Me Moctar Mariko : « La loi d’entente nationale est une prime à l’impunité »

Alors que des associations de défenses des droits humains se mobilisaient pour une marche pacifique le 11 décembre, elles ont reçu du gouverneur du district un avis défavorable à leur initiative. Les responsables ont finalement tenu une conférence de presse pour fustiger ces interdictions et les raisons de leur opposition à la loi d’entente nationale qui doit être en principe débattue ce jeudi à l’Assemblée nationale. Le président de l’Association malienne des droits de l’Homme, Me Moctar Mariko, se livre au Journal du Mali sur le sujet.

Pourquoi avez-vous renoncé à votre marche ? 

Nous avons projeté de marcher le 11 décembre mais en tenant compte de l’arrêté du gouverneur que nous considérons illégale parce que contraire à la Constitution, nous avons choisi un itinéraire qui n’y était pas indiqué. C’est le rond-point Cabral jusqu’au terrain Chaba. Nous avons écrit au gouverneur, nous, cinquante et une associations de défense des droits humains et des victimes, pour l’informer de notre marche.  Mais nous avons reçu la veille un avis défavorable. La nuit aussi, j’ai reçu un appel provenant de la direction nationale de police me demandant de surseoir pour éviter des affrontements avec la police. Nous sommes partisans de la non-violence nous n’avons pas voulu exposer l’intégrité physique des marcheurs, ainsi nous avons opté pour une conférence de presse.

Que dénoncez-vous dans le projet de loi d’entente nationale ?

Nous fustigeons le comportement du gouvernement qui n’a procédé à aucune consultation auprès de nos organisations et des victimes. Comment voulez-vous aller à une loi dite d’entente nationale alors que la partie qui est concernée et qui a subi les conséquences du conflit n’a pas été entendue ? Ensuite, la CVJR devrait faire un rapport à la fin de son mandat pour répertorier les genres d’infractions commises, identifier les victimes, le mode de réparation. Il est dit aussi que ceux qui sont impliqués dans la commission des exactions sont libérables s’ils sont en prison ou s’il y a des mandats d’arrêts lancés contre eux, six mois après la publication de la loi. Nous avons dit que c’est une prime à l’impunité. Pour nous, l’amnistie égale incitation des gens à commettre plus d’infraction. Laissez la justice faire son travail, le président à son droit de grâce.

Que comptez-vous entreprendre si la loi est votée ?  

Si elle venait d’être votée sans être enrichie, sans consultation et retrait de certains articles qui prêtent à confusion, nous allons prendre des mécanismes nationaux. Avant qu’elle ne soit promulguée, nous verrons le président de la République pour qu’il la revoie en seconde lecture. Nous allons saisir la commission africaine de droits de l’homme. C’est une loi contraire même à l’accord pour la Paix.

Loi d’entente nationale : Une prime à l’impunité?

Le 13 décembre prochain, l’Assemblée nationale devra adopter ou rejeter le projet de loi d’entente nationale visant à restaurer la paix et à faciliter la réconciliation. Mais, déjà, plus de quarante organisations de défense de droits de l’homme s’y opposent. Elles craignent que les auteurs de crimes, même les plus graves, bénéficient d’amnistie.  Quid des victimes ?

« Nos organisations, au nombre d’une quarantaine, ne sont pas contre une loi d’entente nationale dans le cadre des mesures d’apaisement et de sortie de crise, mais nous nous opposons à ce projet en l’état », précise Drissa Traoré, Coordinateur du programme conjoint AMDH – FIDH. Depuis quelques jours, 47 associations de défense des droits de l’homme montent au créneau. Elles s’opposent à l’adoption du projet de loi d’entente nationale initié par le gouvernement, qui devrait être débattu par l’Assemblée nationale le 13 décembre.

Que dit le projet ?

Dans le cadre de la restauration de la paix et de la réconciliation nationale, le projet prévoit  : « l’exonération des poursuites pénales engagées ou envisagées contre les personnes ayant commis ou ayant été complices de faits (…) pouvant être qualifiés des crimes ou délits, prévus et punis par le Code pénal malien, les autres lois pénales et les conventions et textes internationaux ratifiées par le Mali ; l’adoption de mesures d’apaisement et d’indemnisation en faveur des victimes des douloureux évènements survenus (…) dans le cadre de la crise et qui ont gravement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et à la cohésion sociale ». Il est aussi prévu, « pour conforter les bases de l’entente nationale », une « Journée du pardon national », « une Semaine de la réconciliation nationale » et « la rédaction de l’Histoire générale inclusive du Mali ».

Nombreuses objections

Même si l’article 4 souligne que les auteurs des « crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des viols et tout autre crime réputé imprescriptible » ne sont pas couverts par cette loi, les organisations craignent qu’ils ne puissent bénéficier eux aussi de l’amnistie. « Nous estimons que si ce texte venait à être voté ce sont presque tous les auteurs qui vont bénéficier de ces mesures. Nous sommes sceptiques quant à la poursuite des personnes pour les crimes des guerres et crimes contre l’humanité », indique Drissa Traoré.

En plus de ces ambiguïtés, la Directrice exécutive d’Amnesty International Mali, Mme Ramata Guissé, estime que « ni le contenu de la loi,  ni le contexte actuel du pays ne favorisent une entente nationale », avançant que « le Mali est encore en pleine crise ». Au même moment, la commission d’enquête internationale sur les graves violations des droits de l’homme prévue par l’Accord vient de commencer son travail.  À l’exception d’Aliou Mahamar Touré, « aucun auteur de crimes n’a été puni, un déni de justice pour les victimes », précise la directrice d’Amnesty. Elle s’inquiète des répercussions négative et de « l’esprit de vengeance entre les communautés » si la loi est validée comme telle. « S’il y a cet esprit, il n’y aura jamais de paix ni d’entente », prévient-elle. Ce projet, élaboré sans les victimes et les organisations, ne prend pas non plus en compte les réparations psychologiques, selon ses détracteurs. Son retrait est donc exigé afin d’opérer « des consultations sur la base des observations que les uns et autres fourniront », demande le coordinateur Drissa Traoré. Selon lui, « le texte bafoue les droits des victimes » et, s’il venait à être adopté, « il fera la promotion de l’impunité ».

Malgré ces objections, le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga affirmait récemment « qu’il était hors de question » d’y renoncer. Selon le politologue Salia Samaké, il y a bien des zones d’ombres à éclaircir et il se demande si cette loi est opportune aujourd’hui. Il souligne que, dans le projet, « il y a des catégories qui sont exemptées et d’autres qui échappent à la justice ». Des passages à revoir, à son avis. « Dans toute réconciliation, il faut que celui qui a tort soit reconnu coupable et que celui qui a raison se le voit reconnaitre. On peut pardonner à quelqu’un qui a tort, mais quand celui-ci échappe à la sanction par le biais des lois, alors qu’on sait qu’il est coupable, le problème reste entier, parce que les victimes ne sont pas obligées de l’accepter », décortique le politologue, appelant à un dialogue mais non un retrait pur et simple du texte.

La justice, condition essentielle de la réconciliation

Pour accélérer le processus de réconciliation nationale, le Président de la République a annoncé une loi d’entente nationale dont l’avant-projet a été présenté au Chef du gouvernement par le Médiateur de la République il y a quelques jours. Cette loi, censée relancer un processus en panne, suscite la réserve de plusieurs associations de défense des Droits de l’Homme, qui craignent un risque d’instauration de l’impunité. Certaines préconisent d’y surseoir en attendant que la justice fasse son travail, car elle est le préalable à toute réconciliation.

« La justice peut être un moyen de réconciliation, mais en aucune manière la justice ne saurait être un obstacle à celle-ci.  Car la réconciliation sous-entend le règlement du conflit et l’entente entre les individus. Si certains de ces individus commettent des violations contre d’autres, ils ne peuvent se réconcilier sans justice », estime Drissa Traoré, Coordinateur de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH). L’association fait partie des 32 qui émettent leurs réserves quant à l’adoption d’une telle loi. Si l’AMDH n’est pas opposée à l’adoption de la loi d’amnistie prévue par l’Accord de paix, elle juge cependant le « moment non approprié ». Une telle loi doit, selon elle, donner toutes les garanties pour ne pas aller justement à l’encontre de l’Accord de paix. Bien qu’ayant prévu des mesures d’apaisement, il prévoit en effet qu’il n’y aura pas d’amnistie pour les auteurs de crimes contre l’humanité et de violences sexuelles. « Si nous adoptons cette loi, tout porte à croire que cette réserve de l’Accord ne sera pas respectée », craint M. Traoré.

Des craintes justifiées ? Plusieurs raisons justifient cette crainte, selon le coordinateur de l’AMDH. Les enquêtes judiciaires, même si elles ont été entreprises, n’ont pas enregistré d’avancées significatives. Malgré la création de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) en 2014, qui n’a commencé à travailler qu’en 2016, celle-ci n’a pas encore rendu de rapport. De plus, la Commission d’enquête internationale prévue par l’Accord n’a rien effectué encore. Toutes ces raisons font qu’il n’existe pas encore de base légale pour « distinguer ceux qui ont, ou pas, du sang sur les mains », ajoute M. Traoré. L’adoption d’une loi d’amnistie en l’état nous ferait donc courir 2 risques : d’abord l’impunité, car certains pourraient ainsi bénéficier de la loi alors qu’ils ont commis des crimes, et ensuite l’arbitraire, car d’autres ne bénéficieraient pas de ces mesures simplement parce que les enquêtes ne l’auraient pas déterminé. C’est pourquoi l’AMDH demande au Président IBK de surseoir au processus de cette loi, et parallèlement, de « pousser la justice à mener les enquêtes », afin qu’une telle mesure soit prise sur une base légale. L’organisation sollicite également que « cette suspension » soit l’occasion d’associer les organisations de défense des Droits de l’Homme à la rédaction d’une loi consensuelle, qui prendra aussi en compte « les préoccupations en matière de justice ».

Éviter les vengeances Le préalable de justice est d’autant plus nécessaire « qu’une réconciliation sans justice peut promouvoir la vengeance », redoute le défenseur des Droits de l’Homme. Le processus de réconciliation actuellement en cours concerne tous les actes commis lors des différentes rebellions, de l’indépendance à maintenant, y compris les actes commis lors de la crise de 2012. L’organisation, qui travaille avec toutes les parties, note que certains acteurs estiment que c’est l’absence de justice pour les faits antérieurs qui justifie la résurgence des conflits.

Ces conflits récurrents et la crise de 2012 ont mis en péril l’existence même de l’État, déchiqueté le tissu social et remis en cause le vivre-ensemble. Le Mali est donc devenu un terrain « occupé par des gens venus d’ailleurs qui l’empêchent de progresser. La plaie est profonde », s’indigne l’ancien Premier ministre et Président de l’association Ir Ganda Ousmane Issoufi Maïga. Pour parler de réconciliation nationale, il faut régler ces problèmes et cela ne peut aller sans justice, une justice pour tous, précise M. Maïga. « La réconciliation, nous y travaillons, l’Etat y travaille, mais il faut qu’il y ait la justice, un préalable à tout dans une société organisée ». Sans nier le rôle des autres acteurs qui peuvent contribuer à sensibiliser, « la justice doit être le dernier recours », selon M. Maïga. La réconciliation et le pardon seront alors possibles.

Se parler entre Maliens S’il ne peut se prononcer sur la loi d’entente nationale, dont il ne connaît pas le contenu, l’ancien Premier ministre estime qu’il faut qu’il y ait un débat. « Les gens doivent se parler, se réconcilier. Nul n’est parfait, mais on ne peut pas brûler les étapes, il faut communiquer ». Communiquer avec tous les acteurs, y compris ceux qui ne sont pas signataires du processus de paix. Car, malgré les discussions engagées et la présence de médiateurs, le processus de réconciliation semble bloqué. Il faut donc élargir la base du dialogue, pour que « tout le monde se retrouve autour du Mali ». Une mission difficile, que ni une association seule, ni un parti ou un quelconque regroupement ne peut réussir. Pour retrouver la base sociale qui a fait la force du Mali et reconstruire cette Nation, il faut « considérer que le Mali est un bien commun », préconise M. Maïga. Mais cela n’est possible qu’en aidant l’État à s’établir. Un État laïc et démocratique, avec des institutions fortes.

La promotion de l’État de droit auprès des communautés est l’une des missions de la CVJR, dont la mise en place a été prévue par l’Accord de paix. Jugée par ses responsables comme « l’un des mécanismes du processus de paix au Mali qui fonctionne le mieux », elle doit contribuer à la réconciliation nationale à travers la recherche de la vérité et de la justice. Un objectif ambitieux, même si la Commission estime que « sa neutralité » lui permet de travailler à équidistance des autres acteurs du processus, avec le soutien de l’État et des partenaires. Avec les 7 000 dépositions déjà reçues, la tâche de la CVJR s’annonce difficile. Ces dépositions, qui concernent les « victimes » des coups d’État et des rébellions depuis 1960, serviront de base pour analyser les violations des Droits de l’Homme. La Commission envisage prochainement l’organisation d’audiences publiques, la mise en œuvre d’une politique de réparation et des équipes mobiles qui seront installées dans les chefs-lieux de cercle.

Des réparations pour les victimes La réparation est bien sûr envisagée dans les mesures de réconciliation, mais « la meilleure réparation est la justice », prévient Drissa Traoré de l’AMDH. « Une victime qui voit ses droits à la justice et à la réparation garantis est plus à même d’accepter le pardon qu’une victime dont les droits sont lésés et qui n’a pas forcément besoin d’une réparation financière pour pardonner », explique M. Traoré. Car il faut à tout prix éviter « une réconciliation de façade », faite sans base légale.

De plus en plus nombreuses à vouloir prendre une part active à ce processus de réconciliation, les associations, souvent communautaires, ne risquent-elles pas de mettre en péril cet objectif ? Le risque est réel, reconnaît le Président de l’association Ir Ganda, qui précise d’emblée que son association est « culturelle ». Elle se veut un regroupement de plusieurs communautés qui partagent une culture, mais va au-delà pour rassembler tous les Maliens autour « du bien commun ». Si Ir Ganda a vu le jour, malgré l’existence de plusieurs autres associations au niveau régional ou au niveau des cercles, c’est parce qu’elle veut être une plateforme de réflexion, selon son Président. « Le Mali n’arrive plus à réfléchir sur son développement. Il faut que les Maliens se parlent sans médiateurs et se disent même les choses qui fâchent », seule condition selon M. Maïga pour retrouver le vivre-ensemble sur la base culturelle que nous avons en partage.