Opérations coup de poing : Suffisant pour suffire?

Il y a trois semaines, le ministère de la Sécurité et de la protection civile lançait à Bamako et Kati des « opérations coup de poing ». Une réaction face à une insécurité devenue préoccupante et qui a atteint ces derniers mois un stade inquiétant. Du 28 janvier au 5 février, 1 312 personnes ont été contrôlées, dont 62 recherchées par la justice. Mais cela suffira-t-il ?

« Depuis trois semaines, certains crimes et délits dans le district de Bamako et environs avaient créé un sentiment d’insécurité généralisée au sein de la population. Face à cette situation, le ministère de la Sécurité et de la protection civile a rencontré les directeurs généraux de la police nationale, de la gendarmerie,  le chef d’État-major de la garde nationale ainsi que toutes les unités des forces de sécurité intérieure du District de Bamako et de Kati, aux fins d’un changement de posture des forces », indique la dernière note actualisée du ministère.

Quelques jours auparavant, un imam, de retour de sa mosquée à l’aube, avait été assassiné par un supposé « homosexuel ». Une semaine après, un apprenti de Sotrama  était tué par un client à la suite d’un différend sur la monnaie rendue. Comme si cela ne suffisait pas, la foule, dirigée par d’autres apprentis, lynchait à mort, en représailles, le client. Dans la même journée, le super marché Mini Prix de l’Hippodrome était attaqué par des bandits armés, qui ont blessé un des clients. Des stations service ont aussi été braquées et des propriétaires des motos dépossédés de leurs engins. La liste n’est pas exhaustive.

Face à cette insécurité grandissante, la population était déboussolée. Une insatisfaction envers la couverture sécuritaire était vite exprimée par les citoyens, qui craignaient pour leurs vies. D’où le déploiement d’envergure en cours depuis le 28 janvier des forces de sécurité, des « opérations coup de poing », à Bamako et Kati. Il s’agit pour le ministre de la Sécurité de faire une démonstration de force pour calmer les esprits et reprendre la main.

Le déploiement de 1 013 éléments de la police nationale, de la gendarmerie et de la garde a permis le contrôle de 1 312 personnes, dont 62 étaient recherchées par la justice. Une centaine a été retenue « pour nécessité d’enquête ». À la date du 5 février, les différentes descentes des forces de sécurité ont été sanctionnées par les saisies « de 471 engins à deux roues, 38 à quatre roues, 57 PA, 26 fusils de chasse et une quantité importante d’armes blanches et de munitions », indique le ministère de la Sécurité. En outre, plus de 500 briques de chanvre indien, des comprimés de tramadol et de la cocaïne ont été découverts. Les « opérations coup de poing » ont révélé des « usurpations d’identité et de fonction, des détentions illégales d’armes, de la vente et consommation de stupéfiants, ainsi que des braquages à main armée et des vagabondages ».

Au vu de la criminalité endémique dans la ville de Bamako et de l’exaspération des populations, ces opérations ont fait l’objet d’une grande médiatisation. « Ces opérations sont nécessaires aujourd’hui, car personne n’est en sécurité. Mais, pour autant, j’ai vu une vidéo dans laquelle de paisibles citoyens étaient mis à plat vendre. C’était humiliant et ce n’est pas normal », juge un jeune habitant de Sebenikoro. « Nous pouvons dire que ça va depuis qu’ils ont commencé, mais ils ont rassuré la population », affirme de son côté Mohamed Maiga, juriste de formation. « Il faut aujourd’hui tout faire pour démasquer les bandits et leurs complices, parce que, même si tu es en chômage, tu ne dois pas tuer quelqu’un pour son bien ou vivre du banditisme. C’est là un danger pour la société », insiste-t-il.

Rétablir la justice

Si les causes de la criminalité et du banditisme sont diverses, une mauvaise administration de la justice peut aussi, d’une manière ou d’une autre, y contribuer. Car, le plus souvent, des bandits de grand chemin sont arrêtés, mais ils sont aussi libérés sans expier leurs crimes. En ce qui concerne les interpellés des « opérations coup de poing », le commissaire divisionnaire Bakoun Kanté se veut rassurant. « Les policiers travaillent dans la légalité. Nous détenons les personnes 48 heures et au-delà de ce délai on les amène au tribunal », fait savoir ce conseiller technique  au ministère de la Sécurité et de la protection civile. « Après les vérifications d’identité,  ceux auxquels on ne reproche rien sont libérés et ceux qui étaient recherchés sont mis à la disposition de la justice », ajoute-t-il. Une justice qui semble pourtant de plus en plus incapable d’apporter les réponses attendues aux sollicitations.

Suite à la mort odieuse de l’Imam Yattabaré, plusieurs associations musulmanes du Mali ont appelé, au cours d’un meeting au Palais de la culture, à l’application de la peine de mort. Cet appel en soi témoigne d’une frustration profonde, liée à l’absence de condamnation. Pour Idrissa Arizo Maïga, procureur général près de la Cour d’Appel de Bamako, « des crimes assez graves ont été commis ces derniers temps et ils ont ému l’ensemble de la population ». « Ce sont des actes auxquels il faut apporter des réponses. La réponse de la justice, c’est le jugement, qui survient après plusieurs étapes », reconnait le procureur.

Pour les crimes,  la loi fait obligation, après les enquêtes de la police, « d’ouvrir une information », un rôle dévolu au juge d’instruction, qui est aussi « un enquêteur en matière de crime ». Et, lorsque les personnes arrêtées ne sont pas liées aux faits commis, « la justice est obligée de les  libérer », explique encore le procureur. Ce qui est souvent assimilé par certains comme une complaisance de la justice, alors qu’il n’y a pas d’indice pouvant justifier la détention des prévenus. Toujours est-il que la justice, « ce grand corps malade », a de la peine à être indépendante et impartiale. Or c’est elle qui doit être le recours, aussi bien pour le riche que pour le pauvre. De plus en plus, certains individus se rendent eux même justice, au mépris des lois et des normes les plus élémentaires. « Il faut une tolérance zéro pour la justice privée, parce que là ce sont des innocents qui en sont victimes. Il suffit que tu cries au voleur pour que les gens lynchent la personne sans même chercher à comprendre ce qui s’est passé », dénonce Idrissa Arizo Maïga. Dans tous les cas, la justice doit apporter une réponse rapide et juste afin d’avoir un effet dissuasif.

Et ensuite ?

Même si ces différentes opérations ont permis aux populations de Bamako et Kati de souffler, le danger plane toujours. Les bandits peuvent se dissimuler un temps avant d’effectuer leur retour. Alors que l’insécurité se transporte du centre vers le sud du pays, il parait indispensable de maintenir la stabilité dans la capitale. Pour le commissaire divisionnaire Bakoun Kanté, le département a toujours veillé à sécuriser les personnes et leurs biens. « En fait, ces opérations se faisaient depuis longtemps, mais cette fois-ci nous avons mieux communiqué, ce qui nous a permis d’avoir l’adhésion de la population. Elle commence à dénoncer les suspects », se réjouit le conseiller technique  du ministère.  « Hier, un bandit a tué quelqu’un pour voler son véhicule, mais il a été arrêté. Donc ces opérations doivent continuer, parce que les gens ont vraiment peur ces temps-ci », souligne Mohamed Maiga. Pour l’heure, des patrouilles se déroulent aussi bien de jour que de nuit, même si de nombreux observateurs jugent tardif le réveil du général Salif Traoré.

Ces patrouilles vont opérer combien de temps ? « Nous n’avons pas donné de durée à ces opérations et le ministre a demandé un changement de posture. Une nouvelle façon d’opérer. C’est notre mission quotidienne et il n’y a pas lieu d’arrêter maintenant », assure d’un ton ferme Bakoun Kanté.