« Ngunu Ngunu Kan » : méfiez-vous des rumeurs de guerre…

Rappelez-vous au plus fort de la crise malienne, en Septembre 2012, lorsque les exactions se multipliaient au nord, que les islamistes coupaient des mains et des pieds, que les mausolées tombaient un à  un à  Tombouctou et que nous les Maliens, ne savions plus quoi attendre des autorités de transition, des Nations Unies qui planchaient sur une résolution autorisant l’intervention armée au Nord du Mali et qu’au final, tout ce qui nous restait, C’’était d’alimenter les rumeurs de guerre. Rumeurs de guerre Ngunu Ngunu Kan, signifie donc rumeurs de guerre. Des rumeurs que n’importe quel citoyen peut véhiculer dans son « grin » ou regroupement d’amis, au coin d’une rue ou d’un marché. Dans le film de Soussaba Cissé, les grins sont nombreux. Dans l’un d’eux, une jeune fille s’exclame : « Ce n’est pas le Mali qui va libérer le nord, mais le nord qui va venir nous libérer ! ». Dans un autre, « Souleymane demande à  ses compères, s’ils sont vraiment des patriotes ! ». « Les femmes, lorsqu’un intégriste les épouse, ce sont tous ses camarades qui lui passent dessus ». Et un autre de taper sur la CEDEAO : « La CEDEAO C’‘est comme un CD, Dioncounda est le Disc Jokey et la France, le propriétaire de la boà®te. ». Tous ces propos relayés, affirmés avec force par X ou Y, comportaient leur lot de vérités, ou d’interrogations. Il fallait bien une catharsis collective, un débit de paroles, incontrôlable, propre à  la culture malienne, mais qui dans un contexte de crise, donnait le la, le baromètre de la situation du pays. Appel au patriotisme des jeunes ! Mais dans tout ça, o๠est passé le patriotisme des Maliens ?, s’interroge la réalisatrice en filmant ces paroles de « grins ». Aussi lorsque Soul, personnage principal, réfugié du nord, après y avoir été battu, sa femme violée, est recueilli à  Bamako, C’’est en est trop ! Des propos parfois incohérents, des uns et des autres, des injonctions qui le rendent fou. Des gens qui ne savent pas en fait de quoi ils parlent. Soul ne comprend plus rien à  tout ce que chacun avance sûr de son propos. Il cherche donc à  retourner au Nord, o๠il a laissé une partie de sa vie. En voyant « Ngunu Ngunu Kan » projeté samedi 16 février à  Bamako, chacun d’entre nous s’est certainement reconnu dans l’un de ses personnages. Oui nous avons tous commenté cette crise qui nous dépassait sans savoir de quoi demain serait fait. Mais il faut reconnaà®tre le génie de la jeune Soussaba Cissé qui a sur faire passer certaines vérités historiques ou politiques grâce au rire. On déplorera cependant quelques longueurs au film et un regard peu distancié par rapport au évènements du 22 mars et toutes ses conséquences. Mais le cinéma, C’’est aussi cela, toucher le plus grand nombre, sans oublier le message de fond. Un message pour la jeunesse malienne, laissée à  elle-même, sans perspectives ni valeurs patriotiques, et incarnée par le personnage de Soul, qui appelle chacun à  se remettre en question sur son rôle dans la crise que traverse le Mali depuis le 22 Mars 2012…

« N’gunu N’gunu kan » : Soussaba Cissé veut « qu’on nous dise la vérité » !

Chaleureuse et sympathique ! Ce sont les premiers mots qui viennent à  l’esprit quand on rencontre Soussaba Cissé. Fille du célèbre réalisateur malien Souleymane Cissé, Soussaba n’a pas pu échapper au virus familial. Pourtant, le cinéma n’a pas été son premier amour. « En fin de lycée j’ai commencé à  m’intéresser au stylisme car je dessinais déjà  mes habits et les mettais en œuvre moi-même » nous raconte-t-elle. Très vite cependant, elle commence à  changer d’idées, et pense rejoindre la « nouvelle génération de cinéastes » africains. « Je suis allée à  Paris pour faire des études de cinéma au CLCF (Conservatoire libre du cinéma français) o๠je suis restée 4 ans. Et pendant ces années j’ai réalisé mon premier film M’bah Muso et le second Tinye Su, un court métrage de fiction, suivie en fin d’étude par Seben Tan ». Apres avoir terminé son cycle universitaire en France, elle effectue des stages sur plusieurs plateaux en France et aux Etats-Unis. Depuis, Soussaba Cissé totalise 12 films qui traitent des maux de la société africaine mais aussi celle de la France. l’excision, le problème des sans- papiers, l’immigration, la dépigmentation, les enfants mendiants, sont entre autres ses sujets de prédilections. La promotion des valeurs traditionnelles et culturelles tient à  C’œur à  la jeune réalisatrice. s’accepter comme on est avec tout ce qu’on a de bon et travailler à  corrige rce qui ne va pas, C’’est le message qu’elle veut passer à  travers ses œuvres. Un phénomène qui la choque particulièrement, C’’est celui de la dépigmentation. « La dépigmentation me fait très mal. Aujourd’hui tu regardes à  Bamako, tu as l’impression d’être au milieu des métisses. Je n’ai pas trouvé une couleur plus meilleure que la peau naturelle. Noir ou blanc tu es né comme ça. Le problème est que la dépigmentation a une conséquence néfaste sur la santé » explique –t-elle. « Il faut que nos ainés nous disent la vérité sur la question des touaregs » Le dernier long métrage de Soussaba Cissé porte sur la question touareg de Soussaba Cissé. Celle-ci s’interroge sur la question devenue récurrente. « Je pense cette question doit être débattue vraiment, sans faux-semblants, sans tabou. Il faut que nos parents, ceux qui savent, nous disent les fondements de ce problème, parce que nous les jeunes nous ne comprenons pas ce qui se passe ». Soussaba est convaincue que ce sont les non-dits qui aggravent la situation. Et quand le secret entoure quelque chose, la place est faite à  la rumeur, d’o๠le titre de sa nouvelle œuvre, « N’gunu N’gunu kan » («rumeurs de guerre », ndlr) La réalisatrice appelle les maliens à  éviter la division pour avancer sur qu’on avait commencé à  bâtir ensemble. « Je pense que cette guerre va laisser des traces pour les générations futures. Le message fort que je voudrai lancer est que nos ainés nous disent la vérité sur ce qui s’est passé avant. Nous ne sommes plus des enfants. Que le problème touareg soit débattu et voyons comment renouer le dialogue. Et surtout avec le problème de territoire et de race que je ne comprends pas vraiment. Et nous qu’on arrête de poser des questions ou inventer des choses qui n’existent pas». Souleymane Touré, alias « Petit Boua », 26 ans est passionné par le slam et animateur dans une radio de Tombouctou. Il a été laissé pour mort il y a quelques mois par les terroristes occupant le nord du Mali pour avoir motiver les jeunes du nord à  leur résister. Un voyageur en route pour Bamako lui porte secours et le conduit à  l’Hôpital o๠il recevra des soins. Son histoire fait le tour du Mali, les médias internationaux en parlent et Petit Boua réalise qu’il peut se servir de cette mésaventure pour aider dans le sens de la sortie de crise, de la réconciliation. « N’gunu N’gunu kan » est son témoignage, enrichi de nombreux autres, pour que la vérité soit dite pour que le Mali ne connaisse plus jamais la crise qu’il traverse actuellement.