Salif Kodio : « Il n’y aura pas de clientélisme»

Qui est éligible ? Qu’est-ce qui pourrait faire annuler un dossier ? Comment éviter les polémiques suite à un favoritisme supposé ? Le Chef du département de l’administration des logements de l’Office malien de l’habitat (OMH), Salif Kodio, répond à nos questions.

La soumission des dossiers pour l’attribution des logements sociaux s’est close le 20 juin. Combien de dossiers avez-vous reçus ?

Il faut rappeler que le dépôt de dossier pour la première opération avait débuté le 10 mai et qu’il courait jusqu’au 11 juin 2018 pour les Maliens de l’intérieur. Pour ceux de l’extérieur, c’était jusqu’au 25 juin. Nous avons constaté que des postulants avaient rencontré certaines difficultés au niveau des banques. La date de dépôt pour les Maliens de l’intérieur a donc été prorogée jusqu’au 20 juin. À la date d’aujourd’hui, nous avons 23 780 postulants, toutes catégories confondues. Parmi eux, 14 453 hommes et 9 227 femmes. Les logements à offrir cette année sont de type F3 et F4. Pour cette opération, nous avons 5 928 logements au total, dont 3 743 pour Bamako et Kati.

Ces difficultés auraient-elles un rapport avec les propos de l’ancien ministre de l’Habitat (NDLR : Mohamed Ali Bathily), qui affirmait que l’OMH n’avait plus aucun crédit auprès des banques ?

Cela n’a rien à voir. Les difficultés auxquelles le ministre Bathily faisait allusion sont essentiellement de financement. Aujourd’hui, nous avons dépassé ça. Le gouvernement a pris ce problème à bras-le-corps, en garantissant le paiement aux banques. Les difficultés sont surtout liées à la collecte de l’information. Cette année, nous avons élargi le panier des banques. Vu l’ampleur, certaines ont été ajoutées au système, ce qui a entraîné des difficultés au départ. Les dépôts devaient commencer le 10 mai, mais ils n’ont débuté que le 16, à cause des difficultés techniques rencontrées.

Y a-t-il des spécificités cette année dans la réception et le traitement des dossiers ?

Comme par le passé, une commission ad hoc a été créée pour la réception des dossiers. Cette année ils sont déposés sous pli fermé. Cette première commission n’a pour mission que de réceptionner les dossiers. Une autre effectuera ensuite le dépouillement pour déterminer les éligibles, dont les dossiers seront ensuite introduits dans le système. Au-delà, il y a désormais une quatrième catégorie de soumissionnaires : les personnes démunies. Un décret fixe leur quota.

Nous avions ouï dire que ceux qui ont avaient postulé par le passé, sans succès, auraient une longueur d’avance…

Il a été indiqué que les postulants qui n’avaient pas retiré leurs apports personnels seraient privilégiés par rapport aux nouveaux. Je le confirme. Ceux qui ont postulé plusieurs fois bénéficient d’une priorité. Dans les pièces à fournir, il est d’ailleurs demandé de nous fournir une copie des anciens récépissés.

Qu’est qui pourrait faire annuler un dossier ?

Les fausses déclarations. Cela est clairement dit. Même en cas d’attribution d’un logement, si l’on se rend compte que le postulant a donné de fausses informations, ce logement lui sera retiré.

Il y a beaucoup d’accusations de favoritisme à votre encontre. Que comptez-vous faire cette année pour éviter d’éventuelles polémiques ?

Tout cela est dû à la très forte demande. Vous avez vu les chiffres, rien que pour Bamako et Kati, nous avons 3 743 logements pour 23 780 postulants. Sans compter les dossiers des Maliens de l’extérieur. Quoi que l’on puisse faire, certains trouveront des choses à redire. Les critères élaborés ont été adoptés en Conseil des ministres, la commission d’attribution est composée de plusieurs cadres issus de secteurs très divers. Il n’y aura pas de clientélisme, d’autant que les critères sont très clairs. Il faut satisfaire aux conditions préétablies. En ce qui nous concerne, je pense que le travail sera bien fait, mais il peut toujours avoir des recours.

Contre les mauvais payeurs, des mesures ont-elles été prises ?

C’est avec les catégories des non-salariés et des Maliens de l’extérieur que nous avons beaucoup de problèmes. Nous avions commencé à expulser, mais nous sommes dans la période hivernale. Des garde-fous ont été posés, certains bénéficiaires se sont engagés. C’est très clair, à défaut du paiement de la mensualité, vous perdez le bénéfice du logement. Après l’hivernage, l’OMH prendra toutes les dispositions, pour d’abord actualiser ses listes, puisque la situation évolue. Nous savons que pour certains, il existe vraiment des problèmes financiers ponctuels. Dès qu’ils auront l’argent, ils vont s’acquitter de leur créance. Nous allons procéder à des vérifications et, si nous détectons des mauvais payeurs, nous appliquerons les textes. Cela ne se fait pas de manière abrupte, il y a des étapes. Nous notifions tout d’abord après un mois d’impayé, ensuite trois, puis six, cette fois-ci par voie d’huissier, avant une mise en demeure où la personne doit libérer le logement, puisqu’il le contrat est déjà résilié. S’il n’y a pas de réaction, nous envoyons une autre correspondance pour dire : partez, sinon nous viendrons vous expulser. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous le faisons, mais il faut aider les autres à pouvoir bénéficier de logements. Ce sont les mensualités des anciens qui financent la construction des nouveaux lotissements.

3 questions à Salif Kodio Chef du département de l’Administration des logements – OMH

 

Comment en arrive-t-on à expulser des bénéficiaires de logements sociaux ?

Les propriétaires de ces logements sont en fait des locataires liés par des dispositions contractuelles. Un article du contrat dit que le non-paiement d’une mensualité entraîne la résiliation du contrat. À l’OMH, nous avons poussé ce délai à trois mois et suivons un processus de notifications qui dure au moins six mois et qui se termine par l’envoi d’un courrier signifiant la résiliation du contrat et l’obligation de vider les lieux. Si malgré cela, il n’y a pas de réaction alors que les gens sont au courant, c’est qu’ils ne veulent tout simplement pas payer.

De quels recours disposent les personnes expulsées ?

Les expulsés peuvent récupérer leurs logements s’ils paient les montants dus. À défaut, le ministère a créé une commission qui siègera pour la redistribution des logements saisis.

Quelle est la prochaine étape de cette opération ?

C’est l’évaluation de l’opération. Le 5 du mois, nous recevons un point établi par l’agent comptable. Je suis heureux de constater que notre sortie a obligé les gens à se manifester. Certains sont venus payer leur dû quand ils ont vu les expulsions. Nous allons donc faire le point et si besoin est, on reprendra les expulsions. Le besoin est là et on ne peut plus accepter que par un manque de volonté patent, certains privent ceux qui sont réellement dans le besoin.

Logements sociaux : haro sur les mauvais payeurs

C’est le jeudi 20 avril dernier qu’a démarré l’opération de l’Office malien de l’habitat (OMH). Accompagnés d’huissiers et de forces de l’ordre, les agents de l’OMH ont procédé à l’expulsion de propriétaires, ou d’habitants, la précision est importante, de logements sociaux. Motif : le non-paiement des remboursements contractuels. Dans les termes du contrat qui les lie à l’OMH, les propriétaires reconnaissent le droit à la structure de mettre fin au bail dès qu’un retard de paiement d’un mois est constaté. Un crédit que les concernés ont largement dépassé et, après une trêve à cause des évènements de 2012, l’OMH entend à présent récupérer les biens en question.

Fousseiny Diallo, membre de l’Association pour le développement des 759 logements, est peiné d’évoquer la situation de ces familles qui se retrouvent à la rue du jour au lendemain. Dans la cité, tout le monde ou presque se connait et ce sont de véritables drames qui se jouent sous le regard impuissant des voisins. « Il y a eu des expulsions ici aussi. Ce sont des situations terribles pour les familles. Surtout pour ceux qui ont payé pendant des années, ils perdent ce montant. Il y a des gens qui sont dans leur dixième année (sur 25, durée moyenne du bail, ndlr), soit à 40% de remboursement, et cet argent est donc perdu, puisque l’OMH ne remboursera pas », explique-t-il. En effet, l’Office malien de l’habitat est le maître d’œuvre et le gestionnaire des programmes de logements sociaux, qu’ils soient menés par le gouvernement ou le fruit d’un partenariat public-privé. Les bénéficiaires de ces programmes signent un contrat avec lui, stipulant les modalités d’acquisition du bien et en particulier les clauses de remboursement. « Il est très clairement dit que les bénéficiaires ne doivent pas excéder un mois d’arriérés de remboursement, mais nous allons à trois mois. Au-delà de ce délai et après notification, l’OMH se réserve le droit de récupérer son bien », nous explique le chef du service comptabilité de la structure. Selon lui, ce n’est pas faute d’avoir patienté que l’OMH se retrouve dans la situation actuelle. « Il y a plusieurs niveaux d’alerte, explique-t-il. On envoie pour commencer une notification d’impayé, suivie d’une relance. Après cette dernière, il y a l’avertissement par voie d’huissier, puis le rappel par message téléphonique et enfin la lettre de résiliation du contrat location-vente avec la demande de quitter le logement. Nous avons épuisé toutes ces étapes ». « Il s’agit de pertes qui dépassent plusieurs milliards », précise notre interlocuteur, qui estime qu’à un moment donné, il faut prendre ses responsabilités.

Expulsions Au total, à la date du 31 décembre 2016, 358 contrats ont été annulés pour cessation de paiement. En avril, un lot de 21 mauvais payeurs a reçu la lettre leur demandant de vider les lieux sous peine d’expulsion. « Nous en avons expulsés 20, soit 1 de la cité de la solidarité de Sotuba, 2 de la cité des 759 logements de Yirimadio et 17 de la cité des 1180 de Tabakoro », précise-t-on à la direction de l’administration des logements, qui assure la gestion des logements sociaux. Sur ces 20 expulsions, « nous avons trouvé sur le terrain seulement 3 bénéficiaires, tous les autres expulsés sont des sous-locataires. Malheureusement, en tant que gestionnaires, nous ne connaissons que les occupants des maisons », poursuit le directeur Salif Kodio. C’est donc ces sous-locataires, par ailleurs à jour vis-à-vis de leurs bailleurs, qui ont reçu les lettres et qui se retrouvent aujourd’hui à la rue. Cette pratique de sous-location est interdite, « mais nous nous montrions tolérants. Mais il est déplorable de constater que les remboursements ne suivent pas ».

Penser social « Je me rappelle que quand ATT remettait les clés aux bénéficiaires, il a dit que ce programme de logements sociaux sera social au lieu d’être commercial. Moi je me pose la question de savoir si l’OMH se renseigne sur les conditions de ceux qui ne sont pas à jour. Si leur situation s’est détériorée ou si de nouvelles contingences les empêchent de payer. On ne doit pas juste regarder les comptes, dire que les gens n’ont pas payé et les jeter dehors. Là, ce ne sont plus des logements sociaux. Il faut aussi voir la situation des gens », rétorque M. Diallo des 759 logements de Yirimadio. Ici comme à Tabakoro, entre autres, les mauvais payeurs sont sommés de quitter les lieux. « Il faut faire la part des choses. Ce n’est facile pour personne de mettre des chefs de famille dehors. Mais il faut reconnaitre que l’OMH a tout mis en œuvre. Entre les relances par SMS et les courriers, il y a eu assez de signaux pour que les personnes concernées prennent leurs dispositions », explique pour sa part Oumou Sakiliba, chef de service administration de crédit à la Banque malienne de solidarité (BMS), qui a fusionné en 2015 avec la Banque de l’habitat du Mali, propriétaire des créances sur les logements sociaux. « Depuis le début du programme des logements sociaux, la banque travaille avec l’Office malien de l’habitat. À des fréquences régulières, les informaticiens de la banque dressent des états des remboursements que nous envoyons à l’OMH. C’est donc à l’OMH, à qui les contractants doivent de l’argent, de mener une action, ce qui est le cas actuellement », poursuit-elle. « Nous avions commencé cette opération en 2012. La crise nous a trouvé sur le terrain et nous avons arrêté. Depuis, il y a des gens qui n’ont rien payé, 60 mois d’arriérés pour certains. Pour nous, c’est un signe de mépris. Les gens sont persuadés d’être intouchables et ce ne sont pas les moins nantis qui se comportent ainsi. Nous avons reçu des menaces, subi le trafic d’influence », explique-t-on à l’OMH. Selon Oumou Sakiliba, « le problème est aussi au niveau de la compréhension même par certains de cette affaire de logements sociaux. Quand vous avez des propriétaires qui n’ont jamais versé un centime parce que « c’est ATT qui m’a donné ma maison », il est difficile de leur expliquer la notion de crédit ».

Sursaut salutaire Certains des 358 mauvais payeurs identifiés sont actuellement poursuivis en justice par l’OMH qui entend bien recouvrer les impayés. L’actualisation des états de paiements au début du mois prochain devrait permettre de savoir si la situation d’impayés chroniques se normalise ou pas. « Tenez-vous bien, ne serait-ce que pour ces 20 bénéficiaires qui ont fait l’objet de la procédure d’expulsion, nous sommes à plus d’1 milliard d’impayés. Certains sont à plus de 40 mois et même à 52 mois », déplore Salif Kodio, chef du département administration des logements sociaux de l’OMH, au lancement de l’opération. « Il y a trois catégories de bénéficiaires : les salariés, les non-salariés et les Maliens de l’extérieur. Pour la première catégorie, il n’y a pas de problème, le remboursement se fait par prélèvement à la source. Les mauvais payeurs se trouvent dans les deux autres, ceux-ci devant verser le montant sur un compte, ce qui est aléatoire. L’autre problème, c’est aussi qu’il y a des gens qui sont des salariés mais qui se font passer pour des commerçants qui prennent les maisons et qui après ne versent pas les traites dans les comptes ouverts à la BHM, puis la BMS », explique Mme Sakiliba. Or, la problématique du financement de ces programmes de logements sociaux se pose actuellement avec acuité. « Nous sommes dans un système de revolving. Ce sont les remboursements qui financent les nouveaux projets », explique M. Kodio, qui assure que ses équipes traqueront jusqu’au dernier mauvais payeur pour permettre « à d’autres de bénéficier de ces logements ».

Et Fousseiny Diallo de revenir sur le cas des propriétaires de logements qui les louent mais ne paient pas leur traite. « Cette situation, il est normal et même urgent d’y faire face, parce qu’il y a des gens qui ne sont pas dans le besoin et qui en bénéficient. Ils n’ont aucun intérêt à rembourser. C’est au niveau de l’attribution qu’il y a aussi un travail à faire pour que les maisons aillent bien à ceux qui en ont besoin et non à des propriétaires immobiliers », assure-t-il. « Dans cette situation, c’est aussi une question de mauvaise foi parce que les bailleurs qui ne paient pas les remboursements, mettent dans des situations difficiles les locataires que nous sommes obligés de mettre à la rue », conclut le responsable de l’OMH, qui espère que cette opération sera un signal fort. Déjà, les remboursements ont commencé, certains bénéficiaires portés disparus réapparaissent. Preuve que l’électrochoc aura eu l’effet escompté.