Quand le Sommet Afrique France aurait pu avoir lieu en Côte d’Ivoire

Les 13 et 14 janvier prochain, le sommet Afrique France de Bamako réunira plus d’une quarantaine de chef d’État africains ainsi que des chefs d’entreprises africains et français. Ce grand rendez-vous qui devrait marquer le retour du Mali sur le scène internationale aurait pu se passer ailleurs, en Côte d’Ivoire, si la volonté du président français n’en avait pas décidé autrement.

L’opération Serval lancée en janvier 2013 et qui a permis de libérer le nord du Mali des groupes armés islamistes, est l’un des grands succès de la politique étrangère française du président Hollande. Depuis,  les relations entre les deux pays sont restées globalement bonnes, malgré quelques coups de canif, notamment concernant Kidal, la ville bastion du Nord Mali, et la relation étroite qu’entretient la France avec le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA), organisation politico-militaire touarègue, indépendantiste.

Seulement voilà, malgré la mise en déroute des mouvements djihadistes, le pays a continué à être la cible d’attaques meurtrières, régulières, sur son sol, notamment contre les forces étrangères et les forces maliennes. Depuis 2015, ces attaques se sont étendues du Nord au Centre du pays voire au Sud ainsi qu’à d’autres territoires nationaux de la sous-région. La question de tenir un sommet international d’envergure dans un pays au contexte sécuritaire fragile, qui peine à imposer sa souveraineté sur le territoire, semblait très compliqué. L’attentat du 20 novembre 2015 à l’hôtel Radisson Blu de Bamako, a achevé de remettre en question la bonne tenue du sommet dans la capitale malienne.

D’autres regards se sont alors tournés vers Abidjan, la capitale idéale pour héberger le sommet Afrique France 2017. Le contexte sécuritaire intérieur y est meilleur qu’au Mali, le pays offre de très bonnes opportunités d’affaires et enregistre depuis ces 5 dernières années une croissance moyenne de 9 %. Différentes tentatives pour déplacer le sommet de Bamako vers la capitale ivoirienne ont donc été entreprises, soutenus par différents acteurs ivoiriens comme français. À l’instar du patronat français, le MEDEF, partisan d’un sommet en Côte d’ivoire ou au Sénégal, des pays jugés plus propices aux affaires et plus sécuritaire. Une délégation de 130 hommes d’affaires s’étaient d’ailleurs rendus, en avril dernier, à Abidjan pour conquérir des marchés dans ce pays porteur d’opportunités. Mais, la France et le Mali ont tenu bon, le président Hollande souhaitait que ce sommet, qui se tient à quelques mois de la fin de son mandat et qui est avant tout stratégique pour les deux pays, soit organisé dans ce « pré carré » françcais. Les lobbyistes et le Medef ont du s’y résoudre, à contre coeur.

Cette détermination du chef de l’État français à tenir le sommet Afrique-France 2017 à Bamako, lui permet de finir son mandat avec une belle vitrine qui honore le bilan de sa politique africaine, et dans le même temps, son choix, donne au Mali, pays qui peine à se relever, un sérieux coup de pouce.

Le patronat français à la conquête du Mali

Le Mali se remet tant bien que mal de la plus grave crise qu’il traverse depuis 2012. En dépit de la résurgence de l’insécurité ces derniers jours tant au nord que dans la capitale à  l’image de l’attaque contre le bar-restaurant ‘’La Terrasse » à  l’Hippodrome, les perspectives de relance surtout sur le plan économique se dessinent lentement mais surement. C’’est dans ce cadre qu’une vingtaine d’entreprises françaises se trouve dans la capitale malienne. Elle est conduite par Jean Paul Bacquet, président de Business France et Dominique Lafont, vice-président du comité Afrique du MEDEF, le patronat français. Cette visite de trois jours à  Bamako organisée en collaboration avec l’Ambassade de France au Mali était axée sur les projets structurants dans le cadre du développement et la reconstruction du Mali. La visite a été sanctionnée par un communiqué qui revient sur les temps forts de la visite et marque les centres d’intérêt des entreprises françaises au Mali. Selon le communiqué la priorité des entreprises est de proposer une offre qualitative et structurée dans divers domaines comme l’ingénierie, l’énergie solaire, le transport, la construction … A l’issue de cette importante visite, les deux chefs de la délégation, Jean Paul Bacquet et Dominique Lafont ont animé une conférence de presse mercredi dernier en présence de l’Ambassadeur de France au Mali, Gilles Huberson. Les visiteurs ont fait part de leur volonté d’accompagner le processus de développement du Mali qui présente de bonnes perspectives selon eux. Dominique Lafont a marqué son intérêt pour l’investissement dans le domaine des infrastructures ferroviaires. Des domaines variés comme la santé l’hôtellerie, l’agriculture l’énergie, et la logistique intéressent également le vice-président du comité Afrique de MEDEF international. Pendant la conférence de presse, Jean Paul Bacquet a souligné l’intérêt des entreprises pour le Mali à  travers le respect de la promesse en juillet dernier des hommes d’affaires français devant le président de la République Ibrahim Boubacar Kéita. Tout en affirmant son optimisme pour le développement des investissements français au Mali, il a indiqué QUE les entreprises françaises vont s’intéresser aux projets structurants. l’Ambassadeur du Mali, Gilles Huberson, a précisé que ces chefs d’entreprises sont au Mali pour le développement des relations bilatérales dans un partenariat gagnant-gagnant entre les deux pays.

Au Mali, les affaires reprennent pour les entreprises françaises

Les pays donateurs ont promis en effet d’engager 3,287 milliards d’euros en deux ans dans le développement du Mali (dont 280 millions pour la France). Paris, qui a été leader dans l’opération militaire, entend bien récupérer une bonne partie du gâteau. Et éviter le scénario libyen o๠«les Anglais et les Italiens ont eu plus de marchés que nous», décrypte une source diplomatique. Avant la guerre, la France était déjà  le premier partenaire économique non-européen du Mali avec un stock de 70 millions d’euros d’investissements en 2011. «Mais on était grignoté par les Chinois», glisse une source proche des milieux d’affaires. Une délégation du Medef était sur place «Les entreprises françaises sont présentes au Mali depuis longtemps. Elles sont plus stables, apportent des emplois aux Maliens et désormais les positionnent à  des places de direction», se réjouit-on au Medef international, qui a envoyé il y a quelques jours à  Bamako une délégation composée de 25 sociétés hexagonales. Un atout pour remporter les marchés publics. «l’accueil des Maliens est excellent. l’opération Serval a certainement un impact. Mais est-ce que cela va se traduire en marchés? Il est trop tôt pour le dire. Les Français, en tous les cas, sont prêts à  redémarrer», constate la fédération patronale française. Qui prévient toutefois: «Sur le plan sécuritaire, au Sud, on peut retravailler. Au Nord, C’’est encore incertain». Or, C’’est bien au Nord, zone jusqu’alors négligée par le pouvoir central, que les besoins de revitalisation économique sont les plus criants. Bamako y travaille à  un plan de sécurisation des activités ainsi qu’à  la restauration des aéroports, endommagés par les combats. Des chantiers emblématiques C’’est dans cette zone que le chantier de la route Léré-Tombouctou, géré par la société Sogea-Satom, une filiale de Vinci, doit reprendre prochainement. Il avait été interrompu en raison de la situation sécuritaire en 2012. Parmi les autres grands projets lorgnés par la France: une usine d’adduction d’eau et une déchetterie centralisée à  Bamako ou encore la privatisation de l’aéroport de la capitale malienne. «Nous n’avons pas de chiffres précis sur le nombre de contrats remportés mais la proportion est très favorable aux entreprises françaises», fait valoir une source proche du dossier. Des marchés publics emblématiques ont d’ores et déjà  remportés: Bull pour un serveur informatique qui profitera aux douanes, Safran-Morpho pour la carte d’identité/d’électeur Nina à  destination de près de sept millions d’électeurs appelés aux urnes pour l’élection présidentielle de la fin juillet. Un avantage qui pourrait s’estomper «La France a eu une place particulière au Mali, ils nous aiment bien. Mais on ne va pas leur rappeler tous les jours leur dette de sang. Cet avantage va progressivement s’estomper», met en garde une source diplomatique. Autre marché convoité: les 130 millions d’euros de marchés publics qui accompagnent la mise en place de la mission de l’ONU pour la stabilisation du Mali (Minusma). «Traditionnellement, les Français sont très mauvais sur les marchés onusiens mais là , on va faire le maximum.» Si la France n’a pas obtenu le catering, C’’est bien Total qui a remporté l’approvisionnement en pétrole. Et Paris vise la construction des camps chargés d’accueillir les Casques bleus. Dans le secteur privé, les Français souhaitent investir dans l’agro-industriel et le textile. Un projet d’hôtel trois étoiles, sous l’enseigne Onomo, est aussi sur les rails à  Bamako. Un signe en soi de l’espoir de voir les hommes d’affaires revenir en masse.