Mamy Wata en danger au Mali

A l’occasion de son discours d’ouverture et de bienvenue lors d’un récent Forum à  Bamako «Solidarité pour l’Eau dans les pays du Bassin du Niger» au mois d’octobre dernier, le Président ATT (Amadou Toumani Touré, Président de la République du Mali) s’est étonné des changements intervenus dans le lit du Niger et du Bani à  Mopti. En effet, les endroits oà¹, enfant, il allait se baigner (malgré les mises en garde de ses parents contre les génies du fleuve) sont maintenant occupés par des constructions « en dur ». Si les changements climatiques et les prélèvements hydro-agricoles ou industriels ont un effet négatif et alarmant sur l’avenir des habitants du delta et leur sécurité alimentaire, ils privent aussi le pays de ses mythes et de sa culture. Mamy-Wata (divinité des eaux, photo ci-dessus), n’a qu’à  bien se tenir! «MamyWata, Mamywata …» crient les enfants en se collant contre les parents. Le delta intérieur du Niger est-il en danger? la réponse semble évidente pour les Maliens, moins quand on habite à  quelques milliers de kilomètres. Cette petite tache verte située au coeur du Mali peut bien voir sa taille réduite de 50% (ce qui vraisemblablement risque d’arriver), ce sont seulement des éleveurs, pêcheurs, artisans (poteries à  Mopti ci-dessus), agriculteurs, têtes de bétail et autres piafs qui en subiront les conséquences, pécadilles à  côté des remous économiques que connaà®t l’Europe aujourd’hui. Pourtant, c’est globalement plus d’un million d’habitants qui vit dans le delta et beaucoup plus qui profitent de sa productivité économique. Si on commence à  comptabiliser le tonnage de poisson venant du delta (60 à  140.000 tonnes suivant les années) et l’élevage (plus de un million de têtes de bétail) on doit considérer que le delta est sans aucun doute le poumon économique du Mali. Je viens de lire une récente étude intitulée «le delta intérieur du Niger s’assèchera-t-il du fait des changements climatiques et des prélèvements en amont?» de Léo Szwarts, pour le compte de Wetland International. Il faut lire ce document, même si les analyses hydrologiques et climatologiques sont plutôt écrites pour des spécialistes que pour le grand public. Ses conclusions les plus intéressantes sont que si, de manière tout à  fait logique, la chute des précipitations, et donc du débit du Bani et du Niger, entraà®ne une diminution de la surface inondée dans le delta, cette diminution n’est pas proportionnelle. En effet, une baisse du débit d’entrée dans le delta de 10 à  20% induit une diminution de l’inondation de 20 à  40%. L’impact sur les systèmes de production et sur l’écologie du delta est dont très important. La carte ci-contre, issue du rapport sus-cité, montre en bleu foncé les zones inondées de manière permanente et en bleu clair les plaines inodables. Il faut juste préciser qu’il s’agit d’une carte de 1956 en période de très forte crue, montrant donc une inondation maximale, bien loin de ce que l’on observe aujourd’hui. Il suffit donc très aisément de supprimer 25 à  30% du bleu clair et du bleu foncé pour avoir la situation actuelle, situation encore plus dramatique pour les grands lacs extérieurs (comme le lac Faguibine) qui se remplissent par « débordement » du fleuve. Et, compte-tenu du fait que l’on construit de plus en plus d’ouvrages en amont du delta (barrages hydro-électriques, dérivations pour les grands périmètres irrigués), la situation ne va pas s’arranger. Il y a de forts risques pour que la sécurité alimentaire et l’indépendance énergétique passent avant l’écologie du delta. On ne peut pas vraiment le reprocher au Mali, car ces deux sujets sont aujourd’hui des sujets de préoccupations pour tous les pays du monde. Le scénario catastrophe o๠le delta verrait sa surface diminuer de 70% est peu probable, il n’empêche que les changements climatiques observés au niveau mondial font que les variations de précipitations d’une année à  l’autre sont de plus en plus fortes et aléatoires, avec à  chaque fois des conséquences un peu plus dramatiques sur le delta. L’impact des barrages hydro-électriques n’est cependant pas totalement négatif. Si on estime que pendant le plus fort de la saison des pluies le débit naturel du Sankarani (sur lequel est situé le barrage de Sélingué) est diminué de pratiquement 60% pour permettre de remplir le barrage, il permet de soutenir le débit du fleuve en saison sèche en multipliant le débit d’étiage par trois. Mais cet effet indirect ne profite pas au Delta. Il vise avant tout à  maintenir un débit minimum pour les turbines hydroélectriques de Sélingué. En fin de compte, tout dépend pour le Mali de la balance des avantages et des inconvénients lors de la construction de barrages et les détournements d’eau en amont du delta. Il est possible que la balance purement économique soit à  l’avantage des « grands travaux », mais il est aussi fort probable que le delta en souffrira énormément, d’autant plus que les années de sécheresse auront un double impact sur celui-ci, d’une part le déficit pluviométrique et d’autre part l’augmentation équivalente des détournements en amont du delta. En tout cas, ça va pas être facile.