Lutte contre l’excision : À petits pas

Mis en place en 2002, le Programme national de lutte contre l’excision (PNLE) est depuis juillet 2019 devenu le Programme national d’abandon des violences basées sur le genre (PNA – VBG). Malgré des programmes et l’adoption de plans d’action, la prévalence de la pratique reste élevée au Mali. Les acteurs appellent à l’adoption d’une loi contre les VBG, car les défis restent importants.

« Environ 2 000 communautés ont fait des  déclarations publiques d’abandon, sans compter celles qui ont abandonné sans déclaration publique », se réjouit Youssouf Bagayoko, anthropologue au Programme national d’abandon des VBG.

Selon le rapport 2018 de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), « les actions de sensibilisation des organisations de la société civile, (…) en partenariat avec le ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille, « ont amené plus de 1 088 villages sur les 12 000 du Mali à déclarer leur abandon de la pratique ».

Des réalisations rendues effectives grâce notamment au vote d’une Politique nationale pour l’abandon de la pratique de l’excision, en 2010, assortie des plans d’action 2010 – 2014 et 2015 – 2019.

Sur cette question sensible, où se mêlent tradition et religion, les acteurs ont surtout mis l’accent sur la sensibilisation, même si la « mutation » de la pratique de l’excision « en violence basée sur le genre », n’est pas un progrès, selon certains.

Au plan du plaidoyer, le PNLE s’est attelé à l’organisation de sessions à l’endroit des décideurs, afin d’attirer leur attention « sur la gravité de la pratique et ses conséquences sur les victimes et sur le respect de la dignité et des droits humains en termes de santé, de justice ».

Le changement de comportement étant un processus à long terme, les responsables du programme se réjouissent néanmoins des « déclarations publiques enregistrées » et « des milliers de leaders d’opinion » qui « ont fait des déclarations individuelles pour témoigner de leur position contre la pratique de l’excision ».

Loi consensuelle

Pour avancer, même à petits pas, l’adoption d’une loi est nécessaire « pour permettre à ceux qui refusent la pratique de défendre leurs droits et aux victimes de réclamer réparation », explique Madame Fatimata Dembélé Djourté, Présidente du groupe de travail sur les droits catégoriels à la CNDH.

Il existe déjà un avant-projet, mais le travail continue pour aboutir à « une loi légitime », dont tout le monde comprendra le bien fondé, explique M. Bagayoko. « Cette loi protège tout le monde et n’est contre personne ».

Lutte contre les MGF, la mobilisation continue

« Mobilisation et implication de la jeunesse pour accélérer la tolérance zéro aux Mutilations Génitales Féminines (MGF) » tel est le thème de cette journée qui sera célébrée le vendredi 06 février 2015 au Centre international de conférence de Bamako. Le choix de ce thème selon les organisateurs, s’explique par le fait que la population juvénile représente une frange importante de la population malienne et constitue un groupe stratégique à  mobiliser et à  impliquer en vue d’accélérer l’abandon de la pratique des MGF/E. En prélude à  cet événement, une conférence de presse a été conjointement animée par les responsables du Programme national de lutte contre l’excision et du ministère de la Femme, de l’Enfant et de la Famille ce mardi 3 février à  la cité administrative. Présidée Mme Sangaré Oumou Ba, ministre dudit département, cette rencontre vise à  informer les journalistes sur les réalisations, les acquis et les défis à  relever. D’après la 5è Enquête Démographique et de Santé du Mali (EDSM) réalisée en 2012-2013, les taux de prévalence de l’excision dans les cinq premières régions sont de 91% chez les femmes âgées de 15 à  49 ans et de 69% chez les filles de 0 à  14 ans. A Bamako, contrairement aux idées reçues, l’excision demeure, malgré un accès plus facile aux informations. Selon une étude de l’association des pédiatres et gynécologues du faite en 2012 et basée sur l’examen physique des filles de 0 à  15 dans le district de Bamako, le taux de prévalence est de 52%. Le Mali n’a toujours pas voté de loi contre la pratique de l’excision, mais la sensibilisation ne s’est jamais arrêtée. Elle a permis de baisser le taux de femmes excisées de 97% à  85% en 15 ans. Vers une loi dissuasive Pour ce qui concerne le vote d’une loi contre l’excision ou la signature et la ratification de certaines conventions internationales, les conférencières expliquent qu’ils faut préparer les esprits et définir les modalités de cette loi qui est en cours d’élaboration. Pour la directrice du programme national de lutte contre l’excision, Mme Joséphine Keà¯ta, la bataille pour un Mali sans excision ne pourra être gagnée qu’avec l’engagement de tous les acteurs de la société. « Signer un acte, C’’est un engagement, mais nous avons des spécificités à  notre niveau et nous devons trouver des stratégies nécessaires pour y arriver » a ajouté Mme Sangaré Oumou Ba. Précisons que sur les 12.000 villages que compte le Mali, 1088 ont signé la convention publique d’abandon de la pratique de l’excision.

Excision au Mali : 45 villages s’engagent à abandonner la pratique

Au Mali, la pratique de l’excision est très répandue. Selon la quatrième Enquête Démographique et de Santé (EDSM-IV) réalisée en 2006, 85,2% des femmes en âge de procréer (15 à  49 ans) l’ont subie. Cependant, ce chiffre cache une grande disparité entre les régions et les groupes ethniques. Si dans les régions septentrionales du pays (Kidal, Tombouctou et Gao) seulement 15% des femmes ont été excisées, la tendance reste forte dans toutes les autres régions et même dans le District de Bamako avec des proportions variant de 98,3% à  Kayes à  75,4% à  Mopti. Abandon total et définitif de la pratique Pour l’ONG Plan Mali, qui œuvre depuis des années pour sensibiliser sur l’abandon de la pratique de l’excision auprès des chefs et conseillers de village, groupements de femmes, groupements d’enfants, exciseuses, responsables administratifs, élus communaux, directeurs d’école, communicateurs traditionnels et modernes, le combat continue. Il s’agit pour les acteurs de la lutte, de pousser ces communautés à  réaffirmer leur engagement par la signature d’une convention au niveau national en faveur de l’abandon de la pratique de l’excision ; Ainsi 45 villages ont adhéré à  la démarche. Ils se situent principalement dans les zones d’intervention de l’ONG Plan Mali entre Baraouéli, Dioila, Kati,Kadiolo,Bankass, Zégoua, Bandiagara et Kangaba sur l’ensemble du territoire malien. Pour la représentante de Plan Mali, Fatoumata Alainchar, « le processus de l’abandon de la pratique obéit à  des étapes et critères dont l’objectif est de susciter et d’assurer l’adhésion et la participation de toutes les couches sociales impliquées pour la prise de décision au niveau communautaire ». Il faut donc espérer que cet engagement ne soit pas qu’un effet d’annonce et soit suivis d’effets.

Joséphine Keita :  » Au Mali, l’excision n’est plus un tabou ! »

Après 10 ans de lutte, la directrice du Programme national de lutte contre l’excision (PNLE), Joséphine Keita, fait le bilan sur cette pratique néfaste à  l’occasion d’un atelier à  l’initiative de l’ONG Plan Mali. Journaldumali.com : Quelle est la perception de la pratique de l’excision? Joséphine Keita : Beaucoup a été fait. Aujourd’hui, on peut affirmer que la question n’est plus taboue au Mali, ce qui constitue une avancée dans les mentalités. Environ 400 villages ont abandonné la pratique. Cela veut dire que leurs chefs et autorités coutumières arrivent à  convaincre les populations et vont rencontrer les autres communautés et faire des déclarations publiques d’abandon. Ils signent également des conventions avec les autorités locales, religieuses et administratives. Au-delà  des déclarations comment être sûr que ces villages abandonnent l’excision ? L’abandon total n’existe pas. Mais à  partir du moment o๠une déclaration publique est faite, la parole d’un leader communautaire a force de loi. Cela n’empêche pas d’aller exciser hors du village, mais ces personnes encourent le risque d’être excommuniées de leur village et d’être mises au ban de la société. Nous avons trois classifications : les villages totalement réticents à  l’abandon de la pratique, les villages à  moitié réticents et les villages qui ont signé la convention publique d’abandon. On considère avoir atteint l’objectif lorsque un village ne pratique pas l’excision pendant un cycle de deux ans. Espérez-vous le vote d’une loi contre l’excision ? O๠se situent les blocages actuels ? Le PNLE, des ONG et d’autres structures ont proposé depuis longtemps un « Pacte pour l’adoption d’une loi ». Mais il faut d’abord préparer les esprits, organiser des concertations avec les communautés, les élus et les leaders religieux pour sensibiliser sur la question. Il faut également définir les modalités de cette loi. Interdire la pratique peut entraà®ner la pratique dans la clandestinité. Tout le monde doit être impliqué dans le processus pour parvenir à  une proposition de loi en 2014. Revenons aux origines. D’o๠vient l’excision ? Pourquoi excise t-on ? Cette pratique serait d’origine égyptienne, pharaonique précisément. L’excision n’a rien à  voir avec la religion. En Arabie Saoudite vous n’en entendrez jamais parler. Ceux qui excisent pensent qu’il faut maà®triser la sexualité féminine. On avance aussi des raisons de pureté ou d’hygiène. Les représentations traditionnelles du clitoris maléfique entrent aussi en compte, tout comme la pression de la norme sociale, pour éviter la marginalisation et la stigmatisation. Au Mali, on excise au Sud et pas au Nord ? A Tombouctou même, on n’excise pas. Mais dans des cercles du Nord, comme Goudam ou Niafunké, il peut y avoir des cas d’excision du fait des déplacements de populations. A Bamako, contrairement aux idées reçues, l’excision demeure, malgré un accès plus facile aux informations. Le niveau d’instruction n’a aucune influence sur l’excision, qui n’est pas seulement une pratique rurale. Les pesanteurs socio-culturelles, la peur d’etre stigmatisé, peuvent pousser des personnes dites intellectuelles à  jutifier l’excision. Quel est le profil de l’exciseuse type ? Les exciseuses traditionnelles viennent de la caste des forgerons. Mais aujourd’hui, il y a de tout. Les gardiennes de filles dans les villages, les grands-mères dans les milieux urbains. Les devins en milieu traditionnel bambara encouragent cela, et désormais, pour des raisons pécunières, le personnel médical, hospitalier, les matrones, les infirmières aussi. Pourtant une circulaire du ministère de la Santé l’interdit, mais certains agents se déplacent parfois dans les familles pour le faire. Quelles sont les conséquences de l’excision ? Elles dépendent du type d’excision. Ablation partielle ou totale du clitoris, des petites lèvres, des grandes lèvres de l’appareil génital féminin, voire cautérisation, suture ou introduction de subtances corrosives dans le vagin. Au cours de l’excision les douleurs, les infections ou l’hémorragie peuvent entraà®ner la mort. Par la suite cela peut entrainer des difficultés d’accouchement, la stérilité, des douleurs de règles. Il ne faut pas oublier les conséquences psychologiques qui limitent la femme, l’exclusion consécutive aux souffrances liées à  l’incontinence ou aux fistules obstétricales, et l’impossiblité de s’épanouir sexuellement avec son mari. Comment vous êtes vous engagez dans cette lutte ? En 1973, pendant mes études, j’ai vu une femme mourir sous mes yeux en accouchant. Après cela, j’ai décidé de m’engager pour qu’il y n’ait plus d’excision au Mali. C’est un devoir de santé et un combat pour la vie humaine. J’ai ensuite été conseiller technique au ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille de 1997 à  2002, date de création du PNLE. Vous dirigez le PNLE depuis dix ans. Comment rendre les messages et les campagnes plus efficaces ? Ceux que nous avons déjà  émis ont porté leurs fruits, grâce à  des informations mises à  la disposition du grand public. Aujourd’hui, nous renforçons les capacités des acteurs de terrain par la formation. Nous recueillons des témoignages et utilisons des supports de communication, audiovisuels ou oraux, des kits techniques. « Il vaut mieux voir une fois qu’entendre plusieurs fois », a t-on l’habitude de dire. Si nous sommes à  cet atelier à  Sélingué, c’est aussi pour améliorer ces messages et les rendre plus pertinents. Et au niveau de la prise en charge des femmes excisées ? Elle est globale. On assure la prise en charge financière, médicale, et aussi psychologique. Il y a aussi la prise en charge intégrée et médico-chirugicale. Parce que ces femmes doivent reprendre confiance en elles. J’aimerais vous parler du projet de Médecins du Monde avec l’hôpital de Mopti, qui s’adresse aux femmes victimes de fistules obstétricales. C’est un partenariat dynamique. Il y a bien sûr de nombreuses possibilités dans ce combat, y compris pour toutes celles qui peuvent être réparées par la chirurgie. C’est pourquoi, on travaille avec d’autres structures comme le Comité National d’Action pour l’abandon des pratiques néfastes, CNAPN et ses branches régionales, locales ou villages. L’excision, c’est un long combat, mais tant qu’on aura pas atteint notre but, on ne s’arrêtera jamais de sensibiliser !