La crise au centre du Mali ou les larmes du Yamé

Il est aujourd’hui inutile de faire la genèse du conflit dans la région de Mopti ; par contre, il est utile que l’on se souvienne que le conflit s’est véritablement installé dans cette partie du Mali suite à des assassinats ciblés sur des personnalités connues et reconnues. Ce que les autorités ont considéré comme un incendie d’une chaumière se transforme inexorablement, au gré des évènements, en un inextinguible feu de brousse. Désormais, même les larmes du Yamé n’arrivent plus à contenir cette tragédie qui, si elle n’est pas circonscrite à temps, conduit à une catastrophe aux conséquences incalculables. Qu’est-ce qui arrive au peuple de Yambo Ouologuem ? d’Amadou Hampaté Bâ ? de Nagabanou Tembely ? Qu’est-ce qui arrive au patrimoine de l’UNESCO ? Qu’est-ce qui arrive à cette partie du Mali qui reste, je continue de le croire, un modèle vibrant de notre vivre-ensemble ?

« La première victime de la guerre, c’est la vérité », disait Kipling. Au Mali, nous avons évité de voir cette réalité en face pour nous contenter de considérer l’assassinat de Théodore Somboro comme un vulgaire fait divers. Que l’on se souvienne ! C’est à partir du macabre sort qui a été réservé à cette personnalité connue, reconnue et respectée du Pays Dogon que l’on a vu naître des milices dans le centre du pays. Non pas par soif de vengeance, mais pour empêcher que des hommes se réclamant de l’époque de l’Inquisition  ne viennent détruire ce que construisirent, des siècles entier, parfois au prix du sacrifice ultime, des générations entières de célébrités, d’humbles et d’anonymes. Ainsi, au lieu de chercher à éteindre le petit feu de paille, des intellectuels, des parlementaires, des manipulateurs professionnels, des sangsues et autres pêcheurs en eaux troubles ont pactisé, au su et au vu de tout le monde, avec le Diable pour tirer les ficelles de ce que les adeptes des raccourcis ont tôt fait de désigner par conflit ethnique. C’est la pire idiotie qu’il me soit donné d’entendre depuis que je suis sur cette terre des hommes.

Leurs sordides manœuvres rappellent une certaine Blitzkrieg expérimentée par les nazis au siècle dernier et, bien avant ces derniers, par un certain Samory Touré qui ne voulait laisser aucune possibilité aux colonnes du capitaine Gouraud de le marquer à la culotte.

Qu’il soit dit à haute et intelligible voix que les intellectuels et autres notabilités sur lesquels on pouvait logiquement compter ont été, pour l’essentiel, des traîtres à la cause du vivre ensemble et de la convivialité qui constituent le ciment de la nation malienne.

Les solutions à la petite semaine sorties de leurs cervelles de moineau sont pires que le problème qu’ils feignent de résoudre. La preuve, c’est qu’ils s’évertuent à éteindre un début d’incendie avec du kérosène, la main sur le cœur, comme pour proclamer urbi et orbi leur bonne foi.

Le Septentrion malien passe à la trappe ; le centre préoccupe puisqu’il constitue le dernier verrou avant le Sud. Avant Bamako. Il faut se secouer et comprendre, sans tarder, que « l’enfer a déjà ouvert ses portes, libérant les créatures les plus ignobles, les plus hideuses et les plus corrompues » qui n’auront de cesse de s’attaquer aux fondements de notre nation, ainsi que l’écrirait Carl Zuckmayer dans son injonction.

 

Les réseaux sociaux, la mauvaise communication, les fake news et autres prophéties de cassandre

 

Comme dirait Umberto Ecco : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles ».

Le communicologue que je suis serait malhonnête de nier le fabuleux apport des nouveaux médias à la société de l’information et du savoir. Toutefois, je m’interroge à haute voix : avons-nous bien approprié ces outils ? En faisons-nous le meilleur usage possible ?  Donnons-nous seulement la peine de regarder chez nos voisins pour copier les meilleures pratiques ? Il va sans dire que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », et dans un Mali en proie à un conflit asymétrique, les conséquences sont des plus désastreuses. Du jour au lendemain, nous avons vu pousser, comme des champignons, des experts dignes des professeurs de Harvard. Ils enseignent tout. Ils connaissent tout. Certains ont été invités à la table de Jésus et du prophète Mohammed (PSL). D’autres, dépositaires de la science infuse, ont décliné un rendez-vous avec Dieu le Père préoccupés qu’ils avaient à réaliser un Facebook live ou quelque autre prestation sur Whatsapp ou Instagram. Au bout du coup, leurs prestations qui étaient supposées compétiter aux Grammy Awards ne se réduisent qu’en une litanie de vulgaires injures, dénigrement, déni de la réalité et chapelet de haine et de peur.

Pendant que nous excellions dans l’autodénigrement, dans l’autoflagellation et dans l’autodestruction, les terroristes, eux, n’ont pas perdu du temps. Ils ont instauré dans nos différents terroirs si paisibles des khalifats qui distillent la terreur, la méfiance et la peur de l’autre. Ces bandits qui ne sont en réalité que des vestiges archéologiques sortis des sarcophages sans âge ne respectent qu’une seule loi, la leur : l’obscurantisme, la barbarie et le goût du sang des innocents.

En voilant nos faces pour ne pas voir la réalité et en nous terrant dans nos conforts égoïstes, nous nous sommes rendus complices d’une œuvre satanique de démolition de notre civilisation. Par la même occasion, nous avons amplifié l’audience des radios « mille collines » et journaux de l’époque de la ruée de l’or sur le nouveau continent où les caïds étaient « Wanted alive or dead ». Face à certains des idéologues de l’ombre de ce conflit de la bêtise, Goebbels le tribun et Hitler le manipulateur apparaissent comme de vulgaires apprentis sorciers qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez.

 

La théorie du complot, les stratégies terroristes, les irresponsabilités notoires…

 

Ceux-là que nous avons applaudis il y a peu comme de véritables sauveurs sont aujourd’hui hués. Le bouc émissaire idéal est tout trouvé. Des manifestations sont courantes pour désavouer la force Barkhane, les éléments de la MINUSMA ainsi que toutes les forces étrangères présentes au Mali qui cristallisent la colère et le courroux du citoyen. On en vient à plaindre tous ces couples qui ont gentiment prénommé leurs rejetons Damien Boiteux, François Hollande par respect pour leur sacrifice et par admiration pour leur sens de l’Etat. Je ne peux être suspecté de défendre quelque force étrangère sur le sol malien, mais en même temps, il m’est difficile de ne pas constater que, de plein gré, nous avons accepté de planter des tiges dans nos yeux. Aujourd’hui, je ne sais pas s’il faut en pleurer ou en rire mais nos autorités d’alors savaient pertinemment que dans un monde capitaliste, aucun pays n’engage son armée dans un autre pays pour des raisons humanitaires. Aucun chef d’Etat lucide ne peut accepter de sacrifier des femmes et des hommes pour sauver un pays fut-il menacé de disparition par une horde de djihadistes moyenâgeux. Qu’on se le tienne pour dit : les raisons de toute intervention sont d’abord et avant tout économiques. Quelques fois, nous sommes même obligés d’accepter la main tendue du diable pour souffler un peu en attendant la tornade. Au Mali, la mission salvatrice espérée nous a réveillés avec des bombes et des coups de canon. Non pas sur les terroristes seulement mais également sur des innocents qui n’ont rien demandé.

Quant à la force de l’ONU, nous ne pouvons pas cracher dessus mais de ma modeste mémoire d’homme, je ne connais pas deux pays au monde où les casques bleus ont pu assurer la protection des populations. Ces derniers ont toujours un sacré alibi pour regarder les populations se massacrer entre elles en arguant du fait qu’ils n’ont pas un mandat pour tirer sur des méchants or « pour un soldat qui se bat, la différence entre la réussite et l’échec, c’est sa capacité à s’adapter à son ennemi », affirme Sutherland.

Si cette dernière règle n’est pas respectée, tout le reste n’est qu’inflation sur les produits de premières nécessités accessibles seulement aux gros salariés. Avec toutes les forces présentes au Mali, même les prostituées ont augmenté leur tarif.

Et pour mieux comprendre l’intervention de toutes ces armées étrangères au Mali, il faut simplement recourir au « triangle dramatique » ou « triangle de Karpman ». Ce triangle est un « des jeux psychologiques » de manipulation de la communication. Comme explique son auteur dans son article Fairy Tales and Script Drama Analysis, ce jeu malsain met en évidence un scénario relationnel typique entre victime, persécuteur et sauveur. Mettant l’homme face à sa destinée pour mieux contrôler, la communication est perturbée lorsque les protagonistes adoptent ces rôles plutôt que d’exprimer leurs émotions et leurs idées.

 

Pour mieux expliquer, nous pouvons faire appel à certains auteurs à l’instar de Sandrine Gelin et Khuê-Linh Truong, André Moreau, Pierre Agnese et Jérôme Lefeuvre qui se sont penchés sur le sujet. Nous caricaturons ici leur enseignement selon les rôles de la victime, du sauveur et du persécuteur.

La victime attire le sauveur qui veut la sauver. C’est donc un rôle de choix pour attirer l’attention sur soi quand on sait bien en jouer. C’est un rôle qui appelle quelqu’un à être persécuteur, une attente qui sera remplie ou non par l’entourage. Le plus souvent, la victime a un problème de dépendance.

La position de la victime est « Pauvre de moi ! » La victime se sent victimisée, opprimée, impuissante, sans espoir, honteuse et semble incapable de prendre des décisions, de résoudre des problèmes, de prendre plaisir à la vie ou d’obtenir des idées. La victime, si elle n’est pas persécutée, cherchera un persécuteur et également un sauveur qui sauvera la journée, mais perpétuera également les sentiments négatifs de la victime.

 

Le sauveur a un rôle très gratifiant d’un point de vue narcissique mais qui place l’autre en incapacité. Il attend un persécuteur pour justifier son existence et une victime à sauver. L’entourage pourra suivre ou ne pas suivre dans cette pièce de théâtre.

La ligne du sauveur est « Laissez-moi vous aider ». Un facilitateur classique, le sauveur se sent coupable s’il / elle ne va pas à la rescousse. Cependant, son sauvetage a des effets négatifs : il garde la victime dépendante et donne à la victime la permission d’échouer. Les avantages découlant de ce rôle de sauvetage sont que l’attention du sauveur à lui-même est supprimée. Quand il / elle concentre son énergie sur quelqu’un d’autre, cela lui permet d’ignorer sa propre anxiété et ses problèmes. Ce rôle de sauvetage est également très important, car leur intérêt principal réside dans l’évitement de leurs propres problèmes déguisés en préoccupation pour les besoins de la victime.

Le persécuteur ou bourreau agit sur la victime. Si le persécuteur tente de nouer cette relation avec une potentielle victime, celle-ci pourra réagir différemment : adopter une position de victime ou ne pas se laisser faire.

Le persécuteur insiste : « Tout est de votre faute. » Le persécuteur contrôle, blâme, critique, oppressant, est en colère, fait preuve d’autorité, est rigide et supérieur.

Ces lignes dignes de célèbres psychothérapeutes peuvent expliquer la situation actuelle. Chacun peut considérer les autres acteurs comme il veut mais l’évidence est que le Mali est dans la position de la Victime. Et, c’est mortifère et absolument contre-productif d’autre plus que la victime semble ne pas réaliser son vrai statut et continue de faire comme si de rien n’était.

 

Le piège communautaire…

 

C’est la dernière trouvaille des bienpensants ; ils ont vite fait d’opposer Dogons et Peulhs ; Bambara et Peulhs ; Dogons, Bambara, Bozo et Peulhs…. Et que sais-je encore !comme si, du jour au lendemain, l’architecture civilisationnelle bâtie au fil des âges pouvait s’écrouler aussi facilement qu’un château de cartes. Les ennemis de notre peuple sont à l’œuvre ; il ne faut leur donner ni arguments ni minutions pour les conforter dans leur entreprise de destruction. Il nous faut puiser des ressources insoupçonnées enfouies en chacun de nous pour faire échec à leur basse manœuvre. Chacun de nous est Peulh, Dogon, Bozo, Bamabara, Sonrhaï, Touareg… et ce brassage est notre meilleur argument pour mettre en déroute les ennemis déclarés de notre pays. Secouons-nous un peu ; transcendons nos intérêts immédiats et pensons à notre pays et, en toute simplicité, les solutions sauterons à nos yeux. Quelle que soit l’issue de la crise au centre du Mali, elle interpellera notre capacité à gérer efficacement les conflits qui jalonneront la marche de l’Etat-Nation que nous sommes, que personne ne nous conteste mais que des entités malintentionnées voudraient voir mise à mal sur l’autel de leur sombre dessein. Plaise à Dieu, le Mali sera le cimetière des aventuriers !

 

Drissa KANAMBAYE,

Université Catholique de Louvain (Belgique)

Nord du Mali : La symbolique du turban

Dans nos sociétés africaines, les éléments culturels sont d’un ancrage intemporel. La culture et les traditions se transmettent de génération en génération avec des significations et des symboles à l’épreuve du temps. De même que les femmes ont chacune leur manière de se tresser les cheveux et de porter le voile, les hommes se parent en portant le turban.

De même que l’on reconnait un cowboy à son chapeau, on reconnait l’appartenance ethnique d’un homme à son turban. Au nord du Mali, les Touaregs (Kel tamacheq), les Songhays et les Peulhs le portent pour se protéger du soleil, du froid et des tempêtes de sable, très fréquentes dans la zone. Mais pas seulement.

Au-delà de son utilité pratique, le port du turban revêt un caractère symbolique plus ou moins identique chez ces différentes communautés. Chez les Kel tamacheq, il est un élément d’identité commun à toute la communauté. Le porter signifie avoir franchi une étape, indispensable même de nos jours pour acquérir le respect au sein de la société. C’est à l’âge de 18 ans généralement que le jeune Touareg est enturbanné pour la première fois, lors d’une cérémonie rituelle organisée souvent à son insu. Pour mériter sa place dans le cercle des adultes, il lui faudra démontrer ses qualités d’endurance face à la nature, sa dignité d’homme et sa capacité à tenir son rang.

Le chèche de couleur blanche, appelé Ashash, et l’indigo, appelé Alasho, dont les longueurs varient, sont les turbans les plus spéciaux. Le premier est porté en signe de respect et le second lors de l’intronisation d’un chef ou les jours des fête. Pour se marier il faut au préalable avoir été enturbanné.

Traditionnellement, l’homme ne quitte jamais son turban qui « recouvre les oreilles parce que l’homme ne doit pas prêter l’oreille à tout. Il recouvre aussi la bouche, pour que celui qui le porte ne dise pas n’importe quoi » décrypte un fin connaisseur de la culture touarègue. Dans cette société conservatrice, rester tête nue n’est pas digne d’un adulte.

Ces valeurs sont partagées par les Songhays, chez lesquels le turban est un héritage à sauvegarder et à transmettre avec fidélité. Dans les villages, malgré le vent secouant de la modernité, la coutume est conservée. « A Tombouctou, la cérémonie d’enturbanage est souvent associée à celle du mariage, pour des raisons économiques. Le marabout récite quelques versets du Coran sur le turban avant de le mettre sur la tête du jeune homme, qui accède de ce fait au cercle des adultes », raconte Mohamed Touré, une personnalité de Tombouctou elle-même jadis enturbannée de la sorte.

Chez les Peulhs, « un homme sans turban est un homme mal habillé », affirme M. Barry, un doyen de la communauté.  Sans exigence véritable sur l’âge, les jeunes bergers commencent à porter le turban dès 13 ou 14 ans. C’est au cours d’une cérémonie qu’on enturbane le jeune Peulh, qui sera ensuite appelé « Alpha » pour avoir appris le Coran par cœur.

 

Nampala : Attaque du camp militaire – 17 morts, 35 blessés

Mardi 19 juillet, tôt le matin, le principal camp militaire de Nampala a été attaqué par des hommes armés non identifiés. Selon les informations, « une épaisse fumée était visible au dessus du camp duquel on entendait toujours des coups de feu vers 09h00 (locale et GMT) » indique l’APF un élu de cette localité située à 514 km de la capitale Bamako.

Une source militaire a confirmée à l’AFP, l’attaque du camp militaire de Nampala mais il n’a pas donné  plus de détails. Et l’élu indique que les assaillants « ont actuellement le contrôle du camp, il y a des victimes mais on n’a pas encore le nombre exact ».

Selon nos informations, il y aurait 17 FAMA tués et 35 blessés.

Les assaillants sont arrivés à bord de « véhicules très équipés », pick-up et motos et ont attaqué le camp, pillant es équipements militaires, avant de mettre le feu et d’en occuper une partie, a ajouté un habitant.

L’armée malienne est parvenu à reprendre le contrôle du camp et de la ville dans la soirée. L’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité Peulh, créé le mois dernier par Oumar Al jannah, a revendiqué cette attaque suivi plus tard dans la soirée du groupe terroriste Ansar Dine.

Suite à cette attaque, le chef de l’Etat a convoqué en urgence un conseil restreint de défense, au palais de Koulouba, pour faire le point sur la situation et mettre en place « une réponse appropriée » et des moyens pour faire face à la menace. Le Premier ministre, Modibo Kéita, le ministre de la Défense, Tiéman Hubert Coulibaly, le ministre de la Sécurité intérieure, le général Salif Traoré, le ministre de l’Administration territoriale, Abdoulaye Idrissa Maiga, le ministre de l’Economie et des Finances, Boubou Cissé, le ministre de l’Economie numérique et de la Communication et Porte-parole du gouvernement, Me Mountaga Tall ainsi que les principaux chefs d’Etat-Major, étaient présents lors de ce conseil restreint de défense, premier du genre.

3 questions à Boukary Sangaré Anthropologue – Membre de Kisal

Que pensez-vous de la création d’un mouvement politico-armé pour défendre les Peuls ?

 Après avoir eu les perceptions de certains leaders communautaires du Centre et lu la déclaration de Tapital Pulaaku sur la création de l’ANSIPRJ, je pense que ce mouvement n’a aucune légitimité en milieu peul. Il est vrai que depuis l’annonce de l’existence du Front de libération du Macina en 2015, les Peuls ont été victimes d’exactions et l’État traîne des pieds pour rendre justice aux victimes, mais cela n’explique en rien la création d’un mouvement armé peul.

Faut-il craindre que les revendications politico-sociales se transforment en une ethnicisation, puis en morcellement du pays ?

 Oui cela est à craindre. Si tous les frustrés doivent créer leurs propres mouvements armés avec des revendications ethnicistes, l’existence du Mali en tant que nation serait mise en cause. Nous sommes un pays de dialogue et je pense que seuls le dialogue et la reconnaissance du tort pourraient mettre fin à ces multiples crises auxquelles nous faisons face.

Quelle gestion doit-on avoir de ce groupe armé pour éviter qu’il fasse des émules ?

 On doit se demander si le mouvement est légitime et représentatif des communautés victimes de la crise dans le Centre. Si oui, on peut décider de réparer le tort causé par le processus de sortie de crise en intégrant le Centre dans l’agenda de paix au Mali. Cela me semble capital pour le retour de la paix dans notre pays.

Association Kisal : défendre les Peuls autrement

Dans le « monde peul », des associations qui défendent cette communauté mettent en garde contre l’usage de la violence. L’association Kisal, 100% pacifiste et opposée à la création d’un mouvement politico-armé, propose une autre façon de mener le combat pour la justice, au nom des Peuls.

L’annonce pour le moins surprenante, le samedi 18 juin dernier, de la création du mouvement politico-armé Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ) en a laissés peu indifférents. Pour preuve, les réactions ou condamnations multiples qu’elle a suscitée, non seulement dans le microcosme politique, mais aussi chez ceux et celles qui vivent avec crainte les manifestations de repli identitaire. Elle a eu des résonances jusque dans le « monde peul » où, depuis, des associations de jeunes pour la plupart, qui ont jusqu’ici résisté aux appels du pied des entités politico-militaires comme la Plateforme et la Coordination des mouvements de l’Azawad, ont voulu réagir pour s’en démarquer. Parmi elles,  Natal, Pinal, Jeunesse Tabital Pulaaku et Kisal. Cette dernière association, dont le nom signifie en peul « l’aide, la surveillance », créée en novembre 2015, est la branche droits humains de l’association Tabital Pulaaku International, qui vise à donner une voix aux communautés d’origine nomade en Afrique de l’Ouest. Son président, Dougoukolo Alpha Oumar Konaré, psychologue clinicien, fait savoir d’emblée que son association est au courant des exactions à l’encontre des Peuls, « aussi bien de la part des militaires que des groupes armés, des djihadistes ou d’autres communautés. Il y a les meurtres, les vols de bétail, les arrestations ». 100% pacifistes, les membres de Kisal estiment que « la radicalisation ethnique peut s’ajouter aux dérives religieuses ». M. Konaré ajoute que la création d’un mouvement armé pour défendre les Peuls est « une mauvaise idée, dans les termes mentionnés par l’organisation concernant l’antagonisation de l’armée, parce qu’il y a déjà assez de problèmes ainsi ». Kisal entend surtout jouer un rôle d’intermédiaire et être un pont avec les institutions nationales et internationales. « Nous ne croyons pas au fait d’abandonner ceux qui prennent des décisions de ce type. Il faut toujours maintenir le dialogue. C’est aussi le rejet qui entérine la radicalisation (ethnique comme religieuse) », ajoute Dougoukolo Konaré, qui met en garde contre le fait que les services de sécurité maliens, déjà sur la défensive, profitent du climat actuel, on ne peut plus tendu, pour brutaliser les civils.

Centre du Mali : le péril peul

Le 18 juin dernier, à la veille de l’anniversaire de la signature de l’Accord de paix, un appel téléphonique à l’AFP, va mettre en ébullition les médias et les rédactions nationales. Un nouveau groupe armé ethnique, l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ), fort de 700 combattants, tous Peuls, est créé par un obscur tamasheq d’adoption peule, Oumar Aldjana. Ce groupe semble résulter de toutes les frustrations accumulées à travers les décennies par cette communauté, et qui se sont soldées, en mai dernier, par des dizaines de morts, dans le cercle de Tenenkou.

Au centre du Mali, la compétition autour des terres arables et des ressources génère chaque année des conflits récurrents, entre éleveurs et agriculteurs. « Ils saisissent les tribunaux, où les jugements s’éternisent, les problèmes au fil des années viennent s’accumuler, c’est un embouteillage de conflits non résolus », explique Amadou Modi Diall, président de l’association peule Dental Pulaaku. Ces conflits répétitifs, non solutionnés, génèrent une grande frustration de part et d’autre. « Ils se considèrent d’une certaine manière comme des citoyens de seconde zone », ajoute Bréma Ély Dicko, anthropologue-chercheur, à l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako.

Facteurs aggravants

Cette mauvaise gouvernance n’est pas l’unique facteur de révolte. La dégradation de l’environnement a rendu la vie des éleveurs difficile et beaucoup d’entre eux doivent nourrir leur famille mais aussi leur cheptel, là où la nature y pourvoyait auparavant. De plus, la plupart ne sont pas éduqués, mais tous ont été à l’école coranique et connaissent beaucoup plus la terminologie religieuse que les cours de l’école classique. « Le taux d’alphabétisation est faible, la démocratie, le civisme, les partis politiques, sont des notions éloignées là-bas. C’est un facteur de divergence et d’incompréhension », déplore Amadou Diall. Dans ce climat de frustration, il n’est pas étonnant que les prêches d’un prédicateur comme Hamadoun Kouffa, chef du Front de libération du Macina (FLM), séduise dans une communauté ou l’islam est un socle important. « Kouffa a été une sorte de guide, ils l’ont suivi car c’est le seul qu’ils aient entendu », indique encore Amadou Diall.

Entre djihadisme et banditisme 

Dans le cercle de Tenenkou, de Macina, de Niono, jusqu’en Mauritanie, opère une nébuleuse de groupuscules armés, qui profitent de la faible présence de l’État pour se venger sur tout ce qui le représente, le considérant comme une force d’oppression. « Kouffa est passé dans presque toutes les mosquées de tous les villages, c’est le « Haïdara du centre » !  Il fait ses prêches en peul, une langue parlée par tous dans la zone, bozos, bambaras ou dogons. Quand on parle de djihadistes peuls, ce ne sont donc pas forcément que des Peuls », explique Bréma Ely Dicko. Dans cette nébuleuse, on trouve des hommes du FLM, et une majorité de personnes frustrées ou lésées par trop d’injustice, qui ne cherchent pas forcément la radicalisation. «  Quand vous regardez, toutes les personnes qu’ils ont tuées sont des représentants de l’État. Ils n’ont pas tué des gens parce qu’ils ne priaient pas, ils n’ont pas été dans les églises pour les fermer », explique ce membre d’une association peule. Certains d’entre eux sont des anciens du MUJAO, qui suite au coup d’État ont dévalisé les garnisons, permettant aux populations de s’emparer des armes pour se défendre du racket, des voleurs, ou se faire justice. « Oumar Aldjanna parle de 700 combattants, mais dans ces zones, il est en effet facile d’en trouver 700, les gens étant armés et mécontents contre l’État », déclare ce gendarme sous anonymat.

Le cas Aldjannah

Le 18 juin, suite à l’annonce faite par Oumar Aldjanna, Amadou Diall a décroché son téléphone pour l’appeler : « je lui ai dit de stopper, de revenir, mais il n’a rien voulu entendre. Oumar était membre de notre association, il s’occupait de la communication. Il était là tous les jours. Sa démarche est une déviance par rapport à ce que nous prônons. Nous, nous voulons la paix », confie-t-il. D’origine touarègue de la tribu Daoussac du coté paternel et peul par sa mère, Oumar Aldjanna a grandi dans le Macina et a vécu les conflits fonciers entre transhumants et paysans. Pendant la crise, il se rebelle et entre au MNLA. À la fin du conflit, il passera quelque temps au camp de réfugiés de Mbéra en Mauritanie. De retour à Bamako, il s’engage dans le secteur associatif, pour les droits de sa communauté. « J’ai rarement vu une personne aussi engagée que lui. Au début, il ne voulait pas d’engagement armé. Jusqu’à l’attaque de Maleimana (3 mai 2016), son discours, c’était de faire quelque chose pour les Peuls », se souvient Bréma Ely Dicko.

Prime à la kalachnikov

Pour les gens qui l’ont bien connu, le basculement vers le combat armé n’est pas totalement une surprise. « Son action, c’est une façon de pousser l’État à s’intéresser à la question peule. Je ne pense pas qu’ils mettront leurs menaces à exécution. Ils sait qu’au Mali, il y a une « prime à la kalachnikov », ajoute un proche. Selon eux, prendre les armes, comme les autres mouvements, c’est un moyen de  trouver des interlocuteurs. « C’est l’opportunité d’intégrer le processus de DDR (Désarmement, démobilisation et réintégration). Il veut aussi s’y engouffrer car c’est un gâteau dans lequel chacun pourra avoir une part », résume Bréma Dicko.

Oumar Aldjanna confiait en début d’année regretter que les Peuls ne soient pas associés à l’Accord de paix et aux patrouilles mixtes. Pour lui, cela aurait été l’occasion de réparer les injustices. En attendant, c’est dans la clandestinité et le combat armé qu’il semble vouloir agir, même si la communauté qu’il défend ne lui reconnaît pas cette légitimité, lui qui n’est pas totalement peul. Néanmoins, si son mouvement n’est pour l’instant qu’une braise, elle se trouve dans un environnement, le centre du Mali, hautement inflammable. « On risque d’assister à une guerre asymétrique, qui visera les sous-préfets, les gendarmes, les fonctionnaires. Si l’État s’assume, le problème peut être résolu, avec plus de justice. Il faut situer les responsabilités, que les bourreaux puissent reconnaître leurs torts et quand ils feront ça, les victimes pourront pardonner au fil du temps. Car, il y a beaucoup d’Oumar Aldjana aujourd’hui, qu’on ne voit pas, qui ne parlent pas, mais qui n’attendent qu’une occasion pour rendre cette situation explosive », conclut Bréma Ely Dicko.

Bankass : Peuls et sédentaires fument le calumet de la paix

Dans le cercle de Bankass, un forum intercommunautaire qui a eu lieu lundi 06 juin, a permis de dégeler le climat entre les différentes communautés.

Le forum intercommunautaire a réuni plus de 300 personnes à Bankass (cercle de Mopti), où depuis septembre 2015, les Peuls et les communautés Bobo, Dogon, Dafing et Samogo nourrissent des rnacoeurs les uns envers les autres. Avec en toile de fond un climat de suspicion sur les liens supposés entre les Peuls et les djihadistes. Selon Allaye Guindo, maire RPM de Bankass, tout a commencé l’année dernière lorsque les communautés sédentaires ont accusé les Peuls d’héberger les djihadistes se réclamant du Front de Libération du Macina (FLM) d’Amadou Kouffa, sur les collines où ils font le pâturage, notamment pendant l’hivernage. Il n’y a pas eu d’affrontements entre les différentes communautés, mais, si l’on en croit le maire, un chef de village, un gendarme et un garde ont été tués.

Cette année encore, l’hivernage approchant, les Bobo dans le cercle de Tominian, les Dafing et Samogo ont fait part de leur inquiétude de voir les peuls hébergés les djihadistes sur les collines. De leur côté, les Peuls opposent un démenti catégorique. La rencontre du lundi 06 juin, entre les différentes communautés, avec la présence du ministre de la Réconciliation nationale, Zahabi Ould Sidi Mohamed, de celui du Sport Housseyni Amion Guindo (originaire de Bankass) et du représentant du ministère de l’Administration territoriale, visait surtout à ramener la paix et dégeler le climat dans les communes. Les différentes communautés ont accepté de vivre ensemble, et de dénoncer tout ce qui est suspect. Il a aussi été décidé de la création d’un comité dans chaque commune dont le rôle sera de recueillir les informations reçues des populations, avant de les faire remonter aux maires, préfets et gouverneurs.

 

Conflits communautaire : 3 questions à Ibrahim Maïga, chercheur à l’institut ISS Africa

Quelle est votre lecture des conflits dans la région de Mopti ?

Le prisme ethniciste peut être une dimension de ces conflits, mais à mon avis on est face à de vieilles rancœurs qui, avec la criminalité, se sont accentuées au fur et à mesure des expropriations ou des changements climatiques. Ces conflits sont plus violents aujourd’hui car on est dans une situation post-2012, où on peut se procurer très facilement des armes.

Les djihadistes sont-ils aussi un facteur déclencheur ?

La venue du Front de libération du Macina a contribué à exacerber les tensions entre les deux les communautés. Ce groupe djihadiste a une notion particulière du foncier et estime que la terre appartient à Dieu, et que le bétail peut passer partout. Il n’y a plus d’expropriation, plus d’interdiction. Une partie des populations adhère à ce discours parce que le FLM leur rend justice.

Quel est le poids de ces mouvements dans la zone ?

Il est difficile de faire la différence entre les actes de banditisme, de vengeance et les actes terroristes parce que les trois se chevauchent. Un collègue chercheur sur ce sujet parle de « coup d’état social », c’est-à-dire des gens qui, dans un certain contexte sont marginalisés, pensent que c’est le moment de prendre leur revanche. Il est facile de dire que c’est un acte terroriste alors qu’il s’agit peut-être d’un conflit entre chefs de village, entre deux communautés, etc

Conflits communautaires : Terre, eau, djihadisme et déni de justice

Depuis 3 mois, la tension et la paranoïa ont envahi le cercle de Ténenkou opposant deux de ses principales communautés, les Peuls et les Bambaras, dans des conflits sanglants où les réflexes communautaires prennent le dessus, nourris par des rancunes anciennes. Les attaques qui succèdent aux représailles ont occasionné une trentaine de morts. Ces évènements tragiques ne sont pas inédits dans la région, mais la nouveauté réside dans leur proportion et leur degré de violence. Et cela a de quoi inquiéter.

Les médias se font faits écho de ces conflits sous l’angle ethnique. Pourtant, ces communautés vivent ensemble depuis des décennies. «  Il faut faire très attention en parlant de confrontation Peuls-Bambaras. Dans cette zone toute personne qui pratique l’agriculture est assimilée aux Bambaras. Dans les faits ils peuvent être Bozos, Dogons, ou Sénoufos, mais du moment qu’ils pratiquent l’agriculture, on les appelle Bambaras. Faire cette opposition, c’est voir ces évènements seulement d’un point de vue ethnique », explique Naffet Keïta, anthropologue. Dans la région de Mopti, ou la terre et l’eau sont des ressources précieuses, ces conflits souvent très meurtriers ont toujours eu lieu entre agriculteurs, éleveurs et pêcheurs. Il suffit parfois d’une victime pour qu’un conflit interpersonnel dégénère en conflit communautaire.

Un conflit ancien pour la terre et l’eau

Dans la région de Mopti, dont l’activité agricole, pastorale et piscicole est le moteur socio-économique, les tensions et les compétitions autour des ressources naturelles sont fréquentes. Le delta intérieur du fleuve Niger, qui fait vivre plus d’un million de personnes, est exploités tour à tour par les pêcheurs, les éleveurs et les agriculteurs pour en consommer et exporter les ressources. Des conflits pour la terre et l’eau peuvent subvenir si cette chaîne est enrayée par l’un des exploitants.

Dans ces zones, le droit coutumier s’oppose souvent au droit moderne, créant des désaccords qui peuvent se transformer en conflits violents. L’absence de lois écrites en la matière permet à certains de tourner le sens des coutumes, de les interpréter seulement dans le sens de leurs intérêts. Ces conflits naissent souvent entre le propriétaire d’une portion de terre (le dioro en langue peule) et son locataire (souvent éleveur) au sujet du paiement des redevances. « Pour chaque tête de bœuf qui rentre dans les pâturages, l’éleveur doit payer une somme au dioro. D’abord symbolique, cette redevance s’est instituée. Les prix peuvent fluctuer fortement », explique cet habitant de la commune de Dioura. Dépassement des limites d’un terrain, occupation non autorisée d’une parcelle, transformation d’un pâturage en champ, refus du droit de passage des animaux, dégâts des champs, revendication de propriétés coutumières, autant de conflits qui opposent éleveurs aux agriculteurs et qui viennent s’amasser en dossier dans les tribunaux. Le manque de justice, la corruption, ou les abus fréquents commis par les forces de sécurité souvent à la solde des dioros, ont cristallisé les rancœurs. « Sur le terrain, les communautés pensent que ce sont les représentants de l’État qui exacerbent les conflits. Un contentieux qui a éclaté depuis quelques années peut se retrouver toujours non traité au niveau du tribunal. Chaque année, les juges appellent les partis et chacun vient avec des millions pour pouvoir gagner. Donc ces conflits ne sont pas tranchés et sont une manne financière pour certains au niveau de la justice ou la gendarmerie. Mais les rancunes, elles, s’accumulent », explique Naffet Keïta.

Beaucoup, désabusés par l’administration et les forces de sécurité, face à l’injustice et aux abus, peuvent être séduits par les thèses islamistes. « Les djihadistes ne sont pas considérés comme des fous par tout le monde dans la région de Mopti. Les gens, de façon très informelle, vous disent qu’ils en connaissent, qu’ils disent la vérité. Ils passent en quelque sorte pour des apôtres d’une certaine justice sociale qu’ils basent sur l’Islam. Les gens qui sont en souffrance pensent dans ce cas qu’ils peuvent apporter une certaine réponse », explique Ibrahim Maïga, chercheur à l’institut ISS Africa.

Djihadistes, bandits et compagnie

Le mouvement djihadiste qui fait parler le plus de lui dans la région est le Front de libération du Macina (FLM) du prédicateur Amadou Kouffa, qui a obtenu une certaine audience nationale au moment où le Haut Conseil islamique s’était ligué contre le Code de la famille en 2009 et lors de la prise de Konna. Avec la création d’Ansar Dine, il a tissé des liens avec Iyad Ag Ghaly. Pour les services maliens, la menace des « gens du Macina » est à tempérer. « Ce n’est pas une katiba en tant que telle, ce sont des petits talibés qui vont au gré de leurs intérêts, ils ne sont pas structurés militairement contrairement aux autres katibas djihadistes ». La région où le FLM opère est fortement islamisée depuis le règne théocratique de Sékou Amadou, le fondateur de l’Empire du Macina. On y trouve nombre de médersas et d’écoles coraniques. Tous les évènements de la vie sociale sont liés aux préceptes religieux. Dans ce contexte, la volonté d’Amadou Kouffa d’imposer sa vision de la religion semble difficile, car son interprétation du Coran n’est pas plus légitime que celle de ceux qui habitent la zone. Mais leurs trafics d’armes contribuent à en accentuer la prolifération, « ce qui permet de donner plus de relief aux conflits intercommunautaires », ajoute Naffet Keïta.

Avec la crise de 2012, les activités génératrices de revenus ont diminué et nombre de gens se sont essayés au banditisme, profitant de l’absence des forces de sécurité. Conséquence, chaque village à son propre groupe d’autodéfense, organisé par les grandes familles locales. « Ce sont les jeunes d’une communauté qui se rassemblent de façon spontanée, pour la plupart des anciens mercenaires ou de la police islamique. À la fin de la guerre, ils sont revenus, n’ont pas été réinsérés, et se sont donc lancés dans la criminalité et le banditisme », explique le commandant Modibo Namane Traoré. Pour les services maliens, cette situation est jugée très préoccupante : « il faudrait les intégrer dans les forces armées, car ils sont sans travail et désœuvrés. Leurs cheptels ont été décimés ou sont morts de faim ou de soif, ils n’ont plus rien », ajoute une source membre des forces de sécurité.

Aujourd’hui, contrôler ces conflits intercommunautaires entre nomades et sédentaires  semble complexe, dans ces vastes zones ou l’absence d’État laisse libre cours aux règlements de comptes, au banditisme et au djihadisme.

Forum de la paix et de la réconciliation à Nampala

Pour tenter de mettre un terme à ces affrontements récurrents, une mission gouvernementale s’est rendue dans la région de Mopti et a pris contact avec les communautés concernées et les autorités locales. Après de nombreux échanges, elle a obtenu l’adhésion des communautés bambara et peule à la paix et la réconciliation. Sous l’initiative de la commune de Karéri, un forum se tiendra les 20 et 21 mai dans la ville de Nampala, dont 80 % des victimes peuls sont issues, pour sceller la paix. 400 personnes y sont attendues, dont le ministre de la Réconciliation nationale, et les autorités et élus locaux. La signature d’un accord entre l’État et les communautés, qui pourrait faire l’objet de sanctions s’il n’était pas respecté, est l’objectif visé. Le ministre de la Défense, Hubert Tiéman Coulibaly, a décidé l’envoi prochain d’un détachement de l’armée dans la zone, pour protéger les populations. Pour Naffet Keïta, le problème des conflits communautaires dans la région de Mopti ne pourra cependant pas être réglé complètement ainsi. « Ce problème aurait dû être réglé depuis la dernière conférence des bourgoutières (zones inondables – ndlr). On pouvait s’attendre à ces évènements. Tant qu’on ne videra pas les différents contentieux au niveau des tribunaux et au niveau des gendarmeries, ça repartira. Il faut que les cas soient jugés pour établir qui a raison et qui a tort et que l’État accompagne les différentes communautés dans la modernisation de leurs gestions de l’espace ressource ».

Karéri : conflits sanglants entre peuls et bambaras

Samedi et dimanche derniers, dans la ville de Karéri située dans le cercle de Ténenkou dans la région de Mopti, des affrontements sanglants entre peuls et bambaras ont eu lieu. Dans cette ville d’un peu moins de 30 000 habitants les affrontements entre ces deux ethnies semblent se multiplier et la situation est très préoccupante. Selon nos informations, 2 Bambaras auraient été tués, dont le troisième adjoint au maire de la ville de Karéri, retrouvé énucléé et éventré. En représailles, des Bambaras ont pris les armes et ont tué 6 Peuls samedi 30 mai et en ont abattus 16 dimanche 1er mai, portant le nombre des victimes peules à  22. Ces affrontements qui interviennent une semaine après le cri du responsable d’une association peule dénonçant la mort de plus de 15 de ses membres accusés d’être des djihadistes, ne sont pas nouveau dans la zone. « il y a à  peu près 3 mois, des Peuls ont tué un Bambara chez lui à  domicile et ils ont tirés sur d’autres dans leurs familles qui ont pu s’échapper, suite à  toutes ces attaques par les peuls, les bamabaras ont répliqué. à‡a fait environ 1 an que ces conflits ont commencé à  apparaitre», explique Mamadou Sory Coulibaly, maire Bambara de la ville de Karéri, qui en trois mandats n’a jamais vu ça. Plusieurs cas d’attaques perpétrées par des peuls en avril ont décidé les Bambaras à  se constituer en milice. Depuis ces exactions, les peuls de Kareri ont déserté la commune, certains se sont réfugiés en forêt. La sécurité dans la zone n’est pas vraiment assurée et depuis ces événements l’armée effectue quelques patrouilles. « Ce vide est exploité par les assaillants ! il faut obligatoirement la présence de l’armée à  Dioura (chef-lieu de la commune de Karéri – NDLR). Ces faits se déroulent à  l’intérieur de la commune. Une fois que l’armée s’installera ces exactions prendront fin », assène un résident. Selon la communauté Bambara, ces peuls seraient des djihadistes appartenant au front de libération du Macina, groupe terroriste qui sévit dans la région. Pour Mamadou Coulibaly, ce n’est pas si sûr, « Les djihadistes du Macina existent mais ceux-là  ont tué mon troisième adjoint mais non pas touché la personne qui l’accompagnait. Ils savaient que c’était un adjoint au maire. Ils ont emporté son fusil et sa moto qui n’avait pas 15 jours », la piste du banditisme lui semble la plus probable. Des témoins de l’attaque ont rapporté que les assaillants parlaient la langue peule. La majorité de la population à  Karéri et Dioura est d’origine Bambara, de même à  Koroguiri et Maleimana, deux localités o๠récemment une milice bambara s’en est pris à  des peuls. « J’ai quitté Maleimana hier soir pour sensibiliser les gens. Il faut qu’ils déposent les armes, il faut que peuls et Bambara s’assoient pour discuter, les armes ne règlent rien », conclut le maire de Karéri. Les informations sur ces exactions ont été remontées aux plus hautes autorités et les populations attendent l’arrivée de l’armée avec impatience pour que la situation soit enfin sous contrôle.