Insécurité : Le centre fait-il oublier le nord ?

Dans le nord du pays, des personnes sont assassinées, souvent en masse. Au centre de l’attention au début de la crise, cette zone est supplantée depuis des mois par des violences, tantôt de milices communautaires, tantôt de groupes djihadistes au centre. Qu’en est-il ?

« Le bilan est passé aujourd’hui à  49 morts, parce qu’un blessé a succombé », informe Mohamed Ag Albachar, porte-parole du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA). Ce chiffre macabre est le résultat du forfait commis par des « bandits armés » en motos à l’est de Ménaka, les 11 et 12 décembre. Les victimes étaient de la communauté Daoushak, principale base du mouvement. Quelques semaines plus tôt, le 12 novembre, une attaque terroriste menée par des hommes non identifiés faisait trois morts et de nombreux blessés à Gao, malgré la présence des nombreuses forces armées. À Tombouctou, le constat est similaire. Les  populations se sont habituées aux violences. « Le centre est devenue l’épicentre de la crise, mais l’arbre ne cache pas la forêt. Cela ne fait pas ombre aux exactions qui se passent au nord », rappelle Drissa Traoré, coordinateur du projet conjoint AMDH –  FIDH. Des mesures sécuritaires sont annoncées pour réduire le banditisme dans les régions de Gao et Tombouctou. « Il est vrai qu’il y a une recrudescence des exactions au nord, mais ce qui se passe au centre est très grave», reconnait le charge de communication du MSA. La situation « est préoccupante » parce que les milices locales sont devenues un véritable danger pour la cohésion sociale et la paix. « C’est au centre qu’il y a le plus d’affrontement intercommunautaires. Il a fait oublier le nord, mais c’est surtout parce que l’ennemi au nord est connu, alors qu’au centre il y a également des populations locales qui s’affrontent », souligne Dr Fodié Tandjigora, sociologue à l’Université des lettres et sciences humaines  de Bamako. Il y a urgence selon lui, « c’est à gérer rapidement parce qu’il y a un risque que cela se transmette à la future génération ».

La MINUSMA a déployé une équipe spéciale d’enquête sur le lieu des exactions à Ménaka « pour établir les faits et les circonstances » de ces exécutions. L’AMDH et la FIDH invitent les autorités « à mener des enquêtes sur ces crimes qui ne peuvent pas être tolérés », soulignant la recrudescence d’actes insoutenables.

ONG au Mali : Continuer malgré tout

Alors que sous d’autres cieux certaines ONG sont épinglées dans des scandales, celles qui opèrent au Mali, s’efforcent d’apporter assistance et espoir à des populations très éprouvées par le conflit et l’insécurité qui prévaut. Habitués aux zones de guerre et aux situations complexes, ces organisations doivent composer avec une criminalité qui ne cesse de croître, des zones très enclavées et une population nomade.

Le 24 avril 2017, les locaux de la sous-délégation du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) à Kidal ont été cambriolés par des inconnus armés. « Le deuxième cambriolage en moins de trois mois », affirmera l’organisme dans un communiqué publié dans la foulée. Le vol de trop. Excédée, l’ONG décide d’une suspension temporaire et partielle (les urgences étaient assurées) de ses activités dans cette région. Deux mois plus tard (juin 2017) Médecins Sans Frontières est à son tour victime d’actes de banditisme dans la même région. Elle suspendra également ses activités après ce qu’elle qualifiera de troisième cambriolage de son complexe en un peu plus d’un mois. Des décisions qui ont eu des répercussions quasi immédiates sur la situation déjà peu enviable des populations. Après plusieurs consultations, estimant avoir reçu des « garanties sécuritaires », les deux organisations reprennent leurs activités d’assistance aux populations.  « Il nous a été très difficile de suspendre nos actions, mais, au-delà de nous, ce sont les populations, déjà très démunies, qui sont affectées » affirme Jamal Mrrouch, chef de mission de Médecins Sans Frontières au Mali. « La situation humanitaire au Mali continue de se détériorer. L’insécurité, qui s’est propagée des régions du Nord vers la région centrale de Mopti et jusqu’à certaines zones de Ségou (Macina et Niono), affecte la mobilité des populations et perturbe leurs moyens de subsistance et accès aux services de base, tels que l’eau potable, la santé et l’éducation. Les affrontements entre groupes armés et les violences intercommunautaires continuent de provoquer des déplacements de populations, qui requièrent une assistance humanitaire et des services de protection », peut-on lire sur les premières pages du  Plan de réponse humanitaire publié en février 2018. Le document du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) met en exergue les difficultés des organisations à mener à bien leurs activités.

Pris pour cible

Selon un autre rapport d’OCHA rendu public en septembre 2017, 100 cas de contraintes d’accès humanitaire ont été recensés au Mali. Un chiffre jamais égalé depuis 2013, au plus fort de la crise. En dépit de la signature de l’Accord de Paix en 2015, le pays s’enlise et l’insécurité chronique ne cesse de s’accroître. « Nous avons l’ensemble des garanties de sécurité de la part des parties prenantes au conflit, nous ne demandons pas plus que cela. Ce que nous craignons le plus en tant qu’humanitaires, ce sont les bandits de grand chemin », assure Jean Nicolas Marti, chef de délégation du CICR au Mali. L’ONG a notamment pâti il y a peu des conséquences de cette situation sécuritaire très volatile. Au début du mois de février, l’un de ses collaborateurs a été abattu dans la région de Gao par des bandits armés.  « Tout le monde a une arme à Gao. Dans certaines localités, des jeunes n’hésitent pas à vous lancer qu’une personne qui a un fusil ne saurait mourir de faim et ces personnes bénéficient d’une totale impunité. Elles ne se privent donc pas de commettre des actes répréhensibles », explique Mohamed Touré, coordinateur du Groupe de recherche pour l’amélioration des initiatives de la population, une ONG qui opère dans la région de Gao depuis 1995. Œuvrant pour la paix et la cohésion sociale, l’organisation de ce natif de la région éprouve néanmoins d’énormes difficultés. « Le banditisme a pris le pas sur tout ici. Nous ne pouvons pas nous déplacer sans craindre d’attaques, même dans les pinasses nous sommes pris pour cible », regrette-t-il. En plus des vols de véhicules et de matériels, les ONG sont victimes d’attaque sur les routes. En raison de l’enclavement de certaines zones, elles sont difficilement praticables et dangereuses. MSF en a fait les frais. L’organisation, qui opère au Mali depuis 1985 en offrant des soins et une assistance médicale à la population, a vue l’un de ses camions (loué) se faire attaquer dans la région de Mopti.  Transportant des vaccins destinés à une campagne dans la région de Kidal, il a été victime d’un carjacking dans le Centre, causant au passage la blessure du chauffeur.

Nombreux défis

Les observateurs l’assurent, 2018 sera une année de grands défis pour les humanitaires. La montée en puissance annoncée du G5 Sahel et le rapprochement effectué par certains groupes radicaux devraient donner lieu à des confrontations très violentes. « Nous en constatons déjà les prémices. Les conséquences humanitaires de ces combats-là seront plus importantes que tous ce que nous avons connu jusqu’ici dans le Nord du Mali », prédit Marti. « Le CICR a renforcé ses équipes à Mopti et sa capacité de réponse », ajoute-t-il.  Et ce n’est pas non plus la décision du Chef d’Etat-major Général des Armées (CEMGA) d’interdire la circulation des motos et pick-up dans les régions de Ségou, Mopti et Tombouctou qui fait des heureux. Pour certaines de ces organisations, qui avaient déjà du mal à acheminer leurs aides, la pilule passe mal. « Nous avons des patients qui viennent dans les centres de soins à moto. Il y a des zones qui sont inaccessibles avec un véhicule. Nous respectons certes la décision, mais cela va compliquer notre travail » se plaint le chef de mission de MSF. Au-delà de l’aspect sécuritaire, les effets du changement climatique devraient aussi bientôt se faire sentir. « La tendance est de conjuguer la situation humanitaire du Mali avec l’insécurité qui règne dans le pays, mais les changements climatiques causeront d’énormes besoins », souligne OCHA dans son rapport. La faible pluviométrie de l’année 2017 fait craindre à l’organisme onusien une crise alimentaire grave. « En juin 2018, lorsque la période de soudure débutera, 4,1 millions de personnes, soit plus d’un Malien sur cinq, seront en situation d’insécurité alimentaire et auront besoin d’assistance humanitaire, y compris 795 000 personnes ayant besoin d’assistance immédiate », affirme OCHA. Sur les 262 millions de dollars que le bureau souhaite mobiliser dans le cadre du Plan de réponse humanitaire pour l’année 2018, 91 seront destinés au Programme alimentaire mondial (PAM).

Actions de grâce

Les besoins sont grands, immenses même. L’urgence est donc d’anticiper pour y répondre efficacement. Mais la meilleure volonté du monde ne suffit pas sans les moyens. Et la tendance actuelle, selon Jamal Mrrouch, est à une diminution des financements destinés aux ONG. Une tendance qui, si elle se confirmait, ferait dangereusement planer le spectre d’une catastrophe humanitaire. « Notre budget est en augmentation par rapport à l’année dernière. Nous faisons le plaidoyer nécessaire pour obtenir de nos supports le plus d’actif possible, afin que le Mali ne devienne pas un conflit oublié » plaide notre interlocuteur du CICR. Avec plus d’un siècle et demi d’existence, l’organisation humanitaire a été sur plusieurs théâtres de guerre. Au Mali elle est présente depuis les années 1990, avec une longévité et des méthodes de travail, qui prônent notamment une totale impartialité, qui lui ont permis de gagner la confiance des parties signataires et non-signataires de l’Accord de Paix. Ce qui la fait bénéficier d’un dôme pour exercer ses activités. Une présence qui prend des allures de véritable bouée de sauvetage pour des populations très démunies. Dans des régions où l’autorité de l’État est absente, ces organisations apparaissent comme une lueur dans une obscurité infinie. « Dans une zone de guerre, il y a toujours un sentiment ambivalent, des populations qui nous remercient et apprécient nos actions, mais ces populations en même temps sont démunies de tout, donc elles aimeraient que le CICR en fasse plus qu’il ne le fait parfois », analyse Marti. Le Centre de Santé de Référence de Kidal fonctionne grâce au CICR, qui prend en charge les salaires mensuels d’une cinquantaine d’agents, assure la gratuité des soins dans certains cas et fournit l’eau potable. Il est difficile de quantifier les personnes qui ont bénéficié d’assistance, mais elles pourraient se chiffrer à des centaines de milliers, voire atteindre le million au Nord du Mali.