Liberté de la presse : Un recul alarmant

Depuis 2021, la situation de la liberté de la presse au Mali régresse de manière alarmante. La situation des médias et des journalistes n’a cessé de se détériorer dans le pays ces dernières années, au point d’inquiéter tant les acteurs nationaux qu’internationaux.

Le rapport 2025 sur la situation de la liberté de la presse dans le monde de Reporters Sans Frontières (RSF), publié le 2 mai 2025, est sans équivoque et dresse un constat préoccupant au Mali. Le pays chute au 119e rang mondial sur 180 en matière de liberté de la presse, perdant 5 places par rapport à l’année précédente. À titre de comparaison avec ses alliés de la Confédération des États du Sahel (AES), le Mali se classe derrière le Niger (83ème) et le Burkina Faso (105ème).

Globalement, sur les 4 dernières années, le Mali a perdu 20 places dans le classement, passant de la 99ème place en 2021 à la 119ème place en 2025. Cette dégradation continue de la liberté de la presse dans le pays est provoquée, selon certains analystes, par l’instabilité politique, les pressions exercées sur les médias, les enlèvements de journalistes et les restrictions imposées à certains médias internationaux.

« En principe, les journalistes et les médias sont libres de couvrir l’administration, et les médias privés sont relativement indépendants. Cependant, les journalistes sont particulièrement fragilisés par la situation politique et le durcissement du régime militaire au pouvoir », souligne le rapport de RSF, qui alerte également sur les pressions pour un « traitement patriotique » de l’information, qui se multiplient, et sur les correspondants des médias étrangers, devenus persona non grata.

Une situation aux causes multiples

Le recul continu de la liberté de la presse au Mali résulte d’un enchaînement de facteurs politiques, sécuritaires et institutionnels qui se sont cristallisés au fil des années, particulièrement depuis 2012, mais qui se sont intensifiés après le renversement du régime de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita en 2020.

À en croire certains rapports d’organismes internationaux, à l’instar de Freedom House, les signalements de censure, d’autocensure et de menaces contre les journalistes ont considérablement augmenté depuis lors, entraînant une fermeture progressive de l’espace civique, notamment médiatique.

Le cadre législatif de la presse au Mali est également problématique. Bien que la liberté de la presse soit consacrée par la Constitution, plusieurs lois continuent de permettre des poursuites judiciaires contre les journalistes pour des délits d’opinion. La loi sur la cybercriminalité, notamment, est parfois utilisée pour poursuivre des blogueurs ou des journalistes qui s’expriment sur les réseaux sociaux. Le 9 avril dernier, Alhousseiny Togo, directeur de publication du *Canard de la Venise*, a été placé sous mandat de dépôt pour un article jugé critique envers le ministre de la Justice.

Pour l’avocat Maître Cheick Oumar Konaré, « tant que ces lois ne seront pas réformées, la liberté d’expression restera précaire au Mali. Il faut dépénaliser les délits de presse, garantir un accès réel à l’information publique et protéger juridiquement les journalistes. »

Selon les observateurs, l’hostilité ouverte envers certains médias internationaux, perçus comme « hostiles » au régime militaire, constitue un autre facteur important du recul de la liberté de la presse dans le pays.

« La suspension de RFI et France 24 continue de contribuer à la dégringolade du Mali au classement RSF, car ce sont des chaînes qui étaient des sources majeures d’information pour de nombreux Maliens, en l’occurrence RFI, particulièrement en zone rurale », explique un professionnel des médias qui a requis l’anonymat.

Quels impacts ?

Le recul de la liberté de la presse au Mali ne constitue pas seulement une atteinte aux droits fondamentaux des journalistes et des médias, mais il engendre également des conséquences sur l’ensemble du tissu social, économique et politique du pays.

Si les journalistes ne sont pas libres ou sont soumis à une menace continue de censure, voire d’autocensure, la qualité de l’information accessible au citoyen est affectée. La conséquence directe est la montée des récits partisans, qui circulent de plus en plus sur les réseaux sociaux, où les avis critiques sont étouffés.

Par ailleurs, le recul de la liberté de la presse nuit à la transparence et à la redevabilité des gouvernants, comme l’indique un rédacteur en chef d’un journal de la place. « Dans un contexte où les journalistes n’ont plus toute la liberté d’enquêter, de questionner ou de dénoncer les abus, les dérives du pouvoir peuvent se multiplier à huis clos. La corruption, le népotisme ou encore les violations des droits humains peuvent ainsi prospérer dans l’ombre, sans que les citoyens n’en soient informés ni que les responsables soient tenus pour compte », glisse cet interlocuteur.

Les impacts de la situation sont tout aussi alarmants sur le plan économique. Du point de vue de l’analyste politique et économique Amadou Sidibé, le recul de la liberté de la presse envoie un signal négatif aux investisseurs, notamment étrangers, qui voient dans un environnement médiatique restreint un indicateur d’instabilité ou d’opacité.

« Pour les bailleurs de fonds comme pour les entreprises privées, la liberté d’informer est un gage de transparence institutionnelle, de climat des affaires sain et de prévisibilité. En réduisant cette liberté, le Mali se prive d’un facteur important d’attractivité économique, au moment même où il tente de relancer son développement dans un contexte sécuritaire et politique déjà fragilisé », insiste-t-il.

Une amélioration indispensable

Pour inverser la tendance au recul de la situation de la liberté de la presse au Mali depuis plusieurs années, des mesures concrètes et complémentaires peuvent être mises en œuvre.

Pour plusieurs observateurs, notamment internationaux, il est d’abord important de renforcer l’indépendance des institutions de régulation des médias, à commencer par la Haute Autorité de la Communication (HAC), qui doit être dotée de garanties structurelles et juridiques lui permettant d’agir sans pression politique.

Ensuite, une réforme en profondeur du cadre juridique qui régit le travail de la presse pourrait contribuer à améliorer la liberté des journalistes et des médias dans l’exercice du métier.

« La dépénalisation des délits de presse, notamment la diffamation, permettrait d’éviter les peines d’emprisonnement qui dissuadent le travail d’investigation », affirme un journaliste ayant requis l’anonymat.

« Par ailleurs, l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information publique faciliterait le travail des journalistes et renforcerait la transparence dans la gestion des affaires de l’État », ajoute-t-il.

Pour ce dernier, le gouvernement devrait également garantir une meilleure protection des journalistes, en particulier dans les zones de conflit, en mettant en place un mécanisme national de veille, de protection et de réponse rapide en cas de menace.

Si les autorités du pays sont appelées à mettre en œuvre diverses mesures, les organes de presse et les journalistes eux-mêmes pourraient également contribuer à une nette amélioration de la liberté de la presse au Mali.

Une meilleure formation des journalistes et le renforcement de l’éthique professionnelle dans les médias peuvent concourir à élever le niveau du débat public, car, estime un analyste, en encourageant l’autorégulation via des conseils de presse ou des chartes de déontologie, les médias maliens peuvent renforcer leur crédibilité auprès du public.

« L’amélioration de la liberté de la presse au Mali ne se résume pas à lever des restrictions. Cela passe par une volonté politique réelle, un soutien institutionnel renforcé et un engagement de tous les acteurs à défendre un journalisme libre, responsable et au service du citoyen », conclut Amadou Sidibé.

Mohamed Kenouvi

 

Fin de l’impunité des crimes contre les journalistes : Une célébration marquée par la douleur et l’absence de justice

Le 2 novembre marque la célébration de la Journée internationale pour mettre fin à l’impunité des crimes contre les journalistes. Cette date symbolique, instaurée par l’ONU en 2013, fait écho à l’assassinat des journalistes de Radio France Internationale (RFI), Ghislaine Dupont et Claude Verlon, enlevés puis tués à Kidal. Onze ans après cette tragédie, l’enquête peine à avancer, minée par des tensions géopolitiques et des blocages judiciaires.

Ce drame, qui a secoué les défenseurs de la liberté de la presse à travers le monde démontre les dangers constants auxquels sont confrontés les journalistes en zone de conflit, souvent au prix de leur vie. En ce jour de commémoration, la quête de vérité pour Ghislaine Dupont et Claude Verlon demeure d’actualité.
Selon l’ONU, environ 90 % des assassinats de journalistes restent impunis. Aussi, plus de 1 000 journalistes ont été tués entre 2010 et 2022 dans le monde. S’y ajoute qu’entre 50 et 100 journalistes et lanceurs d’alerte meurent chaque année dans des conditions violentes ou périlleuses liées à leur travail.
En novembre 2013, Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient en mission à Kidal pour couvrir la situation au nord du Mali. Alors qu’ils s’apprêtent à quitter un entretien, ils sont enlevés par un groupe armé et tués peu de temps après. Ce double assassinat a suscité une vive émotion en France et une mobilisation internationale pour faire éclater la vérité.
Malgré les années écoulées, l’enquête n’a pas permis d’aboutir à des conclusions définitives, entravée par un climat diplomatique tendu entre Paris et Bamako. Depuis le retrait des troupes françaises de la région, la coopération entre les autorités françaises et maliennes est réduite à son minimum, rendant difficile l’accès aux témoins et aux informations locales.
Le blocage de l’enquête repose également sur des documents classés « secret-défense » en France, que les familles des journalistes et les organisations de défense de la presse réclament depuis des années. Ces informations, qui pourraient potentiellement éclairer certaines zones d’ombre sur les circonstances de l’enlèvement, demeurent protégées pour des raisons de sécurité nationale, selon les autorités françaises. Ce secret freine les efforts pour élucider les faits et entretient une douleur encore vive pour les familles, qui réclament inlassablement la transparence.
L’un des principaux suspects, Seidane Ag Hita, identifié comme membre influent d’un groupe terroriste local, reste introuvable. Considéré comme ayant participé activement à l’enlèvement, son rôle dans cette affaire demeure flou, bien que des témoins indiquent sa possible implication. L’absence de coopération entre la France et le Mali rend difficile toute tentative de localisation et d’arrestation.
Un message d’António Guterres pour la fin de l’impunité
À l’occasion de la journée du 2 novembre, le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a renouvelé son appel à la communauté internationale pour mettre un terme à l’impunité des crimes contre les journalistes. « La liberté de la presse est un pilier de la démocratie et des droits humains », a-t-il déclaré, soulignant que « l’impunité engendre la répétition des violences ». Ce message vise à rappeler aux États leurs obligations de protéger les journalistes et de garantir une justice effective pour les crimes commis contre eux, notamment dans les zones de conflit.
Les statistiques de l’ONU font état de neuf crimes sur dix contre des journalistes qui restent impunis. Ce chiffre accablant révèle l’ampleur des défis à relever pour garantir un environnement sécurisé pour ceux qui risquent leur vie au service de l’information.
Malgré les entraves diplomatiques et le secret d’État, les familles de Ghislaine Dupont et Claude Verlon et les associations qui les soutiennent poursuivent leur combat pour la vérité.

Classement RSF : le Mali occupe la 113ème place sur 180 pays

Le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF) a été rendu public ce mercredi 03 mai, jour de célébration de la liberté de la presse.

Reporters sans frontières classe le Mali à la 113e place sur les 180 pays de son dernier classement. L’organisation pointe du doigt une fragilisation des journalistes par la situation politique et selon eux un durcissement des autorités de la transition relative à des pressions sur le traitement patriotique de l’information qui se multiplierait selon eux.

En Afrique, le pays le mieux classé est l’Afrique du sud qui occupe la 25e juste derrière la France 24e du classement et devant le Royaume Uni qui occupe la 26e place. Autres pays africains mieux classé, Le Cap Vert à la 33e place, la Côte d’ivoire est 54e du classement, le Burkina Faso occupe la 58e place, le Niger est à la 61e place suivi par le Ghana. La Guinée occupe la 85e place, le Sénégal la 104e place.

Le premier pays au monde qui respecte la liberté de la presse est la Norvège qui occupe cette place pour la 7e année consécutive, suivi par l’Irlande et le Danemark. Les États-Unis sont au 45e rang mondial. La Russie est classée à la 164e position. Les pays qui occupent les trois dernières places sont le Vietnam, au 178e rang, suivi de la Chine et de la Corée du Nord.

Selon RSF, il existe une implication des acteurs politiques dans des campagnes de désinformation massive ou de propagande dans beaucoup de pays évalués. L’organisation estime que ceci est le cas en Russie, en Inde, en Chine et au Mali.

Dans un communiqué publié en même temps que le classement, Reporters sans frontières signale que la situation peut être qualifiée de « très grave » dans 31 pays, « difficile » dans 42 et « problématique » dans 55 pays. En revanche, elle est « bonne ou plutôt bonne » dans 52 pays. En ce qui concerne les conditions d’exercice du journalisme ; RSF a déclaré qu’elles sont mauvaises dans 7 pays sur 10 et satisfaisantes dans à peine trois pays sur 10.