Justice malienne, qu’est ce qui bloque?

« Les Maliens n’ont pas confiance en leur justice, et C’’est peu de le dire ». Ces propos sont ceux d’un avocat qui, sous couvert de l’anonymat, assure que ses clients rechignent bien souvent à  aller en justice, non pas par manque d’arguments, mais « parce qu’ils savent que là -bas, C’’est toujours le plus fort qui a raison ». Alors qu’elle est censée être le pilier central de l’à‰tat de droit, la justice malienne est aujourd’hui un grand corps malade que les différentes réformes ne sont pas encore parvenues à  remettre sur pied. Les défis sont nombreux : lourdeurs administratives, manque de moyens humains et financiers, mais aussi corruption et impunité. De l’indépendance de la justice « l’indépendance de la magistrature est avant tout un idéal, elle n’est en général pas totalement acquise », déclarait récemment le Vice-président du syndicat autonome de la magistrature. Si l’on en croit Cheick Mohamed Chérif Koné, les magistrats maliens ont besoin d’être dans de meilleures conditions pour travailler efficacement. Il leur manque des équipements, des conditions salariales plus valorisantes et des perspectives d’évolution de carrière. Il est rejoint sur ce point par Maà®tre Mariko, avocat à  la cour, qui reconnait qu’il y a un effort à  faire. « Si l’on veut pouvoir contrôler et sévir, il faut que le juge, qu’il soit de Bamako ou en région, puisse vivre et travailler décemment ». Il tempère en expliquant que ce n’est pas la seule raison aux problèmes du système. « Les mauvaises graines sont plus nombreuses que les bonnes, et ces dernières sont très vite reléguées dans les placards car elles empêchent un système, huilé à  force de pratique, de fonctionner », poursuit l’avocat, qui estime que « la recherche du gain a pris le pas sur la recherche du droit ». De l’indépendance de la justice, il est également question quand on évoque les « affaires », dont les plus récentes continuent d’alimenter la chronique. Du procès attendu de l’ex-putschiste Amadou Haya Sanogo aux dossiers de crimes financiers soulevés depuis des années par le Bureau du Vérificateur Général et les services de contrôle, en passant par les conflits fonciers de plus en plus récurrents, « on a bien l’impression que tout est fait pour que la lumière ne se fasse pas ». « Les juges maliens ont très bien compris leur indépendance et en abusent », déplore Me Moctar Mariko, président de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH). Selon lui, « aucun contrôle n’est fait de leur action, aucune sanction n’est prise, et ils peuvent gérer leurs affaires comme ils l’entendent, au grand dam du droit et des justiciables. l’à‰tat n’intervient pas dans les affaires judiciaires mais peut-être qu’il devrait faire valoir son droit de suivi ». Il cite l’exemple des affaires de détournements de biens publics qui se succèdent, et dont la grande majorité est classée sans suite alors que les preuves existent et que les coupables sont identifiés. On se souvient des fameux « 200 dossiers » de contrôle transmis à  la justice depuis 2013 et qui n’ont jamais été « traités », comme le rappelait le président Ibrahim Boubacar Keà¯ta dans une interview accordée à  Jeune Afrique en décembre 2015. Interférence de l’exécutif ? Dans le même entretien, il répondait à  une question sur les interférences : « Jamais ! Ai-je essayé de couvrir une seule affaire ? Ai-je appelé une seule fois un juge malien ? Si C’’était le cas, je suis prêt à  en répondre aujourd’hui devant Dieu […] je ne l’ai jamais fait » assurait-il. Des efforts sont faits, avec l’appui des partenaires, pour garantir les conditions de cette indépendance, si l’on en croit les autorités. Le Programme d’appui à  la justice au Mali (PAJM), lancé en 2014, s’inscrit dans ce cadre. Selon le ministre de tutelle, Sanogo Aminata Mallé, il a pour objectifs d’améliorer la qualité des prestations offertes aux usagers et de faciliter l’accès à  la justice et à  l’aide juridictionnelle. Il doit entre autres permettre de parachever le processus d’informatisation pour réduire les délais de traitement et uniformiser les procédures dans les greffes. D’un montant de douze millions d’euros (7,87 milliards de francs CFA), le projet s’étend sur quatre ans, et dans le cadre de sa mise en œuvre, un programme d’urgence pour la redynamisation du secteur a été lancé le 17 décembre 2015. La rançon de l’impunité On ne peut cependant pas occulter la question de la probité et de l’équité qui est au C’œur de la problématique, et « de ce côté-là , les choses ne vont pas dans le bon sens », déplore A. Sidibé, avocat à  la Cour. Un magistrat, sous couvert d’anonymat le reconnait, « tu risques de te retrouver à  Kidal, si tu joues à  garder les mains propres ». La corruption des acteurs et en particulier des magistrats, est en effet le problème majeur. Pourtant, on n’a jamais vu un juge poursuivi pour corruption, et même quand ils sont nommément cités dans des affaires comme ce fut le cas lors de l’Espace d’interpellation démocratique 2014, il ne se passe rien. « Pire, après quelques mois de silence sur la question, certains reçoivent des promotions ! », assure notre juge. « C’’est une justice à  double vitesse », déplore-t-on à  l’AMDH, qui reçoit chaque jour des victimes de détention arbitraire et d’abus de pouvoir commis par des juges. Et de citer le cas « de vieux villageois emprisonnés pour avoir cultivé la terre qui appartient à  leur famille depuis des siècles. Un préfet les avait attribuées à  des fonctionnaires qui n’ont eu aucun mal à  convaincre le juge de trancher en leur faveur. l’une des personnes incarcérées est d’ailleurs décédée trois jours après que nous ayons finalement obtenu leur libération », raconte Moctar Mariko pour qui « les conditions de détention sont exécrables ». Pendant que l’on emprisonne de paisibles citoyens, les bandits de grands chemins seraient libres quelques heures après leur interpellation, et retourneraient menacer leurs victimes. « Comment voulez-vous que les gens aient la crainte de la justice s’ils la savent achetable ? », s’interroge Oumar Coulibaly, enseignant. « Mais ne jetons pas la pierre aux seuls juges, car pour qu’il y ait des corrompus, il faut des corrupteurs. Nous sommes tous comptables de cette situation », conclut-il, ayant eu lui-même maille à  partir avec la justice. Pour que l’institution retrouve ses lettres de noblesses, il faut des « gens qui ont du cran ». Le courage et la volonté des acteurs de faire changer les choses, alliée à  une véritable réforme du système sont la clé.

« Moi, j’irai le soir… »

En lisant un article hier, je me suis sentie dépourvue. Alors que leurs camarades de Bamako sont à  la maison depuis une semaine, pour avoir manifesté après le décès de deux étudiants abattus par des hommes armés, les élèves des régions du nord Mali ont repris le chemin des classes. Comment cela se fait-il que dans cette situation, on puisse réorganiser les cours et que ce ne soit pas possible à  Bamako? J’ai vite été située. En fait de reprise de cours, C’’est une espèce de mise sous coupe qui est organisée. Les nouveaux maà®tres, de Tombouctou particulièrement, mais qui sévissent aussi à  Gao, ont décidé de mettre l’école malienne à  la sauce charia. Résultat, plus de mixité, et disparitions de certaines matières comme la philosophie des programmes scolaires. Interdiction de réfléchir, faites ce que je dis et non ce que je fais ! Quand à  ce que je fais, C’’est au nom d’Allah, alors !!! Donc, moi, en tant que fille, si J’étais à  Tombouctou, J’irai à  l’école le soir ou le matin. C’’est selon parce que les garçons y vont le matin ou le soir et que je n’ai pas le droit d’être dans le même espace qu’eux, à  plus forte raison acquérir les mêmes connaissances… Voiles toi et tais-toi ! Ceci dit, je ne comprends pas non plus pourquoi les écoles de Bamako restent fermées. Vu son état de déliquescence avancée, le système éducatif malien n’a pas besoin de cette perte de temps alors que les enfants sont déjà  traumatisés par la situation actuelle du pays. Ce qui m’effare, C’’est que depuis tout ce temps, de Bamako, je ne vois rien venir. Les politiciens, les militaires, la société civile, tout le monde discute, se dispute. On finit même par se tirer dessus. Pendant ce temps, on me dit qu’il n’y a pas de quoi venir se battre pour moi. Peut-être que je n’en vaux pas la peine. Je me sens, je suis malienne pourtant, moi aussi. Qui que vous soyez, si vous avez quoique ce soit à  faire pour que le pays avance, pour que nos frères et sœurs sortent de leur misère matérielle et morale, agissez. N’attendez pas qu’il soit trop tard, n’attendez pas le soirÂ