Malick Sidibé, le photographe qui avait l’œil

Le 14 avril 2016, le photographe malien Malick Sidibé a rendu l’âme. « Ce grand homme de talent », pour reprendre les mots de la ministre malienne de la culture, N’Diaye Ramatoulaye Diallo, a conquis le monde avec ses photos.  Son œuvre met en valeur le Mali sous ses plus belles couleurs, alliant diversité et joie de vivre. Retour sur la vie de celui qu’on surnommait « l’œil de Bamako ».

Les débuts      

Malick Sidibé est né en 1935 dans le village de Soloba en région de Sikasso.  A cette époque, un autre photographe malien, Seydou Keïta, recevait son premier appareil photo.

Malick grandit au milieu des champs et des troupeaux de bétails comme tout bon peulh. Néanmoins, il se passionne pour l’art et le dessin et s’inscrit à l’école des arts soudanais (l’actuel Institut National des Arts). Il y obtient un diplôme d’artisan bijoutier en 1955. La même année, le propriétaire du magasin Studio Photo Service, le français Gérard Guillat dit « Gégé la pellicule », lui propose de décorer son studio. Ce dernier apprécie son travail et son honnêteté. Il lui confie la gestion de son magasin et l’initie à la photographie.

A partir de 1957, Malick réalise ses premiers reportages. Ses clichés mettent en avant une jeunesse malienne gaie, passionné de musique et au style vestimentaire occidental. Fort de cette expérience, il ouvre en 1962 son « Studio Malick » à Bagadadji, un quartier de Bamako.

En ce cette période, Seydou Keïta était une célébrité bien établie. Ses portraits séduisaient toute l’Afrique de l’Ouest. Cependant, il y a une particularité dans les photos de Malick. Il l’évoquait lors d’une interview accordé au journal Le Monde : « Seydou, c’était la grande classe des fonctionnaires, avec des hommes richement habillés qui couvraient leur dame de chaînes en or. Moi, c’était la classe moyenne ; on pouvait même poser avec un mouton ».

Le succès

Cette touche populaire sera la marque de fabrique de Malick Sidibé. Durant des décennies, il alternera les soirées dansantes et les mariages du dimanche. Ce contact avec les gens et la société lui vaudra le surnom « d’œil de Bamako ». En parallèle, dans son studio, il affine ses portraits et met au point un autre style de photo : les femmes prises de dos.

En 1991, il fait la rencontre du galeriste André Magnin qui lui ouvrira les portes vers l’international. Ainsi, pour la première fois, Il sera exposé à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. En 1994, avec l’organisation des premières Rencontres Africaines de la Photographie à Bamako, son studio connait un immense succès. Partout dans le monde, les gens voulaient se faire photographier par Malick, l’auteur des célèbres clichés comme « Danser le twist » ou «  Nuit de Noël ».

Pourtant, ce n’est que bien plus tard que viendront les reconnaissances. Ainsi, en 2003, il reçoit le prestigieux prix international de la photographie Hasselblad, décerné pour la première fois à un photographe africain.  Il est ensuite couronné en 2007 par le prix du Lion d’or à la Biennal de Venise pour l’ensemble de son œuvre artistique. Malick Sidibé entre alors dans l’histoire de la photographie.

L’héritage

« Malick est un monument de la photographie » déclarait André Magnin à RFI en 2016. Sa générosité et sa richesse d’âme ont inspiré beaucoup d’artistes qui l’ont connu. La chanteuse Inna Modja en particulier, se souvient de lui comme étant « quelqu’un d’extrêmement généreux qui arrivait à donner confiance et à mettre une bonne humeur qui faisait que sur ses clichés il y avait toujours dans les yeux quelque chose de très fier mais très bienveillant aussi. »  L’humilité et la gaieté demeurent ses qualités les plus enviées.

On n’a pas besoin de regarder le film Black Panther pour se rendre compte du potentiel de l’Afrique. Les collections de Seydou Keïta et de Malick Sidibé en sont de parfaites illustrations. Ce dernier reste une référence pour la nouvelle génération de photographes africains. C’est le cas du sénégalais Omar Victor Diop ou du malien Fototala King Massassy, ancien rappeur converti à la photographie.

De nos jours, le studio Malick est tenu par ses fils, en particulier Karim qui pérennise la tradition des photos en noir et blanc. Dans une récente interview, il nous partageait un des grands conseils de son défunt père : « Souriez, la vie est belle ».

Mali twist de Fatoumata Diabaté : Malick Sidibé a une digne héritière

 

Nos morts ne sont pas morts et, pour paraphraser Birago Diop, nos photographes non plus. En marge de l’exposition de La Fondation Cartier dédiée à l’un des barons de la photographie malienne des années 1960, Malick Sidibé, Fatoumata Diabaté, lauréate de la Biennale de la photographie 2005 et de la Fondation Blachère en 2011, nous parle de son métier.

Vous êtes l’une des photographes maliennes qui brillent à l’extérieur. Qu’est ce qui vous a amené à ce métier ?

Les circonstances. En 2001, lassée par les grèves intempestives et préférant la pratique à la théorie, j’ai abandonné mes études et promis à ma mère que je trouverai un emploi qui n’exigerait pas que je me prostitue. Une formation en audiovisuel de Promo’femmes était destinée à ma jeune tante, qui n’en a pas voulu, car c’était un métier d’homme selon elle. Je l’ai acceptée. Ensuite, j’ai fait un stage au Centre de Formation des Photographes et c’est devenu ma passion, grâce à des professeurs comme Youssouf Sogodogo.

Pourquoi avez-vous décidé de devenir portraitiste ? Grâce à Malick Sidibé ?

J’ai découvert les photographies vivantes des années 1960 à travers les portraits que possédaient mes parents. Il m’arrivait d’en rire, mais je les trouvais vivants, dynamiques, charmants. Chacun transmettait un message. Malick Sidibé représentait les années 60 et je ne voulais pas que la beauté de ses clichés disparaisse avec lui. J’ai alors eu l’idée de faire de la photographie de rue au Sénégal, où je vivais.

Dans un pays où la tradition orale prime, que pensez-vous que la photographie apporte ?

Les Maliens sont naturellement coquets et élégants. La mode fait partie de notre culture et  l’idée d’immortaliser cette sape à la malienne n’est pas surprenante.

Qu’est ce qu’être une femme photographe au Mali ?

Je ne fais pas les choses comme les autres et je ne me suis jamais sentie moins femme parce que j’exerçais ce métier. Vous savez, il n’existe pas de sots métiers, uniquement de sottes gens. Ne sommes-nous pas tous des Hommes ? J’ai souvent fait l’objet de regards surpris, curieux, parce que j’étais là où on ne m’attendait pas. Mais seule comptait ma passion. Mon père avait quelques appréhensions, en raison de mes horaires de travail, mais il a vite compris que mon métier était aussi important pour l’indépendance financière de toute la famille que pour mon bien-être. Aujourd’hui, il est fier de moi. La photographie est  toute ma vie. Je lui ai donné corps et âme et aujourd’hui ça paie.

Que dites-vous à celles qui souhaitent exercer ce métier ?

Il faut toujours s’accrocher, que l’on soit une femme ou non, peu importe le métier que l’on exerce.

 

100000 photographies maliennes archivées sur internet

La valorisation du patrimoine photographique malien, patrimoine fragile, exposé aux aléas tant climatiques, politiques comme économique et désormais préservé. Les clichés de photographe comme Malick Sidibé, qui ont pris une place certaine dans les collections occidentales d’art africain, sont maintenant numérisées et accessibles via un site internet assurant la pérennité de ce patrimoine mémoriel photographique.

L’ambassadeur des Etats-Unis au Mali et la ministre malienne de la Culture ont procédé, le 11 mai dernier au Musée National, au lancement officiel d’un site internet sur la mémoire photographique malienne issue des archives de cinq photographes professionnels du Mali : Malick SIDIBE, Adama Kouyate, Tidiani Sitou, Abdourahmane Sakaly et Mamadou Cisse.

Photo : E.D.Bakary

Ce projet d’archives de la photographie malienne a été rendu possible par un financement provenant du National Endowment for the Humanities (NEH) , l’Université de l’’Etat du Michigan a numérisé, archivé et catalogué près de 100 000 images rares de ces cinq photographes professionnels maliens de l’époque coloniale. Les équipes du Centre des arts et des lettres et des sciences sociales en Ligne (MATRIX) ont collaboré avec la Maison Africaine de la Photographie au Mali pour permettre la préservation de ce pan du patrimoine culturel malien.

Photo : E.D.Bakary

Le vernissage d’une l’exposition présentant des images sur les pratiques traditionnelles, culturelles et religieuses, les festivals ruraux, les impacts coloniaux et les processus de modernisation des villes comme Ségou, Mopti et Bamako, se tient jusqu’au 31 mai au musée nationale.