Agriculture : Nourrir les Maliens, de l’ambition à l’action ?

Depuis toujours, l’agriculture est le moteur du développement du Mali. Du coton au karité, en passant par le poisson de Mopti et les bovins qui franchissent des kilomètres pour aller nourrir les pays voisins, les producteurs maliens, qui représentent plus de 80% de la population, participent pour 40% à la richesse intérieure du pays.

En 2003, les dirigeants maliens se sont engagés à Maputo (Mozambique), à l’instar de leurs pairs africains, à investir au moins 10% du budget national dans le secteur. Les acteurs se réjouissent de voir cette promesse tenue depuis. L’agriculture malienne, se voit dotée d’un « généreux » 15% du budget national, de quoi doper la production et avancer vers l’autosuffisance. Pour de nombreux acteurs, cependant, ce tableau cache de sérieuses insuffisances à corriger pour concrétiser enfin le rêve de faire du Mali le grenier de l’Afrique de l’Ouest.

Dès l’indépendance, l’ambition a été clairement annoncée par le Président Modibo Keïta : le Mali a tout le potentiel pour se nourrir, produire pour ses voisins et tout sera mis en œuvre pour ce faire. Les grands projets de développement agricole ont été mis en branle et la Compagnie malienne de développement du textile (CMDT) devint nationale. Elle tire aussi vers le haut la production céréalière, puisque les intrants destinés au coton permettent aux agriculteurs d’augmenter le rendement de leurs cultures vivrières.

Politique volontariste Depuis les années 2000 et les fluctuations des cours des matières premières, la politique agricole malienne a diversifié ses investissements et porte une attention particulière aux autres cultures à fort potentiel, en particulier le riz, mais aussi aux filières porteuses, comme la mangue. En une quinzaine d’années, les résultats de cette « politique volontariste » sont devenus visibles, la croissance constante (3% de 2014 à 2015), ralentie cependant par la crise de la production agricole en étant une illustration.

Les raisons de cet élan sont connues : les subventions agricoles, l’utilisation constante des résultats de la recherche et une volonté politique matérialisée par l’octroi à l’agriculture avec grand A (pêche et élevage compris) de 15% du budget national. « En 2003, les chefs d’Etats de l’Afrique se sont engagés à Maputo, au Mozambique, à allouer 10% du budget national à l’agriculture et à avoir une croissance annuelle de 6 %. À ce jour, quelques pays, dont le Mali et le Sénégal, ont dépassé cet objectif et beaucoup d’autres ont fait des progrès significatifs dans cette direction. Le Mali, en ce qui le concerne, s’est engagé à aller au-delà des 15% du budget national alloué à l’agriculture », confirme Oulie Keïta, directrice Afrique de l’Ouest de ONE, organisation internationale de plaidoyer qui a pour objectif « d’amplifier la voix des Africains en faisant du plaidoyer et du lobbying auprès des dirigeants du monde sur les problématiques liées au développement et à la sécurité du continent ». ONE a notamment lancé, lors du dernier sommet sur le partenariat entre le G20 et l’Afrique, un appel aux nations les plus riches à investir dans l’agriculture africaine.

Juste répartition Plus d’investissements pour une meilleure productivité de l’agriculture africaine. Le discours date et ne convainc pas forcément Mamadou Lamine Coulibaly, secrétaire exécutif de la Fédération nationale des producteurs de bananes du Mali, membre de la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP-Mali). Selon lui, il convient de se demander, « au regard de l’enveloppe qui est destinée à l’agriculture, quel pourcentage va chez le paysan ? Tout est investi dans le roulement, les véhicules, les études, etc. Ce qui arrive chez le paysan, ce sont des miettes. Et là également, ce n’est qu’une frange qui obtient ces financements. C’est comme les subventions : ce sont les riches qui les reçoivent, ce sont les plus costauds ! Ceux qui sont régulièrement approvisionnés, ce sont les riziculteurs, les cotonculteurs ». Il donne l’exemple du coût des intrants qui a flambé dès que le programme de subventions a commencé. « Avant, l’urée n’avait jamais atteint les 13 000 francs CFA. C’était entre 9 et 11 000 francs CFA », explique-t-il. « Les paysans représentent 80% de la population et ils contribuent largement à l’économie du pays. Mais quelle est leur part dans les dividendes ? On dirait qu’ils sont juste là pour nourrir les autres. Ils ont eux aussi le droit de vivre, d’être à l’aise, d’avoir un cadre de vie adapté. C’est un peu le dilemme de la situation », déplore Alassane Sylla, paysan à Diema (région de Kayes). Ici, les conditions climatiques mettent à rude épreuve les producteurs, qui doivent redoubler d’efforts pour maintenir leur production à un niveau acceptable. « Les changements climatiques impactent de manière considérable les agriculteurs maliens. Les engrais, subventionnés ou non, ne peuvent pas grand-chose si les techniques d’adaptation ne sont pas maitrisées. Et cela, c’est écrit sur le papier, mais, dans la réalité, le paysan ne peut guère compter que sur son pragmatisme pour continuer son activité. Avec des résultats en chute constante », explique un technicien agricole, sous couvert d’anonymat.

À la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP), on regrette que l’encadrement des paysans soit désormais réduit à la portion congrue. « Avec le désengagement de l’Etat de la vulgarisation agricole, ça n’améliore pas les choses. On parle d’ailleurs maintenant d’appui conseil. Or ceux qui sont en charge de cet appui ne maîtrisent pas les problématiques qui leurs sont assignées », insiste notre technicien.

Les causes des nombreuses contraintes au développement de l’agriculture sont connues, selon les autorités en charge du secteur. Elles ont pour noms aléas climatiques, faiblesse des revenus, difficultés d’accès aux crédits agricoles, pression foncière croissante, persistance des systèmes de production extensifs, faible niveau d’utilisation des intrants agricoles, diminution de la fertilité des sols et de la productivité, etc. A cela s’ajoute la concurrence de nombreux produits agricoles importés, du riz au poisson en passant par le poulet, dont les producteurs locaux sont en lutte ouverte pour obtenir de l’Etat qu’il appuie leur filière.

Réponses concrètes ? Pour résorber tous ces freins, projets, programmes et politiques se succèdent. « Au Mali, nous avons les plus beaux textes, les meilleurs documents de politique existent, mais l’application pose problème. Avec la LOA (Loi d’orientation agricole, ndlr), aujourd’hui le problème qui est posé en termes de productivité et de compétitivité est dépassé. Mais malheureusement, les objectifs ne sont pas atteints », critique Mamadou Lamine Coulibaly. Selon lui, il faut penser une agriculture « plus intelligente » que celle pratiquée aujourd’hui.

« Aujourd’hui, on doit augmenter la productivité sans pour autant jouer sur la superficie, grâce aux subventions. Quand est-ce qu’on va arriver à cette intensification ? On parle de modernisation, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que cela veut dire amener des tracteurs qui ne sont pas adaptés ou des hybrides que les paysans ne sont pas en mesure de reproduire ? », s’interroge-t-il.

En lançant la campagne agricole, le 25 mai dernier à Ségou, le président de la République saluait « la persévérance, le courage et l’abnégation des producteurs » et leurs bons résultats au cours de la précédente campagne. Il a cependant reconnu qu’il restait encore beaucoup à faire pour le développement du monde rural au profit de ses acteurs. « L’Etat se tiendra à vos côtés parce que vous le méritez. Je vais demander au ministre de l’Economie et des Finances de réviser la clé de répartition du budget alloué au secteur agricole, afin d’améliorer la quote-part qui pourrait revenir à l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (APCAM) », déclarait Ibrahim Boubacar Keïta.

Une annonce qui ne peut que réjouir les acteurs, dont M. Coulibaly et Mme Keïta. Pour cette dernière, « le gouvernement a démontré sa volonté de faire de l’agriculture le moteur du développement ». Le premier estime quant à lui qu’avec « la façon dont l’agriculture est pensée actuellement, on ne peut pas atteindre la souveraineté. Avec l’agriculture extensive, ce n’est pas possible. Il faut une agriculture intelligente, rationnelle, qui combine le modernisme et les savoirs locaux, en tenant compte de l’agro-écologie. C’est à ces conditions qu’on pourra y arriver ».