Obiang Nguema, l’erreur de casting de l’Union africaine

En portant pour un an à  sa présidence l’équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, l’institution panafricaine inflige un camouflet aux démocrates du continent et aux électeurs ivoiriens Confie-t-on les clés de la salle des coffres à  un braqueur récidiviste ? C’est grosso modo ce que viennent de faire la trentaine de chefs d’Etat réunis dimanche et ce lundi à  Addis Abeba (Ethiopie) à  la faveur du 16e sommet de l’Union africaine (UA): ils ont conféré pour un an au despote équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, 68 ans, la dignité de président en exercice de l’institution. Certes, la désignation de ce militaire, parvenu au pouvoir en 1979 au prix d’un coup d’Etat, obéit à  la tradition qui veut que la fonction revienne à  tour de rôle à  chacune des cinq sous-régions du continent noir; en l’occurrence, cette fois, l’Afrique centrale. Certes, objectera-t-on encore, la mission qui lui échoit revêt un caractère essentiellement symbolique. Arguments aussi spécieux l’un que l’autre. L’UA a su dans un passé récent écarter un autre putschiste, le Soudanais Omar el-Béchir, par ailleurs poursuivi par la Cour pénale internationale pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés au Darfour ; avant de congédier l’an dernier le Guide libyen Muammar Kadhafi, candidat au mépris des règles maison à  un second mandat. Les symboles ? C’est précisément en leur nom que les défenseurs des droits de l’homme, Africains ou pas, jugent le choix navrant. D’autant que ce forum 2011 avait pour thème officiel les « valeurs partagées » du milliard d’êtres qu’héberge entre Tunis et le Cap-de Bonne-Espérance le berceau de l’humanité. Les valeurs ? Parlons-en. Traité avec le respect dû à  son pactole pétrolier -la Guinée équatoriale est le 3e producteur d’or noir de l’Afrique subsaharienne-, Obiang piétine depuis trois décennies la credo démocratique affiché par l’Union. En la matière, son irruption sur l’avant-scène aura donné le ton. Alors vice-ministre de la Défense, celui que l’on surnomme « Zé Bere Ekum » – la Panthère aux aguets dans la langue de l’ethnie fang- renverse à  l’été 1979 son oncle Francisco Macias Nguema, premier président du seul pays hispanophone d’Afrique, avant de l’envoyer au peloton d’exécution. Depuis, il régente à  la cravache son petit émirat pétrolier et ses 650000 âmes, condamnées pour la plupart à  végéter dans une pauvreté obscène au regard des royalties encaissées par le clan Obiang. Dissidents embastillés et torturés, opposition muselée, société civile bâillonnée, presse asservie, purges déclenchées en riposte à  des complots le plus souvent imaginaires : un festival permanent, dénoncé notamment par la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho), ONG basée à  Dakar (Sénégal). Le bilan est à  ce point calamiteux que l’Unesco -l’agence des Nations unies pour l’éducation et la culture- a décliné une offre dorée sur tranche: trois millions de dollars sur cinq ans, censés financer un « Prix Teodoro-Obiang-Nguema » voué à  récompenser « la recherche en sciences de la vie ». En fait de science, le bienfaiteur éconduit a celle de l’opacité. C’est qu’au rayon de la transparence, la performance du maà®tre absolu de Malabo, réélu en novembre 2009 avec 96,7% des suffrages exprimés, laisse pantois. Le gouvernement nommé deux mois plus tard résulte au demeurant d’un époustouflant casting familial. Qu’on en juge: un frère à  la Défense, un fils aà®né, connu pour sa passion compulsive pour les bolides de luxe, promu ministre d’Etat, un cadet doté du portefeuille -c’est bien le mot- de l’Industrie, des Mines et de l’Energie, un neveu aux Finances et au Budget. La corruption? Endémique. Dans son palmarès 2010 de la vertu en la matière, l’ONG Transparency International classe la Guinée équatoriale au 168e rang sur 178… Comment s’étonner que l’ami Teodoro figure parmi les chefs d’Etat visés -en vain pour l’heure- par diverses plaintes dans l’affaire des « biens mal acquis » ? La première allocution du nouveau président en exercice de l’UA résonne comme un aveu. « Les concepts de démocratie, de droits humain et de bonne gouvernance, a-t-il déclaré dimanche, ne sont pas des thèmes nouveaux pour l’Afrique. Mais il convient de les adapter à  la culture africaine. » « Concepts » familiers pour le continent peut-être, mais inédits à  Malabo. Quant à  la martingale du « relativisme culturel », on sait l’usage immodéré qu’en font les satrapes pour parer leurs turpitudes d’atours flatteurs. Le cadeau fait à  Obiang est d’autant plus fâcheux que l’UA doit s’atteler de toute urgence à  la résolution de l’imbroglio ivoirien. Qui l’eût cru ? Le successeur du Malawite Bingu wa Mutharika a manifesté au long des semaines écoulées de coupables faiblesses envers le putschiste électoral Laurent Gbagbo. Reste à  espérer que ses pairs s’en tiendront à  la doctrine réitérée par le Gabonais Jean Ping, patron de la Commission -en clair de l’exécutif permanent- de l’Union africaine: l’objectif demeure « d’amener Alassane Ouattara », dûment élu le 28 novembre, à  « exercer la réalité du pouvoir ». La crédibilité de l’instance panafricaine est à  ce prix. Tout comme celle de la quinzaine d’élections programmées dans l’année sur le continent.