Génération patriote : La « jeunesse consciente » malienne

 

Diplômés ou non, au chômage ou travailleurs, ils sont pour la plupart âgés de moins de 30 ans. Leur point commun : le Mali. Leur patrie, qu’ils veulent défendre et rendre meilleure, convaincus que le Mali ne se « fera » que par les Maliens. Une construction qui nécessite un « NTM », un Nouveau Type de Malien, le leitmotiv de ces jeunes déterminés à changer leur pays. Car l’avenir, selon eux, c’est déjà aujourd’hui. Et c’est à eux de construire le futur dont ils rêvent.

« Même si c’est en rangs dispersés, et souvent avec des motivations différentes, il existe aujourd’hui une jeunesse malienne consciente qu’elle peut être actrice du changement », soutient Momo Diarra, la trentaine, vivant à Paris depuis maintenant six ans. Après des études secondaires écourtées, il travaille un moment dans une boulangerie à Bamako avant de prendre la route. Gao, le Niger, l’Algérie, l’Espagne, puis la France. S’il n’est membre d’aucune association, il adhère aux idées de celles dont le combat est de « faire faire le Mali par les Maliens ».

Ils viennent d’horizons divers et sont de conditions différentes, mais l’objectif de ces jeunes semble être le même : bâtir un nouveau Mali, débarrassé des maux qui le gangrènent, comme l’injustice ou la corruption, et exiger l’État de droit. Mais mener un tel combat suppose de leur part un engagement inébranlable.

Déjà militante pour certains, cette nouvelle génération est en construction chez d’autres. Elle date de seulement ces dernières années, où « les jeunes ont compris qu’il faut non seulement s’informer de la chose politique mais aussi s’impliquer », note le blogueur Dou Niangadou, âgé d’une vingtaine d’années.

Autre cheval de bataille, un Mali « dans lequel les seuls critères de sélection seront ceux de la compétence, et non parce qu’on « est le fils de » ou « le neveu de » », note Malick Konaté, âgé de 27 ans, économiste de formation et membre du mouvement « Trop c’est trop ».

Eux en ont fait le nom de leur mouvement, la « Méritocratie », et leur slogan est « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Créé en 2014, il entend promouvoir « l’égalité des chances », principe fondateur de toute société juste, selon Mamedy Diarra, 28 ans, diplômé en gestion d’entreprise et Président de Méritocratie.

Jeunesse connectée

Si le sentiment patriotique n’est pas nouveau, ce regain de patriotisme de cette nouvelle génération présente certaines spécificités. Elles sont liées à plusieurs facteurs dont l’accès à l’information à travers les réseaux sociaux. Ces réseaux sociaux qui leur donnent non seulement une ouverture sur le monde mais également une grande capacité à se mobiliser. Donnant ainsi à ces jeunes une plus grande possibilité pour agir : Agir avec un objectif clair: changer le système et le remplacer par un nouveau mode de pensée et de nouvelles façons de faire. Mais comment changer un système dont on est le produit ? « La difficulté est que cette jeunesse, qui veut combattre la corruption, a la corruption en elle », prévient le Dr Hamidou Magassa, socio-anthropologue et observateur averti de la société malienne. Un enjeu qui n’échappe pas à ces jeunes engagés pour la cause du Mali, même si, comme le soutient Momo Diarra, « la jeunesse est à l’image des dirigeants ».

« C’est une jeunesse maintenue exprès dans la pauvreté pour l’empêcher de s’exprimer », déclare pour sa part Ibrahim Kalil Touré, juriste âgé de 33 ans, membre du groupe Ali24. Mais le patriotisme suppose justement de transcender les difficultés et d’agir pour le changement. « Refuser de donner un billet de 1 000 francs à un policier lorsque vous êtes en infraction et accepter de payer l’amende que vous devez, c’est lutter contre la corruption », affirme M. Diarra.

Relever le défi du patriotisme, c’est aussi savoir « prendre du recul et ne pas refaire les erreurs du passé », explique Dou Niangadou, pour qui les jeunes ne doivent pas avoir seulement pour ambition de remplacer la classe politique actuelle sans prendre de temps d’ancrer les valeurs qu’ils veulent défendre.

Les valeurs patriotiques comme le respect du bien public doivent être acquises dès la famille et consolidées à l’école, ce qui n’est pas toujours le cas au Mali, selon Kibili Demba Dembélé, ingénieur en Génie Civil, bientôt 30 ans. « Ce qui motive le Nouveau Type de Malien, c’est qu’il a attendu en vain l’homme providentiel. Son espoir de voir un Mali nouveau a été déçu. Les jeunes ont intégré que changer c’est comprendre que la solution c’est nous-mêmes », ajoute M. Dembélé.

Montrer l’exemple

Un changement déjà en cours, si l’on en croit Malick Konaté, membre du mouvement « Trop c’est trop ». « Si on observe ces mouvements, on se rend bien compte qu’il y a un changement. Ces jeunes s’engagent sans contrepartie, juste pour le Mali. Lors des manifestations contre le projet de réforme constitutionnelle, les jeunes ont participé en achetant leurs tee shirts pour contribuer au mouvement et ont également financé leurs déplacements et leurs communications. Avant, ils se faisaient payer par les politiciens pour participer aux manifestations. Ce qui montre leur engagement et l’éveil des consciences au Mali », ajoute M. Konaté.

La lutte pour la patrie est un combat que l’on mène pour les autres et dont on ne récolte pas souvent soi-même les fruits.  Il peut être mené dans tous les domaines, ce qui fait dire à M. Diarra « on peut servir son pays sans faire de la politique ». Il invite donc les jeunes à connaître leurs droits et devoirs, pour pouvoir mieux lutter, et à s’inspirer des exemples de personnalités comme Thomas Sankara ou Nelson Mandela. Des repères qui ont existé et qui existeront toujours, car le patriotisme survit toujours à ceux qui en mènent le combat.

« Si les gens honorent Cabral (surnom de Abdoul Karim Camara, leader du mouvement estudiantin au Mali à la fin des années 1970, mort après son arrestation sous le régime de Moussa Traoré), c’est parce qu’il a incarné cette figure sacrifiée », relève le Dr Magassa. S’il estime que tous les regroupements ont leurs limites, il pense qu’il en restera toujours pour porter les valeurs du combat. « C’est cela le patriotisme. Ceux qui portent l’idéal sont très rares, mais ce sont eux les sentinelles, ils font vivre le patriotisme ». Le sociologue ne croit pas « aux patriotes autoproclamés », car le patriotisme est un acte de foi.

Maintenir la flamme

Valeur universelle, le patriotisme a toujours existé dans toutes les sociétés. Si le combat porté par ces jeunes maliens n’a rien de nouveau pour le Dr Magassa, « cette génération a une particularité qui tient à sa capacité à se mobiliser et à se regrouper sans être inféodée »

Un atout dont sont conscients ces acteurs. Une jeunesse connectée et informée, qui n’a pas peur de s’exprimer parce qu’elle «   a compris que ce n’est pas en gardant le silence que l’on peut soigner les maux de la République », relève Ibrahim Kalil Touré. Un nouvel élan est en tout cas donné à ce sentiment depuis la crise de 2012 au Mali. « De plus en plus de gens pensent qu’il ne faut plus laisser faire et demandent des comptes », ajoute M. Touré.

Outre l’avantage de pouvoir s’informer en temps réel sur tous les sujets, cette jeunesse s’est débarrassée de tout complexe parce qu’elle peut accéder à toutes les connaissances. Mais il s’agit là d’atouts qu’il faut capitaliser. Le patriotisme nécessite un esprit de sacrifice, qui demande de renoncer « à son propre confort pour celui des autres », affirme Dou Niangadou. Et l’impact du mouvement actuellement en cours ne pourra être mesuré que d’ici quelques années selon plusieurs acteurs. Ceci tient non seulement au contexte de sa naissance, mais aussi à la diversité qui le caractérise.

Le patriotisme n’est en tout cas pas prêt de mourir. « C’est une valeur mythologique, beaucoup plus forte que ceux qui se disent patriotes. Ce n’est pas qu’une histoire de drapeau. C’est une question identitaire. Les gens ont besoin de dire : j’appartiens à ça », conclut le Dr Magassa.

Sacrée indépendance, qu’on ne s’y trompe pas !

Le rêve de liberté devenait réalité pour tout un peuple, fier de ceux qui allaient prendre son avenir en main. Le rêve de former une fédération avec le Sénégal avait volé en éclats, apportant de la plus belle manière la preuve que ces « poussières d’Etat » du continent africain étaient condamnées à  vivre dans un repli sur soi. Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas un énième plaidoyer pour une Afrique unie, mais un simple constat ! Le Soudan devint le Mali, avec Modibo Keà¯ta comme président. D’abord, il y a eu ce rêve de construction d’une société socialiste qui laissa des traces un rien douloureuses dans les C’œurs et les esprits. Puis, très vite, ce fut la déception, la confiscation des rêves, le coup d’Etat. Le régime Kaki, le pilotage à  vue du pays, les emprisonnements, les tortures, les intimidations. Aujourd’hui, 22 septembre 2014, le Mali célèbre le 54è de son indépendance. Un rendez-vous qu’on honore chaque année dans le pays par des évènements officiels, des conférences, des articles, des émissions télévisées. Mais un constat s’impose. Aujourd’hui, 54 ans après le départ de la puissance coloniale, le bilan est des plus lamentable. Le pays est en lambeaux, compartimenté du fait de la faillite dans sa gestion territoriale. Le pays est malade de ses dirigeants actuels et passés qui, curieusement, ont jeté aux mites, enterré les belles promesses de l’indépendance. Le Mali est en retard sur de nombreux plans. La rébellion a placé le tissu social sous le coup d’une menace permanente. Autant dire que C’’est un constat humiliant. Partout ou presque, la colère et la haine grondent contre les tenants des leviers du pouvoir. Aucun n’est parvenu à  atténuer la souffrance des peuples qui, aujourd’hui, pleurent et déplorent que les choses ne soient pas comme elles devraient être avec l’indépendance. Les peuples en viennent à  penser et à  se dire que ce fut une sacrée indépendance ! Oui, bien sûr, ce n’est pas parce que nous venons de traverser une tragédie nationale qu’il ne faut pas arrêter de se lamenter. l’image d’un pays qui s’est englué dans le désastre ne doit pas faire oublier que cette date du 22 septembre 1960 est importante pour tous les Maliens et Maliennes. Balayer l’indépendance d’un revers de manche reviendrait à  « cracher » sur la joie, l’euphorie qu’a ressenti tout un peuple il y a 54 ans, parce qu’il venait de triompher de la colonisation, parce qu’il venait de renverser le mythe de « la suprématie civilisationnelle ». Ces femmes et ces hommes étaient devenus des femmes et des hommes pareils aux autres : libres. C’’est ce qui est venu après l’indépendance, c’est-à -dire cette série d’échecs, qui a transformé l’Histoire. Il ne faut pas l’oublier, malgré le pessimisme, le drame, les déceptions que nous sommes en train de vivre. Ceux qui sont nés depuis l’avènement de la démocratie malienne n’ont connu que corruption, favoritisme, népotisme et péculat. Ils peuvent, dans leur colère, se demander à  quoi a servi l’indépendance. Ils peuvent dire que C’’est une liberté qui a été gâchée, une liberté dont ils ont été abusés, car ils se sentent vivre dans un Etat « qui n’apporte rien au peuple », qui « opprime et humilie…», o๠« le pouvoir se partage entre les parents ». Ce qui fait dire qu’au Mali « il faut rééduquer le peuple, lui donner une patrie différente de la famille. (*)» Ah sacrée indépendance !

Le journalisme américain à l’épreuve du patriotisme

Après s’être frotté à  la pratique du journalisme américain en visitant certaines rédactions (VOA, CNN, Atlanta Journal Constitution…), le groupe francophone du «Programme Edward R. Murrow pour les Journalistes» a fait un séjour (du 3 au 6 novembre 2013) fort intéressant à  Athens (Géorgie) qui abrite l’Université de Géorgie. Pendant deux jours (du 4 au 5 novembre 2013), nous avons appris l’histoire de cette université et côtoyé des étudiants en journalisme ainsi que des professeurs expérimentés du métier. «J’ai opté pour le journalisme parce que je veux être une voix pour les autres»Â ! C’’est la confidence qu’une jeune étudiante du «Grady College», l’école de journalisme de l’université de Géorgie, nous a dit lors de nos échanges. Une responsabilité qu’elle se dit prête à  assumer quels que soient le prix à  payer et les risques à  courir. Comme, C’’est le cas dans la plupart des cas dans nos pays, le journalisme est avant tout un idéal pour celles ou ceux qui choisissent ce métier aux Etats-Unis. Un idéal de liberté et de justice qui se traduit dans la réalité par la lutte contre la corruption, l’injustice, l’imposture, l’oppression… Dans le fonds, le journalisme dit «américain» n’est pas aussi différend de ce qui est enseigné en Afrique. Seulement nos confrères des USA bénéficient, en plus du confort (meilleures conditions de travail) et d’une certaine sécurité sociale (assurance, plan de carrière, etc.), de plus de liberté afin de pleinement jouer leur rôle de pilier de la démocratie, de 4e pouvoir, de conscience du peuple. Le journaliste américain est surprotégé par le Premier Amendement qui sacralise les libertés individuelles, notamment d’expression et de presse. Et cela parce que les Pères fondateurs des Etats-Unis étaient convaincus que la liberté est un atout indispensable pour bâtir de grandes démocraties comme celle dont ils rêvaient pour leur jeune nation. Mais, à  la différence de ce que nous voyons souvent dans nos Etats, la presse américaine use de cette liberté avec plus de responsabilité. Même si des dérapages ne manquent pas souvent mettant en péril la crédibilité de ce journalisme. Cela s’explique surtout par ce que des experts qualifient de «journalisme lié à  rentabilité» ! Il s’agit d’un environnement concurrentiel qui pousse toujours les médias à  vouloir mieux informer et avant les autres. Ainsi, dans la plupart des rédactions visitées (Voix de l’Amérique, Atlanta Journal Constitution, CNN…), on accorde une importance capitale aux sources de l’information, donc à  son recoupement avec la plus grande précaution et rigueur. l’autre atteinte à  la crédibilité des médias aux Etats-Unis, C’’est souvent ce sentiment exacerbé de ce patriotisme américain. Cela peut souvent contraindre des journalistes à  traiter certaines informations avec moins d’objectivité quand cela peut toucher l’image ou les intérêts de leur pays. Ainsi, selon des entretiens avec certains journalistes et responsables de CNN, la chaà®ne internationale a été confrontée à  cette situation pendant la première guerre du Golfe (1990-1991) o๠certains téléspectateurs ne pouvaient comprendre que ses journalistes fassent certaines révélations touchant l’armée américaine. Heureusement, que la chaà®ne a résisté et n’a pas changé sa ligne de couverture. Un métier menacé par les TICS et les disparités salariales Aujourd’hui, comme en Afrique et dans le reste du monde, la presse américaine cherche à  s’adapter à  l’évolution technologique. Celle-ci a deux impacts sur les médias dans l’immense pays de l’Oncle Sam. D’abord, les réseaux sociaux réduisent le lectorat, l’auditoire et le public. Et, par ricochet, ces nouveaux médias prennent désormais une part non négligeable de la publicité à  ceux dits traditionnels, donc les privent de ressources vitales.Dans la pratique, la presse américaine et africaine, notamment malienne, sont confrontées à  une menace réelle : les disparités salariales entre le public et le privé, entre l’institutionnel et l’informel. Selon des spécialistes des médias du Grady College, un journaliste américain touche en moyenne 32 000 dollars par an (près de 16 000 000 F CFA) dans les médias privés. Ce qui est en deçà  de ce que gagnent ceux qui ont les mêmes équivalences dans l’administration ou d’autres secteurs du privé. Cette situation fait que, une fois leurs diplômes en poches, beaucoup de jeunes journalistes se spécialisent en relations publiques, en communication institutionnelles voire dans la diplomatie qui sont mieux rémunérés. Une situation identique à  ce que nous connaissons depuis quelques années au Mali o๠des journalistes chevronnés abandonnent de plus en plus les sales de rédaction au profit des consultations en communication ou d’autres responsabilités dans des départements ministériels ou des organisations internationales. l’autre menace, souligne Dr Ann Hollifield (chef du Département de l’audiovisuel de l’école de journalisme à  Athens), «C’’est l’arrogance vis-à -vis du publiC’… Les journalistes sont entourés de gens qui ont des connaissances de leurs métiers, mais qu’ils rejettent comme experts. Dans ce métier, il est judicieux de traiter tous les citoyens comme des experts dans leurs domaines». Un défi que nous devons également relever en Afrique pour plus de crédibilité et surtout mieux nous rapprocher des réelles préoccupations de nos lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Et comme le si bien Jon Ralston, chroniqueur politique influent et respecté de la chaà®ne Canal 3 de Las Vegas, dans ce métier l’essentiel C’’est de croire en ce que l’on fait, d’avoir la passion et la rigueur morale de le faire. Et le plus important, C’’est de se réveiller avec la même passion tous les matins sans craindre de pouvoir se regarder dans un miroir !

Billet : le Mali multiple et divisible…

Tout le monde se l’approprie et entonne le refrain à  tout bout de champ. Les hommes politiques, les associations et autres regroupements manient la formule à  l’envi comme pour libérer le trop plein de patriotisme ou de chauvinisme. Histoire de défier peut-être les islamistes qui ont pignon sur rue dans les zones occupées. Même Toto dont la performance scolaire n’a pas dépassé le cap de la première année fondamentale a fini par mémoriser l’incantation et l’utilise correctement pour montrer qu’il a pu glaner quelques traà®tres mots de la langue de Molière pour en faire une phrase. Le citoyen lambda à  force d’ingurgiter les mêmes formules éculées en est tout simplement blasé. «Â La mayonnaise tarde à  prendre… » Seulement voilà , la mayonnaise tarde à  prendre. Le cantique a du mal à  produire des effets escomptés. Elle sonne creux, ses échos n’atteignent guère un lointain horizon. Les régions demeurent toujours dans le giron des bandits armés qui y imposent leurs pratiques antédiluviennes au grand des populations, réduites à  la résignation faute de sauveurs. Ironie de la formule, au lieu d’avoir le don de raffermir l’union entre les Maliens, elle semble les diviser. Dès le lendemain du putsch, cette division entre les hommes a commencé avant que celle territoriale n’intervienne à  la suite de l’invasion djihadiste. Depuis la division continue sur presque tous les dossiers : sur le coup d’Etat, la formation du gouvernement, sur l’arrivée des troupes militaires étrangères au Mali… et J’en oublie. Alors question, faut-il toujours continuer à  rabâcher  «Â le Mali un et indivisible » dans ces conditions ? En attendant de répondre à  cette question périlleuse, trouvons une formule par intérim à  l’image du président par intérim. Elle est simple mais pourrait donner des boutons à  ceux qui chérissent la première: Le Mali multiple et divisible.

Modibo Keita, le devoir de mémoire

« Un jour, le soldat qui lui apportait ses repas est venu précipitamment me voir pour dire que Modibo était tombé au pied de son lit. J’ai couru pour aller dans sa cellule. Il bavait. Je l’ai pris, J’ai dit au soldat : «Â aide moi! » . Nous l’avons couché dans son lit. J’ai pris une serviette pour essuyer la bave. Je lui ai posé la question : qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que tu as ? Il voulait parler, mais le son ne sortait pas. J’ai fait appeler l’infirmier-major et je lui ai posé la question : Modibo a-t-il été soigné ce matin ? » Ces en ces termes que l’ancien geôlier du président Modibo Keà¯ta, le capitaine Soungalo Samaké (en son temps commandant du Camp para de Djikoroni) témoigne dans son livre «Â Ma Vie de soldat » paru en 2007. En effet, C’’est un 16 mai 1977 que le premier président du Mali indépendant est décédé en détention dans des conditions jamais élucidées. De quoi est-il réellement mort ? 35 ans après, la question reste posée. Ni son médecin traitant, le Dr. Faran Samaké, encore moins son geôlier, n’a rien dit ce que l’histoire peut retenir comme circonstances de sa disparition. La famille du défunt président et une bonne partie de l’opinion nationale croient dur comme fer en la thèse de son assassinat par empoisonnement. Devoir de mémoire Alors qu’il pouvait fuir, Modibo Kéita s’est laissé prendre dignement le 19 novembre 1968 par la junte dirigée par le lieutenant Moussa Traoré, entre Koulikoro et Bamako de retour d’une tournée à  Mopti à  bord d’un bateau. Neuf ans plus tard, il est donc mort tout aussi stoà¯quement dans les geôles du Comité Malien Libération Nationale (CMLN). Si les dirigeants successifs ont été incapables de faire la justice autour de sa mort, les livres d’histoire nous apprennent que le régime de la soldatesque l’avait maintenu après le coup d’Etat dans des conditions de détention dignes des prisons de Guantanamo et d’Abu Ghraà¯b. Bravant ainsi les menaces de représailles, une foule indescriptible l’a accompagné le lendemain en sa dernière demeure au cimetière d’Hamdallaye o๠il repose pour l’Eternité. C’’est ici que les autorités maliennes, à  leur tête, le président par intérim Doincounda Traoré, ont déposé ce mercredi une gerbe de fleure sur sa tombe. Opposant au régime Moussa Traoré, le président Dioncounda retient de Modibo Keà¯ta un homme intègre, plein d’humanisme et de patriotisme. En ces moments difficiles de l’histoire de notre pays, de nombreux Maliens regrettent sa mort. Aujourd’hui, il faut le dire, la célébration de la mort de Modibo Keà¯ta doit sortir du seul cadre de dépôt de gerbe de fleurs. Son parcours, sa philosophie et ses convictions pour le Mali doivent être davantage enseignés dans nos écoles. Militant pour l’Afrique Grand de taille, cet instituteur modèle, sorti major de sa promotion à  l’Ecole normale William Ponty, en imposait tant dans le discours que dans les faits. Né le 4 juin 1915 à  Bamako, Modibo Kéita entre en 1931 au lycée Terrasson de Fougère de Bamako. En 1934, il entre à  l’Ecole normale supérieure de William Ponty, d’o๠il sort diplômé en 1936. Tout en enseignant, il milite aux côtés de Mamadou Konaté pour l’indépendance du Soudan français en particulier et la libération de tous les peuples sous le joug de la colonisation. Pour mieux affirmer son opposition à  la politique coloniale de la France, il fonde en 1943 la revue « l’oeil du Kénédougou » qui invite le peuple à  s’émanciper. Avant, en 1937, il est co-fondateur avec Ouezzin Coulibaly du Syndicat des enseignants d’Afrique occidentale française. Il est détenu en 1946 à  la prison de la santé à  Paris pour « sentiments anti-français » Au plan politique, Modibo Kéita est l’un des pères fondateurs du Rassemblement démocratique africain (RDA) en 1946. Il est élu député à  l’Assemblée nationale française en 1956 sous les couleurs de l’Union soudanaise RDA. Membre de plusieurs gouvernements français, il est élu maire de Bamako en 1956. Il sera le président de l’éphémère Fédération du Mali (Soudan français et Sénégal). Fierté nationale et source d’inspiration Après l’éclatement de la Fédération du Mali, il est proclamé président de la République du Mali le 22 septembre 1958. Ayant le C’œur à  gauche, il opte pour une économie de type socialiste. Il développe une coopération hardie avec les pays du bloc de l’Est, ce qui lui permet de fonder une économie basée sur l’effort national. Sous sa conduite sont créées plusieurs sociétés et entreprises d’Etat. On peut citer, entre autres, Air Mali (transport aérien), la Compagnie malienne de navigation (transport fluvial), la Compagnie malienne de transports routiers (CMTR), la SOCOMA, la COMATEX, la SEPOM (actuelle HUICOMA), la SONATAM, Mali-Lait, l’OPAM, la Régie des chemins de fer du Mali, etc. Bref des dizaines de sociétés qui jettent les bases de l’industrialisation et offrent de l’emploi aux Maliens de toutes les couches sociales. Il est surtout le bâtisseur de la monnaie nationale en juillet 1962. C’’est sur cette lancée qu’intervient le coup d’Etat du 19 novembre 1968. La libération nationale prônée par le lieutenant Moussa Traoré s’avère être un leurre. Elle se transforme très vite en liquidation nationale avec la disparition en une décennie de tout ce qui faisait la fierté des Maliens en termes d’acquis socio-économiques. Pis, les exactions reprochées au régime socialiste de Modibo Kéita s’exacerbent sous le règne du Comité militaire de libération nationale (CMLN) et sa version civile, l’UDPM. Puisse donc le patriotisme de Modibo Kéita inspire nos autorités en ces heures graves pour le Mali, divisé territorialement, socialement. Dors en paix Monsieur le président !