Mahamadou Savadogo : « L’État est en partie responsable de ce qui est arrivé »

Spécialiste de l’extrémisme violent et de la radicalisation au Sahel, Mahamadou Savadogo est chercheur au Centre de recherche action pour le développement et la démocratie (CRADD) .

Quelle analyse faites-vous de l’attaque d’Ogossagou ?

Cette attaque vient une fois de plus rappeler que le tissu social est  vraiment très fragile et prêt à s’effriter à tout moment. La violence avec laquelle elle a été perpétrée nous laisse sans voix et perplexe. Je pense, suivant l’actualité du Mali, que les « Dogons » avaient presque prévenu de l’imminence d’une attaque, parce qu’une milice avait annoncé reprendre ses patrouilles de sécurisation dans la zone avant la saison des pluies. Il y a eu une négligence de l’État malien, qui a laissé les « Dogons » perpétrer de tels meurtres alors qu’il y en a eu d’autres auparavant sans qu’il n’y ait de sanctions. Ils se sont donné le droit  de se faire justice eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils concurrencent l’État dans le monopole de la violence physique légitime. Ce monopole, dans un État de droit, ne saurait être partagé ou remis à qui que ce soit. Donc l’État est en partie responsable de ce qui est arrivé.

Que pensez-vous des mesures apportées juste après par le gouvernement ?

Ce sont des mesures qui viennent un peu tard. À mon avis, il y avait un détachement de l’armée qui n’était pas loin du lieu de l’attaque. Malgré cela, les présumés auteurs, désignés comme étant des Dogons, ne sont jusque-là pas arrêtés et continuent de circuler dans la nature. Ce n’est pas en limogeant une partie de la hiérarchie militaire ou en dissolvant une milice que le  problème sera résolu. Peut-être que le gouvernement cherche juste à éteindre le feu, parce que la colère des gens a atteint son paroxysme. Maintenant, quelle va être la suite ? Est-ce que l’État malien va engager des poursuites contre cette milice ou même contre les gens qu’il a démis, parce que cela veut dire que ceux-ci n’ont pas fait leur travail.

Comment expliquer cet engrenage de violence ?

L’État a négligé la situation. D’une chose l’autre : ou bien il se sert de cette milice ou bien il a été négligent dans cette affaire. Parce que, comme je le dis, le monopole de la violence physique légitime ne peut être partagé avec qui que ce soit. Donc, si une fois ou deux il y a eu des violences menées par une milice ou un groupe, l’État devait prendre des mesures bien avant, même de dissolution. Cela n’a pas été fait. Maintenant, l’État doit en tirer les conséquences et assumer ce drame-là.

Est-ce une bonne idée, cette dissolution ?

Pour moi, elle n’est pas la solution. Il fallait plutôt mener des enquêtes et savoir ce qui peut pousser des Maliens à s’en prendre à d’autres Maliens à ce point. Ensuite procéder tranquillement à la dissolution de cette milice et de bien d’autres avant que cela ne dégénère. En supprimant cette milice, il y a des complices et des auteurs qui vont disparaitre dans la nature. Puisque Dana Ambassagou n’existe plus, on ne peut plus designer des auteurs en son sein. Cela veut dire qu’on prône en même temps l’impunité, parce qu’en supprimant la milice les responsabilités n’ont pas été situées. En plus, elle peut tout de suite grossir les rangs des groupes extrémistes en se disant : puisque l’État ne veut plus de nous, on va les rejoindre. Ce qui ne serait pas une bonne chose pour le Mali, vu leur nombre et leurs armes.

Décririez-vous cette situation comme  un conflit intercommunautaire ?

Pour moi c’est un conflit intercommunautaire qui ne date pas de maintenant. À l’approche des élections passées nous avons vu une exacerbation de la violence entre ces deux communautés. L’État n’a jamais tranché concernant les exactions commises. C’est un conflit qu’il va falloir résoudre. La dissolution de cette milice ne résout pas le problème, elle l’aggrave.

Faut-il craindre une guerre civile ?

Si cette mauvaise posture de l’État est reprise par les groupes terroristes, on risque d’en arriver là, malheureusement. Parce que si les Peuls décident de s’en prendre aux Dogons, il y aura un risque s’il n’y a pas de force d’interposition entre les deux communautés.

Le point de non-retour a-t-il été atteint ?

Il y a toujours quelque chose à faire. Il faut que les deux communautés s’asseyent, sur le même pied d’égalité, et discutent. La meilleure solution serait d’organiser des assises nationales et de convoquer ces communautés afin qu’elles discutent face à face et trouvent des solutions, parce qu’elles sont condamnées à vivre ensemble sur le même territoire. Et même au-delà du territoire malien, parce qu’il y a des ramifications au niveau du Burkina.

Comment voyez-vous cette situation évoluer ?

Je vois déjà une récupération qui pourrait être faite par les groupes terroristes. Déjà, Amadou Koufa avait sonné la révolte des Peuls, étant donné qu’au Mali et au Burkina,  les Peuls sont des victimes, comme au Togo, au Bénin, au Ghana. On leur donne ainsi l’occasion de voir des gens se rallier à leur cause. Manifestement, on voit qu’une communauté est persécutée et qu’aucun État ne réagit de manière forte. C’est la première conséquence. La deuxième, c’est l’effritement du tissu social, parce que les autres communautés pourraient commencer à s’armer en prévision d’éventuelles agressions. Il y a un climat de méfiance et de suspicion qui va  s’installer. Il aura des conséquences sur toute la sous-région si le problème n’est pas pleinement résolu.

Centre du Mali : Après la reconnaissance des exactions, quelles actions ?

Pour la première fois depuis le début des opérations  anti-terroristes de l’armée dans le centre du pays, il y a trois ans, un ministre de la Défense admet l’implication de militaires dans des exactions contre des civils. 25 Peuls arrêtés  par les FAMAs à Nantaka et Kobaka, dans la région de Mopti, le 13 juin,  auraient été exécutés. Une enquête a été ouverte. Qu’y aura-t-il après ?

25 morts. C’est le  nombre de civils peuls  découverts dans trois fosses communes à Nantaka et Kobaka, le 15 juin, dans la région de Mopti. Les premières allégations des associations peules Tabital Pulaaku et Kisal ont vite attiré l’attention. Le ministre de la Défense a, dans un premier temps, nié toute implication des forces armées maliennes, avant de se raviser. Si cette tragédie est au devant de la scène aujourd’hui, d’autres accusations et enquêtes sont restées jusque-là sans suite.

Que s’est-il passé ?

« En réalité, le 13 juin, l’armée a traversé le fleuve à partir de Mopti. Quelques véhicules et des camions. Ils ont encerclé le village de Nantaka, qui est dans le même secteur que Kobaka. Ils ont fait du porte à porte et arrêté tous les hommes, avant de les transporter dans leur base, non loin de là », raconte Abdarahmane Diallo, Secrétaire administratif de l’association peule Tabital Pulaaku. Il dénonce  ce qu’il qualifie de « tentative d’épuration ethnique » et non de lutte contre le terrorisme.  « Quand ils sont  arrivés  à leur base, les hommes des autres ethnies : Sonrhai, Tamacheq, Bozo, ont été libérés, mais ils ont gardé au moins 25 Peuls. Le lendemain de la fête, le vendredi, ils les ont exécutés et enterrés à la va vite dans une petite forêt, dans trois fosses », accuse-t-il.

Les habitants d’un hameau à proximité, ayant entendu des  coups  de feu, se sont rendus sur les lieux et ont découvert trois  fosses contenant respectivement 13, 7 et  5 corps. « Au moment où je vous parle, l’armée s’en prend à tout Peul dans le centre. Que ce soit dans le Delta, à Koro ou à Douentza, c’est exactement la même chose. On ne cherche même pas à savoir ce que vous avez fait », s’indigne Abdarahmane Diallo.

L’envoi par le ministre de la Défense d’une mission conduite par le chef d’État-major général des Armées a abouti à un communiqué, le 19 juin, qui confirme « l’existence de fosses communes impliquant certains personnels FAMAs dans des violations graves ayant occasionné la mort d’hommes à Nantaka et Kobaka, dans la région de Mopti ». Tiena Coulibay instruit en même temps au Procureur militaire d’ouvrir une enquête et « réitère sa détermination et sa ferme volonté à lutter contre l’impunité », engageant les FAMAs au strict respect des Droits de l’Homme.

Flambée de réactions

Les réactions des organisations de droits de l’homme et de la communauté internationale n’ont pas tardé. Deux jours après, le Canada, les États-Unis et l’Union Européenne ont exprimé leur profonde inquiétude face à ces « exécutions extrajudiciaires ». « Les États Unis restent profondément préoccupés par la détérioration de la situation au Mali et dans la région du Sahel », indique le communiqué du Département d’État. Quant à l’Union Européenne, elle « salue l’ouverture de l’enquête judiciaire et  l’engagement des autorités maliennes, au plus haut niveau, à lutter contre l’impunité ».  La MINUSMA a, lors de son point de presse du 21 juin, informé « d’une enquête spéciale ». Le 26 juin, la mission des Nations Unies a rendu publiques les conclusions de l’enquête lancée après  la mort de civils à la foire de Boulkessy, le 19 mai, et souligné que « des éléments du bataillon malien de la Force conjointe du G5 Sahel ont sommairement et/ou arbitrairement exécuté 12 civils au marché de bétail de Boulkessy ». L’expert indépendant de l’ONU sur la situation de droits de l’homme au Mali, Alioune Tine, est arrivé à Bamako et doit se rendre au centre du pays.

« C’est un grand pas. Nous espérons qu’il y aura des sanctions contre les auteurs de ces crimes… Avec les réactions de la communauté internationale nous espérons une suite », se réjouit Hamadoun Dicko, Président de la jeunesse de Tabital Pulaaku. Selon lui, les pressions ont été déterminantes, mais il dit craindre d’autres abus vers Diafarabé, où « les femmes n’osent même plus chercher du bois ».

Dans un environnement où sévissent éléments terroristes et dissensions communautaires, « prudence est mère de sureté ». C’est ce que pense Me Moctar Mariko, Président de l’Association malienne des droits de l’homme. « Il y a de fortes  présomptions contre l’armée malienne. Nous avons recueilli des déclarations, mais il faut rester très prudents et attendre que les enquêtes annoncées soient effectives ».

L’omniprésence ces derniers mois de la « question peule », les accusations d’exactions et les conflits avec les Dozos dans le centre alertent au plus haut niveau. Pour le leader de la jeunesse de Tabital Pulaaku, les autorités doivent envisager dans l’urgence une solution, faute de quoi le pire est à craindre. « S’ils continuent comme ça, beaucoup vont se dire : mieux vaut être djihadiste, pour avoir une arme », prévient-il. Le ressentiment se nourrit de la collusion supposée entre FAMAs et Dozos. Le 23 juin, des chasseurs (Dozos) attaquent le village de Koumaga, dans le cercle de Djenné. 16 morts sont recensés, selon le gouvernement, alors que des responsables de Tabital Pulaaku parlent d’une cinquantaine.

Des cas dans le silence

Selon Corinne Dufka, directrice adjointe de Human Rights Watch pour l’Afrique de l’Ouest, dans un article du Monde publié le 20 juin, « depuis 2017, plus de sept fosses communes contentant les corps d’une soixantaine d’hommes qui auraient été  tués par l’armée malienne au cours d’opérations antiterroristes » ont été documentées. « Mais aucune de ces révélations n’a abouti en justice », déplore-t-elle.  

A Douentza, selon un animateur d’une radio locale, le 9 juin, un véhicule militaire venu en renfort à Boni saute sur une mine. Trois bergers étaient à proximité. Ils auraient été tués. « L’un était un conseiller du hameau de Dalla. Quand le  maire a appris sa mort, il en a été attristé. Si mon parent est tué comme ça et que je vois des gens mal intentionnés, est-ce que je les signalerai aux militaires ? Non ! C’est ça qui aggrave la situation », témoigne-t-il. Selon un rapport de l’organisation International Alert sur le Sahel, publié le 27 juin, « l’expérience ou la perception d’abus commis par les autorités gouvernementales, souvent en toute impunité, a engendré des frustrations dont profitent les extrémistes violents ».

Le sentiment d’abandon de l’État et les violences infligées par les terroristes  finissent par se  traduire en  interrogations. « Pourquoi ils ne se sont pas occupés de nous pendant trois ans ? Mon père, chef de village de Dogo,  a été tué en 2015 par ces terroristes. Combien d’imams, des chefs de villages, ont été exécutés sans que nous entendions le gouvernement ou Tabital condamner ? », se plaint Issa Dicko, natif de Youwarou. « A chaque fois que l’armée arrête des terroristes, les gens font de cela un scandale, mais qui a une seule fois condamné les tueries de ces terroristes ? », ajoute-t-il, estimant que tout ce qui se passe vise « à nous détourner du problème du Nord ». Pour Madame Diarra Tata Maiga, Présidente de la société civile de Mopti et de l’ONG ODI Sahel, « la situation dans le centre est triste. Nos véhicules sont garés, les gens sont en train de mourir, mais à Bamako on nous parle d’élection ».

Que faire ?

« Il faut éviter l’amalgame, sensibiliser, pour que la confiance renaisse. Un miliaire doit sécuriser tout le monde », préconise Hamadoun Dicko. La formation sur les droits humanitaires doit être accentuée. « Il faut renforcer la capacité des militaires maliens. Tous n’ont pas encore compris qu’il y a une ligne rouge à ne jamais franchir », précise Me Moctar Mariko.

En attendant les conclusions de l’enquête sur  ces fosses communes,  le sujet reste sensible en cette veille de l’élection présidentielle. Cette rarissime reconnaissance   suffira-t-elle à calmer les tensions ?  

Pr Ali Nouhoum Diallo : « Si j’avais 16 ou 17 ans aujourd’hui, je prendrai les armes »

Crise dans le Centre du Mali, ruche bourdonnante et situation actuelle du pays.  Fidèle à ses principes et sans langue de bois, l’ancien Président de l’Assemblée nationale, figure tutélaire du mouvement démocratique et de la communauté peule, le Pr Ali Nouhoum Diallo, dit tout.

Quelle analyse faites-vous de la crise qui sévit au Centre du Mali ?

Je me suis toujours posé la question de savoir ce qu’est le Centre du Mali ? À quelles fins a-t-il été inventé ? J’ai pensé que ceux qui nous gèrent aujourd’hui, car notre pays est sous tutelle, veulent probablement que le Mali devienne une République fédérale. Pour cela, il faut des États. Il y a les irrédentistes, qui ont délimité une portion de notre territoire et l’ont appelée Azawad. Cette République fédérale ne saurait être composée que du Mali et de l’Azawad, comme fonctionne le Cameroun, alors il fallait en trouver un troisième. Les concepteurs du Centre inventent donc le Front de libération du Macina. Amadou Kouffa s’est toujours défendu d’en être l’initiateur, car il ne veut pas « libérer » une portion quelconque du pays, il veut que tout le Mali soit une République islamique. C’est une katiba qu’il dirige, rien d’autre. Ceux qui voulaient un troisième État souhaitaient la mobilisation des ressortissants de l’ancien empire peul du Macina, afin qu’eux aussi revendiquent leur Azawad. J’en étais à cette vision théorique quand un jour un chercheur français de International Crisis Group est venu me voir. Il m’a confié que des militaires français, des Saint-cyriens, disaient que le plus grand danger qui menaçait l’Afrique de l’Ouest dans les années à venir était le djihadisme peul. Les Peuls ne peuvent pas nier que les États qu’ils ont construits étaient islamiques. Me fondant sur le peu que je connais de ces États, je prédis pourtant qu’il n’y aura jamais de radicalisation des peuls. Cela m’étonnerait que l’ensemble des Peuls adhère au djihadisme et qu’il réclame un État, car ils sont un peu partout au Mali.

Nous avons aussi reçu, en tant qu’association ADEMA, le chargé de la division politique de la MINUSMA. Nous pensions qu’il voulait nous parler de la crise multidimensionnelle, mais non. Il était là parce qu’à la MINUSMA ils sont convaincus qu’on ne peut la résoudre sans prendre en compte sa « dimension peule ». Nous étions ahuris. Je lui ai répondu qu’il n’était pas à la bonne adresse. Succinctement, il nous dit que les Ifoghas avaient leur mouvement politique, leur groupe armé. Il en est de même des Arabes du MAA, et c’est également pareil pour les Imghads. Ils ont du mal, à la MINUSMA, à croire que les Peuls ne font rien, ou alors ils cachent ce qu’ils font réellement. Il est revenu me voir et j’avais convié des cadres peuls à la rencontre. L’envoyé de la MINUSMA a tenu les mêmes propos. Nous nous sommes concertés, avons rédigé un mémo et ne sommes plus jamais retournés à la MINUSMA. Nous avions compris la gravité des projets qu’on nourrissait pour le Mali, vouloir coûte que coûte que les Peuls aient une armée, un groupe politique. Nous avons jugé nécessaire de rendre compte au gouvernement, avons été reçus par le Premier ministre Modibo Kéita et lui avons notifié par écrit nos craintes. Nous avons également écrit à toutes les institutions du pays en demandant audience. Seuls les Présidents du Conseil économique, social et culturel et de l’Assemblée nationale nous ont reçus. Pour le reste, pas de réponse, silence total. Nous avons pu mesurer la délicatesse de la question.

Beaucoup de Peuls accusent l’État de vouloir les exterminer en ne désarmant pas les Dozos. Partagez-vous ce sentiment ?

Je suis profondément convaincu que si l’État ne joue pas son rôle on ne pourra pas mettre fin à la crise. C’est fort de cela que j’ai interpellé à travers la presse le Président IBK et son Premier ministre Boubèye Maiga afin qu’ils impliquent les forces de défense et de sécurité du pays pour que les massacres intercommunautaires cessent. S’ils ne le font pas, les honnêtes gens vont penser que ce sont eux-mêmes qui initient le phénomène des Dozos pour résoudre la crise du djihadisme au Mali, dont ils ne sont pas les initiateurs mais qu’ils ne peuvent pas maitriser. Dans ce cas, les gens penseront qu’ils ne contrôlent plus rien et nous irons au-devant d’une guerre civile. Quand des Peuls voient des Dozos circuler à moto avec leurs armes alors que cela a été interdit dans toute la cinquième région, quand ils voient le Président de la République, au motif de journées culturelles recevoir les Dozos, et que, par malheur, l’un de ses chargés de mission déclare à la télévision que les Dozos sont une formidable force d’appoint dans la lutte contre les djihadistes, quand vous savez que les Peuls se disent que ce sont eux maintenant que ce mot désigne, vous comprendrez que les Peuls finissent par se dire qu’ils sont abandonnés par leur État.  Ce sont des faits, et quand des faits de ce type s’accumulent, beaucoup se posent des questions sur la politique gouvernementale. Des personnes viennent chez moi à longueur de journée me faire part de leurs inquiétudes et m’assurent que des membres de leur famille se font enlever par des éléments de l’armée. C’est une tragédie qu’un État enlève ses propres fils et demande des rançons pour leur libération. Je me suis mobilisé quand les Arabes et les Kel Tamasheqs étaient stigmatisés. Je ne peux pas avoir fait cela à l’époque et refuser de m’impliquer aujourd’hui parce que cela serait perçu comme du communautarisme. Si je ne le faisais pas, ce serait de la lâcheté. J’ai horreur de voir les faibles de la nation abandonnés à eux-mêmes et les Peuls sont les faibles aujourd’hui. Ils ont refusé d’aller à l’école, refusé l’armée, refusé la police, ils ont suivi leurs bêtes et ils sont devenus des bêtes. Ils en sont réduits à pleurnicher tout le temps, mais ils doivent comprendre qu’ils sont des hommes. C’est mon tempérament. J’ai été élevé à la dure et je ne peux accepter certaines choses. Il arrive qu’on me pose la question de savoir ce que je ferais si j’avais 16 ou 17 ans aujourd’hui ? Je réponds que je prendrai les armes, pour que les Kel Tamasheqs comprennent qu’ils ne peuvent pas seuls manier les armes et qu’ils n’ont pas seuls le monopole de la violence.

La création du mouvement Alliance pour le Salut est-elle la conséquence de l’inaction de l’État ?

J’avoue que je n’en sais rien. Je me suis tout d’abord demandé si ce n’était pas un montage des « services ». Dans la situation grave que nous connaissons aujourd’hui, ceux qui veulent vraiment combattre ne se montrent plus. Puisqu’il y avait Dana Amba Sagou, dont les Peuls demandaient le désarmement, tout d’un coup, des Peuls supposés intelligents déclarent qu’ils ont eux aussi créé une milice. Je n’y crois pas.

On vous disait prêt à négocier avec Kouffa, est-ce toujours le cas ?

Négocier avec Kouffa était une construction laborieusement faite. J’étais en France pour raisons médicales quand j’ai appris par RFI que Kouffa disait qu’il ne parlerait à personne d’autre qu’à moi. J’ai éclaté de rire. Nous ne nous connaissons pas. Puis la Conférence d’entente nationale s’est tenue et, parmi ses quatre conclusions, la dernière dit que l’Accord pour la Paix n’a pas mis fin à la crise. Dès lors, il fallait négocier avec tous ceux qui pouvaient arrêter les effusions de sang des Maliens. Nous sommes habitués à ne pas bavarder pour rien. Quand une conférence se termine sur ces recommandations, il faut les appliquer. Bien que le Président de la République ait déclaré que l’on n’a jamais parlé de négocier avec Iyad ou Kouffa, alors que cela figurait dans les actes de la conférence, dont nous disposons, nous sommes sentis investis d’une mission. Nous sommes allés à Mopti, où des disciples de Kouffa ont pris la parole. L’un d’eux a dit que Kouffa était un homme de vérité. Je lui ai demandé d’aller dire à Kouffa que lui et moi pouvions nous entendre, parce que je déteste les mensonges et que je suis prêt à discuter avec lui. Il est venu me dire qu’il n’avait pas vu que Kouffa lui-même, mais ses proches collaborateurs, et que ceux-ci disaient que Kouffa ne tenait pas à me rencontrer. Si c’était sur le plan doctrinal, que je lui envoie l’imam Mahmoud Dicko ou l’imam Cheick Oumar Dia, car il ne pouvait pas discuter de doctrine avec moi. Si je voulais discuter politique et organisation du pays, il fallait que je m’adresse à Iyad, car c’est lui son chef politique. J’ai demandé au messager de m’apporter des preuves de ses dires. Entretemps, de jeunes gens se disant envoyés par Kouffa sont venus chez moi. Ils m’ont rapporté que Kouffa voulait bien discuter avec moi, mais que même si lui et moi nous mettions d’accord et que je convainquais IBK de la justesse de la discussion, il suffirait que la France dise non pour que cela ne s’appliquera pas. Comme le Président IBK et moi-même sommes des esclaves de la France, de l’Occident, disaient-ils, si nous voulions prouver le contraire il nous fallait mettre la MINUSMA et Barkhane hors du Mali. À ce moment-là, ils pourraient discuter avec moi. Je leur ai rétorqué que même si j’arrivais à convaincre IBK, si Iyad n’était pas d’accord cela ne se ferait pas, car Kouffa était esclave de Iyad, de Belmoktar, de l’Algérie, des Arabes en général et de l’Orient. Ce message lui a été transmis. Un jour ils m’ont appelé pour que je confirme que je leur avais bien envoyé un messager, ainsi que le contenu du message. Je l’ai fait. Plus tard, le même messager est revenu me voir avec une cassette. Dans l’enregistrement Kouffa me traite de mécréant et dit qu’il n’est pas l’esclave des Arabes, juste celui du Prophète Mohamed (PSL). Comme il dit lui-même que toute discussion politique doit être menée avec Iyad, nous avons cessé tout contact. Nous avons envoyé ces éléments de preuve au Procureur en charge de la lutte anti-terroriste et au ministre de la Justice.

Quelle est selon vous la bonne approche pour mettre fin aux affrontements intercommunautaires dans le Centre ?

Le dialogue. Malheureusement, quand les hommes prennent les armes les uns contre les autres, tant que les protagonistes ne prennent pas conscience que la plaie d’autrui n’est pas seulement rouge mais qu’elle fait mal aussi, tant que chacune des parties croit que l’autre la méprise, il est difficile que les gens s’écoutent et se parlent. J’ai souvent dit que le fameux sinankuya malien a dû naitre de situations de conflit. Chacune des parties a dû se dire que s’il elle n’arrêtait pas ce serait l’extermination de part et d’autre, et on a trouvé un compromis.

Nous venons de fêter les trois ans de l’Accord pour la paix. Quel est votre sentiment personnel ?

Je suis toujours obsédé par la nécessité de sauvegarder l’unité nationale et l’intégrité territoriale. J’avais coutume de dire, quand j’étais Président de l’Assemblée nationale, que la rébellion était essentiellement kel tamasheq et arabe et qu’à chaque fois qu’une personne tombait, qu’elle soit blanche ou noire, c’était un Malien de moins, une ressource humaine de moins. Entre ceux qui veulent couper mon pays en deux et ceux qui coupent des bras, je préfère les seconds, car je pourrai les maitriser, les dompter. Mais ceux qui veulent la partition du pays, c’est un problème très difficile à résoudre. Les exemples de la Corée, de l’Érythrée ou encore du Soudan me donnent raison. Lorsque je vois les risques de diviser le Mali en deux, voire davantage, je dis qu’il faut discuter avec tous ceux qui sont responsables du sang malien qui coule. Si nous avons signé l’Accord de Bamako, comme je l’appelle (Accord pour la paix issu du processus d’Alger), mais que le sang continue de couler, c’est soit nous que n’avons pas signé avec les bonnes personnes, soit que ceux avec lesquels nous signé sont bien les bonnes personnes mais elles sont de mauvaise foi. Je dis qu’il faut donc négocier avec Iyad et ses sous-fifres. Le jour où nous maitriserons la situation dans l’Adrar, soit en éliminant Iyad, soit en négociant avec lui, nous le sécuriserons et par là même le problème du Centre sera résolu. Amadou Kouffa n’est rien sans Iyad.

Quelle est la situation du parti ADEMA aujourd’hui ?

Comme depuis sa création, nous sommes dans l’épreuve, ce n’est pas la première fois. Depuis Alpha Oumar Konaré, investi à l’unanimité, toutes les fois où il y a eu des élections nous avons connu des scissions. Nous avons perdu des camarades très solides, tels les fondateurs du MIRIA. L’état de santé du parti n’est pas celui que je souhaite.

Comprenez-vous la décision de Dioncounda de ne pas se présenter alors qu’il faisait l’unanimité au sein du parti ?

Non. L’un de mes traits de caractère est que j’ai toujours de la peine à parler de mes camarades. C’est sûr qu’il a créé un problème et j’ai peur que l’histoire ne retienne qu’il a tenté d’assassiner son parti avant de partir, même si il a fait beaucoup pour l’ADEMA. Je n’ai pas compris sa décision et je ne sais pas si lui-même a réalisé dans quelle situation il mettait la Ruche et même la démocratie malienne. Sans l’ADEMA, la stabilité et la démocratie du pays connaitront des problèmes. Il n’est pas évident que la Ruche suive le mot d’ordre des gestionnaires actuels du parti.

Certains cadres s’étaient désolidarisés de la primaire, affirmant que le jeu était truqué. Le scénario actuel leur donne-t-il raison ?

Nous avons vu venir tous ces évènements. Dès lors que la direction du parti n’a pas appliqué à la lettre les recommandations de la 15ème conférence, on pouvait s’attendre à tout. Comme affronter les militants qui voulaient une candidature interne aurait été extrêmement difficile, les puissants du parti ont louvoyé comme ils ont pu. Ce que je reproche à Kalfa Sanogo, qui est un ami, c’est de ne pas s’être maintenu, sachant que tout ceci n’était fait que pour empêcher une candidature interne. S’il s’était maintenu, immédiatement après le désistement de Dioncounda Traoré nous nous serions mis d’accord pour le proclamer candidat. Il n’est pas exclu, mais personne ne peut dire à l’heure actuelle qu’il est le candidat de l’ADEMA. Moi, Ali Nouhoum, je demanderai à tout le monde de voter Kalfa Sanogo. Dans ma tête, bien qu’il soit indépendant, c’est Kalfa le candidat ADEMA. Pour certains c’est plutôt Dramane Dembélé, mais nous, les fondateurs, pouvons difficilement être derrière Dramane. Nous avons accepté une fois de le faire et nous avons vu où cela nous a conduits, nous n’avons obtenu que 9% en 2013. Je serai derrière Kalfa et, comme il a signé une alliance avec Soumaila Cissé, s’il n’est pas au second tour nous voterons tous Soumaila.

Comment voyez-vous l’avenir de votre parti ?

J’ai grand espoir que ceux qui ont vu fonctionner le parti se disent que c’est l’ADEMA originel qu’il nous faut. Le parti ne sera pas un éternel accompagnateur. Ceux qui tiennent aux idées sociaux-démocrates, au patriotisme, au dévouement, vont se secouer et dire qu’il faut que le parti revive.

Vous disiez que des élections bâclées nous plongeraient dans une crise plus grave que celle nous connaissons aujourd’hui. Avons-nous la capacité de tenir des élections crédibles et transparentes ?

Je suis sceptique. Je ne pense pas que l’on puisse le faire sur toute l’étendue du territoire, et je ne suis pas le seul. Les autorités disent qu’elles le peuvent. La meilleure option est de prendre le pouvoir par les urnes, mais si ce n’est pas le cas, cela ouvre la porte à beaucoup de dérives, y compris un coup d’État. Telle que je vois la classe politique malienne, l’opposition comme la majorité sont dans le schéma « ou je gagne ou je gagne ». Si la communauté internationale, la France, l’Algérie, ne disent pas à ceux qui perturbent l’Adrar de laisser faire les élections, elles n’auront pas lieu. Si, comme je l’entends de plus en plus, les élections se font dans un cercle et qu’on dise que toute la région a voté, par une convention, toutes les parties doivent être d’accord, sinon ce n’est pas faisable. Nous travaillons à éviter une crise, mais il n’est pas sûr que nous réussissions.

Le mot d’ordre de cette présidentielle semble être l’alternance. Partagez-vous cette vision ?

Il est évident que je fais partie de ceux qui ont peur. Il aurait été souhaitable que mon très cher ami IBK imite Nelson Mandela, qui, bien qu’ayant droit à un autre mandat, a décidé de renoncer. Il aurait pu également prendre exemple sur son ami François Hollande. L’honneur du Mali, il l’avait promis. Si je m’en tiens à ce que j’entends, le travail effectué n’a pas fait en sorte que les Maliens se sentent fiers. Il est évident que les patriotes que nous sommes souhaitent l’alternance. Ceci dit, entre notre souhait et les vœux du peuple il y a une différence. Dans le contexte actuel, avec tous ces chroniqueurs qui sont devenus des hommes politiques, avec les religieux et les militaires qui sont politisés, l’atmosphère fait redouter des crises majeures. Et surtout, si d’aventure le camp de la majorité, avec des élections truquées, s’auto proclame élu, j’ai peur. Je ne suis pas sûr que l’opposition accepte de s’incliner pour éviter au Mali la violence.

Comment jugez-vous le bilan du Président IBK ?

L’histoire le jugera.

Honorable Youssouf Aya : « Nous nous glissons malheureusement vers une guerre ethnique sans précédent »

Élu de Koro, l’Honorable Youssouf Aya dresse un tableau sombre de la situation qui prévaut dans son cercle.

Koro a été endeuillé par des affrontements intercommunautaires il y a deux semaines. La situation a-t-elle évolué ?

Je dirais qu’il n’y a pas eu de changement. La situation s’est complètement détériorée depuis trois semaines. Les associations communautaires comme Guina Dogon ou Tabital Pulaku ont toujours été présentes. Avec les élus, des forums sont organisés pour favoriser le dialogue. Mais, franchement, rien n’a changé. Depuis 2012, des hommes armés ont profité du fait que l’Est de Koro, une zone très vaste, soit démuni de toute présence militaire et s’y sont installés. Des conflits, que je considère comme mineurs, existaient déjà entre les Peuls et les Dogons. Au départ, le modus operandi était djihadiste : brûler les églises, frapper ceux qui boivent de l’alcool… Ces groupes ont par la suite beaucoup recruté parmi les Peuls. De fait, les Dogons ont conclu que ce ne sont pas des djihadistes qui les attaquent mais plutôt des Peuls. La tension est montée crescendo, jusqu’à l’évènement de Diougani, où les djihadistes ont assassiné un chasseur très influent. Une expédition punitive a ensuite été menée par des Dogons sur un village peul, ce qui a entrainé de nombreux morts. Il y a des Dogons et des Peuls partout et les personnes qui meurent ont une famille. Les deux communautés, dans les différents villages, sont obligées de s’impliquer dans le conflit, qui vient de s’étendre jusqu’à Koro. Nous glissons malheureusement vers une guerre ethnique sans précédent, ce qui est très inquiétant.

Les Peuls accusent le gouvernement d’armer les Dogons …

Une situation aussi complexe est un terrain propice à toutes les interprétations, mais je n’ai aucune information attestant que le gouvernement ait armé les Dogons. Là où les chasseurs opèrent, il n’y a pas d’armée. Je ne vois donc pas comment le gouvernement pourrait leur donner des armes. Je ne veux pas parler en son nom, je ne sais pas ce qui se passe au niveau de l’Exécutif, mais je refuse de croire à ces allégations.

Vous avez, avec d’autres élus de la région, rencontré le Premier ministre le 17 mars. Qu’est-il sorti de vos échanges ?

Nous lui avons dit que nous appelions le gouvernement à quadriller le terrain à travers l’armée malienne et pour qu’il accompagne les associations qui initient le dialogue. Il nous a dit qu’il était parfaitement d’accord avec notre approche et assuré que tout serait fait afin que le terrain soit occupé par les Famas. Mais sur la durée, le temps d’affiner les contours. En tant que chef du gouvernement, il a affirmé être prêt à accompagner toutes les initiatives.

Des violences intercommunautaires font 21 morts dans le cercle de Macina

Un nouveau conflit communautaire entre Peuls et Bambaras a entraîné la mort d’une vingtaine de personnes dans la localité de Diawaribougou, situé à 7km du cercle de Macina. De nouvelles violences qui enveniment encore plus le climat de tension déjà délétère entre ces communautés.

C’est dans la nuit de samedi dernier que tout a débuté. Il était aux alentours de 20h quand des hommes armés ont assassiné Chaka Dembélé dans sa boutique. Selon un témoin ; il aurait était criblé par une vingtaine de balles. Un assassinat attribué aux djihadistes de la katiba Macina, du prédiacteur Amadou Koufa, composé en majorité de peuls.

A l’enterrement de ce dernier, le lendemain, près de 200 chasseurs étaient présents. Une confrérie à laquelle appartenait Dembélé, sans y être véritablement actif. Selon Kante Kanté, animateur à la radio rurale de Macina, c’est lors du chemin retour que des assaillants auraient tiré sur les chasseurs qui ont par la suite organisé la riposte. Leur expédition aura eu pour conséquence de coûter la vie à 21 personnes. « Nous avons eu 11 corps à la morgue et deux personnes totalement calcinées » précise le Dr Coulibaly, médecin au centre de santé de Macina. « Après que la situation se soit un peu calmée, nous avons retrouvé d’autres corps et le nombre des victimes s’est dès lors alourdit », nuance Bekaye, le maire de Macina.18 personnes ont également été blessés, dont six dans un état grave transporté depuis à Ségou.

Des militaires ont été dépêchés sur les lieux pour assurer le retour au calme. Une intervention jugée salutaire par Amadou Diallo, qui se décrit comme étant un dignitaire peul. « La présence des militaires a dissuadé les chasseurs de continuer leurs massacres, ils avaient ciblé le marché de Diawaribougou qui se tient tous les lundis, et là les dégâts auraient été plus importants » souligne t-il.

Hier dans la matinée, le gouverneur de la région de Ségou a également fait le déplacement pour s’enquérir de la situation. Il s’est par ailleurs entretenu avec les responsables des chasseurs et des peuls pour tenter de calmer le jeu.

Les ministres de la Justice, de la Solidarité et de l’action humanitaire, de la réconciliation nationale et de l’administration territoriale et de la réforme de l’État se sont rendus sur les lieux aujourd’hui, mardi 14 février. « Ils sont venus apporter un soutien aux déplacés et prodiguer quelques conseils » assure le maire de Macina.

La zone de Diawaribougou serait pratiquement déserte. « La majorité des peuls envisagent ou sont déjà rentré à Diabaly. C’est la crise qui nous avait fait fuir la zone, mais nous ne pouvons plus vivre ici, nous craignons pour notre sécurité » conclut Diallo.

 

Tenenkou : 5 morts et 7 blessés

La déclaration commune ayant sanctionné la réunion de haut niveau entre les Bambara et peuls, tenue le 25 juillet dernier à Dioura, n’a pas pu empêcher les tueries fratricides entre Bambara cultivateurs et peuls éleveurs à Karéri dans le cercle de Tenenkou. Le bilan officiel d’un nouvel affrontement fait qui s’est déroulé le samedi dernier fait état de 5morts et 7 blessés.

Les participants à la rencontre du 25 juillet avaient convenu de renforcer les dispositifs de concertation entre les différentes communautés par la mise en place des commissions de veilles à Nampala, Dioura et Tenenkou, pour éviter les cas de vols de bétails, sources de conflits entre les différentes communautés, mais ces disposition n’auront pas permis d’anéantir la capacité de nuisance des bandits armés. Selon des sources locales, ces nouveaux affrontements seraient encore partis d’un vol de bétails. Les voleurs poursuivis par des Bambaras ont ouvert le feu sur eux. « il s’agit plutôt de bandits armés que de voleurs. Ils veulent mettre le chaos partout dans notre localité en semant les troubles entre les Bambaras et les Peuls qui ont toujours vécu ensemble en parfaite symbiose. Mais on se laissera pas faire », explique un élu local.

Dans un communiqué, le gouvernement tout en apportant son soutien aux familles des victimes, a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire pour identifier et interpeller toutes les personnes impliquées dans ces actes de violences et la mise en place des forces de défense et de sécurité pour éviter d’autres cas similaires et prendre toutes les dispositions pour un traitement diligent des blessés. Après avoir rencontré les élus et les personnes ressources de Tenenkou, le premier ministre a décidé d’envoyer une délégation composée de membres du gouvernement, de députés et de notabilités. Il faut également souligner, qu’en mai dernier, cette même localité a connu des affrontements meurtriers entre Bambaras et Peuls faisant 24 morts et 5 blessés.

Forum de Nampala reporté, calme précaire à Kareri

À Kareri, dans le cercle de Tenenkou, tout le monde reste dans l’expectative après les affrontements intercommunautaires qui ont endeuillé cette partie du pays. Le forum qui devait se tenir à Nampala a finalement été reporté à début juin.

L’orage des affrontements intercommunautaires passé, il règne dans le cercle de Tenenkou un calme relatif. Au lieu du forum à Nampala prévu, une rencontre a eu lieu à Kareri du 20 au 24 mai, en présence du ministre de la Solidarité, de l’action humanitaire et de la reconstruction du nord, Hamadoun Konaté, du ministre de la Décentralisation et de la réforme de l’État, Mohamed Ag Erlaf, du ministre de la Réconciliation nationale Zahabi Ould Sidi Mohamed et du ministre de la Défense, Tiéman Hubert Coulibaly, des deux députés élus à Ténenkou, Abderrahmane Niang et Amadou Cissé et du maire de Kareri. Joint par Journal du Mali, le maire de Kareri, Mamadou Coulibaly explique que rien n’a été décidé à cette rencontre à laquelle environ 200 personnes ont pris part, et que les participants ont tous jugé nécessaire que « tout le monde déposé et rendent les armes. » Mais, déplore-t-il, « ce n’est toujours pas le cas. » À l’en croire, des assaillants auraient attaqué des jeunes à la recherche de paille à 15 km au sud du village de Maleimana, dans la commune de Kareri, il y aurait eu un mort et un jeune aurait été enlevé. « C’est l’armée malienne, en patrouille dans la zone, qui aurait retrouvé le corps du jeune tué », poursuit-il. Interrogé, le lieutenant-colonel Souleymane Maïga, chef de la direction de l’information et des relations publiques des armées (Dirpa), affirme que l’armée a retrouvé le corps d’un jeune homme âgé d’environ 20 ans, qui s’appelle Mohomodou Coulibaly, après une attaque non loin de Maleimana. La gendarmerie de Tenenkou a ouvert une enquête. Le maire de Nampala, Baba Brahima Bâ, n’a pas confirmé ces informations qu’il dit avoir, tout de même, reçues samedi : « On ne sait plus ce qui est vrai ou faux. Je ne saurai me prononcer là-dessus. »

Dans cette zone, le calme précaire qui règne semble fragile. Tous les espoirs se fondaient sur la tenue du forum qui devait se tenir à Nampala. Selon nos informations, il aura lieu les 2 et 3 juin prochains. Son report tiendrait au fait que le budget de l’évènement n’était pas bouclé.

Mariage : ces interdits qui ont la vie dure…

Cette jeune fille malienne s’appelle Fatou Dia, 23 ans. Il y a peu, sa famille, peule toucouleur, réunie en conseil, s’est opposée à  son mariage avec un forgeron. Cette décision a porté un coup fatal à  l’immense espoir des jeunes tourtereaux dont l’amour brillait de mille feux. Ce verdict a brisé leur rêve de fonder un foyer et de mener leur vie à  leur convenance. Encore sous le choc aujourd’hui, Fatou Dia ajoute que même sa mère a du mal à  s’en remettre, car comme toutes les mères « elle sait combien il est devenu difficile de trouver un mariage. » Fatou peine à  avaler la pilule car elle trouve « minable » l’argumentaire de sa famille qui« puise sa force dans une légende aussi malheureuse que passée de mode ». Cette diplômée en secrétariat d’administration à  l’Institut Universitaire de Gestion (I.U.G) de Bamako vit dans la douleur, rien qu’à  l’entendre parler. Comme toute société, la société africaine en général, et malienne en particulier, regorge de traditions qui se sont épanouies et perpétuées à  travers les siècles. Ces traditions sont des croyances et coutumes ancestrales populaires, transmises de génération en génération, par les parents et les griots, grâce aux contes, devinettes, fables, épopées, mythes, légendes. Dans la société malienne, les interdits de mariage entre certaines ethnies perdurent comme l’une des plus frappantes et pesantes manifestations du traditionalisme conservateur. Vouloir transgresser l’interdiction d’union entre les groupes culturels bozo et dogon, peul et forgeron ou bambara et griot … peut engendrer une malédiction, ou des conséquences occultes. Cette interdiction est profondément enracinée dans l’histoire socioculturelle du Mali. Celle qui empêche peuls et forgerons de se marier reposerait sur un pacte originel entre Bouytôring (ancêtre des peuls) et Nounfayiri (ancêtre des forgerons). Ce mythe, très répandu chez les peuls, est rapporté par le poète et ethnologue peul, Amadou Hampaté Bâ, dans son ouvrage ‘’Njeddo Dewal, Mère de la calamité » « Bouytôring, ancêtre des Peuls, était travailleur du fer. Ayant découvert les mines appartenant aux génies (djinn) du Roi Salomon, il allait chaque jour y dérober du fer. Un jour, pourchassé par les génies, il fut surpris et dut se sauver. Dans sa fuite, il arriva auprès d’une très grande termitière qui était situé dans un parc à  bovins. Comme elle comportait une grande cavité, il s’y cacha. Ce parc était celui d’un berger nommé Nounfayiri (l’ancêtre des forgerons). Le soir, lorsque le berger revint du pâturage avec ses bêtes, il trouva Bouytôring caché dans la termitière. Ce dernier lui avoua son crime et lui dit que les génies le cherchaient pour le tuer. Alors, pour le protéger, Nounfayiri fit coucher ses animaux tout autour de la termitière. Et quand les génies arrivèrent, il leur dit : ‘’Ceci est mon domaine. Je n’ai rien à  voir avec le fer ». Les génies furent ainsi éconduits et Bouytôring sauvé… Quelques jours passèrent ainsi. Bouytôring avait appris à  garder les troupeaux et à  traire les vaches. Il savait parler aux animaux Ceux-ci s’attachèrent à  lui. De son côté, Nounfayiri avait pris plaisir à  travailler le fer. Un jour, Nounfayiri dit : ‘’ Voilà  ce que nous allons faire. Toi tu vas devenir ce que J’étais, et moi je vais devenir ce que tu étais. l’alliance sera scellée entre nous. Tu ne me feras jamais de mal et tu me protégeras; moi aussi je ne te ferai jamais de mal et te protégerai. Et nous transmettrons cette alliance à  nos descendants ». Nounfayiri ajouta : »Nous mêleront notre amour, mais nous ne mêleront jamais notre sang (1)». Cette légende témoigne d’une alliance très ancienne entre les groupes. Elle sert de socle aux relations sociales maliennes. Cette tradition, connue sous l’appellation Sanankouya ou cousinage à  plaisanterie, assure la paix interethnique entre Peuls et Forgerons, Bozo et Dogons, entre autres. De fait, le cousinage à  plaisanterie est un lien de sang ou un pacte de confiance, datant des temps anciens, que les communautés actuelles ne peuvent violer. Grâce au Sanankouya, aucun conflit ne peut exister entre les communautés et aucune d’entre elles ne peut refuser la médiation ou les conseils de l’autre. l’interdit de mariage entre Bozo et Dogon tire, lui aussi, sa source d’une autre belle légende : « Deux frères pêchaient au bord du fleuve. Mais bientôt le poisson se fait rare. Le frère aà®né doit partir chasser au loin. Il marche. Puis court. Fort loin et fort longtemps. Mais il doit revenir bredouille après plusieurs jours. De retour au campement au bord du fleuve, il découvre son petit frère à  demi évanoui, à  moitié mort de faim. Que faire pour le sauver ? Après avoir mûrement réfléchi, le frère aà®né s’éloigne un peu, découpe bravement un morceau de sa propre cuisse qu’il revient donner à  manger à  son cadet qui croit profiter des produits de la chasse. Une fois le jeune frère rétabli, ils entreprennent de traverser le fleuve pour s’établir dans une contrée plus favorable, plus giboyeuse et plus poissonneuse, pour fonder un nouveau campement et deux nouvelles familles. Mais en traversant le fleuve, la plaie de la cuisse du frère aà®né se rouvre et se met à  saigner abondamment. Le cadet demande ce qui a bien pu se passer mais le grand frère ne répond pas. Le jeune répète sa question : mais que t’est-il donc arrivé ? Toujours pas de réponse. à€ la troisième question, l’aà®né finit par raconter toute l’histoire et lui avoue que c’est grâce à  sa propre chair qu’il a pu le sauver. Les voici tous deux bouleversés et pleins d’amour fraternel l’un pour l’autre. Bientôt, voyant leurs familles s’agrandir, les enfants croà®tre et les unions devenir de plus en plus nombreuses, le plus jeune frère décide alors son aà®né à  sceller une promesse réciproque. Pour prévenir et éviter les discordes qui ne manqueraient pas de survenir dans le futur, ils se promettent mutuellement que jamais, au grand jamais, un descendant de l’une des deux familles n’épousera un descendant de l’autre frère. Ainsi leurs familles resteront cousines, sans embrouille et sans discorde, perpétuant le souvenir du don de la vie et de l’amour entre les deux frères.» Voilà  pourquoi, traditionnellement, le mariage entre Bozos et Dogons est interdit. Amadou Hampaté Bâ précise, qu’à  l’origine, « les interdits de mariage n’ont en général rien à  voir avec des notions de supériorité ou d’infériorité de caste ou de race. Il s’agit soit de respecter des alliances traditionnelles, comme C’’est le cas entre peuls et forgerons, soit de ne pas mélanger des ‘’forces » qui ne doivent pas l’être. » Barrières ethniques, nouvelles mentalités Ce phénomène, pour ne pas dire cette pesanteur sociale, conserve son importance dans la société malienne, dite de « l’oralité », et semble parfois déclencher un conflit de génération supplémentaire, aujourd’hui. Pour certains parents, conservateurs irrémédiables, ces pratiques ne doivent pas perdre de leur sens car elles « font partie de notre héritage culturel. » Des idylles tournent court, des mariages sont empêchés. Quand les unions sont tout de même célébrées, elles se cassent plus tard à  cause du mauvais œil et des méchantes langues. Pour la jeune génération, celle qui s’abreuve de séries TV produites au Mexique, en Italie et au Brésil, cet héritage socio-culturel est rétrograde. Ces tabous doivent perdre de leur cuir. Souley Diakité est peul. Enseignant dans le secondaire, il est allé à  l’encontre de sa famille en épousant S. Ballo, une forgeronne. « Je l’ai fait pour marquer les esprits. Au début, ça n’a pas été facile de faire adhérer les parents. Même aujourd’hui, notre union est mal vue. Certains de mes parents ne m’ont toujours pas pardonné d’avoir violé un interdit en épousant une forgeronne. Jusqu’ici, il n’y a eu aucune conséquence occulte. Nous avons eu des enfants, nous sommes heureux » confie-t-il, tout sourire. Il se laisse aller à  dire qu’il s’agit là  d’une barrière ethnique qui n’a aucune raison d’être maintenue. Il est convaincu que les traditions, quelles qu’elles soient, ne doivent pas rester figées, inchangées : elles doivent progresser. Il estime que même si quelques rares unions entre peuls et forgerons, hier impossibles, sont scellées aujourd’hui, on ne peut pas encore parler de progrès. « Le non-respect de ces interdits par un iconoclaste comme moi n’est rien, ajoute t-il. Il faut mener le combat, l’étendre au niveau national, faire plus de sensibilisation, et pourquoi pas créer une association pour cela. Sinon, dans peu de temps, il sera impossible de compter les malheureux… » « En Jésus, pas de distinction… » Bien que ces interdits soient encore observés sans susciter de réel débat, il apparaà®t nécessaire de souligner qu’ils ne sont pas de mise dans les religions révélées. Paul Poudiougou, éditeur et représentant des éditions l’Harmattan au Mali, dogon et chrétien, explique que «Chez les chrétiens, en Jésus, il n’y a pas de distinction. Pas d’Arabes, pas de Noirs, pas de Blancs… Les barrières raciales disparaissent. Les chrétiens brisent les tabous. Le reste, Dieu s’en chargerait… Je connais en particulier un couple Bozo-dogon. Ils sont chrétiens. Malgré les interdits de mariage qui existent entre eux, ils se sont mariés. Ils ont eu des difficultés à  l’échelle sociale, surtout avec les parents, et avaient du mal à  avoir d’enfant. Mais maintenant, ils en ont un. Or, dans leur famille respective, on disait que s’ils se mariaient, il y a la foudre qui va tomber, ou qu’il y aura un blocage sexuellement. En tant que chrétien, les barrières sont paralysantes… » l’imam Sidi Diarra considère que ces interdits méritent d’être respectés, même s’il concède que « nulle part dans le Coran et les hadith, il n’est fait cas d’interdit de mariage entre race, ethnie, caste…l’essentiel en islam est que vous soyez musulman, et après, vous pouvez vous marier. Pas question de peul, forgeron, bozo… » La démocratie et l’avenir de ces interdits Ces croyances ancestrales mènent la vie dure aux plus jeunes. Les analyses sociologiques sur le phénomène concluent qu’il est « un des principes protecteurs du pacte. Tout comme le cousinage à  plaisanterie est un puissant moyen de préservation de la paix. » A l’heure de la mondialisation et de la rencontre des civilisations, on peut s’interroger sur l’avenir de ces interdits de mariage. Ont-ils réellement leur place dans la démocratie ? l’éditeur Paul Poudiougou estime que ce n’est pas le rôle de la démocratie de lever ces interdits. « Il ne faut pas confondre les règles de la démocratie et les convictions sociales. La démocratie ne parle pas des mœurs ; elle régule la relation entre les communautés. Et le travail de la démocratie ne concerne que l’aspect extérieur de cette relation, mais ne touche pas à  l’intimité, c’est-à -dire l’intérieur. Il faut donc faire la part des choses. » Interdit de mariage entre peul et forgeron, entre bozo et dogon, noble bambara et griot(2)…voilà  un phénomène social qui n’en demeure pas moins étonnant dans une société réputée riche pour son multiculturalisme. Et pis, aucun débat n’est mené au niveau national sur cette pratique « essentielle » pour les uns, « rétrograde » pour les autres. Quoi que quelques iconoclastes soient déterminés à  bousculer ces tabous d’une autre époque, il est impossible de ne pas s’interroger sur leur avenir. Comment vaincre la peur, l’hésitation, ou encore le refus des ethnies peul, forgeron, bozo, dogon… de s’ouvrir les unes aux autres ? Cette question reste entière, loin d’être réglée, et continue de mettre aux prises ceux qui sont pour et ceux qui sont contre le maintien de cette pratique historique dans une société o๠l’on s’accorde à  dire que les mentalités n’ont pas subi de changement profond, o๠il est de tradition de se glorifier en permanence du passé. Comment parier sur son abandon lorsque certains parents, musulmans ou chrétiens, C’’est selon, continuent à  y croire comme un enfant à  la parole de son père ?