Occupation illicite du domaine public : Le début de la fin ?

Le 28 novembre 2018, le Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maïga, s’est rendu sur le site des logements sociaux de N’Tabacoro. Plusieurs voies d’accès à certains de ces logements, non encore attribués, sont illicitement occupées par des particuliers. Un constat alarmant, qui illustre malheureusement une situation récurrente : celle de l’occupation illicite de sites souvent déclarés d’utilité publique.  Laxisme de l’État ou ignorance des textes par les acquéreurs, la pratique, qui s’étend bien au-delà de ce site, inquiète et interpelle.

« Si nous ne sommes pas des Maliens, que l’on nous retire nos papiers afin que nous partions ailleurs », se lamente Nouhoum Diakité qui s’affaire à récupérer quelques briques parmi les gravats de sa maison démolie, en cette fin de matinée du 3 décembre 2018, sur le site des logements sociaux de N’Tabacoro. Averti 3 jours auparavant par une notification d’huissier, il croyait encore au sursis, jusqu’à la dernière minute.

Encore sous le choc, il s’attarde avec sa famille sur cet espace qui abritait sa maison, qu’il habitait depuis 2011, date à laquelle il a acquis ce lot auprès d’un géomètre, dit-il. Une démarche d’autant plus illégale que non seulement il ne s’agit pas de la personne habilitée à vendre une parcelle et parce qu’à cette date l’État avait déjà crée des titres fonciers et déclaré d’utilité publique cette zone, explique Aly Waïgalo, géomètre – expert commis pour la circonstance. Le site concerné est d’environ 1 000 hectares, les logements et leurs voies d’accès ainsi que les installations nécessaires à sa viabilisation.

Après les enquêtes foncières, les occupants ont été recensés et les dossiers d’indemnisation instruits. Mais, entre temps, il y a eu la crise de 2012 et certains ont profité de la faillite de l’État soit pour venir morceler des terrains qui ne leur appartenaient plus, soit pour s’installer comme nouveaux occupants, dont la majorité était de mauvaise foi, selon un responsable..

Entre ces « nouveaux venus qui se sont fait avoir » et « ces prédateurs qui espèrent une nouvelle indemnisation », les spéculateurs fonciers ont continué à jouer sur le laxisme de l’État et le « flou » volontairement entretenu dans la pratique, selon Maître Amadou Tiéoulé Diarra, l’un des avocats qui défendaient en 2009 les dossiers des occupants « expropriés par l’État ».

Si l’expropriation pour cause d’utilité publique est admise, il est par contre inadmissible que les premiers occupants soient dépossédés au profit d’autres acquéreurs à titre privé. S’il déclare avoir pris de la distance par rapport au dossier, Maître Diarra affirme cependant que le flou autour du problème foncier  ne vient pas de la loi, « qui est claire ».

Les dispositions de la loi sont donc suffisantes et nul n’est censé l’ignorer, comme le dit l’adage. Pourtan,t les spéculations foncières continuent et s’étendent sur des sites de plus en plus « interdits », comme le domaine aéroportuaire.

Graves conséquences

« C’est du jamais vu.  L’ampleur de l’occupation n’avait jamais atteint ce niveau depuis la création du domaine », s’alarme Mohamed Diallo, le coordonnateur de la commission de surveillance du domaine aéroportuaire. Des parties épargnées jusqu’à là sont actuellement envahies. Pire,  les spéculateurs continuent de morceler dans la zone de trouée que survolent tous les avions au décollage ou à l’atterrissage.

Avec un trafic actuel sur l’aéroport de Bamako d’environ 30 à 40 vols de la MINUSMA par jour, ce sont donc des dizaines d’avion qui survolent quotidiennement, cette zone, en principe dégagée pour parer à toute éventualité, les constructions à usage d’habitation. Il s’agit de la zone vers Sénou, Sirakoro et Guana, à la périphérie de la capitale.

En plus de ce problème  de sécurité, c’est le fonctionnement  même des instruments nécessaires à la navigation aérienne et installés dans cette zone qui sera impacté par la présence de ces logements. Face à l’ampleur du phénomène, les autorités concernées s’activent et des initiatives, dont « le communiqué conjoint » des  ministères des Transports et de l’Urbanisme et de l’habitat, ainsi que les instructions du Premier ministre pour faire le point, sont en cours.

Des initiatives qui ne semblent pas pour le moment entraver la détermination des spéculateurs, qui s’activent aussi, selon M. Diallo. Ce qui fait de cette question d’occupation illicite « un véritable challenge pour l’aviation civile », qui a d’ailleurs décidé d’en débattre lors de la Journée internationale de l’aviation civile, le 7 décembre 2018.

Ces occupations illicites, qui constituent un risque pour le maintien de la certification de l’aéroport international Président Modibo Kéïta, présentent aussi un risque économique important pour les compagnies, dont les coûts d’exploitation pourraient augmenter. Au pire, elles pourraient décider de ne plus desservir le pays. Ce qui constituerait une grande perte, compte tenu de la place du transport aérien et en termes d’image.

Sensibilisation et fermeté

Pour répondre au phénomène, Aéroports du Mali a choisi de faire de la sensibilisation tout en continuant à alerter, sans exclure les mesures fortes, comme les démolitions, conformément aux dispositions des textes en vigueur. Appliquer de façon stricte les lois en la matière, c’est la mesure que semble pour le moment adopter les autorités. En effet, conformément à la loi 077 relative aux règles de la construction, modifiée en 2017, lorsqu’un particulier s’installe sur un domaine déclaré d’utilité publique, le recours à la justice n’est plus nécessaire et il suffit d’un constat fait par les services techniques de l’État. Le représentant de l’État prend alors un ordre de démolition exécuté dans de brefs délais, comme ce fut le cas pour le site des logements de N’Tabacoro après la visite du Premier ministre. Ces mesures permettront, selon les autorités, d’accélérer le processus d’attribution d’environ 10 000 logements sociaux, « bloqués à cause de 175 constructions anarchiques ».

Le suivi de ces mesures nécessite la mobilisation de moyens, dont le renforcement est sollicité par les acteurs. Aussi, pour empêcher les mauvaises interprétations de la loi et dissuader les spéculateurs, la justice doit jouer pleinement son rôle et être plus rapide. Car, si la lenteur peut s’expliquer par la complexité des litiges fonciers et les procédures en la matière, il existe aussi malheureusement des conflits d’intérêt mettant en cause le rôle de cet acteur-clé, selon Maître Aboubacar Diarra, avocat à la Cour.

Mise en valeur

Même s’il faut de la fermeté pour faire respecter les textes, le coordonnateur de la commission de surveillance du domaine aéroportuaire préconise la mise en valeur du domaine. Car cette zone de plusieurs milliers d’hectares déclarée d’utilité publique a des vocations qui ne sont pas pour le moment rendues effectives. « Un vide » qui attire donc des convoitises et Bamako ne fait pas exception en la matière. « Tous les aéroports proches des agglomérations ont ce problème » et la capitale malienne, qui est une ville en pleine expansion, n’échappe pas à cette réalité. Et, il y a quelques années, l’aéroport était situé à Hamdallaye, un quartier actuellement en plein cœur de la capitale, rappelle M. Diallo.

Le site actuel de l’aéroport de Bamako et son domaine constituent une « chance pour le Mali ». En effet, dans certaines capitales voisines, le site de l’aéroport est à environ 45 km du centre ville. Ce qui représente des coûts supplémentaires que nous pouvons éviter en préservant le site actuel. Car protéger le site est nettement moins coûteux qu’envisager son déplacement. En effet, pour construire le nouveau terminal inauguré il y a maintenant 2 ans, il a fallu des investissements d’environ 15 milliards de francs CFA. Alors que construire un nouvel aéroport, avec les autres investissements y afférant, nécessiterait jusqu’à 175 milliards, selon certaines estimations. Il faut donc investir dans des équipements et augmenter sa plus value afin de rentabiliser le site, pour le développement économique du Mali.

L’idéal serait « même de développer un sursaut national, afin que ceux qui achètent les terrains refusent de le faire pour le bien du pays », espère M. Diallo.

Polémique sur les logements sociaux de Ntabacoro

Logements sociaux et utilité publique ? Cette situation remet, du coup, en cause la pertinence de la politique des logements sociaux, dont le régime ne cesse de se targuer. Il y’a quelques mois, l’Etat malien signait un protocole d’accord avec la Banque islamique de développement (BID) à  travers Foras Investment Company, pour la réalisation de 20 000 logements sociaux à  N’Tabakoro sur une superficie de 350 hectares 34 ares 67 centiares. Bonne nouvelle, serait-on tenté de dire. Seulement voilà Â : le site retenu pour abriter les futurs logements sociaux avait déjà  été cédé à  des particuliers dont certains détiennent même des titres fonciers. Et, alors même que ces deniers (plus de 550 personnes) n’ont pas été dédommagés, la première pierre de ces logements devrait être posée le 22 septembre prochain par le président ATT. Certes, l’Etat dispose du privilège de récupérer telle ou telle parcelle, mais, à  condition que le besoin exprimé soit d’utilité publique. Le cas précis de N’Tabakoro revêt une certaine particularité. Pour Me AT Diarra, avocat, l’Etat a péché sur deux principaux points. Car d’une part l’expropriation a violé les dispositions du code domanial et foncier, (qui pose explicitement le principe de dédommagement des propriétaires initiaux) et d’autre part, l’Etat a brandi l’argument selon lequel, ladite opération serait pour cause «Â d’utilité publique ». Pourtant, les logements sociaux ne sont pas censé revêtir un caractère d’utilité publique, dans la mesure o๠ils donnent lieu à  un contrat de bail d’au moins 20 ans au terme duquel les occupants se verront propriétaires. Attribution tacite Il s’agit donc de logements sociaux à  attribuer à  des personnes clairement identifiées qui seront en bail pendant 25 ans. Aussi, aucune disposition de la législation malienne ne reconnaà®t les logements sociaux comme d’utilité publique. C’’est le 23 avril dernier qu’est intervenu, à  travers le conseil des ministres, l’expropriation globale des propriétaires de la zone. Et le 4 mai, un décret d’expropriation a été signé. Dans ce décret, il était précisé qu’une liste des personnes expropriées serait établie et que le dédommagement sera pris en charge par le budget national. Mais, de nos jours encore, cette liste n’est pas encore publiée. Cependant, le 3 juin 2009, un autre projet de décret créant le titre foncier N 40395 sur une superficie de 350 hectares 34 ares 67 centiares et l’affectant au ministère du logement a été approuvé en conseil des ministres. Expropriation forcée Pour boucler la boucle, et clôre la procédure d’expropriation, un communiqué a été diffusé le 12 juin 2009 (en plein hivernage) interdisant toute culture dans les champs concernés, alors que beaucoup de propriétaires y avaient déjà  semé. Face à  cette injustice criarde, les propriétaires concernés ont créé le 27 avril dernier un groupement de solidarité pour la sauvegarde de leurs intérêts.Cela, parce que la procédure de dédommagement a été entièrement foulée au pied. Le président de la République, ATT, (lors d’un débat télévisé) ne disait-il pas qu’aucun malien ne sera logé au détriment d’un autre ? l’Association des propriétaires de parcelles et concessions rurales de N’Tabakoro en tout cas, n’entend pas croiser les bras et se dit prête à  croiser le fer avec ce qu’elle qualifie de « mafia au sommet de l’Etat », qui serait à  la base du désagrément. Elle a tenu, week-end dernier, une conférence de presse qui entre dans ce cadre.