cellule d’appui aux structures de contrôle de l’Administration – ndlr ), il y a le contrôle général d’État, le pôle économique, aucun syndicat n’a réagi. Si nous réagissons c’est parce que cette loi désigne les travailleurs, spécifiquement ceux qui travaillent dans la fonction publique. Donc nous sommes dans notre droit de défendre les travailleurs. Nous ne combattons pas la loi mais son esprit qui est la délation, le coupable désigné d’office, nous disons non à cela.

Que voulez-vous alors ?

Nous voulons que les dispositions qui violent les principes de droit changent. Comme les coupables désignés, la délation. Nous ne sommes pas contre la lutte contre l’enrichissement illicite. Si nous demandons que l’État nous paye à un million ou autre c’est parce que l’État existe. Si l’État est à terre ce n’est pas la faute des travailleurs, c’est à d’autres niveaux.

Quelles démarches avez-vous entrepris pour obtenir ce que vous voulez ?

Nous avons saisi nos autorités de tutelle, parce que nous sommes indexés, nous attendons leur réaction. Nous pensons qu’il faut aussi réagir par rapport à ceux dont la pression a conduit à cette loi. Il est temps de dire que la souveraineté n’est pas un vain mot. Nous restons vigilants et nous suivons tout cela de près.