Motion de censure : Quelles conséquences pour la majorité ?

Des groupes parlementaires membres de la majorité et de l’opposition ont déposé mercredi à l’Assemblée nationale une motion de censure commune  contre le gouvernement de Soumeylou Boubeye Maiga. Le vote devait intervenir après la réaction du gouvernement, dans les  48 heures qui suivaient. Quelles répercussions aura une telle action sur la majorité présidentielle ? 

Les yeux sont désormais rivés vers l’Hémicycle, jusqu’à la fin de la semaine. La motion de censure contre le gouvernement, portée désormais par le Rassemblement pour le Mali (RPM) a été déposée mercredi. Ce veto concocté par ce noyau dur de la majorité présidentielle suscite un grand remue-ménage au sein de l’alliance. Pour acculer le Président, qui refuse de faire partir son Premier ministre, le parti présidentiel comptait bien faire front commun avec le groupe Vigilance républicaine démocratique (VRD), piloté par l’Union pour la République et la Démocratie (URD).  « Je crois qu’il y aura une mise en commun pour faire une interpellation commune.  Ça sera un exercice inédit ici à l’Assemblée, parce que généralement c’est l’opposition seulement qui déposait des motions contre le gouvernement », se réjouissait l’Honorable Bakary Woyo Doumbia, membre de l’URD. Un acte qui semble pourtant surprenant. « On peut comprendre que l’opposition dépose une motion de censure, mais que la majorité le fasse est inédit », estime l’analyste politique Salia Samaké. « Le Premier ministre a été choisi au sein de la majorité. Le Président de la République est le père fondateur du parti qui est majoritaire dans la majorité. Soit le Président a laissé faire cette motion, soit c’est une fronde contre lui », explique l’analyste.

Cette motion intervient dans un contexte où le chef du gouvernement est rejeté par une frange importante de la population, dont beaucoup d’adhérents à certains groupes religieux. Tous mettent en cause sa façon de gouverner. « Une motion intervient lorsque l’on constate l’incapacité du gouvernement à faire fonctionner les institutions, à servir la population. C’est à ce moment qu’il faut donc, sans complaisance, déposer une motion de censure. Et le gouvernement est  remplacé par un autre, plus compétent », se justifie le député de l’URD Bakary Woyo Doumbia.

Dans la recherche d’une ultime solution à cette situation, une délégation du RPM, conduite par le Vice-président de l’Assemblée, l’Honorable Moussa Timbiné, avait rencontré  le mardi 16 avril le président de la République. Il s’agissait de lui « notifier que ce gouvernement avait atteint ses limites ». « Si le Président leur a dit quelque chose qui tient, ils vont revoir leur copie, mais s’il est resté dans la logique de maintenir le Premier ministre, ils  assumeront leurs responsabilités », dit Demba Coulibaly, Vice-président de la jeunesse RPM. « C’est la marche organisée par les religieux le 5 avril qui a le plus compliqué la donne. Il faut aujourd’hui aller avec le peuple », explique-t-il.

Quelles incidences ? 

Pourtant, contre vents et marées, le Président IBK s’accroche encore à son Premier ministre. Et que cette motion soit adoptée ou non, la majorité présidentielle en sortira très affectée. « Il y a des pro et des anti motion de censure au sein  même de la majorité, ce qui crée la division. Mais je pense que les gens seront assez démocrates, car après le vote c’est la majorité qui l’emportera », observe l’honorable Bakary Woyo Doumbia. Certains spéculent même sur une dissolution de l’Assemblée nationale si les députés forcent la main au Président de la République. « On ne peut pas encore prédire les conséquences. Certains disent que le Président pourrait dissoudre l’Assemblée, mais nous ne pensons pas qu’il ira jusqu’à là. Parce que s’il dissout l’Assemblée, avons-nous les moyens financiers d’organiser des élections législatives dans les 40 jours, de Kayes à Taoudeni, dans cette situation d’insécurité ? », s’interroge le Vice-président de la jeunesse du parti présidentiel.

Quoi qu’il en soit, le fossé est déjà creusé entre l’ASMA-CFP, le parti du Premier ministre, et le RPM. « Il y a une probabilité que la majorité souffre de cette situation, car le parti du Premier ministre est important dans l’alliance autour du Président. S’ils vont jusqu’au vote, qu’ils gagnent ou pas, cela leur  donnera à réfléchir », prédit Salia Samaké.

La motion de censure rejetée

Les députés ont voté pour le rejet de la motion de censure ce mercredi. Déposée par les groupes parlementaires Vigilance Républicaine et Démocratique (VRD) et ADP-Maliba-SADI, elle était la troisième dans l’histoire de la démocratie malienne.

C’était un revers attendu. Après une première motion de censure déjà rejetée il y a deux ans à l’encontre du gouvernement Mara, l’opposition s’oppose une nouvelle fois au refus des députés. Avant le vote un débat de plus de cinq heures où les différents intervenants ont tour à tour apporté leur soutien au gouvernement ou torpillé les actions posées par l’exécutif. Le premier ministre Modibo Keita et son équipe étaient interpellés sur trois questions, à savoir, la prétendue signature d’un accord avec l’Union européenne sur le rapatriement des sans-papiers maliens, sur la sécurité et sur les élections communales du 20 novembre dernier, entachées, selon eux, d’irrégularités. Hier, les débats avaient été assez houleux entre les ministres et certains élus. Le terme « débats de caniveaux » utilisé par le porte-parole du gouvernement Me Mountaga Tall au sujet de la signature d’un accord avec l’Union européenne sur les migrants, est même devenu viral. Aujourd’hui, les débats se sont déroulés dans le calme.

Sur la question de l’accord migratoire, le député Bakary Diarra de l’ADP-Maliba, a pointé du doigt ce qu’il estime être déjà les conséquences de la paraphe. En effet sur la tribune, il a évoqué le cas de deux maliens vivants en Allemagne depuis plus d’une dizaine d’années et à qui le renouvellement de leurs visas auraient été refusées. Tenant dans sa main, ce qu’il présente comme des preuves de maltraitance et de « duplicité » du gouvernement, il s’est offusqué que l’État malien continue de nier l’évidence. En réponse le premier ministre Modibo Keita a rappelé avec insistance qu’aucun accord n’a été signé. « Je ne saurai mentir mais je saurai démentir » soutient-il. « En 1986, j’étais ministre des affaires étrangères du Mali et les premier charter de maliens depuis la France sont arrivés. On les a accueilli parce que ce sont des fils du pays » a-t-il rappelé. « C’est normal que certains pays veulent des politiques migratoires plus dures, ce qui l’est moins, c’est que ces pays refoulent les Maliens sans laisser-passer de notre part, et nous ne l’avons pas donné » précise-t-il.

Interpellé aussi sur la problématique de la sécurité, le chef du gouvernement a exhorté les interpellants à ne pas faire l’amalgame entre une loi de programmation militaire et celle sécuritaire. « Nous avons une loi sécuritaire à l’étude mais nous avons besoin de financement pour que le projet ne s’arrête pas en route ». Le septuagénaire a fini par rappeler que les élections communales n’ont pas été bâclées.

Après le vote où seulement 33 députés ont voté pour la motion de censure sur 147, le président de l’Assemblée Nationale, Issiaka Sidibé a clôt la séance. « Cette motion qui avait retardé notre session est fini, nous pouvons enfin la refermer » a-t-il conclut.