Oumar Aldiana : « Avec Sobame, nous avons atteint un nouveau seuil »

Après deux semaines de captivité, Oumar Aldiana a été libéré début juin par ses ravisseurs. Membre actif de la communauté peul, adhérent du MNLA et ancien chef d’un éphémère mouvement armé, Aldiana se présente comme un « acteur majeur » du Centre. Dans cet entretien, il revient sur sa captivité, la situation dans le centre et la possibilité de négocier avec les djihadistes.

Vous avez été enlevé par des hommes armés dans la nuit du 19 au 20 mai, avant d’être libéré deux semaines plus tard. Qui étaient vos ravisseurs ?

C’étaient des individus qui sont venus à motos et qui parlaient peul.

Pourquoi avez-vous été ciblé ?

Je crois que c’était une erreur. Ils sont venus vers une heure du matin. J’étais couché avec famille. J’ai entendu une kalachnikov engager une balle. J’ai éloigné mon épouse de moi. Directement j’ai pensé que c’était des personnes qui venaient pour me tuer. Ils m’ont touché afin que je me réveille, car je faisais semblant de dormir. Celui qui essayait de me réveiller m’a dit de ne pas avoir peur, qu’ils souhaitaient simplement me poser des questions. Je me suis donc levé, je les ai suivis et une fois devant la porte ils m’ont demandé si je savais qui m’arrêtait. J’ai rétorqué que non et ils m’ont dit qu’ils étaient d’Al Qaeda. Nous avons pris la route et traversé un petit fleuve, jusqu’à arriver dans une forêt. Une fois là-bas, ils m’ont bandé les yeux et ligoté. Nous avons été dans trois localités. Dans la troisième, j’ai été présenté à un homme qui m’a posé la question de savoir si j’avais connaissance du motif de mon arrestation. J’ai dit non. Il m’a demandé si je connaissais une certaine personne, j’ai répondu « oui, de vue je le connais ». « Quel lien avez-vous ? » a-t-il rebondi. « Nous nous rencontrons chez certains doyens peuls à Bamako. La dernière fois, je l’ai vu au lancement du DDR de Mopti ». « Il a été arrêté avec son accompagnant » m’a-t-il coupé. « Lors de son interrogatoire, il a parlé de toi concernant le DDR ». Il a ajouté qu’ils allaient me donner l’audio afin que je puisse écouter moi-même. Ils m’ont assuré qu’ils n’allaient ni me torturer, ni me faire mal d’une quelconque manière. Toutefois, mon interlocuteur a précisé qu’aucune intervention ne saurait me libérer et qu’il ne me fallait que dire la vérité. Ils m’ont ensuite transféré ailleurs. Au fur et à mesure que les jours passaient, mes conditions de captivité s’amélioraient. Ils ont même fini par me donner une couverture, seule la nourriture ne me plaisait pas. Au bout de ma deuxième semaine de captivité, l’un de leurs agents de liaison est venu me voir. Il m’a fait savoir que le motif qui m’avait été donné comme ayant conduit à mon arrestation n’était qu’un prétexte. « C’était autre chose ». Ils ont fait des vérifications et se sont rendu compte qu’ils s’étaient trompés et qu’en aucun cas je ne m’étais mêlé de leurs activités. Mes liens m’ont été enlevés. J’ai essayé de savoir quel était réellement le motif de mon arrestation mais je n’ai pas eu gain de cause. J’ai été escorté vers un village voisin. Je voulais qu’ils m’emmènent ailleurs, mais les ordres reçus ne le permettaient pas. Ils m’ont remis 20 000 francs CFA pour le transport. J’ai donc pris la route pour arriver chez moi le lendemain.

Des négociations entre votre famille et les ravisseurs auraient-elles abouti à cette libération ?

Je ne pense pas que les négociations de la famille puissent changer quoi que ce soit avec ces gens. La seule chance que j’ai eu, c’est que je n’avais rien fait. Lors de mon arrestation, l’un de mes frères a assisté la scène. Ma femme ne dormait pas non plus. Mes frères ont appelé les médias, envoyé des messages dans différents groupes WhatsApp. Il n’y a pas eu de négociation, aucune rançon, rien de tout cela.

En 2016, vous avez lancé un mouvement politico-militaire pour la sauvegarde de l’identité peule, avant de déposer les armes la même année. Au regard de la situation actuelle, le regrettez-vous?

Non, je ne le regrette pas. Je n’ai jamais été sur le plateau dogon. Je n’ai jamais eu de problème avec les Dogons, ce sont mes frères. Depuis que le conflit intercommunautaire a débuté, je n’ai jamais rien commenté. Je suis le fils d’un chef de canton qui regroupe plusieurs communautés. Je ne peux pas prendre position pour une d’entre elles. Je n’ai jamais tiré sur un Dogon. L’État doit savoir qu’entre nous, Peuls et Dogons, il n’y a aucun problème. Je veux même organiser une rencontre intercommunautaire à l’intérieur du Macina, pour mettre tout le monde ensemble.

Comment en est-on arrivé à une situation aussi explosive dans le centre ?

L’État a fait de son mieux, mais il a été incomplet. L’État reçoit de nombreuses informations mais il n’arrive pas à les trier. Il invite les maires, les élus locaux et beaucoup d’autres acteurs. Il y a eu plus de 1 000 rencontres. Si je t’appelle pour résoudre un problème dans ta localité et que tu n’y arrives pas, je te mets de côté et je chemine avec un autre acteur, plus actif. Mais non, l’État ne change pas l’équipe qui échoue. C’est cela le problème. Un adage peul nous apprend « au lieu de donner à celui supplie celui qui te frappe, donne directement à ton tortionnaire, il arrêtera ».  C’est ce que l’État fait, donner à celui qui supplie. Il y a certains grands acteurs dans le centre auxquels aucun groupe n’oserait toucher et qui bénéficient de crédit, mais ils disent que s’ils ne sont pas mandatés par l’État ils ne bougeront pas. Je connais tous les acteurs qui œuvrent sur le terrain. Quand la zone a été désertée, j’y étais encore. Les populations du centre ont été laissées à l’abandon. Je l’ai dit à l’Assemblée nationale : les méthodes des djihadistes plaisent plus aux populations que celles de l’armée. Ils viennent pour prêcher, en disant que c’est ce que le Prophète a dit, et cela va droit au cœur des populations, puisqu’elles sont musulmanes. Quand l’armée vient dans la zone, c’est pour les impôts, c’est pour torturer, c’est pour tuer. Le pire pour un peul c’est l’humiliation. Lors de certaines rencontres, l’État procède même à des arrestations dans la salle. Et cela lui fait perdre du crédit. Il y a également un manque d’honnêteté de la part de beaucoup. De fait, lorsque certains viennent à ces rencontres et que des questions leur sont posées, ils rechignent à répondre, car après ils doivent retourner chez eux. Ce n’est pas dans une salle avec des officiers et des hommes en armes qui les gens auront le cœur de parler. La MINUSMA est dans le Centre. Lors d’une rencontre avec Annadif, j’ai eu l’occasion de lui dire que le Peul était très méfiant. Il ne parle pas à un inconnu, il ne fait pas confiance à des inconnus. Il n’est donc pas crédible de mandater des Congolais ou d’autres pour parler avec cette communauté, mieux vaut avoir des acteurs venant de la zone. Et le centre ce n’est que pas que Mopti ville, les rencontres ne devraient pas s’y tenir.

International Crisis Group préconise de dialoguer avec les djihadistes. Estimez-vous que la solution passe par ce dialogue ?

Oui. Un adage peul dit « quand tu ne peux pas, tu encaisses ». Ils sont nombreux, lourdement armés, très bien équipés, et, c’est le plus important, déterminés. Ils ont aussi une apparence trompeuse. Ils portent la même tenue que les civils. En aucun cas je ne vois pas comment l’armée malienne, qui est une armée composée de toutes les communautés, peut mener des assauts dans le Macina si ce n’est pour tuer des civils. Puisque c’est comme cela, mieux vaut négocier. Et le faire avec prudence, intelligemment et lentement. Il faut savoir qui épauler. Je soutiens à 100% la négociation avec eux. Si l’Occident, la France ou tout autre pays, nous dit de ne pas négocier, je comprends sa position. Et je pense qu’aucune négociation n’a eu lieu pour leurs otages. Ils ont été tranquillement réacheminés chez eux. Pour le Mali, il est bon de négocier. Il a déjà un point en commun avec ces gens : ils n’ont jamais voulu la division de ce pays. La Charia, c’est le mot arabe qui renvoie à la justice. Qui dit justice dit clarification. Si tu veux la clarification et moi aussi, pourquoi un conflit ? L’État doit s’engager en toute dignité à parler avec ses fils en tête-à-tête. Sans la médiation de l’Algérie, de la Guinée ou du Burkina. À continuer ainsi, la situation risque de lui échapper.

N’est-ce pas déjà le cas ?

Après ce qui s’est passé le 10 juin, nous avons atteint un nouveau seuil. Les Peuls disent que Dana Ambassagou a été épaulé, financé, formé par l’État pour les massacrer. Le même discours est repris par Dana Ambassagou. L’État, c’est qui alors ? Sur quel pied danse-t-il ? Que gagnerait l’État à faire massacrer ses fils ? Ça n’a pas de sens.

Comment dialoguer quand les positions sont aussi tranchées ?

C’est une question complexe. Les terroristes ne peuvent pas imposer à tout un État ce qu’ils veulent, mais l’État non plus ne pas leur imposer toutes ses conditions. Ils définissent la Charia comme étant la justice. Dans la Constitution, il peut y avoir le respect de la justice. Pas la Charia, mais le respect de la justice.

Pendant l’occupation du nord, ce n’était pas vraiment cela leur conception de la Charia…

Il est bon d’essayer de privilégier le dialogue. Ceux que je connais parmi eux ne coupent pas les mains et ne tabassent pas non plus. Si ce n’est durant ma captivité, je n’ai jamais été dans leurs bases. Je ne pense qu’ils soient à ce niveau. Négocier avec eux va soulager le pays