Côte d’Ivoire : La fin de la mutinerie ?

C’est ce que veut croire le Docteur Arthur Banga, spécialiste des questions militaires, enseignant à l’université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan. Il analyse l’accord signé entre le gouvernement et les mutins, à l’issue d’une nouvelle montée de tension le week-end dernier, qui aura duré quelques jours.

Peut-on dire que la page de la crise est définitivement tournée ?

Si on part du principe que c’est le non-paiement de l’intégralité des 12 millions de francs CFA qui a causé ces évènements, on peut penser que la crise est derrière nous avec les virements de ce mardi 16 mai. Après, il faut voir plus globalement. Dans ce cas, je dirais qu’au-delà d’un accord à respecter entièrement, il va falloir poursuivre la formation éthique, déontologique et civique de ces ex-rebelles.

Ne valait-il pas mieux tuer dans l’œuf, de façon militaire, cet énième soulèvement ?

C’était une option un temps envisagée, si l’on s’en tient au communiqué de l’état-major. Si on l’a abandonnée, c’est parce que les autorités ont dû estimer que ce n’était pas la meilleure. Est-ce par souci d’éviter que du sang coule ou à cause d’une incapacité d’y opposer une force supérieure ? On ne peut le dire pour l’instant. Toujours est-il que cette solution était plus envisageable le week-end que le lundi, tout simplement parce qu’il y a eu une généralisation et une intensification des mutineries.

Des têtes vont tomber dans l’armée, au sein des responsables des mutins ?

On a déjà coupé des têtes en janvier sans résoudre le problème. Et les nouveaux responsables nommés à la tête de nos armées semblent répondre aux critères de proximité. Le général Sékou Touré, chef d’état-major actuel a été l’adjoint de l’ex-chef d’état-major, le général Soumaïla Bakayoko, et à ce titre, était l’homme des troupes, celui qui devait être sur le terrain pour remonter les informations à son patron. Le général Nicolas Kouakou, actuel commandant supérieur de la gendarmerie, a été l’homme du Centre de commandement intégré (CCI) entre 2007 et 2010. Une sorte de courroie de transmission entre les Forces armées nationales (FANCI, ex-armée républicaine) et les Forces armées des forces nouvelles (FAFN, ex-rébellion). On pourrait donc penser que c’est le gendarme le plus connu par les ex-rebelles. Son adjoint, le général Apalo Touré, a dirigé les deux écoles de gendarmerie et connaît par cœur les gendarmes sortis ces 10 dernières années. Quant aux chefs du mouvement, ils se connaissent tous et se côtoient depuis longtemps. À partir du moment où ils ont opté pour la négociation, les sanctionner serait les trahir. En revanche, on serait bien heureux qu’ils maîtrisent leurs amis et qu’ils nous évitent une nouvelle cérémonie de pardon.

 

Que se passe-t-il au Burkina Faso ?

La nuit a été relativement calme à  Ouagadougou dont les habitants reprennent leurs activités. La ville est sous couvre-feu de 19heures à  6heures du matin. Une mesure prise par les autorités après avoir tenté en vain de désamorcer les troubles qui ont éclaté le jeudi dernier dans la capitale et qui s’étendent à  présent dans plusieurs autres villes. Après Ouagadougou, ce fut le tour de Pô et Tenkodogo, et aujourd’hui Kaya de suivre le mouvement. Des soldats et des gendarmes sont sortis, dimanche soir, dans les rues de Kaya, ville située à  une centaine de kilomètres au nord-est de Ouagadougou, et ont tiré en l’air dans les rues jusqu’à  6 heures, ce lundi. Pour la première fois, des gendarmes participaient à  la mutinerie, depuis le début du mouvement. Ils ont incendié le domicile du chef du corps du régiment de commandement d’appui et de soutien (CAS) et saccagé celui du commandant de la première région militaire, celle de Kaya. Le mouvement de contestation était parti jeudi soir de la propre garde présidentielle du chef de l’Etat, Blaise Compaoré, puis s’est, les jours suivants, étendu à  d’autres garnisons de la capitale, et des trois autres villes. Pour tenter de contenir cette révolte, Compaoré, arrivé au pouvoir par Des dizaines de soldats étaient descendus dans les rues de Ouagadougou la semaine dernière. Des magasins ont été pillés, une radio saccagée et des résidences d’officiers incendiées. Cette mutinerie a entraà®né la dissolution du gouvernement burkinabé et le limogeage du chef d‘état-major des armées. Militaires toujours fâchés Ces agitations constituent l’une des plus graves crises qu’ait connue le régime du président Compaoré. En fait, les troubles actuels semblent être la continuité d’autres mouvements d’humeur des militaires. Dans la nuit du 22 au 23 mars, dans capitale à  Ouagadougou, des militaires étaient sortis de leurs casernes, avaient tiré en l’air dans les rues et pillé des boutiques en réaction à  la condamnation de cinq des leurs dans une affaire de moeurs et de viol. Le 24 mars, ils étaient libérés par les autorités. Le 28 mars, les villes de Koupéla, Tenkodogo, et à  nouveau Ouagadougou étaient touchées par la grogne des militaires. Dans la capitale, des militaires appartenant au 32e régiment d’infanterie commando (RIC) étaient allés libérer à  la prison civile un autre soldat, enfermé pour le viol d’une jeune fille. Après ces incidents, le président Compaoré a rencontré, le 31 mars, toutes les composantes de l’armée, des simples soldats aux généraux. Outre la contestation du jugement de six de leurs camarades, les soldats burkinabés protestaient contre leurs mauvaises « conditions de vie », ou encore « des problèmes avec la hiérarchie ». On croyait alors la page tournée jusqu’au jeudi dernier o๠la garde présidentielle déclenche une mutinerie. Du mal à  gérer la crise Des discussions étaient pourtant en cours entre la hiérarchie et les mutins. Selon un officier de ce régiment présidentiel ayant requis l’anonymat, il s’agit d’un mouvement de colère de militaires pour protester désormais contre le non-versement d’une indemnité de logement et alimentaire qui leur avait été promise. Parallèlement, les professionnels de la justice ont suspendu depuis le 23 mars leurs activités, pour exiger la réincarcération de cinq militaires condamnés pour des affaires de mœurs et de viol, et libérés par les autorités. En guise de réponse à  la demande des magistrats, une roquette fût tirée le 29 mars par des militaires sur le palais de justice de la ville de Fada N’Gourma, dans l’est du pays. Les étudiants aussi sont fâchés Des manifestations étudiantes sont aussi organisées, depuis le 22 février, pour dénoncer la mort de six personnes lors d’une marche fin février dans la région du Centre-Ouest. A l’origine, les étudiants demandaient le « respect des franchises scolaires et universitaires » et « exigeaient » le « départ » des forces de police qui stationnent sur les campus. Malgré des mesures prises par le gouvernement pour ramener le calme, les violences se sont étendues à  travers le pays. Le 9 mars, le gouvernement a ordonné pour la deuxième fois en dix jours la fermeture des établissements scolaires « jusqu’à  nouvel ordre ». Nouvelle déclaration de Blaise Compaoré le 10 mars: « En cassant on ne peut pas faire durer le progrès dans notre pays. » Rien n’y fait. Le 12 mars, des heurts ont opposé des manifestants de l’Université de Ouagadougou aux forces de l’ordre, après l’échec d’une nouvelle marche « pacifique » pour réclamer justice pour leurs camarades tués. Bilan: neuf blessés et cinq interpellations. Depuis, la contestation continue: des lycéens de Tenkodogo, ville située à  près de 200 km au sud-est de Ouagadougou, ont manifesté le 31 mars, en soutien aux étudiants. Et il y a une semaine, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans la capitale et dans plusieurs villes de l’intérieur du pays contre le régime de Compaoré. Le Burkina Faso est-il en train de devenir le pays des hommes fâchés ?

Compaoré lâché par sa garde rapprochée

Qui a peur du grand méchant Blaise? Plus son peuple manifestement. Dans la nuit du 14 au 15 avril, aux alentours de 21 heures, des détonations se font entendre dans l’enceinte du palais de Kossyam, la flambant neuve présidence du Burkina Faso à  Ouagadougou. Le souffle de mutinerie se répand de caserne en caserne, à  commencer par le camp qui jouxte l’échangeur du Sud. Les militaires investissent les rues. Les armes lourdes relaient les armes légères. Les habitants de zones à  forte densité «kaki» se réfugient sous leur lit. En urgence, le président Blaise Compaoré quitte Ouagadougou pour sa ville natale de Ziniaré, à  une quarantaine de kilomètres de la capitale. Tout au long de la nuit, et au cours de la journée du vendredi 15, les armes continuent de crépiter ici ou là , essentiellement en direction du ciel. Des militaires désinhibés pillent quelques showrooms, confisquent la 605 du maire avec laquelle ils «farotent» (font le malin, selon une expression locale) avant de crever les pneus du véhicule au bord de la symbolique place de la Nation, là  o๠le monument de la flamme révolutionnaire fait face au siège de la banque centrale, symbole de cet argent qu’ils disent leur faire défaut. Quelques menaces militaires plus tard, en milieu de journée, les rues sont vides, alors qu’elles sont habituellement bondées de musulmans prosternés, en ce jour de prière du vendredi. Ouaga ville morte… Une contestation au C’œur du pouvoir Ce ne sont pas les premières bisbilles que connaà®t cette ville habituée aux coups d’Etat militaires (cinq en cinquante ans). Ce n’est que le 3 avril dernier qu’a été levé le dernier couvre-feu; auparavant, le maire de Ouaga avait été molesté, le ministre de la Défense traqué ou le domicile du chef d’état-major général des armées incendié. Mais cette fois, C’’est le RSP, le Régiment de sécurité présidentiel, qui entre dans la danse des contestations; le premier cercle militaire du capitaine Blaise Compaoré; le C’œur du système à  qui on accordait tout à  la fois des missions délicates et des pouvoirs exorbitants. Sous le Front populaire –régime transitoire qui suivit l’assassinat de Thomas Sankara en 1987–, le responsable de la Garde présidentielle, l’adjudant-chef Hyacinthe Kafando, avait la réputation de mettre à  genou des ministres. Il aurait aussi assumé des besognes déterminantes pour Compaoré. Lorsque le journaliste Norbert Zongo est assassiné en décembre 1998, C’’est encore six membres de ce régiment que la Commission d’enquête indépendante, sous l’impulsion du secrétaire général de Reporters sans frontières Robert Ménard, désigne comme suspects sérieux. Seul le dénommé Marcel Kafando sera inculpé. Un non-lieu sera prononcé. Dans ce régiment, il est un officier qui incarne la poigne de fer dans un gant de… fer: Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier de la présidence, le bras armé de Compaoré, fidèle parmi les fidèles, craint parmi les craints. Dans la nuit du 14 au 15 avril, pourtant, la villa de ce cacique intimidant a été saccagée par ses propres subalternes. Du mutisme à  la mutinerie Qui a encore peur du grand méchant Blaise? Blaise Compaoré, au pouvoir depuis vingt-quatre ans, est un homme fort. Il fallait l’être pour occuper le fauteuil du charismatique Thomas Sankara. Il fallait l’être pour s’insinuer, de son petit pays, dans des crises comme celle du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire, voire de la Mauritanie. Il le fallait pour se muer ensuite en pompier de conflits sous-régionaux. Justement, la fierté des Burkinabè d’avoir fourni un facilitateur à  Abidjan ou un médiateur à  Lomé a son revers. Compaoré n’est-il aujourd’hui qu’un super ministre des Affaires étrangères loin des réalités de son peuple? En sus des interventions télévisées soporifiques de fin d’année, Blaise Compaoré ne s’est adressé que deux fois à  son peuple en treize ans. Il y a plus qu’un pas entre le mutisme des uns et la mutinerie des autres, mais le peuple, surtout abondamment sinistré par des inondations en septembre 2009, s’impatiente de voir réagir son leader avec célérité. Il ne tarde pourtant jamais à  afficher le portrait présidentiel dans sa boutique ou à  s’habiller d’un pagne à  l’effigie du «beau Blaise». Ces dernières semaines, Blaise Compaoré, peut-être trop concentré sur la chute de Laurent Gbagbo, n’a-t-il pas vu se tisser le drap de revendications sociales multiples qui l’étrangle aujourd’hui? Certes, les membres du RSP exigent des indemnités de logement promises. Certes, les cavaliers se plaignent que les chevaux ont des défraiements qui excèdent ceux des humains. Mais les élèves, aussi, demandent justice pour Justin Zongo décédé à  Koudougou fin février, après des maltraitances policières. Les universitaires qui commencent à  peine leur année académique 2010-2011 exigent de meilleures conditions de travail. Les magistrats, en grève début avril, demandent le respect des condamnations de militaires dont les collègues demandent l’annulation. Les syndicats battaient le pavé, vendredi 8 avril, pour se plaindre du renchérissement des biens de première nécessité. Le tout sur fond de dossiers de corruption mal gérés et de délestages électriques qui, en cette période de canicule et selon les programmations officielles de la société d’électricité, atteignent douze heures par jour. Blaise Compaoré peut toujours se cacher derrière ses deux petits doigts. Primo, il vient d’être réélu, fin novembre, avec plus de 80% des suffrages. Secundo, les agissements des militaires, pris indépendamment des autres revendications sociales, ne sont pas défendables. Piller en même temps qu’on revendique, C’’est au mieux un enfantillage. Mais s’arrêter sur ces arguments serait oublier que le score soviétique à  la présidentielle est le fruit de l’analphabétisme, du clientélisme ou de l’anesthésie d’une opposition régulièrement débauchée. Ce serait omettre que le manque de civisme des forces de l’ordre est le résultat d’une culture d’Etat d’exception cultivée par le chef des armées depuis vingt-quatre ans, lui-même issu des corps habillés. Purge pour purge Problème de civisme mais aussi de simple organisation logistique. Comment est-il possible que de jeunes soldats se servent sans vergogne dans l’armurerie d’un camp militaire? Si l’insondable Blaise Compaoré a deux arguments, il a aussi deux cartes déjà  épuisées. Il a usé, le 30 mars, de l’allocution solennelle. Il a multiplié, depuis, les concertations avec tous les corps de métiers sous les lambris d’une République si peu républicaine. Les cartouches du président du Faso semblent épuisées avant celles des mutins. Il ne lui reste plus qu’à  tenter une purge cosmétique, pour convaincre que Yako n’est pas la seule ville à  pouvoir fournir des dirigeants à  l’armée, comme le chef d’état-major à  la présidence Diendéré Gilbert et le chef d’état-major général des Armées Djiendéré Dominique. Mais peut-être le Président risquerait-il de laisser penser, purge pour purge, qu’il n’est pas écrit que le premier magistrat du pays doit toujours s’appeler Compaoré. Cet énième coup de sang militaire n’est apparemment pas une tentative de putsch. Mais peut-être révèle-t-il l’usure du pouvoir. Blaise Compaoré vient d’entamer le dernier mandat que l’article 37 de la Constitution autorise. Mais son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès, et les associations qui cultivent son culte (réunies dans la FEDAP-BC: Fédération associative pour la paix avec Blaise Compaoré) ont déjà  ouvert le débat d’une modification constitutionnelle. Comme le fit le parti de l’ex-président Ben Ali.