Boubacar Haidara : « Ce n’est pas une transition civile, elle est purement et simplement militaire »

Le colonel-major à la retraite Bah N’Daou, nommé l21 septembre Président de la transition par un collège mis en place par le CNSP, prêtera serment ce vendredi. Le chercheur Boubacar Haidara nous livre son analyse sur cette nomination et sur la tournure que prend la transition.

Que pensez-vous du choix de Bah N’Daou comme Président de la transition ?

C’est une personnalité que je ne connaissais pas. Les renseignements que j’ai pu obtenir sur lui ont quand même tendance à converger sur le fait que ce soit une personne dbonne moralité. Mais sur la forme de sa désignation, il y a à redire. Dès l’annonce, il a été dit par le M5 et l’Imam Dicko, qui a fait partie du collège, que ce n’était pas un choix issu d’un débat entre les principales personnes qui en étaient membres. Cela ressemble plutôt à une main basse de l’armée sur le pouvoir. Les concertations nationales n’étaient rien d’autre qu’une entourloupe.

Est-ce une transition militaire camouflée?

Ce n’est rien d’autre qu’une transition militaire. Ce n’est pas une transition civile, elle est purement et simplement militaire. Dès le départ, quand les militaires tournaient en rond, je me suis dit qu’ils ne voulaient pas lâcher le pouvoir et qu’ils allaient trouver tous les moyens pour le garder. Ils y sont parvenus. Aujourd’hui, le pouvoir est bien militaire.

Selon vous, quelle va être la relation entre Bah N’Daou et Assimi Goita ?

J’ai appris que le président de la transition avait démissionné de son poste de ministre de la Défense parce qu’il y avait quelque chose qui ne lui plaisait pas. C’est assez rare au Mali que de voir des ministres partir d’eux-mêmes. Cela laisse penser que c’est une personne qui ne se laissera peut-être pas faire. Mais on ne peut pas préjuger de ce qui va arriver. Peut-être qu’ils seront tous les deux de bons dirigeants, mais en l’état actuel des choses, la manière ressemble plus à une perpétuation du système. J’espère que le Vice-président Assimi Goita ne va pas continuer à diriger et que le Président N’Daou ne serait pas fantoche.

Cette nomination ne semble pas avoir l’aval du M5-RFP. Est-ce que cela pourra jouer sur le président et la réussite même de la transition ?

Je pense que, finalement, la marge de manœuvre du M5-RFP semble être réduite, dans la mesure où le CNSP est parvenu à le fissurer. La désignation de Bah N’Daou est actée et je pense qu’il ne va pas subir de contestations. Choguel Maiga est à bout, mais je ne pense pas que cela fera effet. L’Imam Dicko a pris acte, même s’il affirme que ce n’est pas le choix du collège.

Centre : Dioncounda Traoré, un choix judicieux ?

L’ancien Président de la Transition de 2012, le Pr Dioncounda Traoré, a été nommé le 20 juin Haut représentant du Président de la République pour le Centre. Dans la quête pour la résolution de la crise dans cette partie du pays, le choix de l’ancien Président de l’Assemblée nationale apparait judicieux, tant le personnage a des atouts. Mais certains ressortissants de la région de Mopti voient plutôt ATT comme « Solution one ».

Il y a deux semaines, le Président de la République désignait le Professeur Dionconda Traoré comme son Haut représentant pour le Centre du Mali. Les violences exercées dans cette partie du pays et les massacres répétitifs de populations civiles depuis le début de l’année 2019 nécessitent des approches nouvelles et un engagement accru des autorités. La nomination de l’ancien Président de la République sous la Transition s’inscrit dans cette volonté de résolution de la crise. Le personnage a, selon plusieurs analystes, de nombreux atouts. « C’est quelqu’un qui a assez de chance dans la vie. Il sait souvent transformer les défis en réalités. Il a beaucoup d’atouts et connait le paysage politique malien. Mieux, c’est un ancien Président sous la Transition, également ancien Président de l’Assemblée nationale, et c’est à sa demande que les forces étrangères sont arrivées en terre malienne », explique l’analyste politique Salia Samaké.

Réputé patient et pragmatique, ce scientifique pourrait faire bouger les lignes et apaiser les tensions. « Il ressort des différentes analyses que son profil est à la limite consensuel, mais pas à 100%. Beaucoup d’acteurs, tant sur l’échiquier politique que social, trouvent que le Président Dioncounda pourrait combler les attentes,  mais le personnage est marginal au centre du Mali », note le sociologue Dr Aly Tounkara.

Dans la région de Mopti, certaines personnalités, à l’annonce de cette désignation, se disaient déçus, misant avant tout sur l’ancien Président Amadou Toumani Touré, originaire de cette région. Au sein de la Coordination des associations des ressortissants des cercles de la région de Mopti résidant à Bamako (CAREMB), on relativise. « C’est un choix souverain du Président de la République qui ne souffre d’aucune contestation. On peut être frustré ou ne pas être totalement d’accord, mais le choix est fait. La position du CAREMB est de dire aujourd’hui qu’il faut partir de ce choix pour concevoir une dynamique qui permettra à tous les Maliens de contribuer à la résolution du problème du Centre et de la région de Mopti en particulier », estime Adama Samassekou, ancien ministre et Président du regroupement.

Au-delà du personnage

Il s’avère que les deux personnages évoqués ont servi au sommet de l’État à des moments très particuliers. Et que chacun d’eux à ses forces et ses faiblesses. Face aux urgences, le choix apparait plus comme un détail que comme un obstacle. « Au regard de la gravité de la situation dans la région et au Centre en général, nous ne souhaiterions pas ajouter une crise à la crise. Il ne doit pas y avoir de débats insolubles entre personnalités par rapport à la prise en charge de la question gravissime de la région », insiste le Président du CAREMB.

Dans un pays au tissu social atteint, sortir des sentiers battus serait une bonne piste à suivre. « L’enjeu au Centre n’est aucunement lié au choix du personnage. Il faut plutôt interroger les causes profondes de l’insécurité. Est-ce que le Pr Dioncounda Traoré sera capable de questionner les raisons profondes de cette insécurité, la question de la justice sociale et du traitement partial et parcellaire entre les communautés ? », s’interroge le sociologue. Selon lui, il ne peut y avoir de choix unanime.  « J’ai la ferme conviction que si c’était ATT qu’on avait choisi, beaucoup allaient lui renvoyer la responsabilité du début de la crise de 2012. Ce qui aurait compromis ses chances de réussir. Les gens auront souvent des arguments fallacieux sans s’intéresser  à la quintessence de la mission ».

Dans cette zone, où interviennent de nombreux acteurs, la tâche parait ardue, mais pas impossible. Un diagnostic minutieux des causes, pour trouver des solutions durables, s’impose au missionnaire. « Si dans sa démarche il parvient à mettre la main sur les vrais acteurs, il pourra faire décanter la situation. Il faut que tout le monde s’engage à ses côtés, car le problème est complexe », recommande Salia Samaké.

La CAREMB se dit disponible à accompagner le Haut représentant du Président. « Le moment venu, quand nous serons sollicités par lui, nous lui réserverons la primeur de nos propositions », assure Adama Samassekou.