Mali – France : Le divorce sécuritaire consommé

La France a annoncé le 19 septembre la suspension de sa coopération antiterroriste avec le Mali, invoquant l’arrestation d’un ressortissant français à Bamako en août. Cette décision marque la fin du dernier canal sécuritaire entre les deux pays, après plus d’une décennie de coopération militaire suivie d’une séparation progressive.

Tout est parti du 14 août 2025, lorsque les autorités maliennes ont annoncé l’arrestation d’un Français soupçonné d’être un agent travaillant pour les services de renseignements de Paris et accusé d’avoir participé à une tentative de déstabilisation des Institutions de la République. Pour Bamako, cette affaire est présentée comme une preuve supplémentaire de l’ingérence étrangère de la France, dans un contexte de défiance déjà très marqué.

La France a immédiatement réagi en dénonçant des « accusations sans fondement » et en rappelant que la personne arrêtée était un membre de son ambassade dûment accrédité par les autorités maliennes. Le Quai d’Orsay a exigé sa libération immédiate et dénoncé une violation flagrante du droit international. « Le Mali viole délibérément une des règles les plus fondamentales du droit international, s’agissant d’un agent diplomatique dûment accrédité par les autorités maliennes », a fustigé une source diplomatique française.

« Face à un acte d’une telle gravité et d’une telle hostilité, la France a décidé de suspendre la coopération avec le Mali dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans ce pays, à laquelle contribuait jusqu’à son arrestation l’agent arbitrairement détenu », a poursuivi cette source.

Dans la foulée, la crise a pris un tour encore plus frontal sur le plan diplomatique. Bamako a déclaré persona non grata cinq employés de l’ambassade de France, les sommant de quitter le pays. En représailles, Paris a expulsé deux diplomates maliens en poste à Paris, identifiés par plusieurs sources comme Ousmane Houmani Camara, Lieutenant-colonel de gendarmerie affecté à la section consulaire et Batné Ould Bouh Coulibaly, Contrôleur général de police. Tous deux sont présentés comme liés aux services de renseignement maliens.

Des conséquences limitées sur le plan opérationnel

L’impact de la suspension de la coopération antiterroriste entre la France et le Mali reste limité sur le terrain. Comme le rappellent plusieurs observateurs, la France n’a plus de présence militaire au Mali depuis 2022. « Cette décision est avant tout symbolique, les deux pays n’ayant plus de collaboration opérationnelle sur le terrain depuis le retrait des forces françaises », explique un analyste sécuritaire.

Depuis plusieurs années déjà, les Forces armées maliennes (FAMa) conduisent seules leurs opérations, appuyées par leurs nouveaux partenaires étrangers, principalement russes. L’acquisition de drones, d’autres matériels militaires de pointe et un appui technique extérieur leur ont permis d’engranger des victoires lors de plusieurs offensives contre les groupes armés terroristes et de reprendre le contrôle de larges zones du territoire national.

Si la suspension française prive Bamako d’un accès à certaines sources de renseignement sophistiquées, elle ne modifie pas fondamentalement la conduite de la guerre contre les groupes terroristes. Selon certains observateurs, cette décision n’affaiblira pas la capacité des FAMa à poursuivre leurs opérations. « La vérité, c’est que cette prétendue coopération n’a jamais été une alliance, mais une tutelle déguisée. Sa fin ne doit pas être perçue comme une perte, mais comme une libération », estime Mohamed Famakan Keïta, analyste politique.

Une décennie de coopération militaire intense

Avant la dégradation continue des relations entre Bamako et Paris depuis 2021, le Mali et la France entretenaient un partenariat sécuritaire stratégique. En janvier 2013, la France déclenche l’opération Serval, sur demande de Bamako, pour empêcher l’effondrement du pays face à l’avancée des groupes terroristes et indépendantistes. En quelques semaines, les troupes françaises, appuyées par des forces africaines, libèrent plusieurs villes du Nord. L’opération est saluée comme un succès militaire, rétablissant provisoirement la stabilité dans le Septentrion malien.

Dès 2014, Serval cède la place à Barkhane, une force régionale élargie à cinq pays du Sahel, avec une forte présence au Mali. La coopération sécuritaire franco-malienne s’organise alors autour d’opérations conjointes, de formations, de l’équipement des forces armées maliennes et du partage de renseignements. Sur le plan tactique, les résultats sont réels, puisque des chefs terroristes sont neutralisés, que les FAMa acquièrent de l’expérience et que les opérations aériennes françaises empêchent de nouvelles percées vers le Sud.

La fin du partenariat de terrain en 2022

Malgré l’engagement massif de la France, l’insécurité ne cesse de s’étendre, notamment dans le centre du pays, où les tensions communautaires se mêlent à l’action des groupes armés. Les critiques se multiplient contre la France, accusée d’inefficacité. Le sentiment populaire se retourne et le coup d’État 2021 accélère la rupture.

Les militaires au pouvoir, portés par un discours souverainiste, dénoncent la tutelle française et cherchent de nouveaux partenaires. L’arrivée d’instructeurs russes dans le pays, présentés par Bamako comme des formateurs officiels mais perçus par Paris comme des membres du groupe paramilitaire Wagner, accentue la fracture.

En juin de la même année, le Président français Emmanuel Macron annonce la réorganisation du dispositif Barkhane, prélude à un retrait progressif. Le départ du dernier soldat français marque la fin de la coopération militaire directe en août 2022.

Malgré ce divorce, un canal discret subsistait, celui du renseignement antiterroriste. Paris et Bamako continuaient d’échanger des informations sensibles, notamment des écoutes téléphoniques sur les communications de groupes armés opérant au Sahel. Cette coopération, quoique discrète, consistait en fournir des renseignements et une assistance technique limitée.

Pour les FAMa, ces informations constituaient un atout, même si elles avaient appris à conduire leurs opérations de manière autonome. Pour Paris, ce partage offrait encore un regard sur une zone toujours stratégique pour ses intérêts.

Un bilan contrasté

Le bilan de la coopération sécuritaire entre le Mali et la France est contrasté. D’un côté, l’intervention française a sauvé le Mali d’un effondrement militaire en 2013 et permis des succès tactiques importants. Les FAMa ont bénéficié d’un renforcement de leurs capacités et d’un accompagnement dans la formation.

De l’autre, l’incapacité à stabiliser durablement le pays et à contenir la progression du terrorisme a nourri le sentiment d’échec. Pour Paris, l’aventure malienne s’est transformée en bourbier, illustrant les limites de son modèle d’intervention au Sahel. Pour Bamako, l’allié d’hier est devenu un symbole de dépendance à dépasser.

Une succession de crises diplomatiques depuis 2022

La suspension de la coopération antiterroriste entre la France et le Mali n’est en réalité que l’ultime épisode d’une série de tensions récurrentes qui ont jalonné les relations entre Bamako et Paris ces dernières années.

Le 31 janvier 2022, le Mali frappe un grand coup diplomatique en expulsant l’ambassadeur de France, Joël Meyer, après des propos jugés « hostiles et condescendants » tenus par des responsables français sur la légitimité des autorités de la Transition. Cette expulsion, rarissime entre deux pays liés par une longue histoire de coopération, marque une rupture symbolique profonde.

Quelques mois plus tard, le 2 mai 2022, Bamako franchit une étape supplémentaire en dénonçant officiellement les accords de défense qui le liaient à la France et à ses partenaires européens, notamment ceux engagés dans la Task Force Takuba. Ce geste traduisait la volonté assumée des autorités maliennes de tourner la page du partenariat militaire occidental et d’affirmer leur souveraineté sécuritaire.

Les tensions se sont poursuivies sur le terrain diplomatique et consulaire. Le 10 août 2023, Paris et Bamako suspendent réciproquement la délivrance de visas pour leurs ressortissants, une mesure, aux importantes conséquences directes pour des milliers de familles et d’étudiants, qui témoigne du niveau de défiance atteint entre les deux capitales. Le 16 septembre 2023, la France va plus loin en suspendant l’octroi de visas étudiants pour les ressortissants du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Ces suspensions ont duré plusieurs mois avant leur levée à partir d’avril 2024.

Avec l’arrestation d’un agent français, les expulsions croisées de diplomates et la suspension de la coopération antiterroriste, le dernier lien sécuritaire entre Bamako et Paris a volé en éclats. Le divorce, désormais consommé, illustre la rupture profonde entre deux pays liés hier par une histoire militaire et diplomatique intense mais aujourd’hui enfermés dans une défiance réciproque.

Mohamed Kenouvi

G5 Sahel : une redynamisation presque impossible sans le Mali

Depuis quelques semaines, les pays membres du G5 Sahel affichent une volonté de redynamisation de l’organisation sahélienne, dont le fonctionnement était au ralenti ces dernières années. Multiplication des rencontres ministérielles, appels du pied au Mali, qui s’en est retiré en mai dernier, Sommet extraordinaire des Chefs d’États en vue, le G5 Sahel semble tourné vers une difficile « renaissance » sans le Mali.

L’année 2023 est-elle partie pour être celle de la redynamisation du G5 Sahel ? Depuis son début, les réunions se multiplient entre les 4 pays membres restants pour « préserver et redynamiser » l’organisation.

Le 10 janvier, les ministres en charge de la Défense des pays membres se sont retrouvés en Séance extraordinaire à N’Djamena, au Tchad, pour parler du fonctionnement de l’organisation et faire des recommandations pour la lutte efficace contre le terrorisme dans le Sahel, vocation première du G5 Sahel depuis sa création, en 2014.

Dans le cadre du redimensionnement du Commandement et du renforcement des capacités de combat de la Force conjointe du G5 Sahel, pour la rendre plus opérationnelle et efficace, ils ont décidé de l’augmentation du nombre de bataillons à 14. Le Burkina Faso va désormais compter 5 bataillons, de même que le Niger, et la Mauritanie et le Tchad, 2 chacun.

Toujours dans la capitale tchadienne, les ministres des Affaires étrangères des pays membres du G5 Sahel se sont rencontrés le 18 janvier pour faire l’état des lieux de l’organisation, « en relation notamment avec le retrait du Mali », auquel ils ont à nouveau exprimé leur « souhait de voir rejoindre sa famille naturelle qu’est le G5 Sahel ». Ces diplomates ont également recommandé une mobilisation des ressources croissantes, organisées et efficaces des États-membres.

Inefficace sans le Mali 

Si la volonté de redynamisation de l’instance sahélienne est clairement affichée, plusieurs analystes s’accordent à dire qu’elle sera difficile et inefficace sans le Mali. Cela semble d’ailleurs être le cas des autres pays membres du G5 Sahel, qui ne cessent de plaider pour son retour dans l’organisation.

Le Mali, de par sa position géographique, était le seul pays qui se retrouvait dans 2des 3 fuseaux du G5 Sahel (Fuseaux Ouest avec la Mauritanie et Centre avec le Burkina Faso et le Niger).

« Sans le Mali, le G5 Sahel perd son élément le plus essentiel dans la lutte qu’il entend mener pour la sécurisation du Sahel. Aucune redynamisation sans ce pays et sans une capacité de financement propre aux États membres ne saurait donner à l’instance ses lettres de noblesse », tranche Soumaila Lah, Coordinateur national de l’Alliance pour la réforme du secteur de la Sécurité.

« Le Mali est frontalier de 3 des 4 autres pays membres du G5 Sahel et partage une superficie quadrilatère de plus de 300 000 km² avec deux d’entre eux. Cette portion constitue aujourd’hui l’épicentre du terrorisme dans le Sahel et aucun succès dans cet espace commun entre 3 pays ne saurait être viable et durable sans une véritable coordination entre eux », poursuit-il.

Mahamadou Sawadogo, chercheur burkinabè spécialiste des questions de sécurité, abonde dans le même sens. « Le Mali, le Burkina et le Niger forment le Fuseau central du G5 Sahel. Avec le retrait du Mali, il est difficile que ce Fuseau central survive. Ce qui veut dire que l’organisation a besoin du Mali pour contrôler ce Fuseau central, qui est d’ailleurs l’épicentre de la menace terroriste, parce que c’est à ce niveau que se trouve la Zone des 3 frontières », souligne-t-il.

Selon Soumaila Lah, le retrait du Mali de l’organisation constitue un véritable casse-tête  parce que le pays était jusque-là le maillon à partir duquel il était possible d’affirmer une certaine puissance sur les groupes armés terroristes et le banditisme transnational. Un retour du Mali, comme le souhaitent les autres pays membres, apparait comme essentiel pour une redynamisation efficace du G5 Sahel.

Mais cette possibilité a déjà été écartée par les autorités de la Transition, qui estiment que cette instance est noyautée par l’étranger. Dès lors, pour beaucoup d’observateurs, la « mort » annoncée du G5 Sahel semble inévitable.