Nouvelle attaque meurtrière à Ogossagou ce vendredi

Nouvelle attaque meurtrière à Ogossagou dans le centre du Mali, selon des sources locales. Aucun bilan officiel n’est disponible pour le moment mais selon l’association peul Tabital Pulaaku, une vingtaine de personnes sont décédées. Ce village du cercle de Bankass avait déjà été attaqué en mars 2019 faisant plus de 150 victimes selon les Nations-Unies. Selon plusieurs sources locales, la hiérarchie militaire avait été alertée ce jeudi 13 février sur les risques d’une nouvelle attaque imminente.

La MINUSMA a déployé une force de réaction rapide sur les lieux. En soutien au gouvernement malien, la mission onusienne a également fourni un appui aérien afin de prévenir toute nouvelle attaque et évacuer rapidement les blessés.

Le village d’Ogossagou situé dans le cercle de Bankass, dans la région de Mopti a été attaqué ce vendredi (14 février 2020) vers 5 heures. A côté des pertes en vie humaines, il est signalé de nombreuse pertes matériels et de maisons brûlées.

Source: RFI – Minusma

Mandat de la MINUSMA : Des changements en vue ?

Le renouvellement du mandat de  la  Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) était au centre des discussions  du Conseil de sécurité de l’ONU, le  29 mars à New-York. Présente au Mali depuis 2013, la mission est souvent critiquée, face à une situation qui empire de plus en plus, et son utilité fait débat dans le pays. Son éventuel renouvellement sera discuté en juin.

« La présence de la MINUSMA là où je suis, à Douentza, est inutile. On avait eu des menaces ici mais elle n’est jamais intervenue. Ils nous disent que ce n’est pas à eux de prendre des gens ou de lutter contre les bandits », témoigne Hamadoun Dicko, un habitant de Douentza.  « Nous voyons juste qu’ils sont là pour percevoir leur salaire et faire des achats, ce qui ne fait pas notre affaire », précise-t-il. Pourtant, le mandat de la mission est d’aider à la stabilisation du Mali tout en protégeant les civils des violences. Le 23 mars, plus de 160 personnes ont été massacrées dans le village d’Ogossagou. C’est dans ce contexte que le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni à New-York, le 29 mars, sur la situation au Mali et les perspectives du renouvellement du mandat de la mission.

Si le rapport  du secrétaire général de l’ONU en date du 5 mars notait certains progrès dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, notamment le DDR et la tenue de l’élection présidentielle, des axes majeurs, comme la réforme constitutionnelle ou le redéploiement de l’armée reconstituée accusent du retard. « Nous avons été déçus qu’il ne fournisse pas d’évaluation claire de l’absence de progrès significatifs sur tous les points restants.  Cette lacune contraste avec le rapport de l’Observateur indépendant, qui reconnaissait les progrès préliminaires mais tirait la sonnette d’alarme sur le manque de volonté politique pour mettre en œuvre l’Accord », a déclaré M. David Hale, Sous-secrétaire d’État aux affaires politiques des États-Unis, ajoutant attendre de « voir progresser les mesures en suspens avant que le Conseil de sécurité ne négocie la prorogation du mandat de la MINUSMA en juin », avertit-il. Pour l’analyste politique Boubacar Bocoum, « le constat d’échec est là. On avait pensé que la MINUSMA allait réduire les problèmes, mais plus elle dure, plus les attaques et les massacres augmentent », souligne-t-il. Pour le Premier ministre malien, Soumeylou Boubeye Maiga, « une réduction des moyens ou des missions de la MINUSMA aura donc des conséquences extrêmement négatives sur la situation économique, qui aboutira au final au renforcement des groupes terroristes et à une nouvelle dégradation de la situation ».

Mahamadou Savadogo : « L’État est en partie responsable de ce qui est arrivé »

Spécialiste de l’extrémisme violent et de la radicalisation au Sahel, Mahamadou Savadogo est chercheur au Centre de recherche action pour le développement et la démocratie (CRADD) .

Quelle analyse faites-vous de l’attaque d’Ogossagou ?

Cette attaque vient une fois de plus rappeler que le tissu social est  vraiment très fragile et prêt à s’effriter à tout moment. La violence avec laquelle elle a été perpétrée nous laisse sans voix et perplexe. Je pense, suivant l’actualité du Mali, que les « Dogons » avaient presque prévenu de l’imminence d’une attaque, parce qu’une milice avait annoncé reprendre ses patrouilles de sécurisation dans la zone avant la saison des pluies. Il y a eu une négligence de l’État malien, qui a laissé les « Dogons » perpétrer de tels meurtres alors qu’il y en a eu d’autres auparavant sans qu’il n’y ait de sanctions. Ils se sont donné le droit  de se faire justice eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils concurrencent l’État dans le monopole de la violence physique légitime. Ce monopole, dans un État de droit, ne saurait être partagé ou remis à qui que ce soit. Donc l’État est en partie responsable de ce qui est arrivé.

Que pensez-vous des mesures apportées juste après par le gouvernement ?

Ce sont des mesures qui viennent un peu tard. À mon avis, il y avait un détachement de l’armée qui n’était pas loin du lieu de l’attaque. Malgré cela, les présumés auteurs, désignés comme étant des Dogons, ne sont jusque-là pas arrêtés et continuent de circuler dans la nature. Ce n’est pas en limogeant une partie de la hiérarchie militaire ou en dissolvant une milice que le  problème sera résolu. Peut-être que le gouvernement cherche juste à éteindre le feu, parce que la colère des gens a atteint son paroxysme. Maintenant, quelle va être la suite ? Est-ce que l’État malien va engager des poursuites contre cette milice ou même contre les gens qu’il a démis, parce que cela veut dire que ceux-ci n’ont pas fait leur travail.

Comment expliquer cet engrenage de violence ?

L’État a négligé la situation. D’une chose l’autre : ou bien il se sert de cette milice ou bien il a été négligent dans cette affaire. Parce que, comme je le dis, le monopole de la violence physique légitime ne peut être partagé avec qui que ce soit. Donc, si une fois ou deux il y a eu des violences menées par une milice ou un groupe, l’État devait prendre des mesures bien avant, même de dissolution. Cela n’a pas été fait. Maintenant, l’État doit en tirer les conséquences et assumer ce drame-là.

Est-ce une bonne idée, cette dissolution ?

Pour moi, elle n’est pas la solution. Il fallait plutôt mener des enquêtes et savoir ce qui peut pousser des Maliens à s’en prendre à d’autres Maliens à ce point. Ensuite procéder tranquillement à la dissolution de cette milice et de bien d’autres avant que cela ne dégénère. En supprimant cette milice, il y a des complices et des auteurs qui vont disparaitre dans la nature. Puisque Dana Ambassagou n’existe plus, on ne peut plus designer des auteurs en son sein. Cela veut dire qu’on prône en même temps l’impunité, parce qu’en supprimant la milice les responsabilités n’ont pas été situées. En plus, elle peut tout de suite grossir les rangs des groupes extrémistes en se disant : puisque l’État ne veut plus de nous, on va les rejoindre. Ce qui ne serait pas une bonne chose pour le Mali, vu leur nombre et leurs armes.

Décririez-vous cette situation comme  un conflit intercommunautaire ?

Pour moi c’est un conflit intercommunautaire qui ne date pas de maintenant. À l’approche des élections passées nous avons vu une exacerbation de la violence entre ces deux communautés. L’État n’a jamais tranché concernant les exactions commises. C’est un conflit qu’il va falloir résoudre. La dissolution de cette milice ne résout pas le problème, elle l’aggrave.

Faut-il craindre une guerre civile ?

Si cette mauvaise posture de l’État est reprise par les groupes terroristes, on risque d’en arriver là, malheureusement. Parce que si les Peuls décident de s’en prendre aux Dogons, il y aura un risque s’il n’y a pas de force d’interposition entre les deux communautés.

Le point de non-retour a-t-il été atteint ?

Il y a toujours quelque chose à faire. Il faut que les deux communautés s’asseyent, sur le même pied d’égalité, et discutent. La meilleure solution serait d’organiser des assises nationales et de convoquer ces communautés afin qu’elles discutent face à face et trouvent des solutions, parce qu’elles sont condamnées à vivre ensemble sur le même territoire. Et même au-delà du territoire malien, parce qu’il y a des ramifications au niveau du Burkina.

Comment voyez-vous cette situation évoluer ?

Je vois déjà une récupération qui pourrait être faite par les groupes terroristes. Déjà, Amadou Koufa avait sonné la révolte des Peuls, étant donné qu’au Mali et au Burkina,  les Peuls sont des victimes, comme au Togo, au Bénin, au Ghana. On leur donne ainsi l’occasion de voir des gens se rallier à leur cause. Manifestement, on voit qu’une communauté est persécutée et qu’aucun État ne réagit de manière forte. C’est la première conséquence. La deuxième, c’est l’effritement du tissu social, parce que les autres communautés pourraient commencer à s’armer en prévision d’éventuelles agressions. Il y a un climat de méfiance et de suspicion qui va  s’installer. Il aura des conséquences sur toute la sous-région si le problème n’est pas pleinement résolu.

Mamadou Togo : « Quand la raison devancera le cœur, nous finirons par nous retrouver »

Le président de l’association Ginna Dogon, conciliant dans sa démarche, prône le retour à la raison. Jugeant hâtive la décision du gouvernement de dissoudre Dana Ambassagou, Togo affirme que cela ne saurait mettre fin au problème.

Quelle analyse faites-vous de l’attaque d’Ogossagou ?

C’est un acte qui n’a aucun sens. C’est injustifié, d’autant plus que nous n’en connaissons pas les auteurs. Aussitôt après la survenue de l’attaque, les responsables de Dana Ambassagou s’en sont désolidarisés, disant qu’ils n’étaient ni de près ni de loin concernés. Quand je les ai interrogés, ils m’ont rétorqué qu’ils avaient déjà fait leur communiqué et m’ont réitéré que ce n’était pas eux. Je leur ai faits savoir que leur communiqué ne suffirait pas, puisque ce sont eux qui sont soupçonnés. Nous sommes une association culturelle nous, pas une milice, mais puisque nous sommes tous Dogons, nous devons coopérer pour venir à l’apaisement. Sans la paix, pas de culture.

Que pensez-vous des réponses apportées par le gouvernement ?

Nous n’avons rien contre le communiqué du gouvernement. Nous sommes tous citoyens de ce pays, et de ce fait sous l’autorité du gouvernement. Par contre, à nos yeux, le communiqué a des failles. En ce sens qu’en dissolvant l’association des chasseurs juste après l’attaque, comme si c’étaient eux les auteurs, on voit cette dissolution comme une sanction. C’est de l’amalgame. Le gouvernement est allé trop vite en besogne. Et Dana Ambassagou n’est pas le seul mouvement armé en cinquième région, il doit y en avoir cinq ou six. Quand vous en visez un seul, vous le désignez comme fautif. C’est malheureux. Dana Ambassagou est une association de chasseurs qui s’est constituée pour défendre nos localités. Nous ne les encourageons pas, mais nous ne les condamnons pas non plus. Je suis à Bamako. Si une personne attaque ma famille au village et si une autre personne s’interpose pour la  défendre, je ne pourrai que la saluer. Dissoudre Dana Ambassagou est une chose, arrêter la violence en est une autre. Le gouvernement doit jouer le rôle de tout gouvernement vis-à-vis de sa population : la protection des personnes et des biens. Si cela se fait, il n’y aurait pas de problème.

Comment expliquez cet engrenage de la violence ?

C’est l’œuvre de personnes irréfléchies, insensées. Maintenant que tout le monde fais des efforts devant concourir à la paix, les attaques continuent et se multiplient. Il faut se poser la question de savoir « qui à quoi à gagner » dans l’escalade de la violence. Si personne n’y gagnait, je pense que l’affaire serait réglée depuis un certain temps. Il y a des gens derrière qui attisent le feu. C’est ce qui fait que les attaques perdurent.

Décririez-vous la situation au centre comme un conflit intercommunautaire ?

Non. Nous n’avons jamais employé cette formule. À notre entendement, ce n’est pas un conflit intercommunautaire. J’ai l’habitude de dire que des gens sont venus opposer Peuls et Dogons dans leur terroir. Je les invite à se donner la main pour chasser ceux qui sont venus semer la zizanie. Les Peuls ne sauraient dire pourquoi ils prennent les armes contre les Dogons et les Dogons diront qu’ils ne font que réagir après avoir subi des attaques. Les assaillants courent se réfugier dans des villages après leur forfaiture. Si vous n’êtes pas complice, quand quelqu’un se réfugie chez vous, vous devez livrer cette personne. Si une personne commet un délit dans le voisinage et viens chercher refuge dans ma maison, je me dois de la livrer. Si je choisis de la protéger et que la famille voisine vient saccager ma maison, elle aura raison, car je me serais rendu coupable de complicité.

Avec toutes ces attaques et les rhétoriques incendiaires qui s’ensuivent, craignez-vous un risque de guerre civile ?

Il n’y aura jamais de guerre civile à partir de ces événements. Nos parents et amis peuls parlent de génocide, prenant l’exemple sur le Rwanda. Je pense que nous ne pesons pas nos mots. Le génocide du Rwanda n’a rien à voir avec ce qui se passe ici. Cela s’est d’abord passé au nord, avant de descendre vers le centre, et de là ça progresse vers le sud. Le dénominateur commun de tout cela, c’est l’ethnie peule. Ils étaient d’abord aux prises avec les Tamasheqs et cela continue. Ils le sont avec les Dogons, les Bambaras, les Bozos… Quand une seule ethnie est citée dans plusieurs conflits de ce genre, elle doit faire un examen de conscience. Elle doit se demander, que faire pour arrêter ça ? C’est ce que ne font pour le moment par nos amis peuls. Au contraire, ce sont des propos incendiaires qui sont lancés. En disant par exemple que tous les Peuls d’Afrique de l’Ouest doivent cotiser et, au-delà venir physiquement les aider à combattre l’enclave dogon. Si tous les Peuls des pays d’Afrique doivent se jeter sur l’enclave comme un essaim d’abeilles, ça n’ira pas. Je l’ai dit à l’époque devant les responsables peuls et la seule personne à avoir abondé dans mon sens était le président de la Haute Cour de justice. Il a trouvé que le président de Tabital était allé trop loin dans ses propos. Quand on est responsable, à ce niveau-là c’est le Mali qu’il faut voir et non son ethnie.

Estimez-vous que le point de non-retour est atteint?

C’est un feu-follet. C’est éphémère. Quand les esprits vont recommencer à raisonner, quand nous allons cesser de voir ethnie, quand la raison devancera le cœur, nous finirons par nous retrouver et faire comme si rien ne s’était passé. Je dis à certains amis peuls, demain nous serons face-à-face. L’un de nous baissera la tête, ne pouvant regarder l’autre dans les yeux. Faisons notre possible pour éviter cela.

Que préconisez-vous ?

Il y a lieu que les cercles du pays dogon organisent chacun un forum. Seront invités tous les chefs de villages, imams, pasteurs ou évêques, toutes les notabilités, féticheurs reconnus et toute personne disposant d’un crédit dans la zone. Une rencontre au cours de laquelle les uns et les autres se diront la vérité. Ce sont toutes les ethnies qui se trouvent dans le cercle qui doivent participer, pas seulement les Peuls et les Dogons. Là, nous discuterons de la paix. Que faut-il pour que tout cela cesse ? Quand nous confronterons toutes ces idées, il y aura une démarche commune, et la situation sera plus apaisée. Mais si les Dogons se réunissent à part et que les autres font pareil, ce n’est pas la solution.

Vous avez l’année dernière signé une déclaration commune avec Tabital Pulaaku vous engageant à ramener la paix au centre. Qu’en est-il aujourd’hui?

Après la déclaration, nous devions tenir une conférence de presse commune. Quelle n’a été notre surprise quand nous avons vu Tabital rencontrer la presse sans nous. Nous sommes donc dit qu’il y avait eu rupture. Les Peuls n’ont pas respecté l’entente. Quelle en est la cause ? Nous ne le savons pas. Nous nous sommes dits qu’il fallait que nous disions certaines vérités aussi. Nos amis peuls ont beaucoup parlé et quand vous vous exprimez beaucoup tout ce que vous dites n’est pas forcément vrai. C’est ce qui a amené à dire que, contrairement à ce que les gens pensent, nous sommes une association culturelle. Nous sommes loin d’être des va t-en guerre.

Hamadoun Dicko : « C’est l’absence de l’État qui est à la base de tout cela »

Président de la jeunesse Tabital Pulaaku, Hamadoun Dicko indexe Dana Ambassagou et les autorités comme responsables de la tuerie. Il estime que la milice doit être mise hors de combat et le gouvernement démissionner.

Quelle analyse faites-vous de l’attaque d’Ogossagou ?

Un carnage. C’est un nettoyage ethnique, un génocide, puisque ce sont les Peuls  les victimes. Des enfants, des femmes enceintes, des vieillards, incendier des greniers pour provoquer la famine. Des corps ont été jetés dans le seul puits du village, ce qui fait qu’il est inutilisable.

Que pensez-vous des réponses apportées par le gouvernement ?

Ce ne sont pas les chefs militaires les responsables, ils ne sont que des exécutants. C’est le pouvoir politique, c’est-à-dire le gouvernement, le Président et le Premier ministre qui sont responsables. C’est eux qui commandent. Ce sont eux qui donnent les ordres. À mon sens donc, ils ne devaient pas être relevés. Je dirais qu’ils ont fait les frais de l’attaque de Dioura, c’est probable. La dissolution de Dana Ambassagou n’est en rien une solution. Ils auraient dû d’abord les arrêter. Avec cette décision, c’est comme si on leur donnait l’autorisation de tuer impunément les Peuls. À ma connaissance, Dana Ambassagou a un récépissé délivré par l’État malien. C’est une milice qui est très proche du gouvernement. Dans chaque village où vous avez un camp militaire, vous trouverez une base de Dana Ambassagou à côté. Et, dans toutes les communes du plateau dogon excepté Douentza, nous avons recensé plusieurs camps. Ces camps sont connus de l’État malien et des militaires. Les éléments de Dana Ambassagou circulent à moto, pourtant cela a été interdit, ils disposent d’armes de guerre, ils ont une bonne formation. En ce qui concerne Ogossagou, nous avions alerté depuis le 28 février que le village risquait de subir une attaque, mais aucune mesure n’a été prise. Donc ils avaient la bénédiction de l’État. C’est le gouvernement qui devait démissionner, le Premier ministre, le ministre de la Défense, celui de la Sécurité, celui de l’Administration Territoriale et même celui de la Justice. Aucun d’eux ne joue son rôle et ils sont directement concernés.

Comment expliquez cet engrenage de la violence ?

C’est très facile. Tout d’abord, l’absence de l’État, qui a conduit à cela. Ensuite l’impunité. Il n’y a aucune poursuite judiciaire. Youssouf Toloba, qui est le chef de la milice Dana Ambassagou, a été invité à Sévaré, à Bamako. Le gouverneur de Mopti et le Premier ministre savent où le trouver. Quand tu sais que tu peux poser un acte en toute impunité, c’est à cela que ça conduit.

Décririez-vous la situation au centre comme un conflit intercommunautaire ?

C’est le gouvernement qui chante cette formule. Ils ont voulu que cela soit un conflit intercommunautaire, parce que c’est une ethnie qui en tue une autre. Il n’existait pas de conflit intercommunautaire avant, mais aujourd’hui oui, c’est palpable.

Avec toutes ces attaques et les rhétoriques incendiaires qui s’ensuivent, craignez-vous un risque de guerre civile ?

Bien sûr. Une connaissance m’a raconté que la mère de l’un de ses amis dogon l’a appelé pour lui enjoindre de quitter la maison qu’il habite. Parce qu’elle appartient à un Peul et qu’il enrichit un Peul. La tension est présente, même à Bamako. Les débats peuvent très vite s’envenimer dès que ça parle de Peul et de Dogon. Et une fois que ça s’embrase à Bamako, c’est fini. Chacun a un parent dans d’autres ethnies, Dogon comme Peul. Nous devons donc faire très attention.

Estimez-vous que le point de non-retour est atteint?

Si les Maliens développent une certaine conscience, nous pourrons trouver des solutions, arriver à une accalmie et arrêter les violences. Mais les séquelles resteront toujours. Imaginez un village où l’on tue plus de 170 personnes. Comment ces villageois vont-ils appréhender la situation ? Ce sera difficile. Nous sommes allés très loin et si rien n’est fait c’est sûr que ça peut s’embraser pour véritablement atteindre un point de non-retour.

Que préconisez-vous ?

Il faut d’abord combattre tous les criminels, dont les terroristes génocidaires de Dana Ambassagou. Un terroriste, qu’il soit Peul, Dogon ou Bambara, doit être combattu. Ceux qui sèment la terreur doivent être arrêtés et conduits devant la justice. Des enquêtes doivent être menées pour situer les responsabilités, qu’importent les coupables. Si c’est l’État qui l’est, il devra être traduit devant la CPI ou les juridictions compétentes. Il faut  combattre toute force de terrorisme, mais aussi faire de la sensibilisation, approcher les ethnies, les associations, sensibiliser les populations afin qu’elles ne se livrent pas à des guerres inutiles. Il n’y a pas plus d’une semaine, le gouverneur de Mopti état à Bankass, où il a réuni tout le monde, mais cela n’a servi à rien. Simplement deux jours après, tout un village était massacré. Nous devons être pragmatiques : le gouvernement doit partir, il a montré ses limites. Il faut de nouvelles personnes, plus aptes à mener un débat. À l’heure où nous parlons, beaucoup ne sont plus disposés à s’entretenir avec les dirigeants actuels.

Vous avez l’année dernière signé une déclaration commune vous engageant à ramener la paix au centre. Qu’en est-il aujourd’hui?

Il n’y a pas eu de suivi. Les autorités ne prennent rien au sérieux. C’était sous la bienveillance de l’État malien. Le gouvernement a certainement été amené à penser à un moment que c’étaient les associations la base même du problème. Il s’est donc mis à la recherche d’autres acteurs pouvant apporter la paix. Mais c’est se tromper. Ils minimisent ces associations alors que la solution pourrait venir d’elles.