Chefferies traditionnelles : Une influence remise en cause ?

Autorités morales assurant la régulation des rapports sociaux dans notre société depuis longtemps, les chefferies traditionnelles connaissent actuellement une perte d’influence. Pour redonner à ces acteurs de premier plan toute leur place dans le contexte de crise que le Mali connaît aujourd’hui, des voix s’élèvent pour rendre aux « mécanismes traditionnels de gestion » des problèmes de la société leur pouvoir d’antan.

« Dans la culture songhaï, lorsqu’un problème devient très compliqué, on fait appel aux vieilles femmes, à leur sagesse. Leur décision est sans appel, c’est comme la Cour suprême ! » affirme le chef coutumier songhaï de Gao, Moussa Souma Maïga. Une façon pour lui de rappeler que la culture malienne possède des mécanismes de régulation des maux auxquels la société peut être confrontée. Les premiers acteurs de ces mécanismes culturels et traditionnels sont les chefferies, malheureusement en perte de vitesse actuellement.

Mélange des genres Parmi les causes de cette perte d’influence figure la concurrence entre les chefs traditionnels et l’administration. Or, « ils ont des rôles complémentaires », soutient le chef songhaï. Une confusion des rôles qui a amené certains notables à faire de la politique, ce qui compromet leur rôle d’arbitre et de représentant de toute la communauté, selon Moussa Souma Maïga. « Un chef traditionnel est un homme politique, mais pas un politicien », tient-il à préciser. C’est-à-dire quelqu’un qui peut jouer un rôle dans la vie de la cité mais ne peut agir pour défendre ses intérêts personnels. Une conviction partagée par Dramane Niaré, intronisé en septembre 2013 comme chef des familles fondatrices de Bamako. « Le djamanatigui » (chef de la contrée en bambara), dont le rôle social a été conféré aux familles fondatrices de Bamako en tant que premiers habitants de la ville, a une autorité morale qui lui interdit de faire de la politique. « Nous, nous écoutons les hommes de tous les bords politiques. Si nous appartenions à l’un d’eux, nous ne pourrions plus jouer notre rôle d’arbitre », explique le chef coutumier.

Autorités intemporelles Rappelant que les chefs traditionnels officient sans contrepartie, par devoir, le chef Niaré explique que leur perte d’influence a commencé avec l’installation des autorités administratives après la période coloniale pendant laquelle il y avait un respect mutuel : lorsqu’un conflit était soumis à l’administration coloniale, elle demandait que les protagonistes s’adressent d’abord aux autorités traditionnelles. Et quand celles-ci se prononçaient, leur décision était respectée. Le chef des Niaré est convaincu que l’autorité morale des chefferies traditionnelles ne sera jamais totalement perdue. « Même ceux qui nous ont qualifié d’archaïques ont fini par revenir nous voir. Les générations actuelles et futures continueront de recourir aux services des autorités traditionnelles et que celles-ci continueront d’apporter leur contribution à la résolution des maux de notre société » comme elles le font actuellement dans la crise que traverse le Mali.

Pour donner plus d’efficacité à ces actions des leaders coutumiers, le collectif des jeunes du Nord, dirigé par Oumar Alassane Touré, a élaboré des statuts et règlements pour la future coordination des chefs traditionnels. Ces documents qui seront bientôt présentés à ces acteurs pour leur adhésion devront ensuite être validés par les autorités pour donner un cadre formel à l’action de ces chefs traditionnels et lui redonner son lustre d’antan.

 

Irganda, nouveau mouvement communautaire

Un énième mouvement est né le 21 mai dernier : Irganda, signifie « notre terre » ou « terroir » en songhaï. Il entend représenter les groupes sociaux et les communautés de culture songhoy, sédentaires, majoritaires dans le septentrion malien (environ 80%), contre la domination des mouvements arabo-touaregs, et œuvrer pour le développement du nord du Mali. Si les motivations générales du mouvement fédèrent, certains redoutent que s’y dissimulent des objectifs plus politiques.

Créé à Gao sous l’impulsion de l’ancien Premier ministre, Ousmane Issoufi Maïga, Irganda a suscité une forte adhésion des communautés songhoy et a réussi a fédéré, rien que pour la cité des Askia, plus de 7 000 membres. « Le mouvement Irganda est composé par les sédentaires. Nous voulons montrer à l’opinion internationale que nous sommes majoritaires au nord et qu’une minorité tente de devenir majoritaire grâce à sa communication et surtout parce qu’ils ont pris les armes », explique Aboubacrine Abdoulaye Maïga, chargé des relations extérieures du mouvement. Visée, sans la mentionner, la main-mise des mouvements arabo-touaregs comme la CMA, qui cherche toujours, depuis la signature de l’accord de paix, à faire reconnaître l’Azawad comme une entité administrative et politique.

Le mouvement peut compter sur le soutien de la communauté songhoy, influente au sein de l’appareil d’État, de cadres et de chefs d’entreprises. Mais même si pour la plupart, les motivations générales du mouvement séduisent, certains s’interrogent sur la création de ce mouvement aujourd’hui et pas avant la signature de l’accord. « On avait compris que l’accord c’était pour nous tous, mais on a vu que dans son application, ce n’est pas le cas. Une communauté est favorisée par rapport à une autre, alors que nous vivons dans le même terroir », justifie Aboubacrine Maïga, qui souhaite que le mouvement soit pris en compte dans l’accord de paix.

Des motivations politiques ? Néanmoins, certains hésitent encore à intégrer Irganda, « ce mouvement parle aussi du développement et de la sécurité dans le Nord, mais ils n’ont rien fait en 2012-2013 pour les réfugiés, alors qu’ils ont des millions en banque. Ces gens-là se cachaient à l’époque. À quelle fin veulent-ils créer le mouvement Irganda ? s’exclame ce commerçant de Gao. D’autres redoutent une récupération à des fins politiques du mouvement en vue des élections. « On se pose la question, parce qu’Ousmane Issoufi Maïga est en train de faire campagne pour Soumaïla Cissé. Il pourrait profiter de ce nouveau mouvement pour avoir un poids considérable lors des élections de 2018. C’est arrivé dans le passé avec Malick Alhousseini Maïga, qui nous avait rassemblé en 2012 pour créer la Coordination des Ressortissants du Nord (COREN), mais à la fin il cherchait tout simplement un poste politique et quand il l’a obtenu, tout le monde a été écarté. Nous connaissions trop nos politiciens et on se méfie. », objecte Oumar Alassane Touré, du réseau des patriotes du Nord.

Une collusion avec le politique fermement battue en brèche par Aboubacrine Maïga. « Irganda est apolitique. Nous ne sommes pas en train de faire campagne pour Soumaïla Cissé, ni pour IBK. Pour créer Irganda, nous avons mis la main à la poche. On n’a rien demandé au gouvernement, ni à un parti politique. On est toujours resté derrière l’État qui n’a jamais joué son rôle. Nous, nous défendons le territoire d’abord », soutient-il. Une affirmation qui ne manquera pas d’être vérifiée par les sceptiques et les détracteurs de ce nouveau mouvement, dans le futur. « Si le mouvement Irganda, fort de son chef et de ses soutiens, veut faire bouger les choses, ils pourra y parvenir s’il n’a pas d’autre agenda », conclut Oumar Alassane Touré.

 

 

 

45 chefs traditionnels maliens oeuvreront pour la paix

Une initiative de la Coordination nationale du réseau des jeunes patriotes du Nord pour la paix et le développement et de son président Oumar Alassane Touré, lors de la Conférence d’entente nationale qui s’est achevée le 2 avril dernier, est en passe de se concrétiser. Elle consiste à réunir au sein d’un conseil national, les différents chefs traditionnels du Mali, autorités reconnus et porte-voix des communautés, capable de solutionner les conflits et oeuvrer pour la paix.

Lors de la Conférence d’entente nationale qui a rendu ses conclusions le 2 avril dernier, une déclaration du président de la Coordination nationale du réseau des jeunes patriotes du Nord pour la paix et le développement, Oumar Alassane Touré, a retenu l’attention des autorités maliennes, la création d’un Conseil national des chefferies traditionnelles du Mali qui englobera l’ensemble des chefferies traditionnelles des communautés du Mali. « Ces différents chefs traditionnels se retrouveront dans un conseil national dirigé par un président et appuieront le gouvernement dans la mise en œuvre des politiques de développement, dans la gestion des conflits inter communautaires et dans le retour à la réconciliation et à la paix », explique Oumar Alassame Touré, son initiateur. Depuis le début du mois d’avril des réflexions ont été lancées en ce sens et courant avril, les leaders traditionnels, comme l’honorable Mohamed Ag Intalla, l’Aménokal des Ifoghass à Kidal, les chefs Songhoy, les Niaré de Bamako, les Touré, les chefs des Kounta, entre autres, ont été approchés et ont tous accepté de rejoindre ce futur conseil national.

Le Mali est gangréné pas des conflits entre communautés, par un manque de communication ou de compréhension avec les autorités maliennes et l’absence d’une structure de ce type a permis aux différents groupes armés de s’ériger en porte-parole des communautés. « Avec cette structure, personne ne pourra parler au nom des communautés et trancher pour elles à part ces chefs traditionnels reconnus et légitimes. Avec Mohamed Ag Intalla, l’Aménokal de Kidal, qui sera 1er ou 2e vice président du conseil national, il n’y aura personne pour venir nous dire que Kidal n’est pas dans le Mali. C’est très important. Cela va pouvoir jouer un rôle prépondérant par rapport à la gestion de conflit et pour l’unité nationale.», poursuit Oumar Alassane Touré.

Les travaux concernant le règlement intérieur et le statut de ce futur conseil national sont à présent achevés. Une coordination des chefferies traditionnelles sera l’organe politique pour adhérer au conseil national. « Pour être membre du conseil national, il faudra être d’abord membre de la Coordination des chefferies traditionnelles du Mali. Les membres devront être des chefs traditionnels reconnus au niveau local par la communauté et par l’administration. 45 chefs traditionnels devraient intégrer le conseil. Une fois constituée, la liste des conseillers sera transmise au président de la république qui prendra un décret pour nomination. Ces conseillers seront donc pris en charge par le budget de l’État. Le décret pour nomination devrait intervenir début mai.

Un des premiers dossier auquel aura à s’atteler ce Conseil national des chefferies traditionnelles sera le statut de l’Azawad, une question très sensible. « C’est un problème important, qui si on n’y fait pas attention pourrait poser problème dans le cadre du référendum constitutionnel. Le président de la république pourra directement confier ce dossier sensible au conseil national, car ces gens-là savent très bien comment les choses se sont passées depuis de 1953 jusqu’à nos jours », conclut Oumar Alassane Touré.