Ozone Mali: La crise

Entassées dans des sacs le long des artères principales de la ville, leur présence accrue depuis plusieurs semaines n’a échappé à personne. Outre la question de santé publique qu’elles soulèvent inévitablement, on peut aussi se demander ce qui se passe autour des déchets de Bamako qui, normalement, sont quotidiennement enlevés par la société Ozone, prestataire de la Mairie du District. Une grève des travailleurs de la société en paralyse les activités depuis fin mars. Mais le mal est plus profond qu’un simple mouvement syndical. Il remet sur la table l’équation de l’assainissement d’une capitale qui ne cesse de grossir…

L’odeur est là… pas encore pestilentielle mais on la sent diffuse quand on circule dans les rues de Bamako, en particulier dans certains quartiers. La cause : une grève chez Ozone, le principal prestataire de l’assainissement de la capitale malienne. Les salariés débraient depuis la fin du mois de mars 2018 et ont posé sur la table certaines conditions, dont la principale est l’augmentation de leurs salaires. Ces derniers tournent autour de 50 000 FCFA pour les agents de nettoyage, « insuffisant pour nourrir une famille » se plaignent les travailleurs. « Bien au-dessus du SMIG malien », répond-on du côté de la Direction qui assure être dans la disposition d’étudier la requête mais ne pas en avoir les moyens « pour le moment ». « Nous sommes dans de sérieuses difficultés », explique Nouredinne Chbani, le Directeur général d’Ozone Mali. Qui tient à rappeler que la société ne doit aucun arriérés de salaires à ses employés mais « ne peut pas discuter d’une quelconque augmentation de ses charges ».

Flash back. … Février 2015, la société marocaine Groupe Ozone Environnement et services démarre en fanfare les activités de sa filiale Ozone Mali. Une convention d’une durée de 8 ans est signée qui lie la Mairie du district à Ozone Mali, avec l’aval de l’Etat puisque deux ministres qui apposent également leur paraphe : celui en charge de l’environnement et celui de la Décentralisation et la politique de la ville. Ozone Mali est depuis responsable de la pré-collecte des déchets ménagers et des produits du balayage des rues de Bamako et de les évacuer vers la décharge finale de Noumoumbougou (sur la route de Koulikoro). A l’époque, les autorités de l’assainissement étaient en discussion avec le groupe français Veolia. Mais l’expertise marocaine a semblé séduire les premiers décideurs qui ont privilégié l’approche sud-sud », se souvient ce cadre du département de l’environnement. Au fil des semaines qui suivent la signature de la convention, Ozone Mali déploie son armada. Elle recrute et forme plusieurs centaines d’agents et on aperçoit les camions couleurs orange et gris arpenter les rues de la ville. Cout de l’opération, 9 milliards par an. Bamako sort petit à petit son nez des ordures sous lesquelles elle commençait à crouler depuis la crise de 2012.

Très vite cependant, les critiques fusent. La première concerne le déversement des ordures collectées dans la fosse derrière l’hotel Olympe en commune 5. « Ça puait et ça prenait feu régulièrement. Les sapeur-pompiers étaient sollicités mais leurs opérations ponctuelles ne pouvaient pas résoudre le problème », se souvient ce riverain de cette décharge géante qui s’est constituée lors de l’opération d’urgence d’enlèvement des tas d’ordures de Lafiabougou et Ngolonina et qui devait, en principe servir à combler ce ravin destiné à devenir un jardin public et une aire de jeux. Les camions n’ont jamais cessé d’y faire leur rotation…La décharge finale officielle ? Personne ne veut y aller. « La route était dans un état si délabré que personne ne voulait y abimer son matériel roulant, à commencer par Ozone »… Faux, répond Noureddine Chbani qui assure que « cette décharge finale n’est toujours pas opérationnelle depuis 3 ans qu’on nous promet qu’elle le sera ». « On nous demande de nous débrouiller. Alors en attendant, nous déversons dans des champs sur requête des propriétaires ou encore pour combler des ravins », explique-t-il. Avec les conséquences sur l’environnement que l’on peut imaginer…

La crise. « Aujourd’hui, à notre niveau, la situation est inquiétante », résume Adama Koné, conseiller technique du DG d’Ozone Mali. « Il y a plusieurs enjeux. Le premier étant l’emploi des jeunes, ils sont plus de 1300 employés par la société. Le deuxième enjeu, c’est la pérennité de l’entreprise qui a fait beaucoup d’investissement et a des charges d’exploitation énormes. Le troisième enjeu, c’est la propreté de la ville de Bamako. Avec ses 2,5 à 3 millions d’habitants aujourd’hui, il faut trouver une solution pérenne à la gestion de son assainissement », déclare-t-il. Le fond du problème c’est le « non-respect par « la partie malienne » des engagements pris. Les dispositions de l’article 45 et 46 ne sont pas respectées et la compagnie a toutes les peines du monde pour rentrer dans ses fonds », poursuit M. Koné. A ce jour, ce sont près de 15 milliards qu’Ozone Mali réclame au titre des arriérés de 2015 à 2017.

« La question des arriérés d’Ozone est un problème profond », explique pour sa part le Directeur des Services de Voirie et d’Assainissement (DSUVA). « Il s’agit de trouver les moyens de la gestion durable des ordures ménagères et des déchets organiques. On ne peut pas produire des ordures et ne pas payer pour leur traitement. Mais à Bamako, personne ne l’a compris. Les gens se contentent de payer les GIE qui viennent enlever devant les ménages, mais personne n’investit dans leur évacuation vers la décharge finale. Or, cette opération est la plus couteuse», poursuit Oumar Konaté. « Le contrat avec Ozone est une concession. Maintenant, il faut mobiliser les ressources au niveau du client, qui est la Mairie sous le contrôle de l’Etat. C’est cela qu’il faut revoir pour mettre fin à la question des arriérés, parce que seule une infime partie des pollueurs paient pour cette opération ». « Il était question que l’Etat soutienne la mairie du district pendant les 5 premières années. L’Etat a toujours budgétisé 4 milliards par an, que nous recevons. Mais le complément qui doit être versé par la Mairie du district reste en suspens car elle n’a pas les moyens. Donc dès la première année d’exercice, nous avons donc accumulé des impayés », confirme M. Chbani. « Cette situation est très difficile à gérer. Ozone a fait ses preuves sur le terrain. Ceux qui disaient qu’Ozone ne travaille pas, la réalité de ces derniers jours a montré que nous avons réalisé des investissements et que nous faisions notre part du travail. Peut-être que les gens ne sont pas au courant mais personne ne peut dire que nous ne faisons pas notre travail, et ce même malgré les conditions qui nous sont imposées »… « Jusqu’ici, la banque nous appuyait ainsi que le siège de notre groupe. Mais aujourd’hui, la banque a atteint son plafond et le groupe également commence à ressentir les effets de l’effort que nous représentons », conclut M. Chbani qui se dit pessimiste pour l’avenir.

Pistes de solution. En ce qui concerne les impayés, des discussions entre les parties sont en cours. Elles ont permis l’adoption d’un échéancier d’apurement « approuvé par le ministère des Collectivités territoriales. Il est convenu qu’ soient versés 4 milliards dans un premier temps, afin que l’entreprise puisse se rééquiper. Le reste du montant sera échelonné sur trois ans, jusqu’en 2020 », explique-t-on chez Ozone. A la Mairie du district, on cherche également des solutions à long terme. « Il faut que nous trouvions l’argent pour évacuer les ordures du dépôt de transit à la décharge finale. Avec le ministère des collectivités territoriales, un schéma est à l’étude pour impliquer les mairies dans le recouvrement des frais de prestations pour les déchets. Aujourd’hui les maires des communes ne se sentent pas impliqués dans le dispositif, et cela fait partie du problème », explique le Directeur de la DSUVA. Des exemples venus d’autres pays comme le prélèvement d’une redevance directement sur les factures d’eau ou d’électricité, pourraient être suivis. En attendant, il faudra peut-être attendre la prochaine journée citoyenne d’assainissement, le 1er samedi du mois, pour voir corps habillés et volontaires civils ramasser les ordures qui continuent de joncher les rues de la capitale..

Célia d’ALMEIDA