Bilan à mi-mandat : des acquis et de nombreux défis

« Maliennes et Maliens ! J’ai compris votre message. Il m’est allé jusqu’au fond de l’âme. Je prends l’engagement de le traduire désormais au quotidien, pour l’honneur du Mali, pour le bonheur des Maliens ! ». Alors qu’il entame la seconde moitié de son mandat, ces mots prononcés par Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), lors de son discours d’investiture en septembre 2013, semblent aujourd’hui éloignés du vécu quotidien d’une bonne partie de la population. Même si des efforts conséquents ont été faits pour relancer l’économie, remettre l’armée à  niveau, et poursuivre le programme de développement des infrastructures, les attentes des Maliens sont encore loin d’être comblées.

Une opinion publique insatisfaite À deux ans et demi de la prochaine élection présidentielle, trois Premiers ministres, six gouvernements et deux déclarations de politique générale plus tard, la déception a gagné une partie de la population, y compris dans la majorité, comme l’atteste une enquête d’opinion effectuée en septembre dernier par l’institut de sondage GISSE. Elle révèle une insatisfaction populaire, avec une note de 4,58/10 décernée à  la gestion globale du pays. Du côté de l’opposition, on est beaucoup plus catégorique : « la gouvernance du président IBK n’a pas apporté de solutions aux préoccupations légitimes de la population malienne », explique Maître Demba Traoré, responsable de la communication à  l’Union pour la République et la Démocratie (URD). Le principal parti de l’opposition fustige un « pilotage à  vue du pays, sans aucun cap défini au préalable et sans aucune réforme sérieuse en matière de politique publique pour les populations ». Le Kankelentigui, (« l’homme de parole »), comme le surnomment encore ses partisans, a  pourtant fait campagne sur des thèmes forts et fédérateurs : règlement de la crise du Nord, lutte contre la corruption, restauration de l’autorité de l’État. l’insatisfaction relayée par l’opposition est donc corollaire à  l’immense espoir soulevé au moment de son élection en 2013. Seulement, « les problèmes du pays dont nous avons hérité ne pouvaient nous permettre de réaliser des miracles à  court terme », tempère l’un de ses proches collaborateurs. l’état de l’armée, humiliée à  plusieurs reprises, la démobilisation de l’administration, l’affaissement de l’autorité de l’État, la gangrène de la corruption, les contraintes budgétaires, et la crise du nord, sont des réalités qui viennent logiquement atténuer les jugements parfois sévères.

La sécurité et le Nord, des épines dans le pied d’IBK « Son bilan à  mi-mandat est en demi-teinte, mais il ne faut pas céder au pessimisme, et se tourner vers ce qu’il reste à  faire pour la suite du mandat », décrypte une éditorialiste de la presse écrite. Depuis la crise de 2012, les autorités maliennes doivent faire face à  deux chantiers majeurs : le retour de la paix et l’amélioration de la sécurité sur tout le territoire. Sur le premier point, des avancées majeures sont à  noter. La signature en mai et juin 2015 de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger a certes été laborieuse, mais elle a eu le mérite de faire taire les armes. « Pendant deux ans et demi, le Président de la République a préservé l’unité nationale, la forme laïque et républicaine du Mali », explique Racine Thiam, directeur de la communication et des relations publiques à  la présidence. Toutefois, la mise en oeuvre lente de l’accord peut compromettre les espoirs de voir la paix s’installer sur le long terme. Le risque est en effet grand de voir les combattants des groupes armés rejoindre à  nouveau les terroristes, voire même de repartir en rébellion, faute d’alternative. Surtout quand Iyad Ag Ghali, leader d’Ançar Dine, ne cesse de menacer la paix, comme il vient de le faire concernant le forum devant se tenir fin mars à  Kidal, en présence du Premier ministre. Les récents attentats au Niger et au Burkina Faso ont eu pour conséquence de mettre à  jour les critiques de ces voisins qui, anxieux à  l’idée de voir les terroristes du Nord du Mali débarquer chez eux, pointent du doigt « l’immobilisme malien ». Comme exprimé dans l’enquête « Mali-Mètre » publiée en juillet 2015 par la Fondation Friedrich Ebert, 71,7 % des sondés considèrent que l’insécurité est le principal défi auquel le gouvernement doit faire face. « La situation sécuritaire s’est dégradée, pour preuve les nombreuses attaques perpétrées dans le nord. Bamako qui était une ville plutôt sûre n’échappe plus au terrorisme », ajoute le correspondant d’un média étranger.

L’adoption d’une loi d’orientation et de programmation militaire au début 2015, une première dans le pays, a été un début de réponse. Elle prévoit 1 230 milliards de francs CFA sur cinq ans pour faire passer les effectifs de 10 000 à  20 000 hommes et acquérir du matériel. Des blindés et semi-blindés, six hélicoptères Super Puma, six avions légers d’attaque de fabrication brésilienne, et un avion de transport de troupes ont été ou sont en cours de commande. Des efforts à  saluer, même si de vastes zones échappent à  tout contrôle, notamment hors des principales villes, ce qui permet au banditisme, aux conflits entre communautés et au djihadisme de prospérer. Pour Racine Thiam, « le rééquipement des forces armées nationales a atteint un niveau satisfaisant leur permettant d’assurer leur mission régalienne ». La lutte contre la grande criminalité, et notamment le trafic de drogue, n’a pourtant pas donné de résultats probants, au point de gangréner l’État, comme l’a reconnu IBK lors de la cérémonie des voeux 2016. « Le Mali n’est jamais tombé aussi bas, même sous la gouvernance des ses prédécesseurs. Il n’y a plus d’autorité, alors qu’IBK était considéré, quand il était Premier ministre, comme un partisan de l’ordre et de l’autorité », déplore Moriba Dabo, en charge de la communication de Jamaa, un parti membre de la majorité. « Le président est trop gentil. Pour que ça bouge, il faut du sang sur les murs », commente un diplomate de la place. « Nul ne sera au-dessus de la loi » Selon beaucoup, l’autorité de l’État aurait dû faire son retour en 2014, qui devait être, selon le président, « l’année du combat contre la corruption ». Les attentes étaient fortes, tant la corruption s’est incrustée dans la gestion publique depuis longtemps. Pourtant, les rapports annuels du vérificateur général pointent publiquement les dysfonctionnements de l’administration. « Le mode de gouvernance du Président IBK est le point qui soulève le plus de questions. Après les scandales dits de l’achat des équipements militaires, de l’acquisition de l’avion présidentiel et des engrais frelatés, l’image de l’exécutif est sérieusement écornée. D’autant qu’il n’y a eu aucun procès anti-corruption depuis le début du mandat », explique Ramata Diaouré, journaliste au bi-hebdomadaire le 22 septembre.

Le salut par l’économie ? Sur le plan économique, le pouvoir peut se targuer d’avoir fait repartir la croissance, qui a dépassé 7% en 2014 et 5,4% en 2015, contre seulement 2,1% en 2013. La bonne tenue de la production agricole y est pour beaucoup, notamment grâce à  la décision du président de porter le budget de ce secteur à  15%. Quant au budget global de l’État, il est passé de 1 465 milliards de francs CFA en 2013, à  plus de 2 000 en 2016, dont 500 milliards prévus pour les investissements. Selon Racine Thiam, « des résultats encourageants ont été enregistrés dans la mobilisation des ressources internes, et les services de l’assiette (douanes et impôts) ont mobilisé pour la première fois plus de 1 000 milliards de francs CFA en 2015 ». Cette gestion macro-économique a été saluée par les bailleurs de fonds, après la brouille de 2014, et a redonné au gouvernement des marges de manoeuvre, grâce à  la relance de la coopération internationale. La conférence de l’OCDE tenue en octobre 2015, où 3 milliards d’euros d’appui ont été annoncés, en est l’une des illustrations. Cela dit, ces résultats n’ont pas encore permis de créer massivement des emplois, même si le gouvernement affichait un total de 78 000 créations à  fin 2015, ni comblé les attentes des populations en matière de pouvoir d’achat, malgré la hausse significative du salaire minimum, passé à  40 000 francs CFA au 1er janvier 2016, et les efforts pour limiter la hausse des denrées de première nécessité. Au niveau des infrastructures de développement, les projets amorcés sous Amadou Toumani Touré (ATT) suivent leurs cours ou ont été inaugurés, tels les routes (Bamako-Segou), les hôpitaux (Mopti), les centrales électriques (Felou, Koro, Bankas..), la station de pompage et le campus universitaire de Kabala, et les programmes de logements sociaux, bien que l’objectif de 50 000 nouvelles habitations semble inatteignable. La lutte gagnée contre Ebola en 2014, avec l’appui de l’OMS, a montré l’efficacité d’un État mobilisé contre une menace mortelle, mais elle ne doit pas masquer la faiblesse, voire l’absence de structures sanitaires adaptées sur tout le territoire. Quant à  l’éducation nationale, en crise depuis des décennies, elle attend encore la grande réforme qui permettra au Mali de former des cadres, des employés et des ouvriers capables de s’insérer dans le tissu économique.

Pour réussir tout cela, beaucoup conviennent que le premier « chantier » est celui de la présidence elle-même. « Le président est de bonne foi et veut réussir. Mais tout dépend des hommes et des femmes avec qui il va gouverner », commente un observateur membre du parti présidentiel. Pour certains, l’équipe actuelle, incarnée par le Premier ministre Modibo Keïta, bien que remaniée à  plusieurs reprises, mériterait d’être complètement revue. « Il s’agissait d’un gouvernement de mission qui avait pour objectif de parvenir à  un accord de paix. Aujourd’hui, il faut d’autres personnalités qui peuvent faire bouger ce pays-là , et ça ne manque pas », ajoute un cadre de l’opposition. Si rien ne semble perdu, une chose est sûre, l’actuel locataire de Koulouba a les cartes en main et devra jouer une partie serrée pour réussir son mandat, et peut-être amorcer le second.