Mali – Crise politique: après la stupeur, les réactions des acteurs politiques

La confusion a longtemps persisté durant les heures qui ont suivies l’arrestation le 24 mai du Président de la transition Bah N’daw  et de son Premier ministre Moctar Ouane, après l’annonce d’un nouveau gouvernement. Mais la déclaration le lendemain du Vice-président de la Transition, le  colonel Assimi Goïta, a clarifié la situation. Les deux désormais ex-dirigeants de la transition ont été mis « hors  de leurs prérogatives » par l’homme fort de l’ex-junte. Un coup d’Etat de plus que la classe politique dans sa quasi-totalité a condamné.

II a été le premier à avoir pris position face à ce qui était encore désigné dans les premières heures de l’arrestation comme une « tentative de coup de force ». L’ancien Premier ministre Moussa Mara a condamné « sans équivoque » toute prise de pouvoir par les armes, avant d’appeler à la libération des détenus et au dialogue.

« Je demande la libération sans condition des responsables et la poursuite normale de la Transition. Seul le dialogue peut nous permettre de dépasser les incompréhensions et d’avancer ensemble vers le retour à un ordre constitutionnel normal », a insisté celui qui a également appelé à « mettre notre pays au-dessus de nos intérêts personnels ».

Le jour suivant, le 25 mai, son parti, Yelema, a dans un communiqué signé du Président Youssouf Diawara rappelé aux uns et aux autres que « l’extrême profondeur de la crise multidimensionnelle que traverse notre pays exige de chacun de nous d’agir avec responsabilité et exemplarité ».

De son côté, Housseyni Amion Guindo, Président de la Codem et de la plateforme Jiguiya Koura, s’est également dressé contre « les évènements en cours dans notre pays » et a exigé « la libération immédiate et sans conditions » du Président de la transition Bah N’Daw et du Premier ministre Moctar Ouane.

Même son de cloche à l’URD qui, en plus,  a exigé l’instauration d’un dialogue inclusif dans le but de « parvenir rapidement au retour à une situation normale susceptible de conduire le processus de transition à terme dans les délais impartis ».

Manque de concertations

L’Action républicaine pour le progrès (ARP), coalition de partis politiques  portée par l’UDD de Tiéman Hubert Coulibaly est allée plus loin.  Elle a invité à la concertation de l’ensemble des forces vives de la nation en vue de « sauver la République » et a demandé la recomposition du CNT conformément à la charte de la Transition.

Pour le Dr. Abdoulaye Amadou Sy, Président de la Coalition des forces patriotiques (COFOP), un regroupement issu de l’ancienne majorité présidentielle, à partir du moment où le pays est dans une situation anormale, où ceux qui gèrent le pouvoir sont des personnalités nommées, la gestion demande « beaucoup plus de concertations avant la prise de grandes décisions ».

 « L’armée n’a pas été concertée, or c’est elle qui dirige. C’est elle qui a fait son coup d’État et ce sont les militaires qui ont le pouvoir. Le CNSP n’existe plus du point de vue légal, mais dans les faits c’est tout le contraire », a-t-il réagi.

Retour à l’ordre constitutionnel ?

La plateforme An ko Mali Dron, membre du M5-RFP et présidée par Mme Sy Kadiatou Sow, a pour sa part, dans une déclaration, insisté sur « le respect des fondements, des valeurs et des principes de la République » qui « s’impose à toutes les composantes de la Nation et particulièrement aux forces de défense et de sécurité ».

Ce regroupement, dont font partie les Fare An Ka Wuli de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, a aussi exigé la « libération immédiate du Président, du Premier ministre et de toutes les personnes arrêtées ».

L’Alliance pour le Mali (EPM) a, pour sa part  après avoir condamné « toute prise de pouvoir par la force »,  réaffirmé sa volonté de soutenir le processus de transition civile en cours dans notre pays conformément à la charte et reste « intransigeant au respect du délai de la transition qui est de 18 mois ».

Mais il semble évident qu’avec la nouvelle donne sociopolitique, le chronogramme électoral des futures élections générales, publié le 15 avril dernier et fixant le premier tour de l’élection présidentielle au 27 février 2022, sera difficile à tenir.

Mohamed KENOUVI

 Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°320 du 27 mai au 02 juin 2021 

Transition : Le coup de Jarnac

Décidément, Kati ne finira jamais de faire peur à Bamako. Le 25 mai, le Vice-président a démis de ses fonctions le Président de la transition et le Premier ministre. Décision motivée, selon Assimi Goïta, par le non respect de la Charte de transition, le manque d’inclusivité dans la formation du nouveau gouvernement et la tension sociale. Cette situation plonge le Mali dans une nouvelle crise aux conséquences incertaines.
 
 « Deux êtres nous manquent et tout est dépeuplé ». Voilà ce que pourrait être le soupir des membres de l’ex CNSP (Comité national pour le salut du peuple), à la place d’Alphonse de Lamartine. Les militaires, visiblement mécontents de la mise à l’écart de deux des leurs dans le second gouvernement du Premier ministre Moctar Ouane, n’ont pas tardé à agir. Un gouvernement dont la vie a été écourtée, moins de 24 heures, par le Vice-président de la transition, Assimi Goïta. Parce que les postes de ministres de la Défense et de la Sécurité, initialement occupés par deux ténors de la junte, les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, ont été assignés à deux généraux sans consultation préalable de Goïta. Et le Vice-président, qui est « un légaliste », ne peut tolérer cette « indignité » et ce manque d’inclusivité, qui « viole l’esprit de la Charte de la transition », a-t-il affirmé dans un communiqué. Venu au pouvoir par la voie des armes le 18 août dernier, il « s’est vu dans l’obligation d’agir pour préserver la Charte de transition et défendre la République », en plaçant « hors de leurs prérogatives le Président et son Premier ministre, ainsi que toutes les personnes impliquées dans la situation ».
Coup d’État?
« Coup de force », « coup de pression », « coup d’État », « malentendu », les qualificatifs sur la situation malienne vont bon train et diffèrent selon les acteurs. Pour le Président français Emmanuel Macron, c’est « un coup d’État dans un coup d’État ». La CEDEAO, par contre, adopte un ton moins énergique, parlant de « malentendu lors de la mise en place du gouvernement ».
À Kati depuis le 24 mai, le Président de la transition Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane ont démissionné le 26 mai. Très probablement sous la contrainte, comme ce fut le cas en août 2020 avec le Président Ibrahim Boubacar Keita et le PM Boubou Cissé. Pour l’analyste politique Ballan Diakité, il n’y a pas d’équivoque.
« Ce qui s’est passé est un coup d’État dans un coup d’État. ». Comment en sommes-nous arrivés là ?
«  Dans sa déclaration, le Conseiller spécial du Vice-président Assimi Goïta a fait état du non-respect de la Charte de la transition par le Président Bah N’Daw et son Premier ministre, ce qui serait la raison de leur départ forcé. Mais il faut dire qu’on est dans le non-respect du cadre légal depuis le 18 août. C’est la Constitution qui n’a pas été respectée par les membres du CNSP. Et, aujourd’hui, on se plaint que le Premier ministre et son Président n’aient pas respecté le cadre légal », poursuit Ballan Diakité.
Dr. Boubacar Haïdara, chercheur associé à l’Institut d’études de Bordeaux, abonde dans le même sens. « En agissant ainsi, Assimi Goïta, qui se proclame au pouvoir, respecte-il la Charte de la transition ?  Cette dernière est claire, en aucun cas le Vice-président ne peut remplacer le Président de la transition. Nous ne sommes pas dans un processus légalitaire. On a la junte, qui a des armes et qui fait la loi». Pour Boubacar Salif Traoré, ce qui s’est passé est motivé par l’instinct de survie des ténors de la junte, qui semble menacé. « En les ayant sortis du gouvernement sans leur donner une garantie de protection, en termes de responsabilité ou autre, ils se sont sentis quelque part exposés. Et c’est aussi par instinct de survie qu’il y a eu le processus qui est en cours actuellement ».
Quelles conséquences?
 Il ne reste que neuf mois à la transition pour conduire les grandes réformes politiques et institutionnelles, ainsi que les élections générales, en vue de la normalisation de la situation politique. Et le coup porté par Assimi Goïta et les siens au processus augure de lendemains incertains pour le Mali. Prolongation du délai de la période transitoire, rapports de force avec la communauté internationale, sanctions, crise politico-sociale, la situation est très confuse. La communauté internationale brandit le chiffon rouge des sanctions, qu’elles soient ciblées ou générales. Et, à ce titre, généralement elles sont connues. Des gels de passeports diplomatiques ou des avoirs des ténors de la junte pourraient intervenir. Le Mali pourrait aussi être suspendu des institutions internationales ou sous-régionales et ne plus bénéficier de l’aide internationale au développement, comme cela avait été le cas en août 2020. Le 26 mai, les USA ont déjà suspendu leur aide à l’armée malienne et brandi la menace de sanctions ciblées contre les protagonistes. Après avoir rencontré le Vice-président de la Transition, l’émissaire de la CEDEAO doit rendre compte à Félix Tshisekedi, président de l’Union africaine, et à Nana Akufo-Addo, président de la CEDEAO. Une réunion des dirigeants de la CEDEAO est prévue dans la foulée pour statuer sur le cas du Mali. Cependant, plusieurs facteurs pourraient édulcorer la rigueur de ces sanctions.
« Aujourd’hui, la communauté internationale est beaucoup plus regardante sur plusieurs aspects. On ne peut pas condamner le Mali uniquement pour ce que ses militaires font. On regarde aussi la situation assez critique de la population malienne, qui vit une crise sécuritaire et une situation économique très difficile depuis 2012 », explique Ballan Diakité. Boubacar Salif Traoré est du même avis.
« La communauté internationale n’a pas une très grande marge de manœuvre. Depuis quelques années, elle joue sa crédibilité au Mali. Elle s’est déployée en masse dans le pays et les résultats ne sont pas là. Le pays est en position très fragile. Et la communauté internationale, en voulant adopter une position assez rigide, risque de provoquer un effondrement du peu qui reste, combiné à la situation tchadienne. Le Sahel risque un embrasement généralisé, qui peut avoir des conséquences dramatiques non seulement sur les pays européens mais aussi au-delà, avec des crises migratoires. Donc la communauté internationale a intérêt à trouver des équilibres, à favoriser le dialogue et à trouver un compromis pour permettre à la transition de continuer ».
Les 18 mois de la transition pourrait être prolongés au regard du contexte sociopolitique actuel. Selon le chronogramme électoral initial, le premier tour de l’élection présidentielle, couplée aux législatives, est prévu pour se tenir le 27 février 2022. Dans sa déclaration à la Nation lue par son Conseiller spécial, le commandant Baba Cissé, Assimi Goïta affirme que les élections vont se tenir « courant 2022 ».
Des assurances répétées à l’émissaire de la CEDEAO, Goodluck Jonathan, lors de leur rencontre le 25 mai. Toutefois, des questions demeurent, avec cette instabilité constante. « Ce qui prime à mon avis n’est pas le délai des élections, mais plutôt d’un retour à la normale. La promesse de tenir les élections aux dates indiquées s’éloigne de plus en plus. Parce que la situation qui intervient nous fait revenir à la case départ. Et, comme leur attitude l’a montré, les militaires putschistes n’ont pas intérêt à aller aux élections le plus rapidement possible », explique Dr. Boubacar Haïdara.
« Personnellement, je ne crois pas du tout que des élections puissent se tenir aux dates communiquées, sauf si on nous emmène à faire des élections bâclées. Et une élection bâclée, cela va encore nous emmener dans une situation de crise, comme nous l’avons vécu au temps d’IBK avec les élections législatives », pense pour sa part Ballan Diakité. Selon Boubacar Salif Traoré, « tout va dépendre du temps qui sera pris pour la normalisation de la situation. Si c’est une crise qui perdure, il y a un fort risque à ce que ça soit repoussé.  Et, à mon avis, le second scénario risque de l’emporter sur le premier.»

 

Quel scénario?
 Des tractations sont en cours depuis la nuit du 24 mai. Et, selon plusieurs sources concordantes, le scénario qui se dessine pourrait être celui d’une primature donnée au M5-RFP. Bon ou mauvais choix ? Les militaires ont la main basse sur l’État. Et Bah N’Daw, en voulant s’affranchir de la tutelle d’Assimi Goïta, a tout simplement été écarté, comme Amadou Aya Sanogo l’avait fait en 2012 avec le Premier ministre de la transition Cheick Modibo Diarra. Le M5 est divisé sur la question. Certaines entités qui le composent ont condamné les évènements en cours, mais le Comité stratégique a attendu dans la soirée du mercredi 26 mai pour s’exprimer. Il dit rester attaché à ses 17 mesures contenues dans les 10 points de son mémorandum et maintient son appel à manifestation le 4 juin. «La seule attitude du M5 devrait être tout simplement de condamner ce qui vient de se passer et de n’engager aucune discussion avec le CNSP (officiellement dissout le 25 janvier) en l’état actuel de la situation. Le CNSP a besoin de soutiens et il va les chercher auprès du M5, qui semble n’avoir rien retenu des leçons du passé. Et, même en acceptant la Primature, le M5 est-il sûr de pouvoir mettre en application ses dix recommandations, face à des militaires qui ont la mainmise sur le pouvoir ? », s’interroge le Dr. Boubacar Haïdara. Le chercheur Mohamed Ag Ismaël est du même avis. « Les putschistes tentent de rectifier leur erreur en s’approchant du M5-RFP, des partis politiques et de la société civile, pour légitimer leurs actions et préparer les élections générales. Mais cela dépendra de l’offre proposée ».
Ballan Diakité est optimiste. « La politique est le champ de tous les possibles. Aujourd’hui, le M5 est la seule force politique capable de tenir tête à ces militaires-là, compte tenu de sa constance dans sa dynamique de contestation. Si les autorités militaires veulent quand même travailler avec lui, elles ne doivent pas ignorer l’ensemble de leurs recommandations, notamment la dissolution du Conseil national de transition (CNT) ».
Boubacar Salif Traoré pense que  le bicéphalisme à la tête du pays ne marchera pas. Nommer un Premier ministre civil pour ensuite diriger dans l’ombre provoquera toujours des situations de crise. « Si le Vice-président se sent en mesure d’assumer la responsabilité de la tête de la transition, en concertation avec les acteurs impliqués, je pense que, pour la stabilité du pays, c’est une hypothèse à ne pas écarter. Je suis convaincu que le bicéphalisme à la tête de l’État ne marchera pas». De toutes les façons, depuis le 18 août et la chute d’IBK, la réalité du pouvoir est entre les mains de Goïta.

 

 

Boubacar Diallo

 Cet article a été publié dans Journal du Mali l’Hebdo n°320 du 27 mai au 02 juin 2021 

Mali : le Premier ministre Moctar Ouane en déplacement dans la région de Mopti

Le Premier ministre de la transition, Moctar Ouane entame ce jeudi une visite de travail dans la région de Mopti a annoncé le porte-parole du gouvernement dans un communiqué en date du 17 mars. Le document ne précise pas la durée de la visite, toutefois, le chef du gouvernement aura un agenda chargé. Il procédera au lacement des travaux (2×2 voies) Sévaré- Mopti et à l’inauguration de l’unité d’hémodialyse de l’hôpital Sominé Dolo. Il rendra visite aux victimes des violences inter communautaires. Le Premier ministre présidera une réunion du cadre politique de gestion de la crise au Centre ainsi qu’une conférence avec les forces vives de la région pour recueillir leurs préoccupations et décliner les nouvelles orientations du gouvernement dans la gestion de la crise au Centre.

Mali-Plan d’action du gouvernement: Transition au pas de course

L’adoption le 22 février 2021 par le Conseil national de transition (CNT) du Plan d’action du gouvernement (PAG) marque une étape décisive dans la marche de la transition. Ce plan, présenté et défendu par le Premier ministre Moctar Ouane, est resté fidèle aux priorités de la Feuille de route de la Transition. Si le chef du gouvernement rassure sur l’achèvement des différentes actions dans les délais prescrits, des incertitudes subsistent quant à leur mise en œuvre intégrale au cours des 13 mois restants à la transition, dont la réussite sera inévitablement liée aux bons résultats obtenus dans chacun des axes prioritaires du plan. Du renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national à l’organisation des élections générales, la course contre la montre est engagée.

« Cet ensemble cohérent d’actions vise à atteindre, dans un horizon précis, des objectifs définis, avec des moyens identifiés, dans le respect du temps imparti et des équilibres macroéconomiques et financiers. La mise en œuvre du Plan d’action du gouvernement contribuera aux réformes politiques et institutionnelles nécessaires à la consolidation de la démocratie, c’est-à-dire à renforcer la stabilité des institutions démocratiques et républicaines et à améliorer la gouvernance », a annoncé d’entrée de jeu le Premier ministre Moctar Ouane le 19 février devant les membres du Conseil national de Transition.

Ce plan de 275 actions au total, dont l’exposé au CNT était fortement attendu, est basé sur 6 axes, déclinés en 23 objectifs, le tout évaluable à travers 291 indicateurs.

Le premier axe est centré sur le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, la relecture, l’appropriation et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, l’accélération du processus de DDR des combattants dans le Nord et le Centre du pays, la dissolution effective de toutes les milices d’auto-défense  et le redéploiement  des forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire national sont les priorités dégagées.

L’axe sur la promotion de la bonne gouvernance s’attèlera quant à lui à des priorités telles qu’entre autres restaurer l’autorité et l’utilité sociale de l’État, à travers la fourniture des services sociaux de base, renforcer la lutte contre l’impunité, accentuer la lutte contre la corruption et rationaliser les dépenses publiques en réduisant le train de vie de l’État.

Le PAG envisage également, à travers l’axe de refonte du système éducatif, de négocier un moratoire avec les partenaires sociaux de l’éducation en mettant en place un cadre de concertation régulier.

L’axe consacré aux réformes politiques et institutionnelles se fixe comme priorités non seulement de parachever le processus de réorganisation territoriale et de réformer le système électoral, en prenant en compte les Maliens établis à l’extérieur, mais aussi d’élaborer et d’adopter une nouvelle Constitution et de poursuivre le chantier de la régionalisation.

Le gouvernement entend aussi parvenir à l’adoption d’un pacte de stabilité sociale et procéder à l’organisation des élections générales. Sur ce dernier axe,  l’élaboration d’un chronogramme pour les échéances électorales est l’une des priorités retenues.

Relecture de l’Accord et dissolution des milices

 La transition a érigé en priorité des priorités la sécurité sur toute l’étendue du territoire national, ce qui passe aussi par la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger signé en 2015. Mais, avant cette mise en œuvre, une relecture de certains passages de l’Accord, ce qui est d’ailleurs l’une des recommandations du Dialogue national inclusif de 2019, est primordiale. Le Premier ministre a affirmé que selon les échos de la dernière réunion du CSA, tenue à Kidal, toutes les parties signataires de l’Accord se sont mises d’accord pour aller vers  cette relecture. Le plan prévoit en outre d’autres concertations avec les parties prenantes sur cette question. « Aujourd’hui, compte tenu du contexte national, aller vers l’application de l’Accord en l’état est porteur d’un risque de dislocation même de l’État malien. C’est pourquoi sa relecture est nécessaire. Il faut mettre des garde-fous qui permettrons aux autorités actuelles d’aller vers l’application effective de l’Accord sans pour autant que cela ne débouche sur des velléités de conflits identitaires », relève Ballan Diakité, politologue – chercheur.

Quant à l’épineuse question de la dissolution des milices, le gouvernement de transition compte parvenir à la régler définitivement à travers certaines actions comme le renforcement du programme de réduction de la violence communautaire au Centre et au Nord, l’intensification des campagnes de sensibilisation en faveur du vivre ensemble, des rencontres inter et intracommunautaires et l’intégration des ex-combattants issus des groupes d’autodéfense.Toutefois, la dissolution de ces milices est d’autant plus délicate que le politologue – chercheur estime qu’il faudra nécessairement des préalables. « Avant de pouvoir dissoudre les milices, il faut que l’État s’assume en premier et qu’il y ait la présence des Forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire. Car à défaut on ne pourra y arriver que difficilement ».

Mise en œuvre incertaine

Globalement bien accueilli, avec l’approbation de la quasi-totalité des membres du CNT, le  plan d’action du gouvernement de transition n’en demeure pas pour autant moins  tributaire des interrogations et incertitudes relatives à sa mise en oeuvre.

Pour Oumar Z. Diarra, membre du CNT, le PAG, bien qu’ambitieux, assez complet et révélateur des intentions du Premier ministre quant à la bonne marche de la transition, comporte des zones d’ombres. « Une transition n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes dans le pays. Mais elle doit assurer et rassurer le peuple malien », glisse-t-il.

« Un gouvernement de transition dans un pays comme le Mali devrait avoir juste 3 axes stratégiques. Le 1er sur la question de la sécurité et de la défense. Le 2ème sur  la moralisation de la vie publique et le 3ème sur l’organisation d’élections crédibles et transparentes, avec un plan de sécurisation du processus électoral et un calendrier bien structuré », affirme le politologue Dr. Bréhima Mamadou Koné. Pour ce dernier, le plan d’action du gouvernement s’apparente à un programme décennal pour un pays stable et, pour le Mali, assujetti à une crise multidimensionnelle, la mise en œuvre d’un tel programme peut s’étaler sur 15 ans.

Les moyens financiers et humains dont dispose le gouvernement et sa capacité à réaliser toutes les actions programmées sont également au cœur des préoccupations. Même si le chef du gouvernement assure que le coût du plan d’action représente la majeure partie du budget national, au regard de son extension à l’ensemble des domaines, et sera complété par l’apport des partenaires techniques et financiers, « comme cela se fait habituellement ».

« Pour tous ces axes, l’État dispose déjà des ressources nécessaires pour ce faire, puisque cela a été budgétisé. Cela ressort clairement dans la loi de finances en cours », précise Moctar Ouane, pour lequel le plan d’action n’est pas plus ambitieux que ne l’est la Feuille de route de transition à partir de laquelle il a été élaboré. C’est pourquoi, à l’en croire, le gouvernement, malgré tous les défis que cela représente, mettra tous les moyens qu’il faut pour atteindre des résultats à hauteur de souhait. Même s’il reconnait que le Premier ministre a une certaine volonté de faire bouger les lignes, Dr. Bréhima Mamadou Koné pense qu’il n’a pas en main les véritables leviers du pouvoir pour conduire l’ensemble des actions qui sont inscrites dans son plan.

Tenable dans le temps ?

Pour certains analystes, il sera difficile que toutes les actions que contient le PAG soient effectives dans les 13 mois restants pour la durée de la transition. « C’est pratiquement impossible. C’est pourquoi il est important pour le Premier ministre de faire encore un tri des objectifs pour faire ressortir parmi l’ensemble de ceux énoncés les plus prioritaires », proclame Ballan Diakité.

Il craint par ailleurs qu’à défaut de vouloir appliquer le plan en l’état, le gouvernement ne se retrouve face au dilemme de la nécessité d’appliquer d’une part le plan dans son intégralité et de l’autre de l’exigence de respecter impérativement le délai imparti.« Dans ce cas de figure, soit le gouvernement de  transition sera obligé de dépasser les 18 mois énoncés pour  appliquer ce plan d’action en intégralité, soit il va vouloir coûte que coûte respecter le délai et il n’exécutera peut-être que la moitié de ce qui est prévu », ajoute-t-il.

Par ailleurs, pour l’analyste politique Boubacar Bocoum, l’éventualité d’une prolongation de la transition au-delà des 18 mois initiaux, compte tenu de la multitude d’actions déclinées dans le plan d’action du gouvernement n’est pas à exclure, même si pour lui la question fondamentale réside ailleurs. « Que la transition soit prolongée ou pas, c’est le contenu réel qu’on y met qui est le plus important. Aujourd’hui, les axes qui sont déclinés dans le plan et leur faisabilité objective par rapport à la méthodologie à mettre en place, ce n’est pas clair. Jusque-là, nous sommes  dans des déclarations d’intentions. Le chronogramme réel et la manière dont on veut s’y prendre ne sont pas définis et l’échec peut venir de là », s’insurge celui qui croit que le timing n’est pas essentiel dans ce genre d’exercice, mais plutôt ce qui est fait concrètement.

Pour sa part, le politologue Bréhima Mamadou Koné est catégorique : « le programme que le Premier ministre a présenté prouve à suffisance qu’il y a des intentions inavouées des autorités de la transition d’aller à une prolongation ». « Cela risque de résulter sur des rapports de forces assez conséquent au sommet de l’État et de conduire à une autre crise institutionnelle », craint-il.

Mais, comme pour rassurer tout le monde, Moctar Ouane persiste et signe. « Nous allons mettre les bouchés doubles pour que tout cela se passe dans les règles de l’art. Nous resterons totalement chevillés à ce programme », assure le Premier ministre, rappelant que le Président Bah N’daw a déjà très clairement annoncé son intention de respecter la durée de la transition, qui a été fixée à 18 mois.

 

Germain Kenouvi

 

Mali-CNT : Le plan d’action du gouvernement adopté

 

Après huit heures de débats, le plan d’action du gouvernement de transition a finalement été adopté, lundi 22 février, par les membres du Conseil national de transition à 100 voix pour, 4 contre et 3 abstentions.   

« Nos citoyens sont de plus en plus exigeants dans la conduite des affaires de l’Etat et nous membres du CNT resteront vigilants. Nous veillerons à ce que la mise en œuvre du plan d’action se fasse de manière efficace et efficiente », a prévenu Malick Diaw, président du CNT.

Le plan d’action  présenté par le Chef du gouvernement comporte 6 axes déclinés en 23 objectifs, qui sont adossés à 275 actions à évaluer  à travers 291 indicateurs. Le premier axe porte sur le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, le deuxième, sur la promotion de la bonne gouvernance, et le troisième est consacré à la refonte du système éducatif. Les trois derniers axes portent respectivement sur les réformes politiques et institutionnelles, l’adoption d’un pacte de stabilité social et l’organisation des élections générales. Chaque axe du plan est décliné en des actions prioritaires.

Mali – Transition : La Charte de toutes les questions

Près d’un mois après son adoption, la Charte de la transition n’a toujours pas été officiellement publiée. Elle reste « mystérieuse » pour les Maliens et la CEDEAO, voire les experts qui ont participé à son élaboration.

« La présente Charte entre en vigueur dès son adoption par les forces vives de la Nation », dispose l’article 21 de la Charte de transition adoptée lors des concertations nationalesPrès d’un mois après son adoption, sa publication dans le Journal officiel de la République tarde à venir et des interrogations se posent quant à la nature des actes de droit se fondant sur elle. « Je suis surpris de constater que jusque-là la Charte n’a pas été publiée mais que son application a commencé. Il y a le président qui a été intronisé sur la base de la Charte. Il est en train de prendre des actes sur cette base alors qu’elle n’a pas fait l’objet de publication. Est-ce que l’absence de publication empêche l’application de la Charte ? Je dirais oui », explique le Dr. Fousseyni Doumbia, juriste et coauteur du projet de Charte.

L’acte fondamental du CNSP a continué à s’appliquer. Les séries de nominations à des postes stratégiques en témoignentSi la Charte s’était imposée immédiatement, ces nominations n’auraient pas eu lieu. « Il était important que la Charte soit publiée au Journal officiel. Elle ne l’est pas. Le CNSP prend des actes sur la base de son Acte fondamental, le président a été investi sur la base de la Charte et souvent on est dans la Constitution. Nous sommes dans une incertitude juridique difficile à expliquer », explique un constitutionnaliste.

Discorde

Les prérogatives du vice-président de la transition posent problème à la CEDEAO. Elle refuse que le vice-président Assimi Goïta remplace le président, temporairement ou de façon définitive, en cas d’empêchement. La CEDEAO exige de connaître la version finale de la Charte avant de procéder à la levée des sanctions. Cela pourrait être la cause du retard dans la publication de la Charte. Selon Dr. Fousseyni Doumbia, car « cette disposition n’a pas fait l’objet de modifications ». Alors que la vice-présidence est accepté ailleurs, ce niet s’explique par le profil du tenant du poste. « C’est parce qu’il est militaire. Le protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance s’oppose à tout exercicdu pouvoir par un militaire. La CEDEAO a des principes auxquels elle ne souhaite pas déroger, parce qud’autres États sont potentiellement exposés à une irruption des militaires sur la scène politique. Le problème ne se poserait pas s’il y avait une vice-présidence civile ».

Boubacar Diallo