Pr Younoussa Touré : « Puisque c’est l’épreuve de force qui prévaut, nos combattants prennent les choses en main »

Les combattants de la Coordination des Mouvements et Fronts Patriotiques de Résistance2 (CMFPR2) appuyés par d’autres mouvements armés et des composantes de la société civile ont annexé les assemblées régionales de Gao et Tombouctou. Ces centaines de combattants en armes et leurs responsables s’opposent à l’installation des autorités intérimaires et dénoncent leur exclusion de toutes les structures de la mise en œuvre de l’Accord. C’est dans ce climat de forte tension, à la veille de l’installation des présidents des régions de Gao et Tombouctou, que Younoussa Touré, secrétaire général (CMFPR2) a répondu aux questions du Journal du Mali.

Des centaines d’éléments armés occupent les conseils régionaux de Gao et Tombouctou, pourquoi ce coup de force ?

Nous sommes à Gao et Tombouctou pour la reconnaissance de notre place et de notre identité. Depuis que les choses ont commencé au niveau des autorités intérimaires, on avait dit au niveau de la CMA que les choses avaient été mal gérées. Le gouvernement et la médiation ne nous ont pas cru. Ils sont allés jusqu’à nous exclure du dernier CSA où nous sommes membres, pour qu’on ne vienne pas perturber la session du comité, parce que pour eux nous sommes des perturbateurs, et ils pensent qu’ils peuvent faire les choses malgré nous. Puisque Kidal a le monopole de Kidal, on va leur montrer que nous aussi on a le monopole de Gao et Tombouctou.

Que souhaitez-vous ?

La société civile doit-être incluse dans les processus de décision, nous devons pouvoir faire des propositions, on nous a laissé de côté. Il n’y a que la CMA qui fait peur, il n’y a que la CMA qu’il faut satisfaire. Nous ne faisons pas le constat que dans la région de Tombouctou et de Gao les choses ne marchent pas, il y a eu des élections, donc ces autorités intérimaires n’ont pas lieu d’être. C’est moi qui suis allé à Tombouctou pour expliquer les autorités intérimaires à la population, qui leur ai dit voilà pourquoi il faut laisser les autorités intérimaires se faire. Mais de tout ce qu’on est allé expliquer, le gouvernement en a pris le contre-pied. Ils ont dit que les autorités intérimaires se feront dans les collectivités où ça ne marche pas, les présidents et vice-présidents des régions doivent être élus par leurs pairs et ces autorités choisies par la société civile et les conseillers. La population a le sentiment d’une trahison. Là où nous ne sommes pas présents dans tout ce qui concerne la mise en œuvre de l’Accord et les autorités intérimaires, les choses ne se feront pas sans nous.

Restez-vous ouvert au dialogue avec le gouvernement ?

Mardi matin, on m’a appelé pour me dire que le haut représentant, Mr Diagouraga, voulait nous recevoir, mais je n’ai pas été appelé en tout cas. Je sais qu’à Gao les gens ont rencontré le gouverneur qui leur a dit qu’il fallait vider les lieux, ils ont refusé, ce n’est pas au gouverneur de leur donner ces instructions-là. Nous avons fait une lettre à la veille du CSA ministériel, c’est pourquoi ils nous ont exclu, nous leur disions que les autorités intérimaires que l’on avait conçu étaient devenues caduques et que nos populations n’entendent pas travailler avec des gens qui sont nommés par-ci par-là. Ce qui est grave pour nous c’est que nous ne sommes même pas tenu au courant, s’il n’accepte pas quelque chose qu’ils viennent au moins nous le dire. Au moins appeler pour dire voilà pourquoi ont le fait. On n’est pas des hors-la-loi, on est pas contre la république. On s’était déjà opposé une fois, alors pourquoi ne sont-ils pas venus voir les gens pour leur expliquer ? c’est du mépris total pour les populations. Ce sont nos combattants qui là, s’ils ne font pas attention, ils n’auront plus personne pour discuter, il faudra les tuer et puis c’est tout.

Jusqu’où êtes-vous prêt à aller ?

Nous allons continuer, nous occupons les sièges des assemblées régionales. Il y a avec nous la société civile, les communautés. Quand les gens disent non, la moindre des choses c’est d’aller leur expliquer pourquoi ça se passe. Si c’est Kidal, on fait tout pour les mettre à l’aise mais si c’est des sédentaires on s’en fout. Puisque c’est l’épreuve de force qui prévaut, nos combattants ce sont eux maintenant qui prennent les choses en main.

Vous ne craignez pas que la situation dégénère ?

On ne souhaite pas que la situation dégénère, mais il ne faut pas qu’il y ait d’actions brutales de leur part. S’ils les agressent, nous, nous prenons l’arrière-pays, parce que nos troupes sont entre le Niger et le Mali. Nous ne sommes pas les seuls, il y a le MSA qui s’est joint à nous, le CJA, les populations civiles, le collectif « Nous pas bouger » , les femmes de Gao, etc. Donc finalement, on va arriver à une situation ou ce n’est même plus nous qui maîtrisons les choses. Parce qu’en fin de compte s’ils veulent négocier avec nous on ne pourra même plus débloquer la situation parce qu’il y aura d’autres acteurs avec lesquels il va falloir négocier, donc plus ils tardent plus le nombre d’acteurs augmente et à ce moment-là, nous on ne sera qu’un élément de l’ensemble.

Que demandez-vous pour un retour au calme ?

Pour stopper le mouvement, il faut qu’ils reviennent sur tous leurs décrets. Diagouraga lui-même nous a dit qu’il avait indiqué au gouvernement de ne pas prendre ces décrets avant qu’il ne règle les problèmes, il nous l’a dit quand il nous a reçu, il a même écrit pour dire au gouvernement que dans ce que la CMA propose, il y a de l’exclusion et qu’on doit en tenir compte, il a écrit ça quand il a envoyé les listes avant les décrets du 20 décembre. On ne sait pas ce que veut le gouvernement. Mais nous avons le sentiment qu’il ne travaille pas réellement à appliquer l’Accord de paix, c’est l’impression que nous avons. La CMA nous appelle en nous disant qu’ils veulent régler notre problème à condition de signer une charte pour dire qu’on est membre de la CMA, on ne signera pas, parce qu’on était membre de la CMA avant la charte. On avait fait des propositions à la CMA , qui l’a transmis au haut représentant qui l’a lui-même transmis au gouvernement, mais le gouvernement n’en a pas tenu compte. Finalement on ne sait pas qui ne veut pas. Nous sommes en train d’aller vers ce que nous n’avons jamais souhaité pour le Mali. Nous irons jusqu’au bout et tout ce qui arrivera dans les jours à venir est de la responsabilité du gouvernement.

Tensions autour du MOC à GAO

Lundi 5 décembre des membres du CMFPR2 on fait le siège des locaux du MOC avant d’être délogé par la Minusma. Ils exprimaient leur colère concernant l’exclusion, par la CMA, de leurs listes pour les patrouilles mixtes. Dans la cité des Askia, une vive tension règne entre le CMFPR2 et la CMA, soupçonnée de vouloir favoriser les touaregs au détriment des sédentaires. Le PR Younoussa Touré, secrétaire général du CMFPR2 a répondu aux questions du Journal du Mali

Des membres du CMFPR2 en colère ont fait le siège des locaux du MOC à Gao, que s’est-il passé ?

C’est simple, on nous avait demandé des listes pour les patrouilles mixtes, on a fourni les listes dans le canal qu’ils voulaient, c’est à dire via Sidi Brahim Ould Sidati de la CMA. Initialement on devait fournir une liste de 50 noms, mais la CMA nous a demandé de la ramener à 25 noms, ce que nous avons fait. Finalement nos gens ont appris que la CMA n’avait pas pris en compte nos listes. Ould Sidati a dit qu’ils avaient déjà fait toutes les listes de Gao, et qu’il allait voir s’il pouvait transférer nos listes sur les patrouilles de Kidal. Pourquoi voulez-vous amener des gens du coin qui veulent assurer la sécurité chez eux à Kidal ? Nos gens ce sont donc manifestés pour montrer leur mécontentement. La MINUSMA est intervenue est une réunion à été positionnée le 6 décembre à 10h, mais rien n’en est sorti de positif.

Où en est-on maintenant ?

On est toujours dans le statu quo, nos jeunes sur le terrain sont en train de se détourner des politiques pour reprendre la main, et on ne peut pas présumer de ce qui va se passer là-bas. Nos combattants ont rallié Gao pour la réunion de mardi. Je leur ai dit de ne pas y aller avec les armes, pour ne pas donner l’impression qu’ils veulent attaquer car ils sont déjà très nombreux. J’essaye de calmer les jeunes mais s’ils décident de passer à l’action, il sera difficile de les en empêcher. C’est en train de se transformer en conflit communautaire, parce que les touaregs ne choisissent que des touaregs et les sédentaires ne sont pas d’accord pour se faire surveiller par des touaregs, car leurs combattants sont là.

Comment calmer la situation pour éviter que ça ne dégénère ?

Dans la mesure où toutes les propositions que la CMA à faites ne tiennent pas compte des sédentaires, ça peut dégénérer. Pour calmer les choses, il faudrait que nous nous puissions assurer notre sécurité chez nous. Même le GATIA est en train de faire pression sur les sédentaires pour augmenter le nombre de touareg là-bas. Donc des deux côtes on ne prend que des touaregs. Ça va nous amener à la situation de la dernière rébellion, ou les touaregs avaient le monopole de l’intégration dans l’armée. Nous sommes des signataires de l’Accord, nous l’avons signé à la demande des Nations-unies. Le règlement qu’ils ont mis en place au niveau du Comité de Suivi de l’Accord (CSA) ne reconnaît que deux parties, la CMA et la Plateforme. Sur le document, nous n’avons pas signé CMA. Hier nous avons saisi officiellement les Nations-unies, pour dire que nous avons suivi leur volonté et que nous n’entendons pas être sous la coupe de qui que ce soit, nous sommes prêts à entamer des procédures judiciaires.