Enseignement fondamental : La baisse de niveau, une plaie incurable ?

Dès le lendemain de l’accession du Mali à l’indépendance, les autorités d’alors, conscientes de l’urgence d’une éducation de masse et de qualité, ont mis en place la première grande réforme du système éducatif malien, en 1962. Un pari ambitieux, qui passait par un enseignement fondamental servant de socle à la suite du cursus scolaire. Malgré les séminaires, tables-rondes et innovations qui ont  suivi, le constat de la baisse de niveau des élèves interpelle.  Bref aperçu des causes du glas de cet ordre d’enseignement.

C’est à bras le corps que les autorités de la Première République ont pris la question de l’éducation nationale. La réforme de 1962 est le témoignage de leur volonté de former un maximum d’enfants avec un enseignement de qualité. Un vrai défi pour  un pays dont les ressources ne permettaient pas de répondre aux besoins cruciaux du moment. Malgré tout, le produit fini était de qualité. Mais les difficultés nées sous la Deuxième République, avec le Programme d’Ajustement Structurel imposé par les bailleurs de fonds dans les années 1980 et la fermeture pendant dix ans des écoles de formation des maitres (IFM) ont créé un vide sans précédent.  Ce n’est qu’avec l’avènement de la Troisième République que l’éducation est redevenue une priorité. Des États généraux, en passant par  la loi d’orientation instaurant le PRODEC et les recommandations du Forum national sur l’éducation de 2008, que des rencontres autour de l’école! Mais à quelles fins ?

L’éducation et la formation sont un droit pour tous les enfants de la Nation. Les parents ont le devoir de les inscrire à l’école et de les y maintenir jusqu’au terme du cycle fondamental qui, depuis 2010, dure neuf ans. Selon la loi d’orientation sur l’éducation de 1999, cet ordre d’enseignement «  a pour objectif de développer chez les élèves des apprentissages fondamentaux qui contribueront au développement progressif de leur autonomie intellectuelle, physique et morale, afin de leur permettre de poursuivre leurs études ou de s’insérer dans la vie active ». Moins de deux décennies après, le constat de la baisse de niveau ne cesse de scandaliser. Pourtant, l’école malienne était citée autrefois en exemple.  Les autorités, les enseignants, les parents d’élèves, les élèves sont à tort ou à raison mis en cause. La complexité  de dissocier ces acteurs, dont chacun compte, fait de la déliquescence du système une affaire partagée. Des résultats comparatifs réalisés dans le cadre du PASEC et d’EGRA en 2009 montrent que le score moyen d’acquisition des élèves maliens (en français et en mathématiques) est très faible et se situe à environ 10 points en dessous de ce qui est observé en moyenne dans les neuf pays francophones ouest-africains. Selon EGRA, l’évaluation des compétences des élèves du  premier cycle fondamental, en lecture, écriture et calcul, effectuée en 2009, atteste qu’en 2ème année, dans toutes les langues, les élèves lisent moins de 18 lettres par minute et, en 4ème année, moins de 27 lettres par minute. Selon la même étude,  94% des élèves de 2ème année sont incapables de lire un seul mot d’une phrase du type : « mon école est jolie ». Une réalité qu’admet le Directeur national de l’enseignement fondamental, Kinane Ag Gadeda, qui précise tout de même « le niveau en lecture et en écriture est mauvais, mais, pour déterminer le niveau de l’enfant, il faut l’évaluer dans tous les domaines cognitifs ».

Plus d’un mal Il s’avère d’emblée qu’aux grands maux il n’y a pas eu de grands remèdes. Aux   innovations pédagogiques non mises en œuvre se sont ajoutés le déficit en ressources humaines, pédagogiques, didactiques et financières, l’insuffisance des infrastructures,  le  curriculum  non maitrisé, la démission des parents d’élèves et  la vocation foulée aux pieds. Tout un réquisitoire. Le phénomène est tel que même les élèves du secondaire et les étudiants sont affectés tout au long du processus. Pour  Moustaphe Coulibaly, enseignant et Directeur des études du complexe scolaire Nampalé Ballo de Baco Djicoroni, la faute incombe aux enseignants, aux programmes et aux plus hautes autorités, épargnant  les enfants. « La responsabilité de l’État est totalement engagée, car c’est lui qui  recrute les éducateurs » s’insurge-t-il. Selon Hamidou Doumbia, parent d’élève qui enseigna au premier cycle une trentaine d’années avant de devenir professeur de l’enseignement secondaire général, « les enseignants ne maitrisent pas le curriculum » et « toutes sortes d’individus qui se retrouvent dans l’enseignement ». Une formation et un recrutement catastrophiques donnent des résultats catastrophiques. « L’État recrute des individus  qui n’ont  aucun profil, aucune formation, pour exercer le métier : des mécaniciens, des secrétaires, des comptables, etc.» énumère M. Doumbia. Un fait que corrobore le Directeur Kinane Ag Gadeda, qui pense tout de même que l’État fait ce qu’il peut.  Pour lui, la corruption, les alliances interpersonnelles et l’intrusion des politiques dans le système contribuent  à vivifier le phénomène. «  Quand vous nommez un directeur sans grande compétence parce que c’est votre ami, la gestion sera difficile », dit-il. « Les différents fora ont toujours identifié des difficultés et fait des recommandations, mais au regard des ressources, faibles et souvent mal orientées, le problème n’a fait que  persister ». Le talon d’Achille du système reste le financement, car, selon lui, toutes les approches mises en œuvre ont été soutenues par des financements extérieurs. « On est soumis aux conditionnalités des financements et ensuite, quand les financements s’arrêtent, on a des problèmes pour pérenniser les acquis ». 35% du budget national sont consacrés au système, dont 85% destinés aux salaires et accessoires et le reste éparpillé entre les services centraux et locaux et les investissements. La bonne conduite des politiques éducatives passe pourtant nécessairement par une autonomie en investissements. L’échec des innovations est dû au manque « de ressources pédagogiques disponibles et pertinentes,   d’enseignants formées, d’un suivi et d’une évaluation réguliers pour réguler et corriger » souligne  le directeur. Selon un responsable du ministère de  l’éducation  « ceux qui doivent accompagner la mise en œuvre du curriculum ne le font pas et les effectifs pléthoriques compliquent la transmission des connaissances ». Bien que la pédagogie des grands groupes puisse être une solution, le déficit d’espace et la maitrise technique font défaut.

Sortir du tunnel ? Pour pallier ces multiples défis, l’État, depuis 2010, ne recrute que des sortants des IFM, mais cela ne suffit pas pour résoudre les problèmes. « On s’est rendu compte que, dans tous les cas, nos enseignants ne comblaient pas les attentes », rapporte le directeur. Le déphasage entre les curricula de l’enseignement normal  et la réalité sur le terrain et la qualité des enseignants et des formateurs des IFM ont abouti à une multitude de difficultés. Pour le directeur national, « ce ne sont pas les enfants qui ne  maitrisent pas les mathématiques et autres, ce sont les fondamentaux même qui manquent », entrainant le fait que « nos enfants ne peuvent même pas lire un  simple énoncé ». C’est le système éducatif en entier, dans ses méthodes, ses évaluations, ses suivis et son organisation générale qui est indexé. Mais la réforme n’est nullement en cause. Il déplore l’absence de vocation, « nos enseignants ne réfléchissent pas en termes de responsabilités mais en termes de droits ». « Lorsque la vocation manque à l’enseignant, cela veut dire qu’il n’y a pas d’espoir, car ce  métier est bâti sur la vocation ».

En 2016, la méthode syllabique revient, mais se heurte aux problèmes d’antan. Seule l’approche équilibrée, financée et mise en œuvre par le projet SIRA depuis deux ans, produit des résultats qui comblent les attentes. Pour Kinane Ag Gadeda, le département est conscient de tous ces problèmes et certains sont en train d’être corrigés. C’est dans cette perspective que la Primature prévoit une table-ronde sur l’éducation.

Une certitude se dégage : tant que les autorités, les enseignants, les parents d’élèves, les élèves, ne s’investiront pas, aucun miracle, ni aucune table-ronde, ne pourra sauver l’avenir de notre pays.