Sanctions de l’ONU au Mali : 3 questions à Yvan Guichaoua, maître de conférences et spécialiste du Sahel

Est-ce que le régime de sanctions de l’ONU peut être un instrument efficace ?

Pour l’instant aucune sanction n’est prise. Avec cette nouvelle résolution, les Nations Unies se dotent d’un nouvel outil juridique contre ceux qui entravent le processus de paix. Elles étendent leur arsenal punitif potentiel. Mais il reste beaucoup d’étapes avant qu’une sanction concrète puisse être envisagée : il faut que des experts soient nommés, qu’ils puissent rassembler des éléments de preuve, qu’ils soient écoutés par les décideurs et qu’enfin les éventuelles sanctions soient appliquées. Ce n’est pas pour demain, mais peut-être après-demain. La situation est tellement dégradée désormais au Mali que personne ne se satisfera des gestes symboliques, des froncements de sourcils et des formules aseptisées que la MINUSMA emploie dans chacun de ses communiqués. Et puis pourquoi se doter d’un tel outil, aux dispositions si explicites, par exemple en matière de lutte contre les trafics, pour ne pas y recourir in fine ?

Seront-elles être suffisantes, selon vous, pour contraindre chaque partie à avancer dans l’application de l’accord de paix ?

Ce nouvel outil vise en priorité les signataires de l’accord de paix ; il ne concerne donc qu’une partie du problème de la violence au Mali. La communauté internationale n’a toujours pas trouvé d’instrument non coercitif pour régler la question des mouvements djihadistes. Pour ce qui est des signataires, l’étau se resserre autour d’acteurs connus pour jouer sur plusieurs tableaux et que l’on sait capables de déstabiliser la situation selon leurs intérêts du moment. Ces gens se savent dans le viseur de la communauté internationale et la perspective d’être punis va peut-être les inciter à se montrer plus accommodants. En même temps, les ancrages politiques et dans l’économie parfaitement licite de ces groupes d’intérêts, les rendent difficiles à déboulonner sans effets collatéraux imprévisibles. Mais après tout, les FARC en Colombie  sont la preuve qu’un mouvement qui s’est criminalisé peut être décriminalisé.

Autrement, comment empêcher les parties de faire obstruction à la paix ?

On peut utiliser le bâton, comme c’est le cas avec ce nouvel outil, ou la carotte, comme ce fut le cas à Alger. On peut aussi multiplier les échelles d’interventions : traiter le clivage Nord-Sud comme à Alger ou les rivalités intercommunautaires comme à Anéfis en 2015. En travaillant sur ces deux axes, de proche en proche, par exemple en développant des démarches plus inclusives, on peut imaginer parvenir à des équilibres sécuritaires temporaires. Mais la reconstruction de la légitimité politique prend nécessairement du temps et elle ne peut guère être pilotée de l’extérieur. Le processus est d’autant plus fragile qu’il se produit sous l’œil plus qu’attentif des mouvements djihadistes. Il est parfaitement vain de faire comme si on avait des disputes à résoudre entre gens raisonnables d’un côté et un ennemi uniforme irrémédiablement perdu pour le dialogue de l’autre. Les mobilisations violentes des uns et des autres sont interdépendantes et pourtant les réponses de la communauté internationale sont totalement compartimentées. On pourrait aussi se demander comment éviter que d’autres parties n’émergent. On voit que d’autres foyers de violence potentielle s’ouvrent : entre communautés peules et dogons, ou parmi les jeunes de Gao récemment. Il y a un impératif de court terme de protection impartiale des populations sans laquelle rien n’est possible à plus long terme.

 

52% de Maliens insatisfaits des actions du président IBK

Hier, mardi 21 mars 2017, la fondation Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) a organisé à l’Hôtel Salam de Bamako, une cérémonie de présentation du huitième numéro de son sondage d’opinion « Mali- Mètre ». La 8ème édition est principalement axée sur la problématique de la mise en œuvre de l’Accord surtout dans ses aspects politico-institutionnels ( autorités intérimaires) et sécuritaires (patrouilles mixtes, cantonnement) de même que la réconciliation. Elle retrace également les questions de gouvernance des institutions, de justice et développement socio-économique. S’agissant du point de vue des Maliens sur les actions du président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, 46% des personnes enquêtées se disent satisfaites contre 52% à être insatisfaites, selon les résultats de l’étude.

Dans ses mots de bienvenue, la représentante Résidente de la Fondation Friedrich Ebert, Annette LOHMANN a fait savoir que l’insécurité demeure une préoccupation pour les populations enquêtées au Mali, mais les défis restent d’ordre socioéconomique et de gouvernance. « Le chômage, l’inégalité d’accès aux services sociaux de base, la corruption et l’impunité préoccupent beaucoup les Maliens et Maliennes, indépendamment de la localité, du sexe, de l’âge et du niveau d’instruction », a-t-elle dit. A sa suite, le directeur des programmes de la Fondation Friedrich, Abdourhamane Dicko a présenté les résultats du Mali-Mètre 8. Dans sa présentation, il a mis l’accent sur l’état de satisfaction et de confiance des maliens et maliennes dans les institutions de la République. « Niveau de satisfaction du Président de la République dans la gestion du pays : Si 46% des personnes enquêtées se disent satisfaites des actions du Président de la République, elles sont 52% à être insatisfaites (avec 28% de plutôt insatisfait et 24% de très insatisfait). Au niveau des régions, Ménaka (73%), Ségou (60%) et Sikasso (49%) présentent la proportion la plus élevée de personnes satisfaites, contrairement à Bamako (67%) et Kidal (73%) où les proportions d’insatisfaits sont les plus élevées. Selon le niveau d’instruction, les citoyens les plus insatisfaits se comptent parmi ceux ayant un niveau secondaire et supérieur : 57% d’insatisfaits contre 41% de satisfaits pour le niveau secondaire et 62% d’insatisfaits contre 38% de satisfaits pour le niveau supérieur », a précisé Dicko. L’enquête démontre également que les priorités pour les maliens sont la lutte contre le chômage (56,3%), la lutte contre la cherté de la vie (40,4%), la lutte contre l’insécurité alimentaire (23,1%), l’amélioration de l’accès à la santé (19,8%) et la lutte contre l’insécurité physique (19,8%). Selon Abdourhamane Dicko, plus de 75% de Maliens pensent que l’impunité est fréquente au Mali. Avant d’ajouter que 63,2% de maliens pensent que la corruption est très élevée au Mali et 18% estiment qu’elle est élevée. « Cinq principales raisons sont avancées pour justifier l’existence de la corruption : la pauvreté des populations (45%) ; le bas niveau des salaires et des revenus (34,7%) ; les mauvais exemples des dirigeants (31,9%) ; l’avidité (28,7%) et l’impunité (25,6%). Selon les résultats de l’enquête, les domaines les plus concernés par la corruption sont : la justice (41%) ; la police (38,3%) ; la douane (27,6%) ; la mairie (26,7%) et la santé (18,1%). Tant pour les hommes que pour les femmes, la justice est le principal domaine concerné par la corruption 45% et 37% dans l’ordre », indique le présentateur.

Le diplomate Chéaka A Touré de la Cedeao étale les insuffisances de l’accord

Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issue du processus d’Alger, les enquêteurs soulignent que plus de 40% de Maliens sont contre la mise en place des autorités intérimaires. Et de poursuivre que 75% de maliens déclarent ne pas avoir connaissance de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR). Pour la réconciliation au Mali, 62% de personnes préconisent l’organisation des rencontres intercommunautaire et intracommunautaire. En outre, plus de 85% des personnes enquêtées estiment que l’implication des chefs religieux est fondamentale pour la sécurisation du Mali. Par ailleurs, 39% des citoyens estiment être satisfaits de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation du Mali) contre 42% qui ne le sont pas. Comme perspectives, les Maliens souhaitent d’ici cinq ans, le retour de la paix et de la sécurité (80,4%), l’emploi des jeunes (42,2%) de bonnes récoltes et la sécurité alimentaire (27%), la relance de l’économie (24,2) et la fin de la pauvreté (22,1%).

En réponse aux questions des journalistes, Sidiki Guindo de l’institut Gisse a fait savoir que la difficulté majeure rencontrée lors du sondage a été le problème de déplacement des enquêteurs d’une localité à une autre.

Invité d’honneur de cette cérémonie de présentation des résultats, le représentant de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest) au Mali, Chéaka Aboudou Touré a apprécié l’enquête d’opinion « Mali-Mètre » qui, selon lui, a atteint le stade de la maturité. « Ce qui est important, c’est la fiabilité des résultats », a-t-il insisté. Aux dires de l’Ambassadeur Chéaka Aboudou Touré, l’accord pour la paix et la réconciliation issue du processus d’Alger a produit des effets instantanés en un laps de temps. Pour preuve, dit-il, des gens qui ne croyaient pas être Maliens le sont aujourd’hui. Par contre, le diplomate Touré n’a pas manqué d’étaler les faiblesses dudit accord qui, selon lui, sont le manque de programmation des résultats, des objectifs et le manque de consensus autour de l’accord.

A noter que l’enquête s’est déroulée du 25 novembre au 06 décembre 2016 sur un échantillon global de 2142 personnes enquêtées. Les enquêtés sont âgés de 18 ans ou plus et répartis dans l’ensemble des capitales régionales, y compris Kidal, Ménaka et Taoudénit. 35 enquêteurs et 11 superviseurs ont été mis à contribution pour réaliser Mali-Mètre 8. «Mali-Mètre » est un sondage d’opinion développé par la Friedrich-Ebert-Stiftung, dans le but d’appréhender les perceptions des Maliennes et des Maliens sur des thématiques d’actualité.