Cancer : non aux préjugés, oui au dépistage

Autour du slogan « Halte aux idées reçues », la journée mondiale contre le cancer 2014 s’organise autour de 4 grands messages. Tout d’abord, il faut parler ouvertement du cancer et éviter par exemple d’évoquer une « longue maladie », pour améliorer les situations à  un niveau individuel, communautaire et politique. Dans le même temps, cette journée réaffirmera l’importance du dépistage et de la détection précoce, mais aussi l’existence de nombreuses mesures pour lutter contre le cancer, en rappelant qu’avec les stratégies adéquates, un tiers des cancers les plus courants peuvent être évités. Enfin, cette journée entend insister sur la nécessité de lutter contre les disparités d’accès à  des soins de qualité, afin de permettre à  tous les patients de bénéficier de traitements efficaces et abordables. Plus de 50% des décès dus au dépistage tardif Dans le monde, selon l’OMS, le cancer aura fait 84 millions de morts entre 2005 et 2015 si aucune mesure n’est prise. En effet, le cancer constitue aujourd’hui la première cause de mortalité dans le monde, bien avant les guerres et autres catastrophes naturelles. Il fait beaucoup moins parler de lui, mais il tue. Pourtant, toujours selon l’OMS, 40% des cancers peuvent être évités. Le cancer se soigne et l’intérêt de cette journée mondiale dédiée à  la lutte contre la maladie est aussi de faire prendre conscience de l’utilité d’un dépistage précoce permettant d’arriver à  une guérison. Près de 10 000 cas de cancer sont diagnostiqués chaque année au Mali, selon les données du Registre National des Cancers. Plus de 60% de ces cas entrainent le décès du malade. La proportion de décès est de 83,1% pour les femmes et 39,2 % pour les hommes. Il faut reconnaitre que dans notre pays, le diagnostic du cancer est le plus souvent fait à  un stade tardif de la maladie. Le traitement dans ce cas n’est que palliatif, C’’est à  dire qu’il permet de diminuer les souffrances du malade et d’accompagner sa fin de vie. Le Docteur Ly du service d’oncologie de l’Hôpital du Point G affirme que plus de 80% des malades arrivent à  l’hôpital alors que leur cancer a déjà  atteint un stade critique (stade 3 ou 4, les deux derniers stades de gravité). Beaucoup de patients aussi font confiance à  la tradi-thérapie dont les résultats sont pour le moins aléatoires, perdant ainsi un temps précieux pour la prise en charge médical d’un mal qui aurait pu être résorbé si on s’y prend à  temps. Pour cela l’amélioration de cette situation passe par la mise en place d’une structure capable de mener à  bien les différents aspects de la prise en charge des cancers, de développer la recherche et la formation en matière de lutte contre le cancer et de contribuer à  organiser les établissements intervenant dans le traitement des malades atteints de cancer. Pour le Docteur Ly, il est aussi indispensable de former les médecins généralistes pour qu’ils aient la capacité de reconnaitre un cas potentiellement cancéreux afin de le référer aux services compétents. Pour améliorer le dépistage précoce et la prise en charge des cancers, un Centre National d’Oncologie verra bientôt le jour au Mali. Il fonctionnera en Etablissement hospitalier, avec pour mission de mettre au point des thérapies nouvelles contre le cancer et de diffuser dans les communautés médicales et scientifiques les connaissances sur le cancer. Il permettra à  terme la mise en place des outils standardisés de prise en charge du cancer et de réduire le nombre et le poids des évacuations.

Société : ces enfants nés le vendredi

La naissance représente dans la vie du couple un moment unique, em-preint d’une très forte charge affective et émotionnelle. Souvent, elle est l’occasion de raviver et de resserrer les liens au sein de la famille étendue, au-delà  du seul couple. Dans les sociétés africaines, le jour de la naissance occupe encore une place primordiale au sein de la société. Chaque jour de la semaine secrète son enfant avec sa personnalité propre. Il en de même de chaque mois et de chaque année. Selon le jour de la naissance, la personnalité, les chances de succès dans la vie se déterminent. Pendant des siècles dans le Mali des empires du Ghana, Mali, Songhoy et des royaumes, Ségou, Macina, Kaarta, Sikasso etc…, les croyances culturelles divisaient la semaine en trois jours fastes et quatre jours néfastes. Les trois jours fastes étaient le dimanche, le lundi et le mardi. Les quatre jours moins chanceux étaient le mercredi, le jeudi, le vendredi, le samedi, selon les témoignages du sociologue Facoh Diarra. Le jour crucial était le jeudi. Il était retenu pour procéder aux festivités de circoncision des adolescents du même groupe d’âge. Dans l’imaginaire collectif de l’époque le jeudi était favorable pour verser le sang et célébrer les rites d’initiation des jeunes aux secrets de la nature et de la vie en communauté. Naturellement le jour qui suit le jeudi est le vendredi. Avant l’arrivée de l’Islam ce jour était craint pour les manifestations extraordinaires de la malédiction qui frappait les entreprises humaines au cours de son déroulement. Les prières étaient refusées par les esprits et l’échec couronnait les actions projetées. La hantise des parents était de ne pas enregistrer de naissance ce jour fatidique. l’opinion croyait dur comme fer que l’enfant qui naà®t dans le vendredi est marqué par une sorte de signe indien. Il ne fait rien comme les autres. Aujourd’hui encore dans le Mali moderne, certaines mères sont convaincues que leur enfant né un vendredi est particulier au sein de leur progéniture. Le témoignage de Mme Fanta Diallo est éloquent à  ce sujet.  » Mon deuxième garçon est né un vendredi. Dès qu’il est arrivé au monde, après la première toilette, il a attrapé une forte fièvre qui a duré toute une semaine. Il pleurait jour et nuit sans arrêt. Toute la première journée le bébé a refusé le sein. Ses aà®nés au contraire se jetaient littéralement sur le sein. Au fur des années J’ai constaté que ce fiston avait la tête dure. Il conteste tout et se soumet difficilement à  l’autorité de ses aà®nés ». Le couple Diallo continue toujours à  accorder une attention particulière à  « leur garçon du vendredi » qui se révèle très intelligent. Dans toutes les familles africaines l’avenir des enfants nés le vendredi préoccupe les parents. La société traditionnelle avait des antidotes pour contrecarrer le mauvais sort qui les frappe. Ainsi des sacrifices de sang, de cola, des décoction d’écorces de tronc d’arbres, amulettes et des incantations diverses auraient le pouvoir d’éloigner la guigne des enfants du vendredi. Les préjugés sont tellement fortement ancrés dans les esprits que beaucoup de parents refusent même de faire leur baptême si ce jour heureux tombe sur le vendredi. bien accueilli. Les Maliens sont généralement réceptifs à  certaines croyances anciennes. Les préjugés qui entourent les enfants nés le vendredi colportent que « l’enfant du vendredi » ne grandit pas au milieu de ses deux parents génitaux. La vieille Mamou Sacko soutient que cet enfant perd un de ces parents ou les deux pour cause de divorce ou de décès. Elle raconte que dans son village d’origine « la tradition recommande au père, après la naissance de l’enfant du vendredi, sans qu’on dise la raison, de faire des sacrifices. Le père doit donner en aumône les habits qu’il portait le jour de la naissance, ou l’équivalent en or ou en argent du poids des cheveux de l’enfant à  sa naissance. Les parents sont contraints aussi de faire d’autres sacrifices selon leurs moyens. l’enfant, quand il sera adulte, fera des sacrifices », a expliqué le sociologue Baye Coulibaly. Dans certaines sociétés le baptême de  » l’enfant particulier » est fait sans manifestations de joie contrairement à  celui des autres enfants. Le temps fait toujours son effet sur les mentalités. La pénétration des idées islamiques sur nos terres a introduit des valeurs positives musulmanes. Le vendredi est béni dans l’Islam, le vendredi est saint. C’’est le jour de la grande prière hebdomadaire qui regroupe tous les fidèles dans la joie, dans la foi, dans la piété. Au cours de ce jour, le malheur ne peut tomber sur la tête des bébés qui arrivent au monde. Les valeurs musulmanes ayant balayé les croyances fétichistes traditionnelles, l’enfant du vendredi est désormais bien accueilli dans les familles devenues musulmanes. Les prénoms « Guediouma » C’’est -à  -dire « né un vendredi » chez les bamanan, « Al diouma » chez les peuls, « Porpio » chez l’ethnie mianka , « Adiouma » chez les dogons, ont un caractère inter-ethnique. Mais il faut reconnaà®tre que l’influence a été vraiment imposée avec l’arrivée de l’islam dans nos pratiques anciennes. l’itinéraire de ce périple est bien connu, il a été minutieusement reconstitué et transmis grâce aux dépositaires de la tradition. Il regroupe en fait les acteurs traditionnels tels que (griots, notables, Ulémas, chefs traditionnels, associations diverses. De nos jours, dans le subconscient de l’imaginaire populaire, un enfant né le vendredi est un enfant béni, mais il est toujours réputé drainer dans son sillage une cohorte de problèmes. Le vendredi dans le calendrier musulman est un jour béni de Dieu, un jour de clémence et de miséricordieux, selon Yaya Haà¯dara, maà®tre d’une école franco-arabe de Daoudabougou. l’idée dans le contexte actuel est purement religieuse. Dans l’islam le vendredi est le jour de la congrégation. Il a été prédestiné pour la fin du monde. C’’est un jour spécial et de contraste souligne le maà®tre coranique. Le maà®tre Yaya Haà¯dara soutient que quand le père de l’enfant né le vendredi apprend la nouvelle, il doit aussitôt faire un sacrifice selon ses moyens, lié à  la sainteté de cette journée, mais aussi pour amoindrir un peu la « lourdeur » des signes astrologiques qui se manifestent au cours de la journée. Mais après la prière du vendredi les présages redeviennent normaux. La réalité culturelle est fluctuante à  cause des nouvelles idées reçues d’ailleurs. Le « vendredi noir » des temps fétichistes anciens est devenu « le vendredi saint » de l’ère islamique explique le Pr Facoh Diarra. La vérité d’hier est devenue un mensonge d’aujourd’hui, parce que la vérité est relative. Il faut situer les choses dans leur contexte. Aujourd’hui tous les jours sont favorables à  la naissance. Aucune auréole noire ne ceint désormais la tête des « enfants du vendredi ». Ce changement de mentalité est du aux effets de la modernisation et de l’ouverture de toutes les civilisations du monde les unes aux autres.

Cannes, la dernière frontière

Dimanche 24 mai, le 62ème festival de Cannes a refermé ses portes après une prestigieuse remise des trophées, comme chaque année. La grande famille du cinéma était une fois de plus au complet, une famille plus unie et soudée que jamais. Irions-nous jusqu’à  dire fermée ?? Non bien sûr : les films asiatiques y tiennent une place de plus en plus importante comme en attestent les différentes sélections. l’Asie, continent vers lequel convergent tous les regards du monde depuis une décennie, ne comptait pas moins de 5 films sur 20 en compétition. Et C’’est sans compter les œuvres présentées en sélections parallèles. Mais comme à  l’accoutumée, d’Africains, point. Ou plutôt, si, un seul. Le réalisateur malien Souleymane Cissé présentait son dernier film « Min Yé » en séance spéciale. Depuis plus d’une dizaine d’années, l’absence criante de tout film africain en sélection officielle longs métrages suscite quelques questions. Jugez plutôt : le dernier en date remonte à  1997… Les seuls qui parviennent à  s’imposer sont programmés hors compétition ou dans Un Certain Regard. La faible production qualitative et quantitative du continent serait en cause selon les organisateurs du festival. Pour ce qui de la quantité, force est de reconnaà®tre qu’en 2008, la production cinématographique du continent a été particulièrement faible. On l’expliquera principalement par les difficultés accrues pour mobiliser des financements, incitant les réalisateurs à  se tourner vers la production vidéo et télévisuelle. En revanche, la qualité des films africains n’est pas discutable et il aurait été justifié de retrouver, par exemple, le film algérien « Mascarades » de Lyes Salem en sélection officielle de cette édition. La preuve, il était sélectionné à  Hollywood pour l’Oscar du meilleur film étranger 2009. En 2007, l’absence de l’Afrique était encore plus incompréhensible. Pourquoi ni « Carmen » du sud-africain Mark Dornford-May, Ours d’Or à  Berlin en 2005, ni « Tsotsi » de son compatriote Gavin Hood, Oscar du meilleur film étranger en 2006, ni encore « Daratt » du tchadien Mahamat Saleh Haroun, Grand Prix du Jury à  la Mostra de Venise la même année, n’étaient dans la sélection cannoise ? Les critères cinématographiques d’Hollywood, de Berlin et de Venise seraient-ils donc dévalués ? Encore plus étrange, le jury « longs métrages » comptait dans ses rangs le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako. s’il méritait ce statut (et nous ne doutons aucunement de sa légitimité !), pourquoi en revanche aucun de ses films n’a-t-il jamais mérité la sélection officielle ? Alors comment expliquer cette exclusion ou plutôt cette marginalisation systématique ? Pourquoi relayer les cinématographies du continent au Pavillon des Cinémas du Monde, o๠l’on se gargarise des aides de la coopération française à  la culture des pays du Sud ? Le cinéma africain est semble-t-il passé de mode. Il le fut pourtant dans les années 80-90 et eut une représentation digne de ce nom au festival, avec notamment des grands réalisateurs comme Souleymane Cissé, Djibril Diop-Mambéty ou Idrissa Ouédraogo. Ce qui explique d’ailleurs qu’à  l’heure actuelle on ne connaisse encore qu’eux à  Cannes et presqu’aucun autre. Car comme d’habitude, l’Afrique est victime d’une méconnaissance associée à  une absence de curiosité et à  une bonne dose de préjugés à  son égard. La preuve, de plus en plus de films ayant le continent pour sujet, et censés remplacer la présence africaine sont projetés. En 2008, il s’agissait de « Johnny Mad Dog » de Jean-Stéphane Sauvaire. Cette année ce fut le documentaire « l’Armée silencieuse » de Jean Van De Velde. Tous deux traitent des enfants soldats enrôlés dans les conflits africains. Tout commentaire semble superflu : ce sont immuablement les images de violence, de misères et d’horreurs que l’on véhicule. Et C’’est avec ce misérabilisme que l’on compense la mauvaise conscience de ne pas proposer la version originale. Ainsi, à  la ville comme à  la scène, l’Afrique est désespérément maintenue en marge. Mais si le 7ème art est le reflet de nos sociétés et de nos visions du monde, pourquoi s’obstine-t-on, dans un pays comme la France, à  en refuser la conception africaine et à  la cantonner dans une sorte de catégorie hors normes ? C’’est que l’Afrique demeure à  bien des niveaux la dernière frontière dans les esprits ethnocentrés et étriqués.