Délégations spéciales : Une gestion temporaire à réexaminer

Depuis plusieurs années, le Mali fait face à une gestion par Délégations spéciales dans de nombreuses collectivités locales, en raison de l’absence de conseillers élus. Ces organes temporaires, bien qu’indispensables pour assurer la continuité des services publics locaux, suscitent un débat intense concernant leur légitimité démocratique, leur impact sur la gouvernance locale et l’efficacité de la gestion publique.

Les Délégations spéciales sont mises en place lorsqu’un conseil communal ou régional ne peut plus fonctionner. Cela peut résulter de la dissolution des conseils, de démissions collectives ou de l’incapacité à organiser les élections dans les délais prévus. Selon le Code des Collectivités Territoriales, elles sont composées de sept membres, dont un Président, et leur mandat ne doit pas dépasser 12 mois. Toutefois, des prolongations ont eu lieu, suscitant des questions sur la gestion à long terme et l’impact de ces délégations sur la gouvernance locale.

L’une des principales critiques des Délégations spéciales réside dans leur absence de légitimité démocratique. Ces délégations sont nommées par l’État sans consultation populaire, créant un fossé entre les autorités locales et les citoyens. La situation de la Commune VI de Bamako, qui, bien que son conseil communal ait été dissous, reste sans délégation spéciale à ce jour, en est un exemple. Cette absence de gestion claire a alimenté un sentiment de frustration parmi les habitants, soulignant la nécessité de renforcer la légitimité locale.

La prorogation des mandats des Délégations spéciales au-delà de la période légale de 12 mois soulève également des inquiétudes. C’est le cas du mandat de Balla Traoré, qui a débuté en février 2022 après la dissolution du conseil communal du District de Bamako. Bien qu’il ait succédé à une période d’instabilité, il a dirigé la Délégation spéciale du District de Bamako avec un mandat prolongé à plusieurs reprises jusqu’à juillet 2025, date de l’arrivée de la nouvelle équipe sous la direction de Abdoulaye Mahamane. Certes, cela a permis de maintenir l’ordre administratif, mais a aussi été perçu comme une atteinte aux principes de décentralisation et de démocratie locale. La gestion prolongée de cette délégation a dévoilé la nécessité de respecter les délais légaux et de garantir que les collectivités maliennes soient administrées de manière légitime.

Gestion critiquée

La gestion des finances dans les municipalités sous Délégations spéciales a également fait l’objet de critiques. Lors de la gestion de la Mairie du District de Bamako par Balla Traoré, une augmentation significative des recettes a été observée, mais cette amélioration a été contrebalancée par une dette de 18 milliards de francs CFA héritée de la gestion précédente. Cette situation a alimenté les critiques sur l’efficacité des stratégies de gestion financière. De plus, des irrégularités dans la gestion des marchés publics ont été signalées, notamment des contrats passés sans respecter les normes administratives requises. Ces critiques soulignent l’importance d’un contrôle rigoureux et d’une gestion plus transparente des fonds publics.

Des anomalies en région aussi

Les préoccupations concernant les Délégations spéciales ne se limitent pas à Bamako. En effet, des communes comme Dabia dans la région de Kayes, et dans d’autres collectivités rurales, ont aussi vu leurs conseils dissous, laissant place à des Délégations spéciales. Cependant, ces zones souffrent souvent d’un manque d’infrastructures de gestion et d’une délégation de pouvoir insuffisante, entraînant une dérive de la gestion et des tensions avec les populations locales.

L’absence de gestion démocratique, renforcée par le caractère temporaire des Délégations spéciales, a exacerbé les tensions entre les autorités et les citoyens. En régions, le manque de ressources humaines et d’infrastructures administratives complique davantage la mise en place d’une gestion locale efficace et transparente. Cette situation crée un sentiment de marginalisation parmi certaines populations locales qui se sentent souvent coupées des décisions prises par les autorités centrales.

Vers une gouvernance locale renforcée et démocratique

Pourtant, les experts s’accordent à dire qu’une gouvernance locale renforcée au Mali passe par la mise en place de mécanismes transparents et participatifs. Ils plaident également pour le respect scrupuleux des délais légaux pour la mise en place des Délégations spéciales. Des voix appellent à l’organisation d’élections municipales régulières afin de restaurer la légitimité démocratique et de permettre aux citoyens de choisir leurs représentants locaux. Des appels ont également été lancés pour une gouvernance locale participative et une gestion rigoureuse, pour renforcer l’autonomie et l’efficacité des collectivités.

MD

Dissolution des Conseils communaux : des enjeux « cachés » ?

En décidant de dissoudre certains conseils communaux et de les remplacer par des délégations spéciales, le gouvernement de transition assure vouloir mettre fin aux dysfonctionnements et insuffisances constatés dans certaines collectivités territoriales. Mais la démarche ne fait pas l’unanimité chez les politiques.

Le 24 janvier 2024, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation a annoncé la dissolution des Conseils communaux de Kati, dans la région de Koulikoro, et de Zan Coulibaly, dans la région de Dioila.

Selon le ministre Abdoulaye Maiga, cette dissolution fait suite à un « constat de mauvaise qualité des services rendus aux populations, d’irrégularités, insuffisances et dysfonctionnements dans la gestion administrative, financière et comptable de ces collectivités ». En novembre dernier, le Conseil du District de Bamako et les Conseils communaux des Communes II et IV avaient été dissous pour les mêmes raisons.

Inquiétude des partis politiques

Si pour le gouvernement la dissolution de certains Conseils communaux s’inscrit dans la dynamique d’assainissement de la gestion des collectivités territoriales dans laquelle il s’est engagé depuis le début de la Transition, certains partis politiques dont les élus communaux sont directement concernés ne l’entendent pas de cette oreille.

Le parti Yelema de l’ancien Premier ministre Moussa Mara, dont le maire Adama Bérété a été éjecté de la Commune IV, a d’ailleurs porté plainte en décembre devant le Tribunal administratif de Bamako contre le gouvernement pour « excès de pouvoir ».

Dans un communiqué daté du 27 octobre 2023, le parti Codem, de son côté, déplorait l’absence de transparence dans la désignation des collectivités territoriales concernées, s’interrogeait sur le suivi de la procédure légale en la matière et s’inquiétait aussi de la non dissolution des collectivités concernées au cas par cas.

Calcul électoral ?

Au-delà de l’ « abus de pouvoir » dénoncé et des inquiétudes exprimées par certains partis politiques, d’autres acteurs soupçonnent dans la mise en place de ces délégations spéciales une manière pour les autorités de transition de renforcer un peu plus leur pouvoir au niveau des communes, en y plaçant des hommes acquis à leur cause en vue des prochaines échéances électorales.

Des soupçons que l’analyste politique Boubacar Bocoum réfute. Selon lui, le fond de la question n’est autre que la mauvaise gouvernance des mairies dans les différentes communes. « Je ne pense pas qu’aujourd’hui le combat soit électoraliste. Il faut que la classe politique se ressaisisse. C’est par la faute des politiques que le système de mauvaise gouvernance s’est installé. Je ne suis pas d’accord pour qu’on accuse la Transition de renforcer son pouvoir ou de vouloir contrôler des élections ».